Avoir un infirmier personnel... [PV Dimitry Lyov]

MuSiC HeRe ~

~ Dimitry dormait. Profondément. Sa tête reposait contre le radiateur à côté duquel le banc de bois blanc était posé. Sa respiration était calme et régulière et des cernes étaient visibles sous ses yeux. Posé là, avec cet air si innocent sur le visage, personne n'aurait pu soupçonner quel genre de monstre sommeillait en lui, malgré son air enfantin et vulnérable. Les traces de sang séché qui s'épanouissaient sur son débardeur se mêlaient à des traces d'herbes et de terre. Il aurait pu se changer, mais il n'en avait pas eu le courage face au sommeil qui l'avait accablé. Et là, il était parti bien malgré lui pour récupérer les heures de sommeil qu'il avait sauté pendant ces presque six derniers jours, pendant qu'il avait passé son temps à surveiller Ace, qui vivait beaucoup la nuit de par son job de barman. Les courbatures de sa lutte avec le jeune homme y étaient aussi pour quelque chose. Il en avait encore des marques, au visage en particulier. Il avait un bleu assez conséquent sur le visage, en forme de demie lune, qui commençait légèrement à s'estomper, et il avait mit un pansement qu'il avait trouvé là sur une de ses tempes, résultat de la lapidation qu'il avait subie. Mine de rien, Ace n'y était pas allé avec le dos de la cuillère. Il l'avait frappé au visage avec ses poings, lapidé et asphyxié à plusieurs reprises. Dimitry avait dû sembler le moins atteint possible par les attaques du jeune homme pour le déstabiliser, mais il n'empêche que la douleur, elle, avait été bien réelle. Pendant un temps cela avait été excitant, presque comme un jeu pour le jeune homme, savoir qui allait réussir à dominer l'autre et à le soumettre à sa volonté, mais il avait eu un geste de trop, et la violence excessive dont il avait fait preuve avait brusquement donné une tournure dramatique aux évènements. Dimitry avait vu le dossier d'Ace, et il avait été surpris de voir autant de blessures. La pointe dans le dos et les côtes fêlées étaient de son fait certes, mais le tibia abimé et l'épaule fêlée l'avaient interpelé. Il ne s'était pas rendu compte de cela face au jeune homme, alors soit c'était antérieur à leur combat, chose plus qu'improbable, soit il n'avait vraiment pas eu de chance et Dimitry y était allé trop fort sans même s'en rendre compte. Quoiqu'il en soit, la mission donnée par Milbury était un véritable échec et, face à son employeur , il n'aurait aucun élément capable de se justifier du point où ils en étaient arrivé. Non seulement il s'était mis à dos la personne qu'il devait chasser et recruter, mais en plus de cela il avait faillit la détruire à jamais. Si tout ceci s'était passé comme il l'avait prévu, il aurait juste eu à lui parler, le faire réfléchir et le convaincre ou, du moins, l'amadouer pour revenir plus tard. Il y avait dans sa veste une enveloppe kraft, vide désormais, mais qui avait contenu la somme de trois mille dollars. Milbury les lui avait donné comme argument supplémentaire, dans le cas où cela se serait avéré nécessaire, pour finir de convaincre Ace et bien lui faire signifier tout ce qu'il avait à gagner à suivre Dimitry. Mais le jeune homme avait dépensé cet argent sans le faire savoir à son employeur et, pourtant, Ace n'en avait pas non plus vu la couleur ni même n'était au courant de son existence. En réalité, Dimitry s'en était servi pour payer les frais d'hôpitaux du jeune homme qui était allongé dans son lit en face de lui. Et, en cela, il avait dépassé les limites de son mercenariat.

Il n'aurait jamais dû prendre ainsi parti de cette manière. On l'avait payé pour un job en particulier, un boulot simple et précis mais, non content de ne pas mener à bien sa mission, il s'enfonçait plus encore et manquait de professionnalisme. Son oncle le lui avait pourtant bien appris. C'était lui qui l'avait en partie formé et fait de lui ce qu'il était devenu depuis ses onze ans, aussi bien mentalement que professionnellement. Une mission pouvait être un échec, c'était normal, personne n'était à l'abri d'un revers ou d'un retournement de situation - lui même croupissait en prison à l'heure actuelle - mais, s'il y avait bien une chose qu'il lui avait fait rentrer dans le crâne avec force, c'était de ne jamais ressentir aucune émotion pendant une opération. Ni compassion, ni haine, ni pitié ou même culpabilité, rien. Cela altérait le jugement et donnait une implication beaucoup trop personnelle à la mission, augmentant considérablement les risques d'erreurs de jugement qui pouvaient par la suite s'avérer fatales. C'était dur, très dur. Voir même quasiment impossible. Et pourtant, c'était la faute qu'il venait de faire pendant les dernières vingt-quatre heures. Il avait ressentit l'horreur de voir Ace mourir sous ses yeux et la culpabilité de savoir que c'était lui qui avait provoqué son état. Il était passé à deux doigt de devenir un meurtrier, avait des regrets pleins la tête et sentait dans sa bouche le goût amer de l'échec total. C'était le dernier des foutus imbéciles.

Dimitry mentait, manipulait, espionnait, influait, dealait, trafiquait, volait, trahissait, dupait, revendait ou détruisait et, pourtant, jamais encore il n'avait tué quelqu'un. Son oncle n'avait pas eu le temps de faire passer son entraînement à ce stade avant d'être envoyé en prison et, dans un sens, c'était peut-être mieux ainsi. Il n'était pas encore devenu l'assassin de l'Ombre qu'il avait voulu qu'il devienne. Toujours est-il qu'en ce jour, il avait manqué franchir définitivement cette limite.

Dormant d'un sommeil sans rêves, agité seulement par quelques bribes de souvenirs des évènements passés, Dimitry ne se rendit pas comte qu'Ace venait de se réveiller. A vrai dire, il ne se rendait pas compte que le jour venait de se lever et qu'il était l'heure pour lui de partir avant que les infirmières ne viennent s'occuper d'Ace de bon matin et ne le voient dans son état, intrus qu'il était. Les sanglots du jeune patient résonnèrent à ses oreilles comme de lointains sons de carillons, ne l'atteignant qu'à travers un voile de rêves, étouffés par son inconscient et peinant à l'atteindre pour le tirer de sa torpeur. Loin de tout ceci, perdu dans un autre monde, Dimitry n'eut pour toute réaction qu'un léger mouvement de paupière, ses yeux s'agitant dans le noir, son cœur repartant un peu plus vite, à mesure qu'il revenait dans le monde des vivants.

Puis, brusquement, sans crier gare, Morphée le rejeta parmi la réalité de ce monde pourri et sans pitié et il reprit alors pleine possession de ses capacités en une fraction de seconde. Sur le coup, il ne sut pas où il était et voir Ace ainsi devant lui et se rendre compte qu'il s'était endormi et avait failli à sa tâche le fit paniquer l'espace d'un instant avant qu'il ne comprenne ce qu'il se passe. Une brusque poussée d'adrénaline injectée dans le sang l'avait presque pleinement réveillé. Les seules choses qu'il vit et assimila furent que le jour s'était levé et que son protégé ne tenait déjà plus en place dans son lit. Un moment il eu peur qu'il ne vienne tenter de l'attaquer de nouveau, mais il vit rapidement qu'Ace avait la tête posée sur ses genoux et lui secouait faiblement le bras pour attirer son attention. Il était dans un état de détresse plus qu'avancé. Il regarda le jeune homme avec un mélange d'incompréhension, de culpabilité et d'appréhension qu'il tenta de cacher. Tant qu'il ne saurait pas comment avait évolué la situation dans la tête d'Ace, il n'afficherait qu'une façade terne et indifférente sur son visage. Rien d'autre. Ou, du moins, essaierait-il, car il ne pouvait pas se le permettre.

_ Je suis vraiment navré de vous avoir causé tant de soucis. Je ne pourrais jamais assez m'excuser pour pardonner mon comportement immature et stupide. S'il vous plait pardonnez-moi... »

Des sanglots accompagnèrent ses paroles. Des larmes coulèrent le long de ses joues telles des perles jusque sous son menton. Il regarda Dimitry de ses yeux bleus acier, si clairs, si déroutants, à la fois magnifiques et dérangeants. Il sentit son cœur se tordre atrocement sous la culpabilité et il s'efforça de rejeter ce sentiment pour n'afficher rien d'autre qu'une indifférence totale et profonde, bien qu'il n'y parvint cependant pas. Ses traits étaient tendus, il luttait pour éviter de montrer à Ace un air de désolation, mêlé à la tristesse d'avoir manqué de gâcher une vie. Il essayait de se persuader que ce n'était, après tout, qu'une mission banale et sans intérêt, comme toutes les autres qu'il avait acceptées jusqu'à présent, et que cet homme ne méritait nullement sa considération, que ce n'était qu'un objet, un instrument qui allait lui rapporter de l'argent s'il parvenait à le manipuler. Mais cette pensée s'effrita bien vite face à la détresse du jeune mutant.

Lorsqu'Ace vint se blottir dans ses bras, il fut d'abord surpris et resta sans réaction, presque sans défense, retenant un mouvement de recul. Mais il n'eut pas la force de le repousser. Il se sentit faible et ne parvint pas à se défaire de cette faiblesse en lui. Il eut beau se faire violence pour le rejeter et le mettre à terre, pour se sauvegarder lui même de sa propre culpabilité et revenir à cette insensibilité, ce détachement dédaigneux qu'il se devait d'adopter en mission pour ne pas s'impliquer personnellement, il n'y parvint pas. Il laissa faire le jeune homme, presque nu, le laissant venir se blottir contre sa poitrine, l'accueillant contre lui-même pour le réchauffer de son corps, d'une chaleur humaine, intime et compatissante qui lui ferait du bien. Il passa outre sa gêne d'être ainsi serré avec un homme en sous-vêtement et finit par l'enlacer maladroitement de ses bras, sentant son cœur empoigné par le sentiment de commettre une de ces erreurs fatales qu'il essayait d'éviter. Il était trop tard pour faire marche arrière, trop tard pour ignorer le jeune Bradford et l'oublier dès qu'il le quitterai. Il venait de lier son destin au sien et Dimitry avait la fâcheuse impression de ne pas savoir sur quoi il s'engageait.

Il laissa Ace se laisser aller contre lui, libérer toute la souffrance qu'il pouvait avoir sur le cœur, sa tête enfouie au creux de son épaule. Tendu, Dimitry tentait de ne pas ressentir de compassion face à cet homme brisé, de ne pas être atteint par sa détresse, sa solitude et son désespoir. Mais cela était peine perdue cependant. Ce n'était pas un de ces monstres insensibles et froid, et face à la situation d'Ace, il ne pouvait que vouloir l'aider et lui offrir son aide, son amitié et sa compagnie. Il se rappela alors les dernières paroles du mutant lorsqu'il était en pleine crise de délire, sur l'herbe du parc, avant que les secours ne viennent le récupérer. Non je ne veux pas qu'ils viennent laissez moi mourir en paix s'il vous plait... Se remémorant ce passage qui l'avait marqué en particulier, pris en tenaille entre sa culpabilité et la détresse d'Ace, il capitula, bien malgré lui, affichant un air résigné et presque égaré. Ace s'excusait de lui avoir causé du tord ? Jamais il ne se serait attendu à cette réaction, mais plutôt à un brusque accès de colère à son encontre. Seulement le jeune mutant semblait se considérer responsable de ce qu'il s'était passé. Une idée germa alors dans l'esprit de Dimitry. Une idée des plus abjectes et infâmes. Oui, il pouvait lui faire croire que tout était de sa faute, lui refourguer tout sur sa conscience, y compris sa propre culpabilité, et se faire passer pour meilleur qu'il ne l'était aux yeux d'Ace. C'était tentant, c'était dans ses cordes et c'était pile poil la bonne occasion. Il hésita un instant, sur le point de rejeter l'homme dans ses bras et, pendant ce bref moment, il vit là l'occasion de finalement retourner toute la situation à son plein et entier avantage. Alors, il lui parla, d'une voix rendue rauque et fatiguée par le sommeil.

_ Ace... »

Il hésita un instant, partagé entre l'envie apaisante de lui avouer qu'il était sincèrement désolé, et celle de profiter de la situation qui s'offrait à ses pieds. Mais il rechigna, il n'était pas aussi lâche.

_ S'il te plaît Ace, ne pleure pas. Ce n'est pas ta faute... »

Lui même n'était pas insensible à l'émotion du jeune homme qu'il serrait contre lui, mais il tentait tant bien que mal de ne pas la ressentir et de l'occulter. Il venait de lui dire que ce n'était pas sa faute, certes, mais il n'avait fait que dire une demie-vérité. Il avait surtout omis de préciser que c'était entièrement la sienne si Ace avait faillit mourir, dans la misère et l'ignorance, voilà à peine vingt quatre heures de cela. Statu quo en somme. Mais pour le moment, il fallait qu'il avise de la situation. Lui était-il encore possible de mener à bien sa mission ? Il n'en savait rien. Mais, en avait-il encore envie ? Le jeune homme n'était pas véritablement dans sa meilleure forme pour rencontrer Milbury.

_ Non, ce n'est pas ta faute... »

Et, alors qu'il partageait la tristesse de son compagnon et qu'il méditait lui même sur tout ce merdier, sur sa bêtise et l'ineptie de la vie, quelque chose au sol attira son attention. Quelque chose d'inattendu, de familier et de terriblement menaçant. Comme un serpent d'ombre rampant sur le sol, louvoyant petit à petit entre les meubles de la chambre d'hôpital, récoltant dans son sillage les dernières ombres furtives de la nuit mourante afin de se donner un corps plus consistant que la simple enveloppe qu'elle revêtait d'habitude. Elle était là, elle venait de se réveiller et, Dimitry le sentait clairement, elle était armée de sentiments aussi noirs que les pires vices de l'humanité. La flaque d'ombre absolue s'avançait jusque devant lui, tel un requin à la recherche de sa proie. Ace ne pouvait pas la voir, ainsi appuyé sur Dimitry, et ce dernier ferait en sorte qu'il ne la voit pas, continuant de prononcer son nom avec l'effet que lui procurerait un baume apaisant sur son âme meurtrie, et le serrant un peu plus contre lui pour le protéger de l'Autre, caressant sa nuque et ses cheveux en signe de réconfort, mais aussi et surtout pour l'empêcher de tourner la tête.

L'Autre sortit lentement de l'ombre, avec grâce et majesté, avec une lenteur démesurée, emplissant la pièce de sa noirceur funeste et traînant derrière lui volutes de ténèbres et écharpes de velours noir. Il se montrait dans toute sa vile splendeur, reflet de l'âme de Dimitry lui-même, et il dégageait comme des miasmes de folie dans son arrogance et son orgueil sans failles. Sa simple présence suffit à mettre Dimitry plus encore sur les nerfs, de part l'énergie qu'il lui pompait, mais aussi et surtout parce que quand il prenait la peine d'apparaître de cette manière ce n'était jamais pour des breloques. Il s'arrêta en face de Dimitry, à la frontière entre le jour et la nuit, frôlant les rayons pourpres du soleil naissant qui entraient par la fenêtre et illuminaient les deux jeunes hommes enlacés. Il regarda Dimitry en balançant doucement la tête de droite à gauche, comme l'aurait fait une mère devant un enfant fautif, une fois de plus. « Tss Tss Tss. Voyons Dimitry. . . » Sa voix sifflait d'un air surnaturel, empli d'un charisme suppurant de déchéance, de vilénie et de bassesse. « Regarde-toi. . . » Son timbre devint glacial, comme la brise de Sibérie sur la surface d'une peau mouillée. « REGARDE-TOI ! » L'avatar d'ombre feulait comme une bête sauvage, prête à bondir sur sa proie, hurlant au scandale l'ignominie de cette scène pathétique et misérable. Dimitry fixa de ses yeux bleus le regard insondable de cette créature, impure et traître et dans laquelle il se reconnaissait pourtant parfois tellement. Tantôt bienveillante avec lui, parfois abjecte, mais toujours sournoise et vile avec les autres, elle leur tournait autour comme un vautour. « Vas-t-en ! Je n'ai pas le temps d'écouter tes sornettes. » Le jeune homme savait pourquoi elle était venue. Il savait ce qu'elle voulait précisément, il n'y avait rien d'autre ici qui aurait pu le motiver à apparaître ainsi. Il ne reçut pour toute réponse qu'un ricanement crépitant, aussi dérangeant que le raclement métallique d'une pointe de fer sur de l'acier rouillé. « PARS ! » Il sembla un instant qu'elle lui obéit et elle finit par disparaître de sa vue dans un coin de la pièce, se fondant dans une ombre avec un sourire de triomphe malfaisant sur le visage et jouant avec ses nerfs comme elle aimait le faire parfois pour s'amuser.

_ Ça va aller Ace, ça va aller... »

Le cœur de Dimitry battait plus vite que ce qu'il n'aurait dû. Il détestait quand l'Autre faisait ça. Le jeune homme savait ce que l'Ombre voulait, et cette chose, c'était Ace. Elle voulait l'avoir, le posséder, le contrôler, qu'il soit à elle et elle seule. La faiblesse l'attirait toujours et son opportunisme faisait qu'elle tenterait de tirer parti de n'importe quelle manière de la situation. Il la sentit se déplacer d'un bout à l'autre de la pièce, fendre les ombres comme un aileron de requin troublerait la surface calme de l'eau. Il réapparut alors juste dans le dos d'Ace et Dimitry s'efforça de le maintenir contre lui dans un geste protecteur, la tête dans son épaule pour l'empêche de voir quoi que ce soit.

_ Ne t'en fait pas, je ne te laisserai pas tomber. »

Cette phrase murmurée dans son oreille était plus destinée à l'Autre qu'à Ace, mais elle signifiait bien qu'il l'empêcherait de subir les affres de son double psychotique. Celui-ci était en colère. Il voulait Ace. Il s'approcha tout prêt du jeune homme et frôla de ses doigts obscurs et en forme de lames la nuque et la colonne vertébrale du jeune homme. « Touche-le... » Dimitry était presque nez à nez avec l'autre et il le regarda droit dans les yeux. « ...Et je te bute. » L'Autre sembla hésiter un instant, partagé entre faire souffrir et attendre son heure. Lentement, avec hésitation, elle recula, libérant la nuque vulnérable de ses doigts de mort pour aller caresser tendrement la joue de Dimitry et susurrer à son oreille. Il y a vraiment des fois où même le jeune homme avait peur de l'Autre. « Tu ne vois donc pas ? Sa détresse est une occasion à nulle autre pareille, il t'ouvre son cœur. » Il se pencha au dessus du jeune couple et Dimitry sentit une goutte de sueur lui couler le long de la tempe. L'Autre lui sourit. « Il t'ouvre son coeur ! Pénètre à l'intérieur et verses-y ton poison, plante les graines de la folie et de la trahison. Il est à tes pieds, il s'offre à toi, il n'appartient qu'à toi d'en prendre possession. . . » Dimitry tremblait légèrement, sous la pression et la peur. Cette voix dans sa tête ne cessait de répéter qu'elle voulait uniquement son propre bien. Leur propre bien. Mais sa conception du bien était unique et propre à elle-même. Il lui répondit doucement dans sa tête, mais avec moins de conviction. « Ferme-là ». L'autre ricana de nouveau et eut comme un geste de tendresse à son égard. « C'est un homme brisé, il ne sert plus à rien. Exploite sa détresse, ramasse les morceaux misérable de son existence et reconstruit-le à ton image » Les yeux de Dimity s'embuèrent légèrement. Il ne pouvait pas faire ça, il n'était pas aussi cruel. « Tu verra, je t'aiderai à faire de lui ta chose. Fais-le croire que tu es son seul espoir, bride lui l'esprit et fais toi en un allié fidèle, à même de donner sa vie pour te protéger. » Il libéra son étreinte et commença à s'estomper progressivement. Sans un bruit, repartant comme il était venu. Sa voix disparut de plus en plus, jusqu'à ne plus devenir qu'un faible écho. « Fais-moi confiance, il est seul, il n'a personne d'autre que nous. Il est faible et désespéré, et nous en ferons un bon petit soldat. Une parfaite marionnette. . . » Un début de larme commença à apparaître sous les yeux du jeune homme, et une unique perle descendit le long de sa joue, frissonnante. Pour toute réponse, il adressa faiblement une dernière pensée à l'Autre, comme un murmure dans la nuit. « Je refuse. » Il murmura alors aux oreilles de son compagnon avec tristesse et mélancolie.

_ Ne t'en fait pas Ace, je veillerai sur toi. Je te protègerai...»

Il prit une bonne respiration et resta un moment contre Ace, sa tête conte la sienne, lui aussi ayant maintenant besoin de cette chaleur humaine et réconfortante. Non, il ne serait plus jamais seul. Il l'accompagnerait et serait avec lui, car tant de solitude et de folie le désolait. Puis, au bout de quelques minutes, lorsqu'Ace eut retrouvé un semblant de calme, il s'essuya l'œil de sa manche subrepticement et prit un air qu'il se voulait dur et insensible. Il prit le jeune homme par ses épaules nues et le décolla doucement de lui-même en le rassurant. Il regarda le visage embué du jeune homme et tenta de ne rien ressentir. Peine perdue. Il remarqua alors son bandage autour de la poitrine et qui en faisait le tour. Il fronça sévèrement les sourcils, encore troublé et perdu. Il remarqua aussi les bandages à sa jambe et se rappela le dossier médical d'Ace. Un tibia fêlé. Ses yeux s'étrécirent et il se racla la gorge avant de parler d'un ton autoritaire.

_ Tu te fous de ma gueule ?! Tu as marché jusque-là pour venir me réveiller ? Tu n'aurais pas pu tout simplement m'appeler ? Bon sang espèce d'inconscient. T'es déjà assez fragile comme ça sans qu'il ne soit nécessaire que tu en rajoutes, imbécile ! Aller viens, je vais te soutenir jusqu'à ton lit. »

Il ne laissa pas le choix à Ace et prit son bras intact pour le passer autour de ses épaules. Il passa le sien dans le dos du blessé et le soutînt tant bien que mal pour le faire marcher - boitiller plutôt - progressivement jusque son lit, sans trop de douleur. Là, il l'aida - ou plutôt le força - à se rallonger. Son expression en disait long sur ce qu'il était capable de faire au jeune homme s'il ne lui obéissait pas, et son regard troublé était assez déstabilisant. C'était celui d'un enfant perdu.

Une fois ceci fait, il soupira profondément pour évacuer la tension et l'émotion. Il remarqua les traces de sang sur le drap du jeune homme et des gouttes rouge sombre figuraient sur son avant bras. Il chercha la perfusion, vit le bout qui avait été arraché mais ne dit rien. Lui aussi aurait certainement fait pareil. Il ferma l'écoulement goutte à goutte de la poche suspendue et regarda Ace essayer de s'installer confortablement. Le jeune homme était presque nu, il n'avait qu'un boxer. Il vit que la nature l'avait plutôt bien gâté physiquement parlant et qu'il devait certainement faire du sport pour entretenir un corps pareil. Passant à autre chose, il s'approcha de la fenêtre, toute proche, et regarda le spectacle sublime du soleil qui se lève sur la ville sans toutefois réellement le voir. Il était à moitié tourné vers la vitre, à la fois pour éviter de croiser le regard d'Ace, mais aussi aussi pour prendre le temps de récupérer une contenance normale. Ace allait sûrement lui poser une foule de questions, et il redoutait certaines d'entre-elles. Ouvrant légèrement la fenêtre et commençant à s'allumer une cigarette, il engagea tout de même la conversation après quelques instants de silence, se tournant vers le jeune homme allongé dans son lit à côté de lui, avec cet air qui se voulait indifférent à tout ce qui s'était passé avant, comme si de rien n'était.

_ Alors, comment tu te sens ? » »

~ Dimitry laissa Ace prendre le temps de réfléchir à sa question, sentant la brise légère pénétrer dans la pièce par le petit espace ouvert sur le monde extérieur et agiter quelques mèches de ses cheveux. Accoudé d'un air presque je m'en foutiste sur le rebord, sa cigarette à la main, il baignait dans la tranquillité irréelle de l'instant présent, observant attentivement l'homme allongé sur son lit d'hôpital. D'un regard bleu azur dénué de gêne, de jugement ou même d'émotion, il se voulait parfaitement neutre dans son attitude, pour ne pas déranger Ace Bradford. Ni le mettre mal à l'aise, ni avoir l'air d'envahir son espace vital, surtout après de tels chocs émotionnels. Il ne faisait que l'observer, pour voir comment il allait réagir, mais il le laissait aussi respirer. A sa place, il aurait sûrement préféré être seul pour pouvoir réfléchir et avoir le temps de se remettre correctement l'esprit en place, avant de devoir de nouveau affronter quelqu'un. Mais, en réalité, ce n'était en partie qu'un masque que le jeune homme affichait face au blessé. La culpabilité lui brûlait le crâne comme un tison ardent chauffé à blanc, comme une écharde enfoncée sur un nœud de nerfs et dont on n'arriverait pas à se débarrasser. Cela faisait mal, cela faisait saigner le cœur, comme l'emprise d'une main de glace qui l'aurait déchiré sans pitié. C'était comme un poids immense et insupportable, un fardeau digne de celui d'Atlas, celui de la mort d'un homme. Et, pourtant, plutôt que de demander pardon à cet inconnu qu'il avait épié quatre jours durant et de s'en libérer, il laissait couler les choses en voyant qu'elles tournaient à son avantage. Ace se considérait seul responsable, Ace s'excusait. Pourquoi, alors, irait-il le contredire ? Pour son propre besoin ? Pour sa propre conscience ? Au risque de mettre sa mission de recrutement en l'air alors qu'une nouvelle fenêtre, idéale et inespérée, se profilait à l'horizon ? Non. Même s'il allait profiter du désir de l'homme pour se faire pardonner, même s'il ne faisait qu'accomplir ce pourquoi il avait été payé, il trouvait cela mal. Il ne pouvait rester insensible face à la détresse qu'il avait lui même causé, il ne pouvait rester sans compassion. Il avait beau se répéter que cet homme n'était rien d'autre qu'une marchandise, rien d'autre qu'un objet dont il se servait à ses propres fins, il ne pouvait pas faire abstraction de l'être humain qui se trouvait derrière et qu'il avait manqué de détruire. Non, il se sentait faible et cela le répugnait. L'Autre le poussait à rejeter de tels sentiments, et n'avait de cesse que de lui faire exploiter les autres comme en l'instant présent, sans vergogne. Mais, pour Dimitry, c'était comme s'arracher son propre cœur et si d'habitude il n'avait parfois aucun scrupule à achever l'espoir de certains misérables au moment où ils vacillaient, il ne pourrait tuer quelqu'un sans ressentir une once de peine ou de regret. Et c'était justement pour cela qu'il n'affichait plus cette assurance insolente et effrontée face au jeune homme dans son lit. Il se sentait lié à lui, d'une manière qu'il détestait, même si ce n'était pas sa faute. Il n'avait pas eu le courage de lui demander pardon, il avait l'impression d'avoir presque une dette envers lui, celle de la vie. Oui, il lui devait une vie, celle qu'il lui avait prise pas plus tard que la veille, de par son inconscience et sa sottise.

_ Comment je vais ? Disons que j'ai connu mieux mais l'hôpital et moi on est assez bons amis je dois dire ! »

Dimitry sortit de la rêverie dans laquelle il s'était plongé les quelques instants qu'Ace prit pour lui répondre. Le jeune homme avait eu l'air presque étonné qu'il lui pose cette question. Pourtant, vu son état, elle était plus que de mise. Enfin, peut importe, il faisait de l'humour. Noir certes, mais de l'humour quand même. C'est que ça allait mieux. Ou pas. Dimitry resta silencieux, grave, devant le blessé. Il n'avait pas envie de rire à vrai dire. Il était troublé. Cet homme en face de lui le troublait.

_ Et vous... Enfin je... Je peux dire toi ? Comment vas-tu toi ? Je m'excuse encore du mal que j'ai pu te faire... Je voulais aussi te remercier pour m'avoir sauver... Tu as fait preuve de bien d'égard envers moi que peu aurait accompli... »

A sa demande, Dimitry hocha la tête, comme si c'était tout ce qu'il y avait de plus naturel. Après tout, lui-même connaissait Ace depuis presque une semaine maintenant, même si ce n'était pas réciproque, et vu à quel niveau d'intimité il l'avait pénétré ils pouvaient bien se permettre de se tutoyer. En plus, ils avaient le même âge et Dimitry détestait qu'on le vouvoie. Ace s'excusait, et le jeune homme en vint à penser que l'Autre avait peut-être raison. Qu'au lieu de s'abîmer dans la compassion et la culpabilité, il pouvait se servir de cet homme brisé et qui s'offrait à lui comme d'un vulgaire petit pantin, dans le but unique de servir ses propres intérêts et de le distraire jusqu'à ce qu'il s'en lasse. Ce qui, assurément, serait bien cruel vu la situation. Mais tellement facile... Il ne comprenait pas pourquoi il était incapable de l'enfoncer encore plus. Foutue compassion. Il affichait toujours cet air indifférent, presque nonchalant, comme si tout ceci n'avait été que banalités communes et routinières, mais il ne voulait pas s'avouer qu'en fait c'était aussi pour s'éviter d'avoir a exposer son propre dérangement sur son visage. Il tira une nouvelle fois sur sa clope, libérant de lourdes volutes de fumées bleues qui rougeoyèrent dans la lueur ardente du soleil levant. Fumer dans un hôpital n'était pas très respectueux. Mais il n'était pas très respectueux et, qui plus est, il s'en foutait. Et en plus cet idiot d'Ace s'excusait. Ça le touchait, sincèrement, en même temps que ça le désolait. C'était lui qui aurait dû dire ça. Ace avait l'air honnête dans le ton de sa voix, et Dimitry ressentit encore un petit pincement de culpabilité. Il aurait plutôt dû tenter de le tuer après ce qu'il avait subi. Mais non. Rien de tout cela. Soutenir le regard du jeune homme lui brûlait la rétine, mais il se retint de lui dire quoique ce soit, il fallait qu'il profite de sa reconnaissance pour le recruter chez son employeur. A cette pensée, il sentit un frisson de joie malsaine dans son esprit. Si l'Autre s'était refait silencieux comme la nuit dans son esprit, il n'en demeurait pas moins constamment tapis dans quelques recoins obscurs, prêt à ressurgir n'importe quand et pour n'importe quoi. Il approuvait le comportement de Dimitry, comme une personne aurait félicité avec ironie un cerveau un peu lent à comprendre lorsqu'enfin il faisait ce qu'on lui demandait de faire. Et ça, ça le terrifiait. Car s'il commençait à aller dans son sens, il redoutait de ne pas savoir jusque quel point il serait capable de manipuler Ace. Il pouvait en faire sa chose, son pantin, sa marionnette. Oui, c'était si facile et si tentant. Il frémit un instant, imperceptiblement. Il avait promis à Ace d'être avec lui et de veiller sur le jeune homme. Bon sang, il avait l'impression d'avoir fait une connerie encore plus monstrueuse en faisant une telle promesse. Et pourtant, elle était sortie si naturellement, avec tant de sincérité que lui-même ne pouvait se décider à la renier. Cela ne ferait qu'achever Ace, et c'était ce que voulait l'Autre. Néanmoins, s'il le protégeait du reste du monde, qui serait à même de le protéger de lui et de l'Autre ? Il regarda intensément Ace Bradford dans les yeux et il eut un frisson le long de son échine. Mais vraiment, pourquoi se sentait-il obligé de faire ça ?! Ce jeune homme blond était sans importance, pourquoi lui avait-il dit qu'il ne le laisserait pas tomber, hein ? Il n'avait pas besoin de ce fardeau. Et pourtant, cette pensée sembla alléger le poids de sa conscience, comme si redresser Ace de sa misère et lui redonner l'espoir et sa compagnie contribueraient déjà à la dette qu'il avait envers lui. Mais quel foutu imbécile il faisait. Il lui répondit d'un ton neutre, mais néanmoins nuancé par une touche d'émotion.

_ Bah, je n'allais pas te laisser mourir quand même. Ce n'est pas mon genre. Et ne t'en fait pas pour moi, j'ai connu pire. Pour l'instant, c'est de toi dont il faut te préoccuper. Tu n'as pas l'air très en forme. »

Oui, il avait connu pire, mais bon, Ace avait fait fort quand même. Et même s'il n'allait pas forcément bien, il s'abstiendrait de lui dire. Peu importait comment lui allait, ce qui comptait pour le moment, c'était Ace. Parce que de sa décision dépendrait son salaire, mais aussi parce qu'il ne voulait plus le voir dans cet état, répandu en miettes dans le désespoir de la solitude.

_ Tu connais mon prénom mais je ne pense pas savoir le tien... »

Ah, oui. Il était inévitable qu'à un moment donné il allait devoir répondre à quelques une de ses questions et lui expliquer deux ou trois choses. Bon, au moins la première question était-elle plus ou moins facile. Il détestait la morosité, et un léger sourire s'afficha sur le coin de ses lèvres, amusé.

_ Mon prénom ? Parmi toutes les questions que tu dois avoir à me poser, la première qui te viens à l'esprit, c'est celle de mon prénom ? Et bien, pourquoi pas. »

Il fit une légère pause, le temps de faire tomber quelques cendres de cigarette dans le pot d'une plante posée sur une table de chevet. Il lui en aurait bien proposé une mais bon, ce n'était pas vraiment ce qu'il y avait de mieux pour un convalescent. Le jeune homme soupira légèrement et donna finalement une réponse, regardant Ace droit dans les yeux, avec cet éclat de malice qui vint de nouveau s'y refléter.

_ En temps normal, je t'aurais demandé de m'appeler Lémure. Mais, on a qu'à dire que pour cette fois-ci, je vais te donner mon prénom. Après tout, je connais bien le tiens n'est-ce pas ? »

Il redevint un peu plus sérieux. Il s'enfonçait encore plus à lui donner son véritable prénom. Mais bon, tant que ce n'était pas le nom, cela pouvait encore aller. Et puis au point où il en était de toutes manières. S'il voulait la confiance d'Ace et la conserver, il lui faudrait un minimum d'efforts, oublier les mensonges pour une relation basée sur la sincérité. Il lui avait promis des choses, il fallait qu'il s'y tienne, en espérant ne pas devoir le regretter plus tard. Il le lui dit d'une voix douce et murmurée.

_ Je m'appelle Dimitry. »

Il laissa ensuite le silence planer, comme s'il venait de faire une terrible révélation. Il sentait dans son cou la chaleur des rayons du soleil sur sa peau. L'astre du jour flottait au dessus de l'horizon, annonçant le jour nouveau. D'ailleurs, il lui faudrait faire vite ou revenir plus tard, car déjà des bruits de pas épars se faisaient entendre dans le couloir, de l'autre côté de la porte. Le personnel infirmier commençait doucement à aller et venir.

Dimitry se décolla soudainement du rebord de la fenêtre et se rapprocha du lit ou était allongé Ace. Il tira vers lui la chaise qui traînait par là et s'y laissa tomber, las de toutes ces journées et las de cette nuit, trop courte en sommeil. Il s'installa donc dans le coin de la pièce, entre la vitre et le convalescent, profitant des rayons du soleil pour le réchauffer et appréciant la vue. Il mit ses Ray Ban miroir sur le nez, pour éviter d'être ébloui et s'adressa alors au jeune homme à ses côtés, d'un ton qui se voulait à la fois amical et rassurant, mais pourtant ferme.

_ Bon, écoute-moi bien Ace, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je me doute que tu dois te poser des questions, je me doute que tu ne dois encore rien piger à ce qui t'arrive et je me doute aussi que tu dois très certainement m'en vouloir pour ce qu'il s'est passé hier. C'est normal, à ta place je n'aurai certainement pas réagi mieux que toi et j'avoue que j'ai peut-être manqué de subtilité. »

Il fit une courte pause, histoire d'organiser ses idées dans son esprit et de donner le temps à son interlocuteur d'assimiler tout ce qu'il allait dire. Il profitait aussi qu'il était bien installé dans son petit fauteuil moelleux pour reposer ses pauvres membres courbaturés.

_ En fait, tu peux me poser toutes les questions que tu veux, je verrai bien si je peux y répondre ou non. Et, surtout, si je le veux. »

Il eut un petit sourire sur la fin, Ace allait sûrement encore le prendre pour un fou ou un illuminé. Remarque, c'était Dimitry tout craché, aussi étrange et incompréhensible pouvait-il bien paraître aux yeux des autres. Mais il s'en fichait, et il se riait bien des pensées qu'il pouvait y avoir à son égard.

_ La seule question que, moi, j'aurais à te poser c'est : veux-tu enfin m'écouter ? Je ne te veux pas de mal Ace Bradford, loin de là même. D'ailleurs, je regrette bien que tu ais terminé dans cet état. Mais bon, tu n'as pas à t'en faire pour ça, tes frais d'hôpitaux sont déjà payés. »

Il tira un bon coup sur sa cigarette et laissa s'éachapper dans l'air de nouvelles circonvolutions de fumée grise et blanche. Finalement, il se dit que, si ç'avait été lui, il aurait bien aimé fumer pour se détendre, et c'est pourquoi il proposa de tirer quelques lattes sur sa cigarette déjà entamée à Ace, en la lui tendant par dessus l'accoudoir du fauteuil. Il tourna son visage vers lui et lui sourit, insolemment, comme un gosse se sachant pertinemment dans l'illégalité mais n'en ayant rien à faire. Ace avait l'air si triste. Pourtant, la vie était un jeu qu'il fallait savoir croquer.

_ Cigarette ? » »

~ Sa cigarette s'embrasa soudainement et s'éteignit dans une profusion de fumée noire. Dimitry la regarda avec étonnement et contrariété l'espace d'un instant avant de croiser le regard enténébré d'Ace. Ah, enfin un peu de divertissement. Il était quand même sacrément culotté de faire une telle remarque à Dimitry quand lui même fumait une de SES cigarettes. Il soupira, résigné, les quelques dernières senteurs acres de fumée qui lui restait dans la gorge et tendit le bras jusque vers le pot de fleurs qui se tenait dans le coin. Il écrasa son mégot dans la terre et reporta son attention sur Ace. Bon, il n'avait pas l'air très convaincu pour le moment. Plutôt irrité à vrai dire. Mais en fait, c'était normal, vu son état et ce qui lui arrivait. Enfin, Dimitry aussi n'était pas très en forme. Il aurait pu répondre à sa provocation avec véhémence, mais il n'en fit rien, ce n'était pas le moment. Et puis Dimitry détestait s'engueuler avec les gens, surtout dans cet état de fatigue. Ace le vrillait du regard avec intensité et conviction. Bon, au moins, il reprenait du poil de la bête, c'était bon signe. Il se retint de sourire insolemment encore une fois face au clin d'œil et, qui l'eut crû, lui obéit. Il leva son petit cul de sa chaise, gardant une expression neutre et qui ne dirait rien sur ce qu'il allait faire. Il s'avança lentement jusqu'au lit et s'assit à l'endroit indiqué par Ace comme si c'était ce qu'il y avait de plus normal au monde. Il prit ses aises sans gêne malgré l'étroitesse du lit et posa un pied sur le rebord métallique afin de pouvoir appuyer son coude sur son genou.

_ Hm, peut-etre... »

Dimitry se pencha pour attraper le poignet d'Ace sans lui laisser la possibilité de broncher et lui prit sa cigarette d'entre les doigts en faisant bien attention de ne pas la briser. Il libéra ensuite le jeune homme et porta son trophée à ses lèvres pour aspirer la fumée toxique. Il soupira et se redressa. Décidément, Ace ne pouvait pas tenir en place deux minutes sans tenter de lui faire du mal.

_ ...Mais je m'en contrefiche royalement. »

Bon, il était temps d'en revenir à nos moutons tant qu'il avait son attention, du moins un semblant, et qu'il lui demandait de poursuivre. Il redevint sérieux, pour une fois.

_ Bon écoute Ace, il est tôt et j'aimerai bien aller me coucher après toutes tes conneries. J'ai un job à te proposer. un Job qui peut te rapporter du fric, beaucoup de fric en plus d'un soutien non négligeable si tu en as besoin. Alors penses-y. Je te laisse du temps pour y réfléchir vu ton état. Je te laisse deux jours. Après quoi, je reviendrais te voir pour avoir ta réponse. Si tu refuses, tu ne me verra plus jamais. Si tu acceptes, alors je t'emmènerai avec moi. Si tu as des questions, c'est maintenant qu'il faut les poser, car après il sera trop tard. »

Dim avait changé de ton et il était un peu plus froid, plus tranchant. Un peu plus de fermeté pour calmer Ace et le tenir en laisse, ou du moins, essayer. Dimitry regarda profondément le jeune homme allongé à côté de lui, celui-là même qu'il avait faillit tuer. S'il était dans cet état là, c'était de sa faute, et Dim le savait, même s'il essayait de ne pas le montrer. Ce n'était pas un monstre, enfin, pas aujourd'hui du moins, et il culpabilisait toujours d'avoir manqué de le tuer. Sans compter qu'en plus cela aurait fait tache auprès de Sinistre. Le jeune homme espérait que ses yeux ne le trahiraient pas, mais vu son comportement étrange, cela serait dur à deviner.

_ Alors ? » »