Allemagne, Sept 1938 Nuremberg (PV Gretchen Krauze)

La voix était agressive, narquoise mais hypnotique. La foule réagissait comme mue par des vagues d'hystéries inconsciente mais fanatique.
Un empire qui durerait 1000 ans...Qui d'autre avant lui ? Alexandre, César, Gengis Khan ? Leurs cendres avaient rejoint les vents et leurs rêves coloraient à peine les livres d'Histoire poussiéreux.
L'air était encore chaud pour un mois de Septembre, mais la chaleur, alimentée par une fournaise d'une origine plus dantesque, était contagieuse.
Le IX° Congrès du Parti National-Socialiste allemand battait son plein et les idéologues du Reich, menés par Hitler arrangeaient les foules opérant une résurrection horrible et sans fars d'une Grande Allemagne débarrassée du DiKtat de Versailles.
Le mal était dans le cœur des hommes et leur bouffait l'âme comme un ver dans le fruit. Le mal s'appelait misère et vengeance.
Un peuple brimé et humilié qui trouvait dans des rèves de grandeur une réponse à ses frustrations, voilà le spectacle grand guignolesque de ce prélude au carnage.
Hitler est fascinant de charisme dans ce corps si frèle et l'emprise qu'il a sur ses sujets est réelle, quasi animale. Pour l'observateur averti, la conclusion est inévitable. cette emprise appelle la soumission de la masse. Goebles a fait un travail de propagande terrifiant d'efficacité et la haine est quasi palpable des les mots du Fuhrer préfigurant l'aube de la Nuit de Cristal qui suivrait de prêt le congré.
Hitler à la tribune termine sa longue plainte nationaliste par un événement attendu. Les politiques le supputaient, il lui donne enfin corps. Hitler réclame au nom des Allemands des Sudètes le droit à leur autodétermination. Il les appelle à s'insurger. L'annexion des Sudètes est en marche. Un pas est franchis, la vieille Europe va s'effondrer à nouveau et rien de ce que pourra faire la bonne volonté des hommes ne pourra stopper ce long train de cadavres roulant vers la nuit.
Chamberlain ou Daladier en deviendraient les spectateurs muets et désarmés.

Dans la Foule Daniel, costume sombre et lunettes teintées, écrasa un soupir de désespoir tendis que de la foule s'élevait une clameur bestiale et salvatrice. Il se décida à rompre le rang, il avait la confirmation de ce qu'il voulait voir de ses propres yeux, le monde avant qu'il ne sombre à nouveau.
Il rentrerait en France, son exil allemand prenait fin, la paix avait le gout cuivré du sang.
Il lui fallut plus de quarante minutes pour sortir du lieu bousculant ca et là les communiants en extase.
Il mit tout autant de temps à regagner l'hôtel au climat familial et chassieux où il logeait pour la nuit.
L'esprit torturé et inquiet, il ne put se résoudre à tenter de trouver immédiatement le sommeil. C'est pourquoi, il décida naturellement de s'accorder une poignée d'heures de vague à l'âme au bar de l'hotel ou déjà une foule hétéroclite de curieux, attiré par l'évènement que constitué le congrès, se pressait dans un joyeux brouhaha.
Il s'installa au bar et dans un allemand à l'accent français fortement marqué il demanda au garçon qui officiait un verre de whisky. Il s'alluma une cigarette et s'absorba dans la contemplation de la foule bigarrée qui dansait là. Le noir et le rouge sang en était la trame, les uniformes dominaient préfigurant le retour à une époque trouble.
L'éveil des Seigneurs de la guerre se faisait dans un raffinement mondain, l'instinct de mort s'habillait en costumes chassieux et robes de soirée.
L'heure était à l'insouciance.

Il expectora la fumée d'une cigarette qu'il venait de s'allumer tendit qu'il fixait d'un regard décalé aux iris grises et bleutées, les aficionados opérer leur farandole.

Ce n'était qu'avec un certain scepticisme que Gretchen avait assisté au discours du Fürher. Pour elle, la politique n'était qu'une perte de temps. Des imbéciles ambitieux et imbus d'eux-même qui brassaient de l'air. Cet homme que beaucoup d'allemands décrivaient comme le sauveur de la nation n'était finalement qu'un nouvel opportuniste tirant astucieusement les ficelles de ce petit théâtre de marionettes qu'on appellait "gouvernement". Elle devait néanmoins lui reconnaître une certaine intelligence et un grand charisme. C'était surtout ce deuxième point qu'elle admirait chez lui, ce don qu'il avait pour séduire les foules et convaincre à faire tout ce qu'il voulait. Elle-même n'accordait qu'une importance moindre aux relations qu'elle entretenait avec autrui. Peut-être qu'en apprenant à les comprendre, les humains lui livreraient leurs secrets.
Elle marcha jusqu'au grand hotel, élégante dans sa robe de velours rouge. Elle regarda autour d'elle et remarqua que plus d'un homme l'observait. Jamais elle ne s'était vraiment soucié de savoir si elle était belle ou non. Tout ce qui l'importait dans son apparence c'était la perfection et la symétrie. Son maquillage soigneusement dessiné, ses cheveux taillés et coiffés comme un jardin à la française. Peut-être son apparence l'aiderait-elle.
Elle remarqua un homme en costume sombre qui fumait, arborant un air las. Ainsi, elle n'était pas la seule à s'ennuyer. Elle décida alors de tenter une expérience. Elle sortit de son sac son long fume-cigarette en bois laqué et s'approcha de l'homme.

"Excusez-moi, monsieur. Auriez-vous du feu, je vous prie ?"

Daniel en était à ses considérations moroses lorsqu'il la vit venir à lui.
Il aurait vraiment fallu faire des efforts presque surhumains pour ne pas la voir traverser l'espace bouleversant de frivolités qui lui tenait lieu d'écrin. Sa robe rouge comme une promesse d'aube bouleversante ou un crépuscule chargé de combats trop lourds lui sculptait le corps en une symétrie presque insultante. Les armes avaient parlé offrant du carmin aux Ases de la vieille Germanie et la voici s'inhumant du caveau, dague ensanglantée en son fourreau cerclé de fourrure rouge qui dominait l'espace et distribuait du bout des yeux l'espoir à ses sujets bien vite battus.

La voir s'approprier les lieux comme un prédateur déjà sur de sa pitance avait quelque chose d'onirique.
Le Voyageur jugeait beaucoup et sans doute est-ce ce qu'il fit alors qu'elle s'approchait ayant accroché son regard.
D'emblée il su que quelque chose la différenciait des autres, certes pas cette recherche d'esthétique bouleversante car Hopes avait gouté bien des blancheurs de peau et bu à bien des calices plus au moins consacrés avant d'opérer sa retraite définitive des sensations qu'offraient le monde.

Elle avait une odeur similaire à la sienne. Déjà vieille alors que jeune. Elle paraissait tout aussi jeune que lui alors. Daniel s'étonnait quelque peu de constater que le temps n'avait plus d'emprise sur lui, il commençait depuis quelques mois à concevoir la vérité qui découlait de son don.
Il s'était déjà écoulé plus de 20 ans depuis la découverte de son étrange singularité dans les tranchées de Verdun. Et des infimes changements physique depuis ce temps...il gardait son apparence d'un jeune homme entre 20 et 25 ans, il aurait du en paraitre le double.
L'imortalité etait-elle son lot ? Un être hors du temps condamné à errer sur terre en quête de l'absolution ? Ses crises de mysticisme l'étouffaient : il parlait à Dieu, tournant son visage noyé de larmes vers lui. Dieu restait aveugle, muet et sourd.

"Excusez-moi, monsieur. Auriez-vous du feu, je vous prie ?"

Il resta interdit quelques instant, plantant insidieusement son regard dans le sien pour tenter d'y discerner des ombres familières. Avec un geste calculé et d'une lenteur presque lascive, il s'exécuta.
Ni entrain, ni attitudes charmeuses.
Il savait à présent qu'ils procédaient sans doute de la même race : seuls dans la multitude.


Charmante soirée, Frauleïn, mais paradoxalement, j'ai l'impression que votre cœur ne vibre pas à l'unisson de celui de toute cette illustre compagnie.

Son allemand était loin d'être parfait, on devinait sans aucun problème l'accent français trahissant les origines du Time Tricker.

L'homme parla avec un accent français tout à fait charmant.

"Mmh... Vous n'êtes pas d'ici. Français ?"

Elle tira une bouffée de la cigarette se consumant au bout du fin tube en bois noir. Puis elle laissa la fumée s'échapper d'entre ses lèvres, semblable à un dragon digérant un chevalier en armure et son cheval.

"Vous non plus vous ne semblez pas très enthousiaste. Enfin, venant de vous ça peut paraître plus normal. Moi, je risquerais ma tête si je me mettais à critiquer cette bande de pantins." dit-elle dans un français impeccable et sans accent.

Elle maîtrisait l'allemand, l'anglais et le français, et elle étudiait aussi l'italien, l'espagnol et le japonnais. Son excellente mémoire lui était très utile pour l'apprentissage des langues.
Gretchen jeta un regard dégoûté sur le salon occupé par tous ces hommes aux uniformes bruns et noirs qui buvaient en riant bruyament et en ponctuant leurs phrases de "Heil hitler !".

"Que diriez-vous d'aller dans un endroit plus tranquille ?"

Ils étaient dés lors dans une même connivence, s'observant l'un l'autre. A présent qu'il avait retenu son attention, il se dégageait d'elle toujours le même sentiment d'intemporalité et de décalage. Non pas que la demoiselle dépareillait a milieu de la multitude de ce salon mondain de la fin des années 30, mais plutôt qu'elle semblait y jouer quelque obscur jeu de composition. Une veuve noire, c'était un peu l'impression qui se dégageait ou la conversation révélait un sourire carnassier prêt à déchiqueter la chair à la recherche d'un peu d'éphémère. Daniel connaissait par coeur le spectacle pour l'avoir joué durant de nombreuses années de dérive, juste le temps de perdre son humanité.


"Mmh... Vous n'êtes pas d'ici. Français ?"

En effet et j'ai parfaitement conscience que c'est un tord dans ce pays, je repars demain à l'aube pour Paris, j'étais juste venue voir un mourant pour lui faire mes adieux. J'ignorais que sa veillée funèbre serait aussi...magnifié.

Il leva son verre et simula l'acte de trinquer en désignant du coin de l'oeil à la jeune femme un groupe de nazi festoyant bruyamment.

La paix est morte...vive la guerre. Car c'est ce que nous aurons

Il le vida d'un geste rapide avant de le reposer sur le zinc dans un bruit sec.

"Vous non plus vous ne semblez pas très enthousiaste. Enfin, venant de vous ça peut paraître plus normal. Moi, je risquerais ma tête si je me mettais à critiquer cette bande de pantins."

Son français était parfait, le Voyageur l'accueillit avec un sourire entendu et inclina la tête légèrement pour remercier. Il enchaina donc dans sa langue natale.

On ne juge pas les gens sur leur fréquentations Mademoiselle, Judas avait d'excellentes fréquentations.


Il laissa échapper un silence avant de poursuivre

Ils sont jeunes, ils vivent une vie d'espoir et d'aventure, la plupart d'entre eux n'ont pas connu l'enfer de la Grande Guerre comme moi, les autres sont résignés et attendent la reprise du carnage. Il faut souvent une relecture pour que la leçon soit apprise définitivement.
Pour le reste....la France, l'Allemagne, l'Angleterre...qu'importe le pays qui 'emportera, les perdants sont toujours les anonymes qui meurent.
Le mal nait ici, ce soir..il gronde et n'attend qu'une chose : l'hallali.

Le bruit montait régulièrement comme une clameur offerte à un pseudo sauveur dont les mains étaient déjà maculées de sang.

"Que diriez-vous d'aller dans un endroit plus tranquille ?"

La prédatrice opérait son modus operandi avec une dextérité fascinante et Daniel après lui avoir jeté un regard amusé décida de lui montrer qui il était véritablement : surement pas un gibier.

Il n'y a pas d'endroit tranquille dès qu'on est plus d'un pour l'adultérer.
L'invitation pourrait-être plaisante si j'en connaissais la finalité.
Que voulez vous de moi, Fraülein ?

Le ton était sérieux et sec. Il ne voulait pas la froisser juste poser les limites d'un terrain de jeu où il était temps que chacun y prenne son rôle.

"Il n'y a pas d'endroit tranquille dès qu'on est plus d'un pour l'adultérer.
L'invitation pourrait-être plaisante si j'en connaissais la finalité.
Que voulez vous de moi, Fraülein ?"

Il était farouche, ça plaisait à Gretchen. Il n'était pas, comme tous ceux présents dans cette pièce, un mouton se prenant pour un loup.

"Ce que j'attends de vous ? Juste avoir une conversation intelligente avec quelqu'un qui ne radotera pas sur la grandeur du Reich."

Elle désigna les convives du bout de son fume-cigarette.

"Regardez-les. La guerre n'a même pas encore éclaté qu'ils trinquent déjà à leur victoire. Résultat : en cas de défaite ils se couvriront de ridicule. Et soyez sûr d'une chose, si l'Allemagne essuie une nouvelle défaite ils trouveront un bouc émissaire sur qui rejeter la faute. Les hommes sont si vains, si imbus d'eux-même. Et vous ? Êtes-vous comme ça, ou vallez-vous un peu plus qu'eux ?"

"Ce que j'attends de vous ? Juste avoir une conversation intelligente avec quelqu'un qui ne radotera pas sur la grandeur du Reich."

Daniel laissa échapper un bref rire sarcastique. Il en avait fait le tour de ces histoires de grandeur et décadence. Ils brulaient leurs dernier viva sur le bucher des vanités.


On est grand que l'espace du miroir...ils s'ensommeillent sur une chimère et le réveil en sera monstrueux. L'Histoire va bégayer une fois de plus, rien à rajouter.
Vu le charme de l'ambassadrice, je pourrai bien vous parler du mystère des femmes ou de celui des attractions périlleuses et désastreuses...
Mais je gage que parfois, mon humour n'amuse que moi.

Pour la première fois un sourire entendu venait de poindre sur son visage et ses yeux même avait semblaient pétiller d'une malice jusqu'alors pertinemment camouflée.

"Les hommes sont si vains, si imbus d'eux-même. Et vous ? Êtes-vous comme ça, ou vallez-vous un peu plus qu'eux ?"

L'Homme qui se juge sombre déjà sous le poids de son arrogance, je laisse aux autres l'exploit de tracer leur verdict même si en toute sincérité, je me fiche royalement de la teneur du compte rendu. J'ai fait le tour de ce que la nature humaine offre de plus sombre et de plus cruel, humain jusqu'à l'inhumanité. Les frivolités m'en laissent froid.
Vous savez, lorsqu'on se brule le palais, on ne ressent plus aucune saveur.
Il me reste les yeux pour voyager.
Et je voyage.

Il écrasa son mégot de cigarette en s'absorbant sur la tache et termina sur un ton moins dramatique.

Où vouliez-vous aller ?

"Certes. L'être humain a prouvé plusieurs fois qu'il pouvait faire de grandes choses. Mais il préfère laisser la priorité à son ego plutôt qu'oeuvrer pour le bien commun. C'est une espèce intéressante, mais incomplète."

"Où vouliez-vous aller ?"

"Sur la terrasse de derrière. Il n'y a personne et l'air frais y est très agréable. Mais il n'est pas trop tard si vous le désirez."

Elle fit quelques pas vers la porte de derrière. Devrait-elle parler à cet homme de sa mutation ? Non ! Il n'était certainement pas idiot, mais sans doute n'était-il pas prêt à accepter que des êtres différents respiraient le même air que lui...comme tout le monde.

Daniel resta pensif un instant. L'idée était plaisante, la chaleur des soirs d'été était encore douce en ces nuit de septembre. De plus l'hotel jouissait d'une situation géographique particulière et d'une pollution nocturne très faible ce qui offrait une possibilité de contempler la voute céleste dans toute sa splendeur pourvu que les conditions climatologiques s'y prêtent.

Le Voyageur s'inclina légèrement avant de payer son du au comptoir puis d'un geste entendu désigna la terrasse.
L'air était effectivement plus que régénérant. Au dedans le brouhaha germanique se faisait moins oppressant. Le calme de la nuit était propice à une discussion plus détendue. Comme prévu, le ciel dardait de mille feu l'obscurité nocturne par ses étoiles si lointaines mais si proches à la fois. Après s'être absorbé à leur contemplation hypnotique, Daniel reporta son attention sur la jeune femme. La pénombre dessinait sur son visage des ombres menaçantes et étranges qui contrastaient agréablement avec la finesse et la blancheur de ses traits. Belle, certes elle l'était.
Il bafoua le silence enivrant par quelques paroles.

Bonne idée de laisser le monde au monde, en vérité. Puis-je savoir ce qu'une personne comme vous cherche en ce monde à le côtoyer de cette façon ?

Gretchen accompagna l'homme sur la terrasse, au calme. Il faisait sombre, l'endroit était seulement éclairé par la pâle clarté de la lune. on n'entendait que le chant des insectes nocturnes. Le français devait sentir l'aspect poétique de la chose, Gretchen y voyait surtout un moyent d'être seule à seul.

"Bonne idée de laisser le monde au monde, en vérité. Puis-je savoir ce qu'une personne comme vous cherche en ce monde à le côtoyer de cette façon ?"

"En fait, on peut dire que j'ai un rôle semi-officiel. Je suis venue à ce charmant meeting pour voir ce qu'il en était de cet homme qui se dit le sauveur de l'Allemagne, et s'il y avait une place pour la science dans cette Allemagne. Je suis une femme de science. Je suis médecin à Berlin, j'ai étudié pour et je ne suis pas mauvaise dans ma partie. Mais malgré cela mes confrères ne cessent de me dénigrer, ils pensent qu'il me manque quelque chose de très important pour réussir : un pénis."

Daniel laissa échapper un rire léger. Elle avait un certain humour malgré son aspect plutôt froid. Cette confidence abrupte et humoristique tombait à point pour détendre une atmosphère un peu entachée de la gravité des scènes insouciantes de délire du salon.
Il l'écouta avec un intérêt non feint.

Cet homme n'est certainement pas le sauveur de l'Allemagne, c'est juste un fossoyeur. Il conduira son pays à la ruine...et sans doute plus que ce pays, c'est ca qui est inquiétant. Tout cela finalement ne nous intéresse guère. Ainsi vous êtes une femme de sciences ? C'est assez rare de nos jours...quoique le déficit de "pénis" du aux carnages de la Grande Guerre à encouragé beaucoup de vocations. Et...Si ce n'est pas indiscret pourrais-je savoir quel est votre domaine de spécialisation ?
Pour ma part l'Art est mon domaine de prédilection, la musique pour laquelle j'ai certaines affinités mais j'ai acquis pas mal de connaissance dans la peinture et les œuvres littéraires.

"Ah. Un artiste ? J'apprécie beaucoup les peintres et écrivains français, notament Baudelaire et Renoir. Mais pour ce qui est de la musique je préfère Mozart et Beethoven. La musique classique et les armes à feu sont les seuls domaines où nous autres allemands vous dépassons."

Sans vouloir être vexante, bien entendu. Mais elle avait ce seul point commun avec le fürher : l'amour des grands opéras de compositeurs germaniques.

"Je me spécialise dans la biologie animale. Mes recherches portent surtout sur l'évolution de l'espèce humaine. Je cherche à voir comment l'humain est arrivé là où il en est, ce qui nous différencie de l'animal, et ce qu'il y aura après nous..."

Difficile d'aller plus loin sans lui parler de mutation.

Daniel haussa les sourcils et fouilla dans sa poche à la recherche d'une cigarette.

Ce qui nous différencie des animaux ? Comme c'est joliment posée comme question... Sincèrement, pas grand chose à mon avis...pour avoir pataugé dans la boue des tranchées avec les rats comme seuls compagnons d'infortune et la mort comme unique horizon, je crois pouvoir me poser un expert de ce que la Nature Humaine peut nous réserver de plus inhumain. J'ai perdu l'envi de répondre à ce genre de question là bas...comme j'ai perdu bien des choses en vérité !

Il embrasa l'extrémité de son bâton de nicotine plus par habitude que par réel désir et recracha une fumée acre qui s'évanouit dans la pénombre.

Certains diraient l'âme...philosophes, théologiens...beaucoup de perspectives à visiter et de points de vue à assimiler...je n'aime pas la philosophie classique, recracher les idées des autres, cela me pose un cas de conscience...quand à Dieu....vaste question.

Il s'adossa à la rambarde, perdant son regard vers les jardins baignés d'obscurité.

Vous croyez en Dieu...Fraulein ?

"Oh. L'être humain a un énorme potentiel, c'est ce qui le différencie de la bête, mais il le gâche bêtement en cherchant perpétuellement à dominer ses semblables. L'homme n'arrivera jamais à rien tant qu'il ne parviendra pas à museler son ego."

Sa cigarette finie, elle jeta le mégot et rangea le fume-cigarette sans son sac.

"Vous croyez en Dieu...Fraulein ?"

La question fit sourire Gretchen.

"Croire ou ne pas croire, voilà une question digne d'une pièce de Shakespeare. Honnêtement, je ne crois pas en une quelconque divinité. Staline a dit : La religion est l'opium du peuple, il a en partie raison. Dieu est en fait une sorte de croque-mitaine, de figure paternelle imaginée par les hommes pour se convaincre de "rester sur la bonne voie". C'est aussi par crainte de la mort qu'ils on prétenu qu'il existait une sorte de paradis. Je serais bien prétentieuse si je disais savoir ce qu'il y a après la mort, mais je doute que ce soit tel qu'écrit dans la Bible. Je crois que nos actes sont prédominés par quelque chose de supérieur, mais pas par un être divin. L'évolution est une valeur sûre."

Daniel plissa les yeux scrutant une chose indéterminée là bas tapis dans les ténèbres. Peut être simplement quelques songes évadés qui prenaient forme humaine ou des convives attardés pris dans la nuit du parc.

L'évolution...c'est sans doute son caractère inéluctable qui doit tant vous passionner...en cela oui certes, c'est probablement une valeur sûre.

Il consuma sa cigarette perdu un instant dans la complexité de ses pensées.

J'ai longtemps cru en Dieu. J'y ai cru dans l'espoir, dans la joie, dans la peur, dans la colère. Mais dans l'insupportable idée de la mort, j'ai eu un mal véritablement viscéral à le trouver.Il y a peu, j'ai passé plusieurs années à le chercher, j'entrais dans les églises où seul le regard éteint des statues supportaient ma présence, je n'y trouvé que l'écho de mon désespoir. La vérité était horrible à admettre. Je crois qu'il n'y a personne, nous nous sommes crée un dieu pour justifier l'injustifiable et qualifier l'inqualifiable. Dieu est la résultante de nos faiblesses et de notre vérité. Par vérité, j'entend le fait d'être seul au monde et vulnérable, nous ne sommes voué à rien d'autre qu'à mourir.
Quelle triste déconvenue !

Il jeta son mégot sur le sol le regardant agoniser avec un regard curieux.

Désolé pour la noirceur de mes propos , je n'ai jamais prétendu être de bonne compagnie. Quelque chose me dit que vous avez la même vision des choses. Je discerne quelque chose dans votre regard : il y a des ombres mais aussi des restes de souffrance humaine.
Vous pouvez me croire, la douleur, c'est ma spécialité.

"Oh non, je ne pense pas avoir encore beaucoup en commun avec l'humanité. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour me placer au dessus."

Après tout, elle avait une connaissance infinie et passait sa vie à travailler, elle pouvait sans doute prétendre valoir mieux que les autres. Et puis il y avait son terrifiant pouvoir qui la plaçait incontestablement au dessus de l'humain de base.

"L'évolution s'enlise, la sélection naturelle est plus lente que jamais. L'homme se prend pour le maître du monde. Il croit que tout lui est dû, et ne pense plus qu'à sa petite personne. Mais je suis sûre qu'un jour les choses changeront. Une autre espèce arrivera pour prendre la place de ces êtres qui n'ont pas sû saisir leur chance."

Elle avait tentance à se montrer un peu trop passionnée quand elle commençait à exposer ses théories sur l'évolution.

Nous ne serons sans doute pas là pour le voir...si ce monde survit au ravage de ce nouveau siècle.

Les mots de la jeune allemande avaient quelque chose d'inhumains et d'élitistes qui malgré ses dires habillaient remarquablement la toile de cette étrange soirée. C'est cela qui attira l'attention de Daniel. Il la sentait potentiellement dangereuse, en tout cas bien plus dangereuse que l'ensemble des guignols se trémoussant non loin d'eux sur des rêves de gloire et de conquêtes futures. C'était inévitablement au nom de ces belles idéologies qu'étaient commis les actes les plus effroyables. Il le savait par expérience, on tuait au nom de la paix, on trucidait au nom de la science. L'horreur s'habillait souvent de raison d'Etat.
Il baissa les yeux, soudain en proie à un désespoir profond.

J'étais un Idéaliste, je vous aurais répondu bien des choses par le passé, j'ai perdu mes illusions en l'Homme. Vous avez placé les vôtres en la sciences, j'espère que vous n'en serez pas trop déçus.

Il huma l'air, le vent commençait à poindre, annonçant que la lourdeur de l'air de la soirée se transformerait en orage.


Le temps se gate et l'heure avance. Je suis aux regrets de vous dire que je vais quitter, avec votre permission, votre exquise compagnie.

"Oh. Les principes de l'évolution vont plus loin que mes ambitions personnelles. Les choses changeront, c'est de l'ordre de la certitude. Dans quelques années ? Dix ans ? Cent ans ? Seul l'avenir nous le dira."

L'air se faisait lourd, le fait qu'il allait y avoir de l'orage était lui aussi de l'ordre de la certitude. Le français jugea qu'il était temps d'y aller, et pris poliment congé.

"Je vous en prie. Je ne vais pas monopoliser plus lontemps votre temps sur cette terre. Je vous remercie, j'ai passé avec vous un agréable moment. En tout cas plus agréable que si j'étais restée avec tous ces arivistes à l'esprit étroit."

Si quelqu'un arrivait et les voyait, il s'imaginerait sûrement que ces deux-là sortaient juste d'une entrevue amoureuse. Mais bien sûr, Gretchen était incapable d'aimer qui que ce soit depuis la mort de Dieter.

Avant de prendre congé, Daniel s'arrêta sur le perron et lui adressa un demi sourire et quelques paroles.

Laissez moi quand même vous dire que vous êtes une jeune femme charmante, mademoiselle dont j'ignore le prénom. Vous me faite penser à un Rubis, écarlate et brillant...j'ai l'impression que le temps voudrait le corrompre et lui faire perdre son éclat. Prenez garde, Fraulein, que cette beauté charmeuse et hypnotique ne obscurcisse trop par vos obsessions...ca serait fort dommage.
J'espère un jour vous revoir dans cette vie..ou bien dans une autre. D'ici là, gardez vous des ténèbres.

Il jeta un regard triste vers le salon où les convives s'amusaient.

Elles ne se contentent plus de rester prostrées dans les recoins de l'âme, je gage qu'elles souhaient étendre leurs aile sur ce pauvre monde. Les larmes succèdent toujours aux rires.

Bonne soirée.