première visite [Terminé]

Mars arrive dans la force de l’âge et jeudi commence à décliner. Les commerces ont déjà fermé leurs portes ou s’apprêtent à le faire. La plupart des passants ne pensent qu’à rentrer chez eux afin de ne pas perturber le ronron habituel.

Med a envie de revoir cet homme rencontré dans un bar. La dernière fois, ces forces physiques et la mauvaise humeur de Margareth ne lui ont pas permis de suffisamment connaître Daniel.

Invité en tant qu’ami, le chimiste a opté pour une tenue décontractée : caban gris clair, pantalon de toile noire, sweat shirt à capuche gris foncé. Il a hésité pour le « cadeau » : une bouteille de vin ? un livre ? Daniel a probablement déjà testé la plupart d’entre eux, de même que le panel des hallucinogènes-relaxants. La différence est que dans la dernière catégorie, Louis a un choix plus large à sa disposition. Alors va pour les produits chimiques…

Harlem le croise, le bouscule parfois à travers ses habitants de classe moyenne. Louis louvoie entre eux, il tient une mini valisette de cuir noir qui ressemble à celles des médecins. Ca peut paraître étonnant qu’un jeune homme d’à peine 20 ans tienne ce genre à bagage à main mais les gens sont si indifférents…

Il arrive enfin au 45 Tardis Street. L’enseigne « Au temps en emporte le vent » est finement démarquée par rapport au reste de la façade. Le commerce est fermé comme prévu mais quelques lumières faiblardes attestent d’un activité dans l’arrière boutique. Le jeune homme sonne.

Daniel était absorbé dans un passage délicat d'une notice d'utilisation de son nouveau téléphone portable et sentait poindre peu à peu une migraine lancinante. Les nouvelles technologies le fatiguaient de plus en plus. Tout allait trop vite à présent, a tel point qu'il fallait bien plus de 30 ans aux enfants de l'Homme moderne pour maitriser les bases d'un monde qui était censé se simplifier pour eux. Un comble !!

La sonnette vint le tirer de son calvaire et il préféra encore aller rembarrer un curieux ne sachant pas lire "fermé" sur une pancarte plutôt que de s'acharner sur ledit objet.

Il ouvrit la porte est eu la surprise de voir Med. Franchement, il n'aurait pas parié sur son retour suite à la dernière virée qu'ils s'étaient offert.

Oh ? C'est toi ? Pour une surprise, c'est une surprise ! Tu as bien fait de passer, inutile de me demander si tu déranges,entres et fais comme chez toi...enfin je dis ca je ne connais pas tes habitudes...

Il le fit entrer lui faisant un accueil chaleureux, il était véritablement heureux de le voir car en dehors de ses clients, il ne recevait personne.

Daniel: Oh ? C'est toi ? Pour une surprise, c'est une surprise ! Tu as bien fait de passer, inutile de me demander si tu déranges, entre et fais comme chez toi...enfin je dis ca je ne connais pas tes habitudes...
Louis (Med): Merci, j'avais peur d'arriver à un mauvais moment. Je suis parti un peu vite la dernière fois, j'en suis désolé.

Margareth: Tu n'es peut-être pas obligé de prendre un air de chien battu, non plus!
Louis (Med): Relax, tu ne le connais même pas!
Margareth: Toi non plus!
Louis (Med): C'est pour ça qu'on va faire connaissance, hein.
Margareth: Tu les choisis toujours mal.
Louis (Med): Ce n'est pas un client.
Louis entre dans la boutique et essaie de ne rien laisser paraître de son léger étonnement: la quantité de poussière en présence lui prend aux narines et à la trachée.

Il soulève un peu la valisette noire et baisse le regard par politesse: le sujet est parfois difficile à aborder avec certaines personnes même quand celles-ci ont clairement exprimé leurs habitudes en la matière.
Louis (Med): J'ai apporté ce que je vous avais promis la dernière fois.

Un rapide coup d'œil aux alentours lui dévoile un désordre à première vue hétéroclite: des ouvrages s'entassent et s'empilent au bon gré de l'espace libre, qu'ils soient récents ou anciens. Des objets sans lien direct entre eux viennent parsemer ces constructions de papiers. Med repère un petit manège en bois et le pointe du doigt.
Louis (Med): Ah, sympa. Je suppose que c'est un automate musical?

La couleur un peu écaillée témoigne qu'il a longtemps été entreposé dans un endroit sec qui a pu permettre une bonne conservation du métal utilisé pour le mécanisme. Le bois blanc, les dorures et les couleurs pastels dénotent une inspiration slave. Le jeune homme aux cheveux d'un roux noirâtre s'avance vers le manège.
Louis (Med): Il doit encore être en état de marche... Il n'y a que les couleurs à refaire, je suppose? C'est slave? Tchèque peut-être?
Louis se retourne vers Daniel, il se demande comment reprendre la conversation qu'ils avaient amorcée dans le bar.

Sans le savoir, il a retrouvé ses réflexes d'enfant embarrassé, voire apeuré.

Daniel s'installa sur une vieille chaise style art déco du début du 20eme siècle qui juxtaposait une table en fer forgé, il désigna du bras une seconde chaise et invita Louis à s'installer.

C'est polonais, je l'ai acheté dans un bric à brac du coté de Varsovie fin des années 50. Il a probablement été conçu juste apres la guerre. Vu l'ancienneté, il est étrange qu'on se soit servi de métal pour le faire, l'industrie sidérurgique était exsangue, on sortait de l'Économie de Guerre...Si il te plait, prend le, je te l'offre de bon coeur et un cadeau ne se refuse pas.

Il le dévisagea d'un air calme comme si il cherchait à deviner ses pensées.

Tu n'as pas l'air à l'aise ? tu devrais pourtant ! tu es le premier "non client" que je reçois ici depuis l'ouverture de cette boutique il y a 5 ans... C'est une profonde marque d'estime que de te laisser pénètrer mon "univers".

Il laissa passer un petit silence et son regard se posa sur la valise que Louis avait ramené.

Autant te dire tout de suite qui si tu es venu à moi comme à un client , c'est un non catégorique que je t'offre. Ce n'est pas que je n'ai pas les moyens, c'est que c'est toi qui m'intéresse pas ce que tu peux me fournir.

Comme si une idée saugrenue traversait son esprit, il sourit et précisa .

Toi en tant que personne, hein, je n'ai que faire d'une relation "autre".

En ce qui concerne la dernière fois. En tant normal, je ne me montre pas violent mais dans ce monde, si on ne sait pas se défendre, on y laisse des plumes. J'ai appris à me battre, et j'ai quelques morts sur la conscience, toujours en cas de légitime défense. J'essaye toujours d'offrir une sortie , une issue de secours, quand les choses dérapent. C'est le principe du choix. Mais hier, avec ce genre d'individus, le choix est plus "évident" lorsqu'une frappe préventive est effectuée. 95 % de la population de ce monde se surestime, on se croit immortel et imbattable et un matin ou un soir, on ne se relève pas de son erreur. Ce qui m'a un peu agaçé une fois dans la voiture c'est que tu n'as pas laissé le choix à cet imbécile : il se réveillera en nourrissant le même ressentit envers nous alors que s'il avait choisi de fuir de lui même , ce qu'il aurait de toute façon fait, dans sa conscience s'élèverait la voix de la couardise et de la lâcheté le renvoyant à son libre arbitre.

Daniel porta son regard vers ses précieux ouvrages

C'est en offrant des choix que l'Humanité avance, jamais en la brimant. Et même lorsqu'elle opère de mauvais choix, des pires intentions peuvent naitre des progrès extraordinaires et ces progrès en retour peuvent servir la cause de pire intentions en retour...c'est l'evolution.

Mais je manque à tous mes devoirs, veux tu boire quelque chose ?

Sans outre mesure, Daniel se dirige vers l'arrière boutique où il invite Louis à prendre un siège. Sans se faire prier, ce dernier le suit et dépose son caban sur le dos d'une vieille chaise style art déco.
Daniel: C'est polonais, je l'ai acheté dans un bric à brac du coté de Varsovie fin des années 50. Il a probablement été conçu juste apres la guerre. Vu l'ancienneté, il est étrange qu'on se soit servi de métal pour le faire, l'industrie sidérurgique était exsangue, on sortait de l'Économie de Guerre...Si il te plait, prend le, je te l'offre de bon coeur et un cadeau ne se refuse pas.
Louis (Med): Merci, c'est super. Il doit avoir de la valeur vu les circonstances dans lesquelles il a été réalisé.

Toujours aussi calme, le plus âgé des deux hommes plante son regard dans celui du plus jeune, sur le visage duquel on devine des interrogations. Il prend son temps avant de fissurer son masque impassible.
Daniel: Tu n'as pas l'air à l'aise ? tu devrais pourtant ! tu es le premier "non client" que je reçois ici depuis l'ouverture de cette boutique il y a 5 ans... C'est une profonde marque d'estime que de te laisser pénètrer mon "univers".
Louis (Med): Alors c'est d'autant plus un honneur que d'être reçu. Euh... je suis un peu nerveux en présence de personnes plus âgées. Surtout quand ce ne sont pas des clients. (*)

Néanmoins, la dernière phrase de Daniel l'a détendu et ses muscles se détendent sous le sweat-shirt. Bien que moins stressé, Med caresse sons bras gauche de sa main droite. De nouveau, un court silence vient ponctuer la visite.

Daniel: Autant te dire tout de suite qui si tu es venu à moi comme à un client , c'est un non catégorique que je t'offre. Ce n'est pas que je n'ai pas les moyens, c'est que c'est toi qui m'intéresse pas ce que tu peux me fournir.
Toi en tant que personne, hein, je n'ai que faire d'une relation "autre".
En ce qui concerne la dernière fois. En tant normal, je ne me montre pas violent mais dans ce monde, si on ne sait pas se défendre, on y laisse des plumes. J'ai appris à me battre, et j'ai quelques morts sur la conscience, toujours en cas de légitime défense. J'essaye toujours d'offrir une sortie , une issue de secours, quand les choses dérapent. C'est le principe du choix. Mais hier, avec ce genre d'individus, le choix est plus "évident" lorsqu'une frappe préventive est effectuée. 95 % de la population de ce monde se surestime, on se croit immortel et imbattable et un matin ou un soir, on ne se relève pas de son erreur. Ce qui m'a un peu agaçé une fois dans la voiture c'est que tu n'as pas laissé le choix à cet imbécile : il se réveillera en nourrissant le même ressentit envers nous alors que s'il avait choisi de fuir de lui même , ce qu'il aurait de toute façon fait, dans sa conscience s'élèverait la voix de la couardise et de la lâcheté le renvoyant à son libre arbitre.
C'est en offrant des choix que l'Humanité avance, jamais en la brimant. Et même lorsqu'elle opère de mauvais choix, des pires intentions peuvent naitre des progrès extraordinaires et ces progrès en retour peuvent servir la cause de pire intentions en retour...c'est l'evolution.
Mais je manque à tous mes devoirs, veux tu boire quelque chose ?

Cette fois-ci, Louis trouve ses mots assez rapidement. Le fait que son ami ait enchaîné sur des événements concrets lui permet de retrouver ses repères ou du moins le pense-t-il.
Louis (Med): Un gin nature ou un mandarine napoléon?
Pour répondre à votre première question... Ben, j'aimerais vous avoir comme ami, pas comme client mais si un jour vous en avez envie, ça m'est égal de devoir passer par votre lit. Je suis escort, alors je ne considère pas les relations physiques comme sacrées. Je me suis posé la question car nous nous sommes rapidement bah... invités.
Euh donc pour être sûr: physiquement, vous ne m'attirez pas du tout, je veux juste dire que je préfère avoir une relation sexuée avec vous plutôt que de ne plus vous voir.

Margareth: Mais euh... il parlait des hallucinogènes, hein.
Louis (Med): Ah oui, m*rd*!

Se rendant compte de son erreur, le jeune homme se mord la lèvre inférieure. Pour retarder toute remarque éventuelle, il enchaîne directement sur les événements de la veille.
Louis (Med): Pour hier, je ne doute pas de l'efficacité à long terme du libre arbitre qui fiche la trouille à un inconnu, mais je préfère vous savoir en sécurité à long et à court terme. Euh j'admets l'importance des principes généraux qui permettent aux humains et aux mutants de cohabiter et de s'élever, mais au final ils ne servent à rien si nous mourrons.
Donc bon... Peut-être que sur le coup vous vous sentiez en confiance ou que ça vous était égal ou que sais-je - je m'en moque un peu à vrai dire - mais moi j'ai préféré vous sécuriser et tant pis pour l'évolution des relations humains-mutants, on a l'occasion de la servir presque tous les jours.
Sinon à part ça, euh... puis-je connaître votre histoire? Je veux dire, vous avez l'air d'avoir beaucoup vécu...

Margareth: Tu essaies de noyer le poisson dans l'eau.
Louis (Med): Bah écoute, première rencontre, je lui dis que je suis fournisseur de substances, deuxième rencontre, je lui annonce que je me loue... je vais peut-être arrêter de dire des bourdes...

(*) Il est inconscient qu'il a un "father-mother complex", donc il ne peut pas l'exprimer de but en blanc lol.

Au fur et a mesure que Louis commettait des impairs de langages et des bourdes à répétitions, Daniel gardait le silence mais son sourire s'accentuait il le laissa finir et commenta.

Je ne pratique plus le sexe depuis un paquet d'années, et je suis hétéro. Tu ne risques pas de m'avoir dans tes carnets et quand à savoir si ca me pose un problème et si je porte un quelconque jugement sur toi en fonction de ce que tu fais : c'est non, je m'en fiche royalement, c'est un drôle de boulot que tu fais, je serai bien incapable de le faire et je suppose que tu as tes raisons, pour moi ca s'arrête là.
Et puis arrêtes de me vous voyer, j'ai 116 ans, c'est bien assez comme ça pour que tu en rajoutes avec tes formes de politesse.

Il se leva et se dirigea vers le frigo de l'autre coté de la boutique, il l'interpella de la seconde pièce où il se trouvait.

Bourbon....de la bière...et..heu un Bordeaux 1984. J'ai pas ce que tu me demandes mais j'en prends notes pour la prochaine fois !
Sinon qu'est-ce que tu veux savoir de plus sur moi ? Je suis un Mutant, je suis né en 1894 en France, j'arrive à influer sur le temps et le ralentir jusqu'à quasi le stopper, ce pouvoir agit sur mon métabolisme et fait que je vieillis très peu. Je suis ici depuis 3 ans, je n'était pas revenu a New York depuis 1975 je crois...et j'ai été un peu partout dans le monde. Habituellement je ne parle et je ne me mêle à la vie de personne, humain ou mutant. Il faut croire que tu es le premier...

Daniel: Je ne pratique plus le sexe depuis un paquet d'années, et je suis hétéro.

Margareth: Il n'est pas comme toi, lui!
Louis: Alleeeer

Daniel: Tu ne risques pas de m'avoir dans tes carnets et quand à savoir si ca me pose un problème et si je porte un quelconque jugement sur toi en fonction de ce que tu fais : c'est non, je m'en fiche royalement, c'est un drôle de boulot que tu fais, je serai bien incapable de le faire et je suppose que tu as tes raisons, pour moi ca s'arrête là.

Louis: Tu vois, au moins il a l'esprit ouvert.

Daniel: Et puis arrêtes de me vous voyer, j'ai 116 ans, c'est bien assez comme ça pour que tu en rajoutes avec tes formes de politesse.

Margareth: Et il est complexé par son âge...
Louis: Mais non!

Louis: Je vouvoie par habitude, désolé.

Margareth: Il t'a dit d'arrêter les politesses...

Daniel se lève pour disparaître dans l'arrière boutique d'où il l'interpelle.
Daniel: Bourbon....de la bière...et..heu un Bordeaux 1984. J'ai pas ce que tu me demandes mais j'en prends notes pour la prochaine fois !
Sinon qu'est-ce que tu veux savoir de plus sur moi ? Je suis un Mutant, je suis né en 1894 en France, j'arrive à influer sur le temps et le ralentir jusqu'à quasi le stopper, ce pouvoir agit sur mon métabolisme et fait que je vieillis très peu. Je suis ici depuis 3 ans, je n'était pas revenu a New York depuis 1975 je crois...et j'ai été un peu partout dans le monde. Habituellement je ne parle et je ne me mêle à la vie de personne, humain ou mutant. Il faut croire que tu es le premier...

Le jeune homme se lève à son tour pour vérifier les bouteilles, plus par habitude que par curiosité. Il s'agenouille et se penche sur le contenu du frigo, à la gauche de son ami. Puisque Daniel se dit lassé de toute chose déjà maintes fois expérimentée, Louis préfèrerait une boisson changeant au fil du temps. Il pose deux doigts sur l'étiquette de la bouteille de bière: elle s'avère de marque non artisanale. Trop de sucre ne permettant pas de goûter pleinement au houblon, il s'en détourne pour revenir vers le vin et le whisky américain. La paume de la main englobe le bourbon. Celui-ci ne porte pas la mention "straight bourbon", il n'a peut-être pas été vieilli en fûts?
Le bordeau est de 1984... la valeur doit se doit mesure en centaines de dollars. Louis se pince la lèvre inférieure: c'est un peu gênant après avoir reçu le manège en cadeau. Mais c'est aussi sa première visite... Et le centenaire a insisté pour qu'il n'y ait pas de gêne entre eux.

Louis: Le bordeau, s'il-vous-plaît. S'il-te-plaît, pardon.
Au fait, mon vrai nom est Louis, Louis Mac Cavaugh. Ma mère était française et mon père écossais.

Il se relève et se décide à poser sa première question.
Louis: Pourquoi... comment peut-on vivre si longtemps sans relation physique? Je ne suis pas un bon exemple en la matière, mais ça me semble tellement surréaliste... Je veux dire: sans relation physique et peut-être sans relation sentimentale?

Margareth: Tu aurais pu commencer avec une question du genre: et en 116 ans, qu'est-ce qui t'a le plus marqué?
Louis: Oui bah écoute, j'ai posé la première question qui me venait à l'esprit.
Margareth: ...

Daniel empoigna la bouteille de Bordeaux faisant jouer le bouchon. Puis il disposa deux verres a pieds sur la table (sans doutes très ancien aussi). Ses gestes concernant la manière dont il caressait la bouteille, trahissait une grande connaissance du vin et de sa dégustation. Il versa un fond de verre à son hôte et reposa la bouteille pour attendre qu'il en goute l'arôme avant de le servir réellement. Tout en s'exécutant d'une façon un peu automatique, il répondait à Louis.

Mère Française ? ca nous fait un sacré point commun alors. l'Écosse est un chouette pays mais je n'arrivais pas a me faire au climat, j'y suis resté moins d'un an.

La question de Louis eu pour effet de dessiner sur les lèvres de Daniel un demi sourire amusé.

Lorsque j'ai perdu ma famille à la fin de la Première Guerre Mondial, j'ai connu à Paris quelques années de débauche terrifiantes, c'était les Années Folles, j'ai fréquenté pas mal d'établissements , même assidument le Moulin Rouge. Je voulais me "perdre", m'enivrer jusqu'à l'extrême pour oublier la souffrance..j'ai connu un nombre..disons..déraisonnable de partenaires, de tout bord. C'est là que j'ai compris les limites de ce qui relie le corps et l'esprit. Il y a des liens, certes ! mais on ne peut guérir l'esprit en abrutissant le corps. J'y ai beaucoup pensé en quittant Paris...Lorsque j'ai compris que je ne vieillissais pas et surtout pourquoi, j'ai pris peur. Le sexe n'apportait que de du plaisir instantané..et l'Amour ? Comment peux tu aimer quelqu'un , la voir vieillir , se fletrir et mourir ?...et elle ? comment supporter de voir le temps l'emporter dans sa tourmente à travers le regard d'un amour qui ne prend pas l'age. Ca dure, le temps que ca dure, Louis, après il n'y a qu'un grand gouffre béant de la solitude et des remords. Si on ne supporte plus de souffrir pas le fait de l'Autre..la solution est limpide : on ignore l'Autre et on ne souffre plus.

Daniel se lova sur sa chaise et joua avec son verre plantant soudain son regard dans celui de son vis à vis.


Alors je suis devenu observateur...très observateur. J'ai remarqué que tu cherchais à provoquer cette discussion dans ce bar à la manière dont tu as posé tes lunettes sur le zinc. Je remarque aussi que très souvent tu sembles absent une demi seconde comme si tu te consultais intérieurement dans un monologue schizophrénique à propos des événements se déroulant sous tes yeux.

alors dis moi Louis ? quel genre du "mutant" es-tu ?














[Je rappelle que les etats d'ame évoqués par Daniel et cette rencontre avec Louis se situe bien avant sa visite chez Xavier et sa rencontre avec Amara et Illianna]

Daniel : Mère Française ? ca nous fait un sacré point commun alors. l'Écosse est un chouette pays mais je n'arrivais pas a me faire au climat, j'y suis resté moins d'un an.
Joliment et adroitement, Daniel a manié bouteille et verres comme un sommelier qu’il n’est probablement pas... ou si, pourquoi pas, finalement.
Louis : Merci Daniel…

Louis : Je vais juste attendre qu’il se réchauffe un peu, je préfère les bordeaux pas trop froids. (*)

Daniel :Lorsque j'ai perdu ma famille à la fin de la Première Guerre Mondial, j'ai connu à Paris quelques années de débauche terrifiantes, c'était les Années Folles, j'ai fréquenté pas mal d'établissements , même assidument le Moulin Rouge. Je voulais me "perdre", m'enivrer jusqu'à l'extrême pour oublier la souffrance..j'ai connu un nombre..disons..déraisonnable de partenaires, de tout bord. C'est là que j'ai compris les limites de ce qui relie le corps et l'esprit. Il y a des liens, certes ! mais on ne peut guérir l'esprit en abrutissant le corps. J'y ai beaucoup pensé en quittant Paris...Lorsque j'ai compris que je ne vieillissais pas et surtout pourquoi, j'ai pris peur. Le sexe n'apportait que de du plaisir instantané..et l'Amour ? Comment peux tu aimer quelqu'un , la voir vieillir , se fletrir et mourir ?...et elle ? comment supporter de voir le temps l'emporter dans sa tourmente à travers le regard d'un amour qui ne prend pas l'age. Ca dure, le temps que ca dure, Louis, après il n'y a qu'un grand gouffre béant de la solitude et des remords. Si on ne supporte plus de souffrir pas le fait de l'Autre..la solution est limpide : on ignore l'Autre et on ne souffre plus.

Louis : Ah…

Margareth : Owned !
Louis : Mais arrête !

Louis : Il y a aussi la possibilité de voir les relations physiques comme un besoin fondamental tel que le besoin de manger, de respirer… sans les voir comme une médication de l’esprit par le corps.

Margareth : Oh le romantisme !

Peut-être Daniel n’a-t-il pas entendu ou fait-il semblant de ne pas avoir entendu, quoiqu’il en soit, il se contente de s’installer plus sur sa chaise tout en caressant son verre.
Sans crier gare, ses yeux remontent rapidement vers Louis.

Daniel : Alors je suis devenu observateur...très observateur. J'ai remarqué que tu cherchais à provoquer cette discussion dans ce bar à la manière dont tu as posé tes lunettes sur le zinc. Je remarque aussi que très souvent tu sembles absent une demi seconde comme si tu te consultais intérieurement dans un monologue schizophrénique à propos des événements se déroulant sous tes yeux.

Alors dis moi Louis ? quel genre du "mutant" es-tu ?

La question prend le jeune homme au dépourvu : il avait oublié l’acceptation de la différence depuis l’incident du bar et donc… complètement occulté cet aspect.

Margareth : …
Louis : Ca te gêne?
Margareth : M’en fous!

Louis: Je partage ce corps avec Margareth. Ce n’est pas un dédoublement de la personnalité mais bien un système nerveux presqu’indépendant. Elle ressent ce que je ressens mais a ses pensées et sa personnalité propres.

Margareth : Heureusement… Remets-lui mon bonjour, tiens.

Louis: Elle vous salue, d’ailleurs.

Louis: Margareth peut activer dans notre corps la production de molécules ressemblant à des toxines, à part qu’elles boostent mon corps au lieu de lui nuire. C’est ainsi que je vieillis moins vite lorsqu’ils sont activés pour le sang, par exemple.
Elle peut aussi activer des antotoxines pour le système nerveux qui augmentent mes réflexes et ma capacité d’analyse. Il y en a aussi pour les muscles, la peau et les reins.

Louis: Quand je suis réveillé, j’ai pleine possession de notre corps. Je dois me retirer, me mettre en état d’inconscience proche du sommeil pour lui permettre d’agir sur notre corps.

Louis: C’est comme si ma sœur était née dans le même corps que moi, en fait…

Gros pincement de la lèvre inférieure. Quand on a un tic, au temps l’utiliser…

(*) Et puis surtout je ne sais pas lequel décrire lol

Daniel se frotta les mains pour les réchauffer.


Chacun voit midi à sa porte , Louis. Pour toi, les contacts sont peut être essentiels, pour d'autres, non. Mais je ne prétend pas détenir la vérité et heureusement d'ailleurs, c'est la différence qui nous enrichi , je te l'ai déjà dis je crois.

Puis Louis lui parla de son pouvoir et de sa cohabitation avec Margareth. Daniel se montra inflexible, sans émotion comme si cela ne le troublait pas le moins du monde.

Dans chaque homme il y a une femme qui sommeille, dit-on...et bien, bonjour, Lady Margareth, j'espère que je ne vous ai pas trop effrayé la dernière fois quoique franchement, je n'aurai pas modifié mon comportement d'un seul cil si j'avais eu connaissance de votre existence.
Vous êtes deux ainsi ? Incroyablement irréel pour quelqu'un comme moi qui suis si enclin à la solitude.
J'en viens presque à vous envier même si je me doute qu'une telle cohabitation ne va pas sans heurts.
Par contre, désolé de ma muflerie Lady Margareth, mais pour ménager mon esprit rationnel, je continuerai à m'adresser à Louis sauf si vous en faites la demande bien entendu.
Louis...tu ne stresses pas au moins ? je ne comprends pas..ais-je l'air dangereux ?
Sincèrement je n'ai que mon amitié à t'offrir..parles moi de ta vie ? Comment tu vois les choses, toi ? Comment tu appréhendes l'air de ce siècle ?

Euh… je vais reformuler ce que Margareth vient de dire, elle a un petit problème avec…

D’avance, pardonne à Margareth si tu nous rencontres alors que je suis endormi, il se peut qu’elle soit un peu sèche. Notre père avait des problèmes personnels, il avait tendance à être plus dur que les autres parents. La prise à la gorge qui ne venait pas d’un ennemi lui a juste rappelé de mauvais souvenirs.

Hum, ça lui convient bien que vous ne vous adressiez pas à elle directement. Je dois avouer qu’elle y est habituée, puisque personne ne lui parle directement, à part moi.

Et non, non, je ne stresse pas particulièrement face à vous, je suis juste stressé comme à chaque fois que je parle à des personnes un peu plus âgées. Ce n’est pas une question de danger.

Ma vie peut se résumer facilement : je suis bio-chimiste, je vends mes produits de façon non déclarée et je suis escort. A part Margareth, je n’ai ni frère ni sœur. Notre père est décédé dans l’explosion de notre laboratoire quand nous avions 23 ans et ma mère est partie juste après notre naissance. J'ai 28 ans.

Quant à la vision de ma vie… je n’en ai pas. Ca peut sembler vide et creux à côté de tes idées, mais c’est comme ça. J’essaie de profiter un maximum de la vie via les plaisirs qu’elle peut donner. Je fuis les problèmes même si eux m’aiment bien apparemment. Je les fuis parce qu’ils entachent la jouissance… en général. A part ça, je n’aime pas particulièrement les autres et eux ne m’aiment pas souvent. Tant qu’ils me laissent tranquille, tout me va.

Bon… j’avoue fuir la police. Mais ça, on s’en doutait, non ?

Pendant le monologue, Louis a pianoté sur le pied du verre. Le vin doit être bon à boire, à présent.

Daniel soupira et servit complètement le verre de son hôte.

Tu es le reflet de ton époque, Louis, cet empressement à avancer et à fuir toute forme de contrainte ou de "déplaisir". Tu es bien plus intelligent que tu ne le laisses paraitre, je l'ai tout de suite su. Le temps est une chose étrange mon ami. A ton age, on s'en souci peu , il se fait discret mais le tic tac de l'horloge est toujours en arrière plan. Un jour, on se réveille avec des rides au front et ses lame acérées plantées dans sa nuque et c'est trop tard pour faire demi tour. Le temps t'es précieux, jeune homme, pour moi : il ne vaut plus rien. Cependant, si l'on considère les choses de ton point de vue : tu vivras heureux sans jamais te poser de question car ta fuite en avant t'évite surtout de jeter un regard derrière toi, quand on vie dans le présent, on ne peut regretter son passé et les choix qu'on a du faire : c'est ca, la philosophie de ton époque.
Et c'est la tienne.

Il sortit de sa poche la montre en or qu'il gardait toujours sur lui, il fit jouer le mécanisme et l'ouvrit, s'absorbant sur les mouvements de la trotteuse.

J'ai deux questions pour toi.
La première : est ce que tout ce que tu as fais jusqu'ici à fait de toi quelqu'un d'heureux ?
la deuxième : qu'est ce qui a véritablement de l'importance dans ta vie. ?

De loin, le Château Ausone avait déjà chatouillé les narines de Louis. Il en a assez dit pour le moment, il vient de résumer sa vie en quelques phrases et ce fameux bordeaux le nargue depuis quelques minutes. Des premières gouttes, il peut y reconnaître la stabilité apportée par le merlot d’un sol argilo calcaire.

Daniel : Tu es le reflet de ton époque, Louis, cet empressement à avancer et à fuir toute forme de contrainte ou de "déplaisir". Tu es bien plus intelligent que tu ne le laisses paraitre, je l'ai tout de suite su.

Les fruits montent à l’assaut de sa bouche : la timide mais entêtante framboise, peut-être. Les yeux du plus jeune des deux hommes reviennent vers son ami.

Daniel : Le temps est une chose étrange mon ami. A ton age, on s'en souci peu , il se fait discret mais le tic tac de l'horloge est toujours en arrière plan. Un jour, on se réveille avec des rides au front et ses lame acérées plantées dans sa nuque et c'est trop tard pour faire demi tour.

Un peu gêné en devinant ce qui lui semble un sermon à venir, le chimiste reprend une deuxième gorgée. Elle confirme la bouche ample et minérale de ce Saint-Emilion de première classe. Les épices.

Daniel : Le temps t'es précieux, jeune homme, pour moi : il ne vaut plus rien. Cependant, si l'on considère les choses de ton point de vue : tu vivras heureux sans jamais te poser de question car ta fuite en avant t'évite surtout de jeter un regard derrière toi, quand on vie dans le présent, on ne peut regretter son passé et les choix qu'on a du faire : c'est ca, la philosophie de ton époque.
Et c'est la tienne.

Daniel semble prendre une pause. Louis attend la reprise de son monologue. Contre son palais, sa langue, ses joues, la finale se confirme longue, puissante, fruitée et aromatisée.

Daniel : J'ai deux questions pour toi.
La première : est ce que tout ce que tu as fais jusqu'ici à fait de toi quelqu'un d'heureux ?
la deuxième : qu'est ce qui a véritablement de l'importance dans ta vie. ?

Des tonalités plus aigues indiquent la fin des questions. Un clignement des yeux donne quelques secondes de répit avant une réponse pourtant spontanée.

Louis : J’essaie de nous rendre heureux, Margareth et moi, et c’est déjà difficile. J’aimerais dire qu’on est d’autant plus gentil avec les autres qu’on ne l’est avec soi-même mais ce serait faux : je n’ai pas envie d’être gentil avec moi pour pouvoir l'être avec les autres.

Mais je les accepte, tant qu’ils ne me nuisent pas. C’est pour cela que je ne regrette pas leur présence physique et que j’essaie de partager le plaisir avec eux.
En désacralisant la présence humaine, je peux d’autant mieux les accepter, bruts de toute attente de ma part.

Je pense malgré tout qu’il y a des personnes vers lesquelles je suis attiré. Mais j’ignore pourquoi celles-là et tant pis pour la raison de cette attirance. Quand les sentiments sont là, je n’aime pas les analyser comme s’ils n’étaient que des formules chimiques… j’en fais assez pour mes produits.

Le plus important pour moi est le plaisir, tout simplement. Et comme hier, je n’aurais pas pu prendre plaisir plus tard en soirée en buvant un verre si je vous avais su en danger.
Je suis mon centre mais un centre ne peut se définir que s’il y a quelque chose d’adjacent.

Et pour le moment vous êtes ce qui est le plus proche de moi, exception faite pour Margareth.

Pourquoi essayez-vous de m’analyser ? Je ne veux pas terminer dans une case de votre mémoire et ensuite être considéré comme un souvenir douloureux ou une preuve de plus que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Je ne suis pas ça, même si beaucoup de vos paroles m’ont donné l’impression que vous essayez de le démontrer.

Ne vous méprenez pas, c’est parce que je tiens à vous que je veux vous garder - et en vie.

Déstabilisant, c'était bien le mot. La longue tirade de Louis avait fait parfaitement mouche car sans en être réellement conscient, Daniel s'enferrait dans les schémas classiques de son comportement avec autrui. Jamais personne jusqu'ici n'avait pu placer des mots sur les procédés destructeurs qui le tenait à l'écart du monde mais , lui même, en avait il réellement donné l'occasion à quelqu'un. Surpris, Daniel croisa les mains sous son menton, signe de nervosité chez lui et tic qu'il croyait avoir définitivement perdu.
Quelle attitude avoir, a présent qu'il était découvert ? Le déni, l'attaque, la défense ? ses neurones s'agitaient à un rythme soutenu. Finalement il laissa échapper un rire franc et bascula la tête en arrière, surpris lui même de son comportement.

C'est moi l'ancien, Louis ! Logiquement c'est moi le donneur de leçon ! ah ah ah !

Toujours souriant, il agita la main dans un geste qui voulait dire qu'il laissait faire.

C'est vrai, j'admets...quasiment tout ce que tu as dis est vrais..je ne cherche qu'à analyser pour pouvoir me conforter dans une attitude de replis, une fois de plus ! A ma décharge, je ne fais que ça depuis toujours...excuse moi et arrete de me vous voyer, bon sang !

Il prit une pose décontractée et afficha un sourire malicieux


Alors d'après toi, qu'est ce que nous devrions faire pour échapper à ce travers ? je te laisse la main, mon ami.

Bien que le vin ait été apprécié, il est totalement occulté par la question de la réaction de Daniel. Louis est nerveux, les dernières phrases ont été prononcées dans l’empressement et il le regrette. Son dos a cherché refuge auprès de la chaise, il serre le pied de son verre au poing de blanchir ses doigts.

Mais Daniel part d’un rire franc et d’une réponse tout aussi surprenante.

Daniel : C'est moi l'ancien, Louis ! Logiquement c'est moi le donneur de leçon ! ah ah ah !

Le soulagement fait retomber les épaules du chimiste. Au moins, il l’a bien pris.

Daniel : C'est vrai, j'admets...quasiment tout ce que tu as dis est vrais.je ne cherche qu'à analyser pour pouvoir me conforter dans une attitude de replis, une fois de plus ! A ma décharge, je ne fais que ça depuis toujours...excuse moi et arrête de me vous voyer, bon sang !

Louis : Ah… oui, en situation de stress, je crois que je reprends mes habitudes d’accompagnateur.

La situation est toute autre à présent : Daniel est décontracté, presque badin.

Daniel : Alors d'après toi, qu'est ce que nous devrions faire pour échapper à ce travers ? je te laisse la main, mon ami.

La réaction est directe, les pupilles du jeune homme cinglent la bouteille aux formes si féminines. La voix se fait beaucoup plus douce et hésitante.

Louis : D’abord je vous… euh je te présente mes excuses. J’ai mal choisi l’alcool. Un vin avec une telle sensibilité et une telle minéralité mérite une discussion qui lui laisse la place qu’il mérite.
Si tu as un bouchon mécanique, peux-remettre cette bouteille au frigo ? Nous pourrions prendre le bourbon. Son goût de bois de chêne me rassurerait. Et la douceur du sucre et de sa souplesse aiderait à nous délier la langue. Nous pourrions reprendre le vin plus tard en soirée.

Son regard revient vers le « time tricker ». Il est un peu interrogatif : c’est la première fois qu’on lui demande comment changer un point de vue personnel. Peut-être pour se rassurer lui-même, la main gauche se perd dans la nuque qu’elle effleure.

Louis : Je ne euh… je ne te changerai pas ainsi, je n’en ai pas le droit de toute façon. Tu es dans le passé et le raisonnement, je suis dans le présent et le ressenti. Je ne peux que te montrer et te décrire ce que je ressens. Et quand ton esprit analytique voudra me questionner, comme aujourd’hui, je n’aurai que mes réactions à vif à te donner.
Mais pour l’instant… peux-tu me décrire l'effet que te fait cet alcool ?(*) J’aime apprendre les gens par leurs sens.

(*) ca dépend si tu prends le vin ou le whisky.
On va y aller pas à pas pour la débauche, hein ^^’

Daniel souleva un sourcil étonné par la question de son ami du soir. il se leva et alla chercher la bouteille de Bourbon qu'il déposa devant Louis avant de se rassoir. Puis dans un geste calme, il prit son verre de vin dans la main et en fit danser le contenu durant quelques instants pour en mélanger les arômes. Il porta le liquide carmin à ses lèvres et sans quitter des yeux Louis en absorba le contenu. Il ferma les yeux tendit qu'il dégustait. Puis reposa son verre en se raclant la gorge pour l'éclaircir. Sa voix était calme, presque un murmure.

J'aurai pu te dire un tas de chose..que ce vin me rappelle son année, que j'étais présent lorsqu'il fut mis en bouteille, que j'ai séjourné bien avant que les pieds de la vigne qui l'ont produit sur le terroir ne soient planté et me suis abreuver au soleil de sa région.
Mais je ne te dirais rien de tout ca car je me foutrais de toi ouvertement et de l'estime que je te porte après ce que tu m'as dis. Je ne mens jamais aux gens que j'estime ou que j'aime, ca a toujours été un de mes crédo.

Son sourire se fit douloureux comme une excuse à la dureté des propos à venir

Louis...ce vin est très noble..mais pour moi, il a la saveur de l'eau. Rien...voilà ce que je ressens...rien du tout. Ca fait des décennies que l'alcool ne me fait plus aucun effet, ni la cocaïne, ni l'héroïne, ni les amphétamines...rien n'a de saveur, rien ne me procure aucunes sensations : je suis une coquille vide, mon jeune ami, rien qu'une coquille vide...

A la demande du chimiste, Daniel affiche une mine étonnée, à la limite de la perplexité. Bien qu’il n’en laisse rien paraître, le jeune homme est un peu désarçonné : au vu des gestes et de la dextérité démontrés lors de l’ouverture de la bouteille, il pensait avoir trouvé un compagnon qui savourerait les nuances des ressentis lors des rencontres entre l’Homme et l’organique liquide.

Imperturbablement, le « time tricker » se lève et prend le verre d’Ausone en main.
Louis ramène ses jambes sous la table, y pose ses coudes et baisse la tête pour la déposer sur le dos de la main droite, à quelques centimètres du rebord. La main gauche se perd dans la nuque, calmant l’intensité du moment. Le regard se dirige vers le haut, vers le rouge carmin et le visage de son ami.
Celui-ci observe le Saint-Emilion dans sa cage de cristal. Sans le martyriser mais sans concession, il le rudoie sur les parois. Sous le traitement inattendu, le bordeaux s’accroche où il peut, comme s’il savait qu’il allait bientôt mourir.

Quand on devine le déroulement d’une scène qu’on aime et quand la personne en face a été initiée à des gestes préétablis, on choisit de vivre l’instant au ralenti. La respiration du chimiste s’arrête une seconde. Il veut observer et ressentir pour lui-même le sacrifice de l’Ausone pour le plaisir d’un être contre lequel il ne peut rien.

Daniel porte le vin à ses lèvres mais ses yeux restent sur le deuxième homme. Les iris pâles interrogent le maître du Saint-Emilion : pourquoi le regarde-t-il ? C’est avec le liquide de sang qu’il a rendez-vous, pas avec lui.

Les fenêtres sur l’âme de Daniel se referment, il semble déguster. Les lèvres sont humides du meurtre encore, les joues poivre et sel, la gorge ont bougé. Mais la poitrine ne s’est pas soulevée, les muscles sont restés dans la crispation mécanique et les doigts raides sur le pied du verre. Que s’est-il passé ? Louis se fige, incrédule.

Daniel : J'aurai pu te dire un tas de chose..que ce vin me rappelle son année, que j'étais présent lorsqu'il fut mis en bouteille, que j'ai séjourné bien avant que les pieds de la vigne qui l'ont produit sur le terroir ne soient planté et me suis abreuver au soleil de sa région.

Non, il n’aurait pu mentir à l’escort sur ce point, on peut singer le plaisir mais pas l’acceptation de la jouissance.

Mais je ne te dirais rien de tout ca car je me foutrais de toi ouvertement et de l'estime que je te porte après ce que tu m'as dis. Je ne mens jamais aux gens que j'estime ou que j'aime, ca a toujours été un de mes crédo.

Ici et maintenant, la vérité n’a pas d’importance pour Louis. Seule compte la question du pourquoi et du comment d’un tel détachement face à ce premier cru amoureux.
Un sourire crispé – gêné ? – accompagne l’explication de Daniel :
Louis...ce vin est très noble..mais pour moi, il a la saveur de l'eau. Rien...voilà ce que je ressens...rien du tout. Ca fait des décennies que l'alcool ne me fait plus aucun effet, ni la cocaïne, ni l'héroïne, ni les amphétamines...rien n'a de saveur, rien ne me procure aucunes sensations : je suis une coquille vide, mon jeune ami, rien qu'une coquille vide...

Son vis-à-vis reste un instant quelques secondes dans la même position, les yeux vers le bas. La main gauche a commencé à balayer la nuque. Puis son attention revient vers le « time tricker ». Le buste se redresse et la parole dans laquelle le ton indécis a disparu descend dans les tonalités basses de sa tessiture.
Je suis chimiste de formation, c’est donc une réflexion de scientifique que tu vas entendre.
Je ne pense pas que le problème soit d’ordre physiologique. S’il l’était, tu serais incapable de tenir un verre en main sans le briser, incapable de te battre aussi, puisque tu ne sentirais rien.
Les processus de traduction de l’information envoyée par tes terminaisons nerveuses sont donc corrects. Je pencherais pour un problème de psychologie cognitive. Donc de mental.
Il est possible que ton mental soit suffisamment fort que pour te couper des effets des substances ingérées. Si c’est le cas, rien d’étonnant à ce qu’un vin, avec toute sa sensibilité, ne puisse te toucher. Il est aussi possible qu’une partie de ton cerveau ait été abîmée lors d’une guerre. Mais tu te serais fait soigner, je suppose ?

De deux choses l’une : soit ce cocon de mental a toujours existé, mais alors je n’aurais pas vu ce sourire douloureux et je ne comprendrais pas pourquoi tu as un tel vin dans ton frigo… soit tu connais de mémoire les effets parce que tu as déjà expérimenté les processus de perception sensibles.

Je penche pour la seconde option. Mais j’ai une question pour toi, si tu le veux bien : as-tu envie de retrouver cette sensibilité ?

Je m’explique : en 116 ans, tu as eu le temps de rencontrer des raisons qui ont poussé ton mental dans ce retranchement. Mais ces raisons ont pu évoluer avec le temps. Il est possible que cette barrière érigée par ton mental soit devenue une armure. As-tu encore besoin de cette armure ?

Il n’y a pas de problème à la garder tant que tu es heureux. Je crois sincèrement qu’il vaut mieux vivre avec une personnalité tordue mais forte plutôt qu’avec une personnalité droite mais faible.

Un haussement d’épaule vient casser l’immobilisme du scientifique.

De toute façon, quelle que soit ta réponse, tu resteras Daniel pour moi.

Daniel se lova dans son fauteuil. Le gamin était un esprit redoutable et lui qui pensait prendre facilement l'ascendant sur lui comprenait à présent qu'il était tombé sur bien plus malin et impressionnant que lui. Une rencontre comme on en fait pas deux, même en 100 ans de vie.

C'est une question d'envie, Louis, je n'ai plus envie de rien. parfois je pourrai passer les journées simplement à regarder les autres. Je n'ai plus véritablement envie de rien..même si je pourrai avoir beaucoup.
Ce vin ne m'est rien, j'ai des bouteilles qui dorment dans une cave parisienne...des crues inestimables. J'ai beaucoup d'argent Louis, mes intérêts sont défendus par pas mal d'avocats ici et là dans le monde, mais une fois de plus..ca me blase. Rien ne m'intéresse véritablement à part cette conversation qui me surprend à un point dont tu n'as même pas idée.

il se prit à rire, un rire amer mais qui ne sonnait pas faux

Louis..louis...tu viens 80 ans trop tard ! si je t'avais eu comme compagnon dans ma période de folie..on aurait refait le monde à deux ! Enfin, je suis quand même content d'avoir vécu si longtemps rien que pour te rencontrer ce soir...

Après le dernier mot du chimiste, son ami s’assied au fond de son fauteuil. D’un air résigné, il part d’une réponse qui déroute Louis.

Daniel : C'est une question d'envie, Louis, je n'ai plus envie de rien. Parfois je pourrais passer les journées simplement à regarder les autres. Je n'ai plus véritablement envie de rien… même si je pourrais avoir beaucoup.

N’ayant jamais connu l’absence d’envie, le jeune homme est désorienté devant quelqu’un ne possédant pas un des moteurs de son quotidien. L’esprit analytique re-disparaît, entraînant avec lui la force tranquille de l’humain retranché derrière la logique. Pour s’assurer de ne montrer aucun sentiment blessant, il préfère légèrement baisser la tête tout en gardant le contact visuel avec son interlocuteur. Mais la mâchoire se crispe sous la violence de la découverte d’un mode de pensée inconnu.

Daniel : Ce vin ne m'est rien, j'ai des bouteilles qui dorment dans une cave parisienne...des crus inestimables. J'ai beaucoup d'argent Louis, mes intérêts sont défendus par pas mal d'avocats ici et là dans le monde, mais une fois de plus… ça me blase. Rien ne m'intéresse véritablement à part cette conversation qui me surprend à un point dont tu n'as même pas idée.

La réciproque est vraie. C’est la première fois que Louis est affectivement attiré par un inconnu qui l’invite à se mettre à nu, psychologiquement, philosophiquement et affectivement parlant.

Louis : Nous nous rencontrons pour la deuxième fois. Je n’ai pas à te faire la morale, te presser à répondre ou quoi que ce soit. Puisque nous avons le temps devant nous grâce à nos mutations, prenons-le pour nous découvrir et apprécier nos différences.

Dans la poche du jean, le téléphone cellulaire mis sous silence vibre intempestivement.

Louis : Oh pardon. Je dois répondre. Oui ? Quoi ? Mais c’est trop tôt ! Bon… très bien…

Louis coupe le malvenu et revient vers Daniel.

Louis : Ma patronne me demande. Une cliente régulière veut me louer à la soirée et ça commence dans 2h. Excuse-moi de te quitter si brutalement. Mais je te rappelle ?

Daniel regardait Louis en silence alors qu'il parlait au téléphone. Comment pouvait on être l'esclave de cet instrument ?, lui ne l'était pas en tout cas ! heureusement, il se voyait mal recevoir des coups de fils tous les jours et passait pour un sinistre "geek" auprès de ses clients : ah ca non ! Louis lui proposa d'abréger la soirée car il devait se louer (!), un peu comme on louerai le dvd du dernier film à la mode, cette réflexion fit sourire Daniel qui s'imaginait déjà une jaquette frappée du nom "LOUIS: la revanche" en lettre dorées et lui torse nu dans une pose lascive.
Daniel fouilla dans sa poche et sortit une carte de visite avec son numéro de téléphone.




Tu peux m'appeler quand tu en as envie, de même tu es ici chez toi. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n'hésites pas. ohhh et puis, tu peux emporter ce vin, je ne le terminerai pas de toute façon.

Il hésita une longue seconde et puis il finit par lui sourire sincèrement en se levant de table.

et..heu..tu fais gaffes à toi, surtout...ok ? Le monde ne serait plus aussi intéressant si toi tu n'y étais plus alors juste...fais attention, s'il te plait.