Cartouche, le prince des labours

Pour faire passer un chagrin d'amour, il n'y avait que trois solutions. La première, c'était de se vautrer sur le canapé avec un pot de glace Häagen-Dazs sur les genoux, devant un navet hollywoodien avec Ashton Kutcher en vedette pour y chialer toutes les larmes de son corps. Solution vite oubliée, exclusivité de Mewen, et puis en plus, Louise n’avait pas vraiment envie de prendre cinq kilos dans les hanches et encore moins de voir Ashton emballer finalement la bel’goss de service adepte du bistouri et ses trois neurones desséchées. Déjà c’était assez dur d’admettre que Kutcher sortait avec une vieille dans la vraie vie, le voir se lever une bombe n’allait pas vraiment l’aider à se sentir mieux. La seconde solution, c’était de trouver un nouvel homme pour remplacer l'ancien mais malheureusement, Ampère n'avait pas trouvé chaussure à son pied...Fallait dire aussi, entre le Blob, le Fléau ou encore le Crapaud, ça ne donnait pas très envie. Néanmoins, elle n’avait pas oublié l’idée de base et elle s’était dit qu’elle pouvait tout simplement aller trouver un homme dans les boites de New York. Un coup d’un soir, histoire de se sentir au chaud pour la nuit et d’oublier l’espace d’un instant cet abruti de Kyle qui apparemment l’aimait tellement qu’il n’avait rien trouvé de mieux à faire qu’aller se téléporter de l’autre côté des Etats-Unis.

*Cette nuit, je me tape le premier qui passe…Celui-là, genr…Ah ouais non, en fait, sous la lumière, ça change…Bon le second alors. Heu ouais mais non, je me tape le premier beau gosse qui passe, ça va être plus simple.*

Sage décision...Si c'était pour une nuit seulement, elle pouvait tout de même se permettre d'exiger un standing minimum. Certains avaient tenté de l’approcher, vite rembarrés. Finalement, à force de ne voit passer que des thons et à voir ceux qui l’intéressaient déjà casés dans les bras de pin up écervelées, Louise en avait eu marre et s’était réfugiée dans la solution numéro trois. Celle de vider toutes les bouteilles du bar. Pour oublier et puis peut-être, au passage, pour que certains passent de carrément pas approchables à potentiellement "baisables"…

Au bout d'un moment de ce régime, la demoiselle avait déjà un sérieux coup dans l'aile. Encore lucide mais déjà avec un équilibre plus que précaire et une perception du monde qui s'affriolait à vitesse grand V, au fur et à mesure que l'alcool infiltrait chacune de ses veines. Si elle ne tombait pas, c'était parce qu'elle était assise sur le tabouret et appuyée contre le bar. A force de commander encore et encore, elle avait fini par ne plus s'intéresser qu'au serveur qui enchainait les allers retour face à elle. Et ce fut lors de l'un de ses énièmes passages qu'elle sentit soudain une main passer sur ses fesses...L'espace d'une seconde, elle resta comme une idiote à se demander comment le serveur qui était de l'autre côté du bar avait pu la toucher d'une telle façon. Avant de se rendre compte que c'était tout bonnement impossible et que le responsable devait se trouver...à côté. Dur instant de réflexion quand on avait trop d'alcool dans le sang...

Tiens, voilà que l'homme lui parlait. Elle se retourna vers lui et le toisa de haut en bas. Grand, des traits surement très attirant mais une étrange couleur de cheveux. Derrière, une espèce de morue ultra refaite un peu comme celle qui emballait Aston dans les films. Louise haussa les épaules et prit la parole...du mieux qu'elle put.

" J'suis pas ta cousine et d'te façon, ça passe que si tu lâches ta pouf. "
Ampère était pas du genre à partager, elle.

Encore assise sur sa chaise, Ampère n'avait pas bougé pendant toute l'action, le surplus d'alcool dans ses veines agissant sans doute comme un puissant anxiolytique. Sans trop comprendre ce qui se passait exactement et sans en saisir les raisons véritables, elle assista au déménagement inattendu de la blonde. Et alors que la demoiselle disparaissait entre les gens qui se déhanchaient sur la piste, elle ouvrit de grands yeux. C'était quand même assez rare qu'un gars lâche une fille comme ça, dans un bar, sans raison apparente, surtout quand il s'agissait d'un canon pareil. Interloquée, elle reprit la parole, d'une voix pâteuse mais néanmoins surprise.

« Tain, mais...T'as viré la blonde??!! »

Ça lui paraissait improbable mais bon...Peut-être qu'elle tenait enfin l'occasion de passer une bonne soirée. Ou pas. Allez savoir. D'un geste dénué d'un quelconque glamour, elle accepta le verre que lui tendait le serveur et se retourna vers l'homme aux cheveux blancs.

« Merci bien. Pour le verre, j'veux dire. »

Et hop, elle se l'enfila d'un coup, sans respirer, terminant par une grimace peu gracieuse. L'alcool fort lui brûlait le palet, la langue et sans doute, les cellules épithéliales de son œsophage avaient salement morflé dans l'histoire. Boire son verre d'un trait n'avait sans doute pas été une décision des plus judicieuses. Sans compter qu'elle risquait d'être encore plus à la masse, question lucidité et réflexion.

« Oh merde, c'est quoi c'te horreur, de l'acide sulfurique? »

Elle se mit à rire à sa propre blague qui n'avait pourtant absolument rien de drôle tandis qu'elle toussait un bon coup. Mince, ça le faisait pas comme tactique de "je contrôle la situation". En même temps, Louise ne contrôlait rien du tout dans son état et l'homme qui se trouvait près d'elle allait sûrement s'en rendre compte s'il n'avait que serait-ce une once de bon sens et de jugeote. Prenant sur soi et faisant un sacré effort, elle parvint à retrouver son sérieux et posa son coude sur le bar. Et glissa, manquant de tomber à terre avant de se rattraper tant bien que mal et retrouver un équilibre plus que précaire.

« Ouais bon, soyons sérieux deux minutes. C'est comment ton p'tit nom? Tu viens d'où, tu fais quoi, tu habites chez tes parents? »

Bah oui, on avait la classe. Ou pas.

A la remarque du jeune homme, dont le ton indigné ne lui avait pas échappé, Ampère éclata de rire. La jeune femme n'avait pas vraiment l'habitude de jouer avec les hommes mais de temps à autre, elle y trouvait un certain intérêt. L’occasion de sentir enfin une vraie femme loin de ses activités de terroriste dénuée de sentiments ou d’une quelconque subtilité et plus simplement, de s’amuser. Souvent réservée face aux hommes plus âgés, elle se sentait plus à l’aise face aux jeunes qui semblaient de proies plus facilement manipulables. Certes, c’était sans doute une erreur de sa part de sous estimer son « adversaire » mais ce soir là, elle avait envie d’oublier ses tracas et ses peines. Et le jeune homme à la peau de bébé partait au quart de tour, parlait bizarrement...Ampère venait pour se changer les idées, l’homme semblait être tout désigné comme la cible parfaite…

Lorsque le serveur se tourna vers elle, la bouteille levée et la question muette sur les lèvres, Louise secoua la tête négativement. Un coin de son cerveau encore épargné par l'alcool venait de lui signaler in extremis qu'elle avait peut-être -sûrement- un peu trop picolé pour la soirée. Elle le sentait, à sa vision trouble et son équilibre défaillant, qu'elle était sur la mauvaise pente et continuer à boire, ne serait-ce que pour un verre de plus, était peu recommandé. Elle leva donc la main pour signaler qu'elle en avait fini avec la boisson et commanda un verre d'eau d'une voix pâteuse. Un souhait visiblement saugrenu aux yeux de l'homme qui afficha l'air de circonstance: un savant mélange de suspicion et de dédain. La jeune mutante attendit une poignée qu'il la serve, mais comme il n'avait pas l'air de prendre en compte sa commande, elle se décida à réagir. Avec soft et tact, comme à son habitude.

« Eh ben, m'regarde pas comme un paumé d'la vie ! De l'eau, t'as bien ça entre toutes tes merdes en bouteille, non? »

Pour une fille qui avait vécu dans la rue et qui avait dû survivre seule, il ne fallait pas espérer beaucoup plus. Dans cette vie, tout le monde n'avait pas la chance d'avoir reçu une bonne éducation. Louise l'avait eue, mais seulement jusqu'à ses quatorze ans. Abandonnée ensuite par de lâches parents, il n'avait suffit que de quelques mois dans la rue pour qu'elle oublie toutes les bonnes manières que ses géniteurs lui avaient inculquée. "Dis bonjour", ""dis merci", "ne te lève avant la fin du repas", "lève la main avant de poser une question", etc etc, c'était des lignes de conduite d'une autre vie. A la Confrérie, elle avait appris à être humble et obéissante mais pas forcément à devenir une dame.

Le serveur, mignon mais pas forcément très perspicace, finit par lui apporter le verre tant attendu. Elle le vida d'un trait avant de s'essuyer la bouche du bout des doigts et se retourner vers Tyler.

« Disons...Mon mec s'est tiré et m'a laissée seule. Fin de l'histoire. Qu'est-ce qu't'en dis?...Bah remarque, laisse tomber, y'a rien à dire... »

Elle exagérait bien sûr. Kyle et elle n'avaient eu qu'une poignée de nuits passées ensemble dans le même lit, une histoire débutée sur les chapeaux de roue, de simples regards qui en disaient longs, et à peine que quelques semaines de vies en commun à la confrérie. Mais ça lui avait suffit...Ampère n'avait jamais cru au coup de foudre et d'ailleurs, elle n'y croyait toujours pas...Ou alors, elle se refusait à y croire. Et pourtant, le départ de son collègue confrériste lui avait fichu un sacré coup au moral. Bien plus qu'elle ne s'était jamais autorisé à ressenti avec personne...

Enfin, peu importait. Kyle était parti. Elle, elle était restée et maintenant elle voulait passer à autre chose. Encore distraite par le souvenir de Kyle, elle laissa son regard errer dans la salle. Et aperçut soudain l'entrée du Walhala. Un sourire s'afficha soudain sur son visage.

« Dis moi...Un face à face tous les deux, ça te tente? »

Une petite bagarre. Voilà ce dont Ampère avait besoin pour se défouler...