Une matinée sous la pluie [PV : Enora]

Je n'ai jamais aimé l'automne. Cette saison froide et pluvieuse. On n'y croise la mort à chaque coin de rue. Une feuille, marron, trempée, limite gluante qui avait appartenue à un arbre majestueux désormais laissé nu. Voilà ce que je n’aimais pas dans cette saison. Lorsque j’étais en France, j'aimais jouer dans les feuilles mortes du parc. C'était ma façon de les faire revivre, de les voir bouger bien que, parfois, le vent m'y aidait. Une sorte de renaissance. Je n'ai jamais aimé voir ces feuilles mortes pourrir. Je n'ai jamais aimé l'automne... Ou plutôt, je ne l'avais jamais aimé.

Sous la pluie, mes cheveux s'imprégnaient lentement de cette eau glissant des nuages. Ma veste était déjà trempée et mon Jean faisait grise mine. D'ordinaire, j'aurais certainement frissonné, tremblé de froid, greloté jusqu'à trouver un lieu chaud et réconfortant. Mais là, je restai inerte. J'observai l'eau s'infiltrer dans les rues New Yorkaises. J'avançai tel un zombie perdu et en transe. Mon état s'était pourtant arrangé. La preuve, j'étais actuellement hors de ma chambre en train de me repasser en boucle de sombres et sinistres pensées. J'avançai lentement, ne sachant trop pourquoi j'étais sortie de l'institut. J'avais eu l'envie de le faire et ma raison n'avait guère eut le temps de s'exprimer. C'était tout.

Finalement, après avoir marché sans prétexte quelconque durant un certain temps dans les rues, j'eus comme une prise de conscience. Où étais-je ? Les yeux écarquillés, je regardai autour de moi. Certains passants m'observèrent en haussant les sourcils. Au fond de moi, l'alarme criant danger venait de s'enclencher. J'étais trempée. Le froid me pénétra et je tentai de ne pas y faire plus attention que cela même si c’était littéralement impossible. Mes mains se posèrent sur mes bras, les frictionnant avec vigueur. Certaines mèches de cheveux se collaient à mon visage tandis que je cherchai le moindre indice m'indiquant ma position dans la ville. Ne pas paniquer. Pas maintenant. Cela pourrait me mettre dans un état tel que je ne maitriserais pas mes pouvoirs et une démonstration publique n'était pas au rendez-vous.

Enfin, je trouvai un arrêt de bus. Une carte montrant les différentes lignes attira mon regard. Je la consultai scrupuleusement, mon cerveau tournant à plein régime. Quelqu'un avait peut être remarqué mon absence ? Et, étant donné mon état, on ne tarderait pas à s'inquiéter. Peut être même que quelqu'un me cherchait déjà... Ou alors... Personne ne savait que j'étais là. Ma respiration se faisait difficile, non seulement à cause du froid, mais aussi à cause de cette panique incroyable dont je faisais l'objet. J'avais l'impression d'être en danger. Etait-ce la pluie qui me causait cet effet ? Je n'aurais su dire. Mes yeux se portèrent sur une bouche d'égout qui avait l'air de peiner à laisser passer toute l'eau qui s'y déversait. Un frisson d'angoisse me parcourut l'échine tandis que mon cœur martelait ma poitrine. L'eau tombait toujours sur ma tête, me mouillant un peu plus, comme si elle cherchait à me noyer.

Puis, tout sembla s'arrêter. L'eau coulait, mais pas sur moi. Puis, une voix. Si proche et si lointaine. S'adressait-on à moi ? Lorsque je tournai la tête pour faire face à la jeune femme brune, je compris que oui. Quant à l'arrêt de la pluie, il était dû au parapluie coloré qui avait couvert le ciel gris. Les gouttes tombant sur la toile imperméable produisaient un son agréable et si étrange à la fois. Je clignai plusieurs fois des yeux, reprenant conscience et traduisant la phrase qu’avait prononcée cette jeune femme brune. Elle ne me paraissait pas non plus étrangère. J’étais presque sure de la connaître mais je ne savais pas vraiment où et comment. Mon passé, je le refoulai.

« Euh… Si… Surement… Tout dépend de là où tu vis et des endroits que tu fréquentes… »

Pathétique entrée en matière. Je me décevais moi-même et une part de moi avait envie de saisir l’autre pour la secouer violemment. Je tentai de lire dans les yeux de la jeune femme d’où son visage m’été connu mais rien ne me vint. Si elle voulait vraiment que l’on retrouve les fragments manquants du puzzle, c’est elle qui allait devoir faire le plus gros morceau du travail.

Elle me sourit. Un sourire franc et simple, montrant son intérêt pour notre discussion. Enfin, discussion... Un grand mot pour deux petites phrases. Deux petites phrases bientôt rejointes par une tirade moyenne de la part de la brunette. Je décelai de ses paroles un accent qui m'était étrangement familier. Léger mais bien présent. Elle me parla alors d'un disquaire qui se trouvait dans le coin. Le nom du quartier me permit de reprendre rapidement mes repères. Je réfléchis quelques instants avant de me souvenir que j'étais en effet passée dans cette boutique à musique un jour, pour me changer les idées. A quand cela remontait-il ? Aucune idée. J'avais du perdre toute notion de temps depuis quelques semaines et il m'était impossible de me remémorer exactement de quand datait chaque chose.

"Je suis allée chez ce disquaire... Une fois... On s'y est peut être croisées ce jour là qui sait..."

Je regardai rapidement la jeune femme. J'aurais du sourire en cet instant précis mais mes muscles se refusaient ce loisir. A croire qu'ils étaient atrophiés. Je déviai mon regard, cherchant à voir si le bus arrivait ou non. Mon inquiétude grandissait un peu plus au fur et à mesure que les secondes passaient. Dans quelques minutes, je risquai de sombrer définitivement dans la folie si personne ne me venait en aide. Mon regard fuyant se déplaçait rapidement entre le bout de la rue, lieu d'où le bus devait venir, la bouche d'égout, d'où l'eau qui ne cessait de sortir me pressait la poitrine un peu plus à chaque instant, et enfin, les yeux de la jeune femme. Des yeux qui me fixaient en retour. Que me voulait-elle exactement ? La réponse ne se fit pas attendre longtemps.

"Vos yeux… Ils me rendent tristes… Ils… Respirent la tristesse…"

Je me raidis. Totalement figée, les yeux écarquillés, je fixai à mon tour la presque étrangère. Comment pouvait-elle savoir une telle chose ? Triste. J'étais triste. Triste à en être malade. Oui, on pouvait dire cela comme ça. Icare l'avait perçu également lorsqu'il était venu sur le bord de mon balcon, tenter de me réconforter, de me faire penser à autre chose, de m'ouvrir de nouveau à la beauté et au monde extérieur. Finalement, il avait réussi : le désir qui m'avait poussé à sortir avait du résulter de ma discussion avec cet ange roux. Fallait-il que je le remercie ou que je le maudisse ? Je n'en avais aucune idée.

La jeune fille sembla prendre conscience de ses mots et posa une main sur sa bouche comme pour essayer de s'arrêter. Mais ce qui était fait, était fait. Ma gorge se serra légèrement tandis que la jeune femme recula un peu, probablement très gênée. Moi, je ne savais plus ce qu'il fallait que je fasse. J'hésitai actuellement entre m'enfuir en courant et en pleurant ou rester là... et pleurer. Choix varié conduisant au même état de souffrance et d'agonie. Que faire, que dire... Dans ces moments là, la question se pose. Cependant, les larmes qui me montaient aux yeux furent stoppées nettes par les excuses de la brunette. De vraies excuses. Pas des trucs bidons que l'on vous balance juste parce que l'on sait que l'on vous blesse mais qu'on n'assume pas. Je détournai mon regard encore quelques instant, cherchant à retrouver mon état normal.

Un geste me surprit. Une main tendue. Geste suivit par des paroles enjouées cherchant à officialiser notre rencontre. Je regardai une nouvelle fois mon interlocutrice avant de saisir sa main et de la serrer normalement.

"Hum... Enora... Enora Lacourt..."

Puis, un tilt dans mon esprit. Une lampe que l'on allume simplement et rapidement. Claire Valentine. Voilà qui ne sonnait pas vraiment américain. Pas du tout même. Mon pays natal me revint en mémoire. La France. Paris. Nantes. Mon lycée. Mes amis. Ma famille. Lucas... Je ne souffrais aucunement d'amnésie mes ses souvenirs se déversèrent en ribambelle dans ma tête, m'attristant un peu plus et me réchauffant le cœur. La question ne se fit pas attendre plus longtemps :

"Excusez-moi, mais... Votre accent... Et votre nom... Seriez-vous française ?"

Je ne l'avais pas fait fuir. Elle restait là, se rapprochant un peu de moi. C'était surprenant. Étonnant. Hormis Icare et Daniel, qui avait persisté à venir me voir, peu de gens avait agis de la sorte avec moi ces derniers temps. Moi, j'avais été une véritable tombe. Enfermée entre les quatre murs de ma chambre de l'institut, j'avais laissé le temps couler sans rien faire. Sans penser. Sans voir que les autres étaient là. Renfermée sur moi même. Sur la coquille vide que j'étais. C'était peut être le destin qui m'avait fait sortir de chez moi ce matin. Ou pas.

Claire fit un pas vers moi et m'affirma que je n'avais pas eu tord quant à sa nationalité d'origine. J'aurais du sourire, heureuse de rencontrer quelqu'un qui n'était pas si différent de moi. Rares étaient les français ayant les pieds sur les sol américains. A dire vrai, à part Daniel, je n'en voyais aucun. Mais qu'importe. La jeune fille fit ensuite un bref sous entendu, employant le "nous". Nous. Cela faisait longtemps que je n'avais pas employé ce mot. Il y avait bien trop longtemps qu'il n'y avait pas eu de nous. C'était trop dur d'y penser et pourtant si simple à la fois. Je laissai la jeune femme faire un pas de plus pour poser une main sur mon épaule et justifier la présence de cette 1ère personne du pluriel. Ma propre nationalité. La même que la sienne.

Non... Je ne viens pas de Louisiane mais bel et bien de ce doux pays qu'est la France... Pays qui me manque un peu en ce moment...

Quand avais-je parlé avec un membre de ma famille pour la dernière fois ? Et avec Lucas, mon meilleur ami ? Pire encore : avaient-ils été mis au courant de mon état... différent du moment ? Les larmes me montaient aux yeux tandis que je pensais à tout cela. Je devais me contenir. Encore. Toujours. Les yeux détournés de la jeune fille qui remettait une mèche de cheveux en place d'un coup de main assez sexy. Suite à cela, je réussi à prendre un air détaché tout en refoulant ma tristesse. Claire me demanda soudainement si elle pouvait me tutoyer. La question me désarçonna quelques peu et je dus clignai des yeux pour être sure d'avoir bien compris.

"Euh... Je... Oui bien sur... Je ne te garantis pas que j'arriverais à en faire de même en revanche...

Alors que je répondais cela, le bus arrivait. Mon billet de retour vers l'institut. Enfin, ce cauchemar allait cesser. J'allais retourner dans ma chambre, m'asseoir sur mon lit et reprendre mes activités habituelles : broyer de noir et pleurer sur mon sort. Cependant, le destin en décida tout autrement. Ma nouvelle camarade française se retourna vers moi et me fit une proposition des plus étonnante. Je la dévisageai d'un air effrayé et déboussolé.

"Euh... Je... moi ? Faire les magasins...? Avec toi ?

Bravo Enora, tu viens de marquer un point... dans la débilité profonde. Je cillai plusieurs fois, ne sachant trop que répondre, tiraillée de l'intérieur par de forces qui me dépassaient totalement. Les larmes revinrent me piquer les yeux et je dus me concentrer sur la marche du bus pour ne pas que cela ne se remarque.

"Je... Je ne sais pas... Il faut que je rentre où l'on va s'inquiéter de ne pas me voir dans ma chambre... Et puis... Je ne vais pas être de très bonne compagnie tu sais...

Je me mordillai légèrement la lèvre inférieure, baissant les yeux et jouant avec mes doigts. Pour le coup, il était plus que probable que ma comparse française me laisse sur le carreau...

Je ne savais trop comment réagir face à cette jeune femme. Au début, je l'aurais volontiers classée dans la case des filles superficielles et inintéressante. J'aurais peut-être du d'ailleurs. Toujours est-il que, finalement, la jeune fille semblait se montrer ainsi avec bien des gens qu'elle connaissait. Pour le coup, la sociabilité devait être son fort. Alors que moi… Mes amis se comptaient sur les doigts d'une main. Les compliments qu'elle me fit donnèrent un peu de couleurs à mes joues qui, depuis quelques temps, avaient tendance à rester cireuses. Je me contentai de baisser de nouveau les yeux avant de tenter de répondre un tant soit peu normalement à cette ribambelle de belles paroles.

« Euh… merci… C'est vrai que… Ca fait plaisir de croiser des gens qui ne sont pas si… différents… »

Je ne pouvais rajouter autre chose. Cette partie de la discussion me faisait trop penser à Daniel. Mes yeux s'étaient reposés sur la plaque d'égout avant de s'écarquiller. J'avais frémi un court instant avant de détourner mon regard et refouler les larmes qui revenaient. Mes yeux devenaient une véritable mer, laissant aller et venir les larmes en vagues. L’océan de tristesse était si dur à passer . Je devrais me battre pour y parvenir. Mais, comme pour m’aider, la jeune femme fit un nouveau pas vers moi, accélérant ma course vers la terre ferme. Elle me sourit un peu plus et me rassura quant au fait que je pourrais la tutoyer. Simple question de vieillesse pour elle. Un mince sourire vint orner mes lèvres ce qui pouvait être considéré comme une grande victoire.

« Je.. J’essaierais de faire de mon mieux alors… Claire… »

Elle rit. Je fus surprise de voir le naturel qui composait cette femme. Elle qui me paraissait si superficielle quelques minutes auparavant était désormais tellement naturelle à cause de ce rire qu’elle lâcha sans complexe et sans aucune hésitation. Cependant, dans son attitude, quelque chose me marqua. Ne devait-elle pas prendre ce bus ? Alors… pourquoi l’avait-elle laissé partir pour continuer à parler avec moi ? Je ne lui avais rien demandé de tel. Elle aurait du s’éloigner et poursuivre son chemin. Au lieu de cela, elle s’était rapprochée, avait posé sa main sur mon épaule et avait laissé notre bus s’enfuir. J’avais vu mon billet de retour pour l’institut me glisser entre les doigts. Avais-je le choix ? Plus maintenant. Mes excuses ne seraient que minces face à la détermination de la jeune femme de vouloir m’emmener faire du… Shopping.

Elle s’amusa alors à renverser mes arguments un par un. Le seul qui tenait encore était celui que l’on s’inquièterait de mon absence. Et encore, il fallait pour cela que quelqu’un l’ait remarqué. Sa petite citation finale me fit hausser les sourcils. Ainsi, elle n’espérait pas me voir sourire ni même me montrer d’une humeur joviale. Elle voulait juste de la compagnie. L’idée de passer pour une bouche trou ne me plaisait guère… Mais au fond de moi, je ressentais moi aussi le besoin d’avoir quelqu’un à mes côtés.

« Je… Euh… Bon… D’accord… Je crois qu’il me faudrait des vêtements secs de toute façon… »

Je jetai alors un petit regard à mes vêtements dégoulinants. Mes cheveux, ma tête… Je ne devais plus ressembler à rien et l’autre française allait avoir énormément de travail à faire avec moi.