Soif de lecture [PV Evelyn Cassidy] (terminé)

-Ha, non, désolé, j’ai plus rien p’tit gars.

Vermine avait relevé le museau de son livre pour observer d’un œil amusé son joyeux compagnon. Ce dernier n’était autre qu’un rat, un véritable rat bien sûr, qui s’intéressait de près au mutant avec qui il partageait bon nombres de points communs. Outre la ressemblance physique et olfactive, l’animal avait constaté que son cousin humanoïde avait un régime alimentaire des plus appréciables et que, cerise sur le gâteau, il était toujours disposé à partager. Aussi avait-il prit l’habitude de venir glaner sa nourriture auprès d’Ernest. Cela faisait maintenant presque quatre jours qu’une étrange amitié était né entre les deux protagonistes. Seulement voilà, amitié ou pas, quand il n’y avait plus rien à manger, difficile de partager.

-T’as bouffé les dernières miettes j’te rappel, espèce de glouton.

L’animal reniflait Vermine, tournait autour de lui, couinait, et finit même par entreprendre d’escalader le jeune mutant, qui était assis dos au mur dans cet étroit conduit des égouts. Le rat parvint à gravir la cuisse sans trop de problème et s’attaqua ensuite à l’ascension du ventre.

-Hé mais tu vas où comme ça ? Arrêtes, tu chatouille ! Je fais comment pour finir mon livre moi ?

Ernest ne repoussa pas le rat pour autant. Il était bien trop heureux d’avoir de la compagnie. Alors il poursuivit sa lecture passionnée en essayant de faire au mieux abstraction des petites pattes qui s’agrippaient à sa fourrure. Ce ne fut guère difficile. Le roman d’aventure entre ses mains eut tôt fait de monopoliser de nouveau toute son attention, d’autant plus qu’il entamait le dénouement.

Dix minutes s’écoulèrent, dix minutes qui parurent en être qu’une seule…

Vermine referma le livre et soupira. Voilà, c’était fini. Que d’émotion, que de suspens dans cet écrit fantastique ! Il avait bien fait de le choisir. Et maintenant qu’allait-il lire ? Un nouveau voyage à la librairie s’imposait. Alors que cette idée traversait son esprit, il remarqua enfin que le rat était venu s’installer sur son épaule. Il sentait ses moustaches contre sa joue.

-Si seulement tout le monde était aussi sympa que toi, Bidule, fit l’enfant en caressant le rongeur.

Bidule, c’était le nom du rat. Le hasard des choses allié à une absence momentanée d’inspiration avaient conduit à ce baptême insolite. Mais bon, Bidule, pourquoi pas après tout. Vermine prit délicatement son compagnon et le redéposa au sol, avant de se lever et de s’étirer.

-J’m’absente un p’tit moment. J’vais chercher de quoi nourrir nos corps et mon esprit, ok ?

Sur ce, le mutant jeta l’ouvrage dans son sac à dos entrouvert, referma celui-ci et le chargea sur son dos, puis il prit la direction de la bouche d’égout la plus proche. Bidule le suivit sur une courte distance mais finit par s’éclipser dans les ombres épaisses de ce lieu souterrain.

Le soleil venait à peine de tirer sa révérence quand Ernest passa la tête par l’ouverture. Décaler la lourde plaque n’avait pas été une mince affaire pour lui. Il craignait que le bruit de ses efforts n’ait attiré des curieux. Visiblement pas. La rue semblait déserte pour l’instant. Parfait. L’enfant rat bondit à l’extérieur et remit en place la plaque en laissant un léger décalage, histoire de faciliter son retour. Puis il gagna l’obscurité d’une ruelle. Ce n’était pas le moment d’être vu. Aussi discrètement que possible, Vermine se mit en quête d’une librairie. Il savait qu’il y en avait une dans les parages. Il l’avait déjà cambriolé deux fois. Et comme chacun sait : jamais deux sans trois…

Bingo ! Voilà la librairie. Un instant, Vermine avait craint de s’être trompé de chemin. Certaines ruelles se ressemblaient tellement, difficile de ne pas hésiter. Evidement, l’établissement était fermé. Rien de plus normal, c’était le crépuscule. Dans le ciel, les dernières lueurs rosées du soleil nimbant les rares nuages s’évanouissait. De minutes en minutes, l’obscurité s’insinuait. Les lampadaires s’allumaient, c’était la nuit qui s’annonçait.

Ernest, toujours dissimulé dans la ruelle pour être certain d’échapper à tous les regards, observait le commerce et ses environs. Il fut ennuyé d’apercevoir quelqu’un assis sur un banc juste en face de la librairie. Impossible d’agir sous les yeux de cette personne. Il fallait donc attendre qu’elle s’en aille. Le jeune mutant s’assit parterre et patienta, la tête dans les mains. Une minute s’écoula… puis deux… Vermine se mit à jouer avec sa queue. Il l’entortilla à plusieurs reprises autour de sa main, juste histoire de meubler le temps. Une minute de plus passa…

-Merde mais c’est long ! Qu’est-ce qu’elle fout là toute seule comme une conne ? marmonna-t-il, agacé.

C’était vrai, qu’est-ce que la jeune femme, car il s’agissait d’une jeune femme, fabriquait sur ce banc ? Attendait-elle quelqu’un ? Soudainement poussé par la curiosité, Ernest se risqua à un peu plus s’approcher pour espionner la belle inconnue. Il se glissa donc sans bruit derrière un poteau. Là, il aperçut enfin le livre laissé à son attention. Bien entendu, il l’ignorait. L’idée même qu’on puisse l’appâter de la sorte ne lui serait jamais venu à l’esprit.

Voilà ma prochaine lecture ! se dit-il.

Enfin, ce n’état pas encore certain. Le sujet devait lui plaire. D’ici, il n’arrivait pas à déchiffrer le titre de l’ouvrage. S’il s’avançait encore plus, il serait à découvert. Il hésita. La jeune femme lui tournait le dos. Que regardait-elle ? Le jeune mutant chercha à le savoir, en vain. Alors il supposa que la demoiselle était perdue dans ses pensées. Inutile d’attendre d’avantage. Le semi-rat passa à l’action.

Il aurait put agir en voleur : prendre le livre et fuir aussitôt. Mais il avait mieux en tête. A quatre pattes, il s’approcha du banc en faisant preuve d’une remarquable discrétion. Pas un son ne trahit son approche. Pour cela, il avait abandonné son sac à dos derrière le poteau car il l’aurait encombré dans cette « opération commando ». Une fois à proximité du banc, il s’assit à côté d’Evelyn, prit le livre et dit sur le ton de la conversation :

-Koualatimpek, le gobelin aux pieds poilus… sympa le livre. Ça parle de quoi ?

La jeune femme allait sans doute avoir une belle surprise d’entendre subitement quelqu’un si proche s’adresser à elle, quelqu’un au physique bien peu charment et à l’odeur… épouvantable !

Ce qu'Evelyn aimait dans la vie, c'était les surprises qu'elle pouvait apporter. Il y avait les bonnes surprises, comme l'arrivée du printemps avec ses fleurs qui s'éveillaient de ce si long sommeil causé par le froid et l'épaisse couche de neige ainsi ses oiseaux revenant de leur vacances dans le sud pour ne pas se faire frigorifier leur petits derrières emplumés. La vie apportait aussi son lot de surprises indésirables...comme marcher dans un étron de chien, attraper un mauvais rhume ou encore se faire voler un bien. En ce moment, pour Evelyn c'était une bonne et une mauvaise surprise à la fois qui lui avait littéralement sauter dessus. Quand elle avait mit son "piège" en place, elle n'avait pas penser que la créature ferait la conversation en premier en s'asseyant près d'elle. Ne l'ayant pas entendu arriver car il s'était fait très discrèt, la jeune femme sursauta en plaquant une main sur son sternum. La créature avait dit sur un ton désinvolte:

"Koilatimpek, le gobelin aux pieds poilus, sympa le livre...ça parle de quoi?"

Il avait une voix de gamin, probablement avait-il entre 11-12 ans. La jeune femme rit doucement après qu'il eut finit de parler. Il l'avait fait sursauter mais maintenant Evy était rassurée qu'il se soit approché d'elle. Elle sourit en rangeant son sandwich dans son sac.

"Ah pour le savoir, il faut le lire..."

La jeune femme tourna alors son visage vers le garçon. Le regardant droit dans les yeux, elle ne fut pas surprise de son apparence, s'attendant à quelque chose du genre. Souriant toujours, elle dit:

"Si à cette heure tu t'interesse à un livre et que tu es devant une librairie, je pense bien que tu t'apretais à prendre un livre sans la permission du libraire, je me trompe? Bah, et puis ça change quoi? Tu aime lire, tant mieux! Mais au lieu de voler, je te propose d'emprunter, qu'en dis-tu? Au fait je m'apelle Evelyn!"

Zut. Elle n’avait pas eu si peur que ça la demoiselle. Dommage. Vermine aurait bien aimé la voir partir en hurlant. Entendre les sempiternels exclamations qu’étaient « un raaaat », « un monnnnstre » ou encore « au secours », éveillait en lui une certaine satisfaction. Mais bon, cette fois-ci, point de fuite comique. A la place, la conversation s’engageait.

-Evelyn ? C’est moche, répondit-il en tournant l’ouvrage pour en lire le résumé figurant au dos.

Pourquoi cette réplique ? Pour être désagréable en premier lieu. Ensuite, Ernest avait connu au collège de Manhattan une dénommée Evelyn, une fillette insupportable tant elle était maniérée et formatée aux idéo de son père banquier. Difficile de ne pas y repenser à la simple énonciation du détesté prénom.

-Et puis qui te dit que j’allais voler quoi que ce soit ? Y’a écrit « bandit » sur ma tronche ? Type pas beau + soir + librairie = type voleur de livre? N’importe quoi.

Ha, le mensonge éhonté ! Que de plaisir à en proférer ! Evidement, la jeune femme pouvait se baser uniquement sur de vagues suppositions. Jeter le doute sur les intentions du demi-rat était un jeu d’enfant.

-Fin bref. Moi c’est Vermine. Navré de faire ta connaissance.

Ernest sourit à son tour, dévoilant ainsi l’effrayant état de sa dentition.

-En tout cas, merci. J’sais pas si tu reverra ton livre un jour mais je vais le lire, ajouta-t-il juste histoire d’en remettre une couche.

C’était dommage d’agresser ainsi par les mots quelqu’un disposé à prêter quelque chose à un mutant repoussant. Mais c’était la règle, le code de conduite de Vermine. Sa solitude le rendait triste mais il ne voulait pas plaire. Quel curieux paradoxe. Il se leva et fit mine de partir tout en guettant la réaction d’Evelyn.

Evelyn tentait d'être aimable avec le mutant mais celui-ci semblait ne pas vouloir rester plus longtemps près d'elle, uniquement attiré par le livre. Alors que la jeune femme finissait sa phrase, elle remarqua enfin que le soleil avait disparu du ciel et il ne restait de lui que quelques filaments de nuages violacés, presque noirs.Les yeux levés vers le firmament, la jeune femme avait entendu le garçon dire:

"Evelyn? C'est moche."

La mutante baissa les yeux sur le mutant. Evy ne l'avait pas vraiment détailler quand elle l'avait regardé dans les yeux plus tôt mais à présent elle le regardait un peu mieux. Son corps était recouvert de poils drus gris et blanc, comme sur le corps d'un rat sauf que les sien était sales et sentaient assez mauvais. La tête du garçon avait tout de celle d'un rat mais dans ses yeux brillait une lumière d'intelligence supérieure à celle de cet animal. Une sourire au coin des lèvres, elle lui répondit pendant qu'il lisait le résumé:↓

(Je dois faire 2 posts, désoler lol)↑

"Apelle-moi comme tu veux alors."

Ensuite, le jeune homme remit en question ce qu'avait spéculer Evelyn à son sujet. La mutante haussa les épaules avec un air d'excuse. Il se présenta sous le prénom de Vermine. Hm...charmant. Il semblait croire que personne ne l'appréciait et ne voudrait être son ami. Evy rendit son sourire à Vermine - qui était plus que pourri, brun et crochu - puis lui répondit:

"Enchantée, Vermine."

Il la remercia de lui avoir prêter le livre, mais ne garanti pas qu'elle récupérerait son bien. Se levant, il effectua un mouvement pour s'éloigner. Evelyn se leva à son tour et dit:

"Si tu veux connaitre la suite du livre, il faudra que tu me revoit. Sachant qu'elle venait de piquer la curiosité du mutant, Evelyn s'approcha un peu de lui. Dis-moi...est-ce que tu as un endroit où dormir? Enfin, question idiote vue que ce doit être oui. Mais j'aimerais t'offrir un lit où dormir et un bon repas si tu veux. Je sais que j'ai l'air de te faire la charité mais je veux t'aider. Entre mutants, je pense qu'on doit s'entraider. Tu n'es pas quelqu'un de méchant, ça j'en suis sur parce que tu aurais piquer mon livre, sans plus. Biensur, je ne te connais pas, tu ne me connais pas et je pourrais bien être une folle furieuse qui ne veux que t'attraper pour te prendre tes organes vitaux et après te jeter dans les égouts, qui sais? Alors tu en pense quoi de mon invitation?"

-J’ai pas besoin d’aide ma p’tite dame, répliqua sèchement Vermine sur l’instant.

Ce n’était pas totalement faut. La solitude était le seul réel problème. Dormir dans les égouts ne le gênait plus. Bien sûr, au début, il avait trouvé ça particulièrement inconfortable mais il s’y était fait. Trouver les moyens d’affronter les rigueurs du temps était comme un jeu. Certain dirait qu’il n’avait pas de maison. Lui considérait qu’il habitait partout. A chaque jour un nouveau lieu, un nouveau lit. Pour la nourriture, c’était un peu différent. Il s’était certes habitué à magner des choses répugnantes mais ne pouvait pas dire qu’il aimait ça. Néanmoins, les bons festins, il préférait les voler plutôt qu’on les lui donne. Ernest était fier de se contenter de peu et de se débrouiller seul. Non, vraiment, cette invitation ne le tentait pas, d’autant plus qu’Evelyn, de par sa gentillesse presque excessive, ne l’attirait pas du tout. Heureusement que la jeune femme avait fait une remarque rigolote sur les organes, sinon Vermine l’aurait considéré comme complètement niaise.

-Moi j’veux juste de quoi lire, « comme tu veux », poursuivit l’enfant.

Notez que c’était la demoiselle qui avait demandé qu’on l’appel « comme tu veux ». Voici une nouvelle agression verbale sous forme de moquerie. Il faudrait s’y faire ou cesser de bavarder avec le demi-rat. Ce dernier continua en élevant le livre pour illustrer ses propos.

-Si j’aime, je viendrais chercher la suite, ici-même, devant la librairie, et à la même heure, pendant le crépuscule. Si t’es pas là pour me l’a donné, je me la procurerais en volant. Si t’es là, et bien peut-être que j’ferais un truc pour toi, un service quoi.

Vermine avait l’esprit vif. Ce serait regrettable de se priver d’une lecture intéressante juste pour le plaisir d’être désagréable. Aussi avait-il imaginé ce marché qui à ses yeux n’avait que des avantages. Ça ressemblait un peu à un pacte de bandits et puis le garçon s’était engagé à « payer » le service rendu. Ce dernier prenait donc des allures de simple transaction et non pas d’aide charitable. Oui, que des avantages.

-Alors, ça roule ?

Evelyn avait encore tenter d'être gentille avec Vermine, mais le jeune garçon semblais persister à ne pas vouloir se faire aider. Avant, alors que la jeune femme était plus superficielle que maintenant, elle aurait déjà abandonner et envoyer pètre le garçon rat. Mais ce soir, elle acceptait sans rechigner le refus de Vermine ainsi que ses insultes cachées. Evelyn ne broncha pas quand il l'apella "comme tu veux" car elle n'interpretait pas cela comme une agression mais bien comme une simple blague. Si il désirait l'apeller toujours ainsi, Evelyn n'en ferait pas tout un plat. C'était bien le prix à payer pour s'être incruster dans la vie du jeune homme non? Enfin bref, le garçon exprima le désir de ne vouloir que lire. Vermine dit que si il aimait cette lecture, il reviendrait au même moment et qu'il devrait un service à la jeune femme. Evy leva le pouce et fit un sourire radieux au mutant.

"Ça roule!" Dit-elle, manifestement heureuse qu'il veuille la revoir.


Le lendemain, Evelyn sortit du resto où elle travaillait, alla acheter une grosse pizza toute garnis double fromage puis retourna attendre devant la librairie. Quand elle sû que Vermine était là, elle prit une pointe de la pizza, souffla dessus puis mordit goulument dedans. Finissant sa bouché, elle dit:

"Désolée de manger devant toi mais je viens à peine de sortir du travail et je ne voulais pas crever de faim! Mais en fait, je crois que j'ai eu les yeux plus grands que le ventre! Ça serait dommage de gacher cette pizza en la jetant non? Ah et j'ai la suite."

Elle laissa délibérément le couvercle de la boite ouverte, l'odeur de la pizza s'élevant lentement tandis qu'Evy finissait sa pointe.

Evelyn était quelqu’un de déconcertant. Vermine l’avait malmené et pourtant, pas une seule fois elle n’avait perdu son calme. Le garçon n’était pas attiré par cette personne mais il devait bien reconnaitre qui si tout le monde était comme elle, la vie serait plus simple. Grâce à elle, il avait eu de quoi lire sans courir le moindre risque. Ne restait plus qu’à trouver de quoi manger et il pourrait rentrer. Prenant congé d’Evelyn, il se mit donc en quête de son repas. Il ne fit guère d’effort pour se dégoter quelque chose de convenable et se contenta d’une fouille en règle des poubelles. De retour dans les égouts, il dégusta son cartier de viande plus que faisandé en compagnie de Bidule et entama la lecture de « Koualatimpek, le gobelin aux pieds poilus ».

---

Alors elle était venue. Le contraire aurait un peu étonné Ernest, ce qui ne l’avait pas empêché de douter. Après s’être assuré qu’aucun regard indiscret n’allait troubler ce petit rendez-vous, le demi-rat s’approcha du banc où se trouvait Evelyn. En cette nouvelle soirée, la température avait sensiblement baissée si bien que le jeune mutant avait jugé bon d’enfiler un vieux blouson qui lui arrivait plus bas que les genoux. Ce n’était pas une réelle nécessité, il avait une bonne tolérance au froid, mais puisqu’il avait déniché le vêtement au hasard de ses péripéties de la journée, autant en profiter.

La demoiselle était en train de manger et, par le plus grand des hasards, son repas était trop copieux. Elle le fit remarquer. Vermine sourit et secoua la tête en signe de négation.

-Je te l’ai dis hier, je veux juste de quoi lire. Et puis, j’ai déjà de quoi manger, c’est bête.

Il sortit de sa poche une gaufre emballée. C’était le genre de gaufre qu’on trouvait dans les grandes surfaces pour trois fois rien. Aucun rapport avec la succulente gaufre faite maison. Peu importait, le garçon s’en contenterait. Non, il ne toucherait pas à la pizza. Et pourtant celle-ci avait l’air bonne et son odeur alléchante titillait déjà les narines du garçon.

-T’as la suite, parfait. Tu m’la file ?

Toujours autant d’agressivité, enfin presque. Ernest poursuivit, après s’être assis au bout du banc.

-J’ai pas fini le premier tome. J’aime bien jusque là. C’est pas le livre du siècle, mais c’est honnête. Qu’est-ce que t’en a pensé toi ?

(Désoler du temps d'attente, j'avais un exam mercredi)

Evelyn lecha son index et son majeur, l'un dégoulinant de sauce tomate et l'autre imbiber de graisse. Elle passa sa langue sur ses lèvres puis prit une seconde pointe de pizza. Celle-ci était peut-être grasse mais dieu qu'elle était bonne! Evelyn écouta Vermine lui rapeller qu'il ne voulait que se nourrir d'écrit et de lecture, pas de nourriture. Puis, il dit que c'était bête, ce à quoi Evy répondit la bouche à moitié pleine:

"Moui, c'est bête..."

Evy macha sa bouchée en faisant de grands mouvements de machoires puis tourna la tête vers le garçon. Elle vit qu'il portait un vieux veston moisi et dévoré par les mites.

"Tien, tu t'es trouver un truc à porter ce soir? Remarque, il fait frisquet et ma robe n'aide pas beaucoup." Dit-Evy en souriant.

Le garçon demanda à avoir la suite de la trilogie de la façon si abrupte des ados de nos jours. Mais même si il adoptait un langage cru, il utilisait certain mot comme "parfait" ou bien "siècle" que les ados n'utilisaient vraiment pas. Evelyn avait l'intuition que ce jeune homme n'était pas de la classe pauvre comme il semblait le faire croire. Au grand étonnement de la mutante, Vermine lui demanda son avis sur le livre, preuve que leur relation évoluait doucement. C'était une chance pour Evy d'essayer de mieux connaitre le garçon.

"Oui j'aime bien l'histoire mais tu as raison, elle n'est pas la meilleure du monde. C'est plus pour ton age que pour le mien. Je te conseillerais bien une saga que j'adore mais c'est plus pour adultes vu qu'il y a pas mal de violence. Hm...je me demande ce que je pourrais te proposer à lire après la trilogie de "Koualatimpek, le gobelin aux pieds poilus", tu voudrais quelque chose à lire en particulier? Demande moi ce que tu veux, je suis à ton service. Mais dis moi, tu t'apelle comment en réalité?"

Le garçon déballa sa gaufre et commença à la grignoter en observant et écoutant son interlocutrice. Un instant, il fut tenté de lui dire qu’elle mangeait comme une truie. Seulement, lui-même était très loin d’être un exemple en matière de méthode d’alimentation. Et puis il tenant à ne pas aller trop loin dans l’agression verbale sans quoi il ne pourrait plus bavarder de littérature. Depuis sa fuite de l’hôtel particulier, il n’avait trouvé personne susceptible de converser sur ce sujet. Les rares qui ne le fuyaient pas étaient des clochards ignares ou presque. Un jour, il avait bien tenté d’aborder un libraire avec politesse, mais cela s’était terminé à devoir fuir les décharges d’un fusil de chasse. Il fallait donc le reconnaitre, Evelyn représentait pour le jeune mutant son unique moyen d’étancher sa soif intellectuelle.

-J’suis Vermine, juste Vermine, répondit Ernest à la dernière question de la demoiselle. J’suis né comme ça. Mes parents se sont barrés bien avant de m’apprendre comment ils m’avaient baptisé.

Non, il ne divulguerait pas sa réelle identité. Il préférait employer le mensonge. Son histoire était plausible. Il avait déjà trouvé comment la compléter pour justifier son érudition précoce. Il termina sa gaufre, lécha ses doits recouverts de sucres puis essuyas ces derniers sur son blouson.

-J’ai lu les couvres l’Howard Wendness et notamment « Le vent de la discorde » qui est déconseillé aux moins de 18 ans. T’as sans doute entendu parlée de ce livre qui a soulevé la polémique lors de sa parution. Il venterait le racisme des mutants. Moi j’l’ai trouvé cool. J’ai adoré le moment où la blondasse se fait torturer par son propre môme. Bon, ok, j’avais vidé une bouteille de Whisky ce qui avait rendu mon imagination très fertile. Alors tu vois, le stade livre pour gamins, ça fait une plombe que j’l’ai dépassé.

Le but évident était de choquer. Néanmoins, cette fois Vermine n’inventait rien, ni pour sa lecture, ni pour la bouteille. Wedness était son auteur préféré. Ces écrits très durs décrivaient les relations entre hommes et mutants. Ils ne poussaient pas au rejet de l’autre, bien au contraire. Ils avaient pour vocation de faire réfléchir. C’était aussi pour ça que les œuvres d’Howard étaient réservées aux adultes : il se cachait derrière l’horreur une dimension philosophique. Concernant le Whisky et bien Vermine avait un faible pour l’alcool. Il aimait être ivre car ainsi il oubliait ses problèmes. Toute fois, pour arriver à cet état, il devait boire beaucoup, énormément même, car son organisme résistait remarquablement bien à l’alcool.

-Je lis pour m’évader et me défouler. Vas-y, dis-moi quelles sont tes lectures préférées ?

En attendant la réponse, Ernest commença machinalement à trifouiller l’intérieur d’une de ses oreilles. Celle-ci était si crasseuse qu’elle commençait à en être bouchée. C’était énervant. Evelyn, à côté, allait devoir avoir un solide appétit pour ne pas être indisposée par cette vision quelque peu répugnante et surtout par l’abominable odeur qui émanait du rat et qui, peu à peu, s’installait autour du banc.

Visiblement, le jeune homme ne voulait pas révéler sa veritable identité à la mutante. Evelyn en avait déduit que si les parents l'avaient réellement abandonné, il n'aurait pas un langage si imagé et même en s'efforçant d'être brusque et malpoli, la mutante voyait bien qu'il ne disait pas la verité. Evy ne répondit pas au garçon, le laissant dans son illusion de mensonge qu'il croyait plausible. Le mutant dit à Evy qu'il avait lu bien pire que des livres pour enfants en expliquant sommairement l'un de ses passage favori.

"Non en fait, je ne connais pas cet écrivain, je verai si je peux me le procurer, merci."

Le garçon demanda quelles étaient les lectures préférées d'Evy puis se cura sans gêne l'une de ses oreilles. Le mutant semblait persister à vouloir dégouter et casiment faire fuir la jeune femme mais celle-ci s'obstinerait à aider le mutant. Durant les tests de ses pouvoirs, l'odeur dégoutante et la crasse des itinérants ne lui faisait plus rien maintenant alors que Vermine essait de la dégouter tant qu'il voulait, elle n'y voyait pas d'inconvéniants. Fermant la boîte de la pizza, elle dit:

"Très bien, alors...je n'ai pas vraiment d'écrivains préférés mais je vais te dire les livres que j'ai lu. L'une des histoires que j'ai lu est "L'épée de Vérité", je ne sais pas si tu connais mais moi j'aime beaucoup. Ça parle d'un garde forestier qui sauve une femme de 4 hommes voulant la tuer. Mais ce que Richard, le garde forestier, ne savait pas, c'est que cette femme est une inquisitrice. Je ne te dit pas ce qu'est une inquisitrice, il faut bien ce garder du suspense, hé hé! Ensuite, il y a "Hannibal Lecter, les origines du mal" que j'ai aussi bien aimer. J'ai essayer de trouver le livre "La liste de Schindler" mais j'ai du mal en fait. J'ai vu le film mais tout le monde sait que le livre est toujours mieux que le film, pas vrai? Enfin, avec tout ça, tu as déjà de quoi lire pendant 2-3 mois je crois. Parle moi un peu de tes lectures, qu'est-ce que tu aime?"

-Ce que j’aime ? L’aventure, le fantastique, l’horreur, le policier, la science fiction… un peu tout ce qui permet de s’évader en fait.

Vermine s’était levé. Après avoir ingurgité ce qu’il avait recueillit dans ses oreilles, il retira son sac à dos avec quelques difficultés. Son blouson, surdimensionné pour lui, compliquait la manouvre. C’était dans de pareils moments qu’il maudissait les habits. Il n’y avait jamais rien d’adapté pour lui. Et son habitude de ne plus en porter n’arrangeait rien. Quand il eut raison de la « réticence vestimentaire » et put donc poser son sac à dos sur le banc, il l’ouvrit et se mit à farfouiller à l’intérieur.

-J’ai lu quelques récits de voyages aussi ; une ou deux autobiographie… merde, il est où ?

Il ne trouvait pas ce qu’il cherchait et finit par renoncer.

-J’ai aussi lu La liste de Schindler, je pensais que je l’avais encore. Apparemment non.

Ernest, tout naturellement, avait voulu donner le livre malheureusement perdu. Mine de rien, la persévérance d’Evelyn payait. Plus la discussion durait, plus l’enfant rat mettait de côté son rôle de garnement insociable pour se consacrer uniquement à l’amour de la littérature. Néanmoins, il semblait vouloir persister à se montrer sale. Déjà il recommençait à triturer ses oreilles. En réalité, c’était d’avantage une mauvaise habitude que le fruit d’une quelconque stratégie. Le comportement se dégrade vite quand on ne vit plus en société.

-La seconde guerre mondiale est ma période historique préférée, reprit-il.L’horreur de cette guerre en dit long sur l’humanité, je trouve. A tiens, je peux quand même te filer ça.

Il sortit un livre de poche et le donna à la demoiselle. C’était le Vent de la Discorde de Wedness. Le garçon en avait parlé il y a peu. L’ouvrage, évidement, était dans un état peu reluisant.

-Au fait, hier, tu as dis que tu étais une mutante. C’est quoi ton pouvoir ?

-En revoir, répondit simplement Vermine.

Il tenait toujours dans ses mains le second livre de la trilogie et le papier avec le numéro de téléphone. Il les regarda pensif, puis releva la tête pour apercevoir Evelyn disparaitre au coin de la rue. Elle est sympa, se dit-il. Comme quoi, les premières impressions ne sont pas toujours les bonnes. Il avait de la chance de l’avoir rencontré. Maintenant, il avait quelqu’un à qui parler. Mine de rien, ça comblait un manque en lui.

Avec délicatesse, il rangea le livre et le papier dans son sac à dos avant de refermer ce dernier. Ce fut ensuite une nouvelle bataille pour arriver à passer les bras par les bretelles du sac. Maudit soit les habits ! Il nageait tellement dans son blouson que cela en devenait comique.

-Ho et puis zut !

Renonçant, Ernest décida de porter son sac. A son tour, il quitta la petite place devant la librairie et se rendit dans les égouts où l’attendait Bidule. Là, il poursuivit la lecture de « Koualatimpek, le gobelin aux pieds poilus ». Il eut bien du mal à se concentrer. Il pensait à sa prochaine rencontre avec la demoiselle. Celle-ci n’avait pas répondu à la question du jeune mutant concernant son pouvoir. Ce n’était pas plus mal. Elle conservait une part de mystère si profitable à l’imaginaire. L’heure était aux suppositions et Vermine en fit une bonne centaine, allant des plus classiques aux plus farfelues.

Se rendant compte que le sommeille commençait à l’emporter, Ernest lâcha le livre qu’il ne lisait plus depuis presque un quart d’heure. Dans ses pensées, il n’y avait qu’Evelyn. Il s’allongea en boule sur le blouson qu’il avait retiré, Bidule alla se blottir contre lui, il le caressa puis, tous deux s’endormirent.