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| Sujet: Une nuit de mystère et de néant... {Azer} Sam 27 Déc 2008 - 13:52 | |
| On ne sait jamais à l'avance si on va avoir un accident ou tomber malade. On se lève le matin sans savoir si on va tomber amoureux ou être foudroyé. On peut étudier toute sa vie, mais on ne saura pas pour autant la date de sa mort. On ne prévoit ni les pires catastrophes ni les plus grandes joies. Et c'est pour cela que le langage fournit des mots comme "Choc", "Surprise", "Bouleversement", "Désastre" ou bien "Mystère". Aucun de ces mots ne viendraient à l'esprit de Gaby, surtout pas "Surprise". Non, elle vivait en mode pilotage automatique. Pour la jeune femme, ce jour-là avait commencé au lit. Le grand défi consistait à se lever, à se trouver des vêtements assortis, à maîtriser suffisamment la douche pour ne pas geler ou brûler et à partir dans un endroit pour fumer et se reposer en paix, sans un crevard qui vienne faire chier. Elle se réveille avant le rythme d'ordre inaudibles des surveillants : "Debout !", "En route ! ", "Vous allez être en retard !". Gabrielle, qui ne parlait presque jamais à voix haute, entretenait un monologue silencieux constant. Un ordre plus sec, plus impératif est venu contredire celui des surveillants : "Reste au lit, bien au chaud, au lieu de transporter ta mauvaise humeur jusqu'aux salles de cours. L'ennui est plus confortable seule au lit qu'assise auprès des autres. ". Elle est fatiguée. Elle est toujours fatiguée. Ce matin-là, elle se sentait lourde, avec une gueule de bois. Elle s'était bourrée la tronche la veille. Verre sur verre, différents alcools mélangés ensemble pour finir sa soirée. Elle ne se souvenait même plus comment est-ce qu'elle était arrivée dans son lit. Mais peu importe, là n'était pas le plus important.
Elle avait correctement dormit cette nuit là, fait assez rare pour être signalé. Les yeux ouverts une heure avant que les réveils ne sonnent, elle ne s’était levée qu’une fois les cours commencés et le dortoir vide. Dortoir qu’elle ne fréquentait qu’occasionnellement, lorsque la priorité de dormir supplantait le dégoût que les autres lui inspirait. Alors lentement, elle s’était levée, avait balayé la pièce vide d’un regard indifférent et s’était approchée de l’armoire où était rangées ses affaires, avait choisi rapidement de quoi se vêtir puis s’était dirigé vers la salle de bain. Elle avait pris son temps, rien ne la pressait après tout. Elle ne prévoyait en aucun cas de passer par la case bonjour avec les autres, ni par la case réfectoire, ni encore par la case cours. Ses cheveux couleur pisse s’emmêlaient dans les pointes d’un lourd collier d’acier et retombaient sur ses épaules, épaules d’ailleurs dénudées par le profond décolleté de son corset. Une jupe longue pour donner une illusion de décence, mais fendue jusqu’aux cuisses et dévoilant à chaque pas des jarretelles. Une paire de hautes bottes en cuir à talons pétasse pour rehausser l’image et c’est partit pour une journée probablement aussi pitoyable que celle qui l’avait précédée. L'odeur du mauvais café fait par la cantinière gagnait le dortoir et lui donna un haut-le-coeur. Il y avait plusieurs bureaux là où les élèves dormaient. " Pour bien travailler ! ", avaient dit les adultes. Personne ne lui avait dit pourquoi il fallait travailler, mais elle avait bien vite compris que travailler voulait dire souffrir. Et Gaby ne voulait pas souffrir. Ou, du moins, pas pour ça. Elle voulait bien avoir mal en couchant, masochiste et pas que sur les bords, l'orgasme mélangé à l'amertume de la douleur qui l’amenaient là où le bonheur est amer et l’illusion, de courte durée. Elle voulait bien souffrir en se battant comme une acharnée, en usant trop de ses dons à en avoir des migraines. Mais toujours pour des choses qui en valaient la peine. Pas pour des affaires comme les études et l'apprentissage. Gabrielle n'avait pas envie de perdre son temps. Le lit n'est plus si confortable une fois qu'on sait qu'il faut le quitter. C'est avec regret que Gaby était sortie de cet endroit chaud et douillet pour se retrouver au frais de la pièce. Il faisait froid, plus froid que les matins précédant. Elle avait ses jambes glacées. Mais la jeune femme n'eut pas le courage de marcher jusqu'à la fenêtre pour s'assurer que celle-ci était bien fermée.
Et comme tous les matins, pour se punir de ses péchés commis le jour précédent celui-ci, Gaby devait faire pénitence. Elle avait alors ouvert un tiroir pour prendre un poignard et, incapable d'attendre plus longtemps la purification si ardemment désirée, elle avait lentement enfoncé l'extrémité du couteux dans sa main. Elle avait gémi en sentant l'acier pénétrer dans sa chaire et, poussant un long soupir, savoura les délices de la souffrance purificatrice qu'elle s'infligeait quotidiennement. Elle continua sans relâche jusqu'à ce qu'elle sente les goûtes de sang couler le long de ses doigts. Personne ne le savait. Et même si quelqu'un l'avait remarqué, il avait certainement eu peur d'en parler. C'était presque devenu un rituel important qu'elle n'oublierait pas d'appliquer. Le plaisir mêlé à la souffrance et à la jubilation de sentir l'acier froid trancher les tissus de sa chaire. Debout devant le lavabo rempli d'eau froide, Gabrielle lavait tant bien que mal le sang qui commençait à sécher dans la paume de sa main. Les taches rouges formaient des figures étrangers avant de se dissoudre. Jamais, depuis sa nouvelle vie ici, Gaby n'avait ressenti une telle jouissance anticipée. Elle se sentait comme électrisée. Peut-être dû à son pouvoir.Après s'être habillée et après avoir bandé sa main, elle se brossa les dents, se maquilla et ensuite, se coiffa. Une fois son hygiène bien soignée, cette dernière sortit de la salle de bain et alla quand même prendre son petit déjeuner au réfectoire. D'habitude, elle s'amusait à écouter la conversation des autres qui se trouvaient non loin d'elle. Elle rigolait de ce que certains disaient. Ce qu'ils pouvaient parfois être cons ! Mais là, elle s'était ennuyée comme c'était pas permis !
Néanmoins, unique point positif, le ciel se faisait menaçant. Et la seule chose que Gaby aimait plus qu’elle-même, c’était l’orage. Le vrai orage, celui qui fait trembler les vitres et gémir les rivets extérieurs, qui vomit de ses entrailles la fureur de la nature. Certes, on n’en était pas encore là, mais l’apparence nuageuse laissait à présager la détérioration escomptée. C’est avec cette idée prédominante dans la tête qu’elle passa la journée dans sa solitude bienheureuse, hors de l'école, loin de la faune de celui-ci. Perdues dans les méandres escarpés de ses pensées, suivant les chemins d’une folie douce qui poussait sa réflexion à un aboutissement qu’elle seule pouvait discerner. Encore une journée à rien faire, seulement songer silencieusement sous la chape écrasante d’un ciel menaçant. Son regard sombre et perçant, à la sévérité impeccable, semblait tout brûler sur son passage. Suivant le fil de ses chimères, elle finit par revenir vers le bâtiment. L’orage approchait, elle le ressentait dans sa chair. La nuit n'était pas encore tombée, mais le ciel était déjà obscur, alourdi d'épais nuages noirs. Le soleil était invisible, ses rayons ne perçaient pas la carapace brumeuse. Véritable cathédrale qui se ramassait, cumulus bas sur l'horizon qui écrasaient sous leurs lourdes nuées toutes présentes. L'air était électrique, presque statique, un atmosphère dans lequel elle se sentait bien. Même le vent s'était tut et l'atmosphère, immobile, semblait attendre. Seule la brève luminosité d'un éclair, au loin, semblait rompre la parfaite inertie qui régnait dans les bois. Les minutes qui précèdent l'orage sont toujours les plus intenses. Un frisson descendit le long de son échine lorsque le tonnerre gronda pour la première fois. Un éclat sombre s'alluma au fond de ses prunelles et elle releva les yeux de ses pensées pour fixer l'amas de nuages qui se déchiraient au-dessus d'elle. Ses lèvres se relevèrent en une esquisse de sourire, rictus plus proche de la grimace que d'une quelconque émotion joyeuse. Elle aimait l'orage, elle le ressentait dans ses entrailles comme un besoin ; mais les secondes qui le précédait n'en étaient que plus appréciable.
Un nouveau coup de tonnerre fit vibrer l'atmosphère, indiquant clairement que la perturbation approchait. Gabrielle inclina la tête sur le côté, avant de repartir d'une démarche lente et calculée, se glissant silencieusement entre les tombeaux couchés entre les arbres. Quelques tombes dans une forêt, voilà qui allait rehausser un peu son humeur. Fascination morbide pour les cimetières, l'idée de mort si proche la faisait sourire. Elle fréquentait volontiers ces lieux souvent apparentés aux gothiques, de toute façon les classifications par groupe l'insupportaient puisqu'elle ne se considérait proche d'aucun. Bref. Une plaque de marbre sembla lui convenir puisqu'elle finit par s'asseoir sur une tombe, froissant les pans de sa jupe. Prenant appui sur la croix, elle balaya d'un regard hautain l'étendue mortuaire, où les sanctuaires de pierres abîmées semblaient le seul horizon. Pas un mouvement, juste un silence pesant, parfois déchiré par le tonnerre, mais aucune trace de présence humaine. Encore heureux, elle n'était pas d'humeur.
Immobilité parfaite, corps roide, figé dans une inactivité presque sclérosée. Combien de temps, combien d’heures ou de minutes à attendre, sans un frémissement, sans un mouvement ? Elle serait incapable de le dire. Une préoccupation aussi bassement matérielle que l’écoulement du temps ne la concernait pas. Adossée à un mur sale, la tête haute mais les yeux baissés vers un tombeau, noyé dans une obscurité épaisse et gluante, Gaby observait. Les bras croisés comme un supplicié dans son cercueil, partageant avec ce mort une rigidité cadavérique qui blanchissait ses articulations. Mais aucune faiblesse dans ce maintien, l’habitude rodée d’ignorer les sollicitations de ses membres fatigués par cette immobilité absolue. Et le ciel qui se faisait menaçant depuis un certain temps se creva, laissant se déverser des trombes d'eau de ses entrailles. Et sous ce signal, la nature revit. Le vent glacial se leva, faisant plier les herbes hautes et craquer les branches torturées d'un vif souffle solitaire. Les fleurs déposées en offrandes roulèrent des tombes pour s'écraser au sol, l'odeur acre de la terre mouillée s'éleva lentement. Fermant les yeux, Gabrielle laissa l'eau dégouliner sur son visage, détrempant ses cheveux et faisant couler le maquillage, créant d'épaisse traînées noirâtres sur ses joues et ses lèvres entre ouvertes. Formant de grosses coulures sombre sous ses yeux, en faisant quelque chose proche du zombie déterré. Ses vêtements n'avaient pas soutenus le déluge et le corset dégouttait de l'eau sombre tandis que la jupe - longue - traînait par terre se teintant lentement d'une couleur de boue. Elle n'apparaissait certes pas sous son meilleur jour, mais la brune n'en avait rien à faire, t'façon, elle n'avait rien à prouver. Elle pianotait sur le marbre froid une cadence proche de celle du battement d'un coeur, ses ongles longs crissant sur la pierre, la gueule renversée vers un ciel qui dégueulait des litres d'eau. En fait, on pourrait bien se demander ce qu'elle foutait là, mais il n'y avait rien à comprendre. Complètement absorbée par l'orage, elle était indifférente à toute autre pensée. Bah, pour une fois qu'elle est apaisée...
Ce ne fut pas un bruit, pas un mouvement qui l'averti de l'approche de quelqu'un. Les yeux fermés, le tonnerre grondant dans ses oreilles, elle aurait été incapable de percevoir quoi que ce soit. Ce fut plutôt une impression, un ressenti qui lui fit ouvrir paresseusement un oeil. Une goutte d'eau bien placée lui fit refermer immédiatement d'ailleurs. Laissant échapper un grognement agacé pour exprimer son mécontentement, elle se redressa, quittant la nonchalance de son affalement pour s'adosser correctement à la haute croix. C'est après ce difficile effort que de faire glisser ses jambes à terre et de relever la tête qu'elle put voir qu'on lui faisait effectivement face. Sa première réaction fut de hausser un sourcil, la seconde de le froncer. Qu'est ce qu'elle foutait là, cette personne ? La nuit était tombée bien avant que la lune ne se lève, son oeil de cyclope invisible derrière les nuages sombres qui se tordaient, se déchiraient, se morcelaient, ne s’apprêtaient pas arrêter son déversement aussi tôt. |
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