Retour d'entre les morts - PV Autumn

La pire semaine de sa vie. Oui, sans aucun doute, Autumn venait de subir les sept jours les plus affreux et les plus longs de son existence. En sept fois vingt quatre heures, Dieu avait réussi à créer la terre, mais Ovide, elle, était tout juste parvenue à se ronger les ongles jusqu'au sang et à passer par toute la palette des sentiments possibles, de la panique jusqu'à la détresse la plus totale. Quand une semaine plus tôt, la jeune femme était arrivée sur les chapeaux de roue, conduisant sa petite voiture de fonction au milieu des rues de New York comme sur un circuit de F1, la peur lui nouait l'estomac et les larmes lui inondaient les yeux. Sur le siège arrière, le corps de Matthew gisait sans vie apparente, l'homme ne répondait plus. A l'arrivée en catastrophe à l'hôpital, Matthew avait été immédiatement pris en charge par le personnel de garde et amené en salle de réanimation. Condamnée à rester en arrière, Autumn avait pu seulement assister à la scène depuis le couloir. Littéralement clouée sur place, les poings fermés contre la vitre, tellement rigides qu'elle en avait mal aux muscles, elle regardait en spectatrice impuissante le combat de Matthew face à la mort. Retenant sa respiration à chaque violente décharge appliquée sur le torse du blond...Elle en devenait malade à voir qu'il ne réagissait pas.

Et puis il avait fini par revenir parmi les vivants, à son grand soulagement. Pas encore sorti d'affaire certes mais au moins les docteurs disaient que son cœur avait fini par repartir et ils l'avaient installé dans une chambre à part, branché à tout un tas d'appareils. Le genre bien glauque et bien effrayant, bardé d'écrans, de poches et de câbles. Néanmoins Autumn n'avait pas eu le temps de s'y attarder. Remarquée par une infirmière, la demoiselle avait été amenée dans un lieu tranquille pour examen plus approfondi et ce malgré les protestations de la mutante. Elle allait très bien, pas la peine d'en faire un drame. Seulement, après le coup de stress intense et l'épisode de relâchement, sa fatigue émotionnelle frôlait les sommets, son état nerveux ne laissait rien présager de bon. Heureusement, l'infirmière s'y connaissait en patients récalcitrants et elle avait fini par convaincre la jeune femme de piquer un somme. Et c'était ce qu'Ovide avait fait, assommée correctement par une bonne dose d'anxiolytiques, partie pour quelques heures de sommeil sans rêves. Avant de finir par se réveiller, plus détendue et calme, mais encore consciente et déboussolée par les évènements qui s'étaient déroulés un peu plus tôt. Devant l'infirmière,la mutante avait pourtant prétendu que tout allait bien, qu'elle se sentait bien mieux. Questionnée au sujet de Matthew, elle n'avait donné aucune information. Elle était restée évasive, prétextant l'avoir trouvé ainsi chez lui, étendu sur le sol de son salon, déjà souffrant et presque sans connaissance.

Si la femme l'avait crue, cela restait difficile à déterminer mais franchement, elle s'en fichait. Ce qui l'intéressait vraiment, c'était l'état de santé préoccupant de son compagnon. Les médecins avaient du mal à déterminer ce qui lui était arrivé...Elle même, bien qu'elle en sache une partie, ne savait pas très bien. De toute façon, elle ne comptait rien dire, elle ne pouvait décemment pas. Autour d'elle, les médecins balançaient des noms compliqués...brassard à tension, câble d’oxymétrie pulsée, fibrillation ventriculaire et j'en passe [hommage à Flo xD] auxquels elle en comprenait strictement rien. Finalement, elle avait préféré s'en désintéresser, se contentant de rester dans un coin. Assise sur un fauteuil près de la fenêtre, à quelques mètres du lit, elle se contentait de passer ses heures à veiller Matthew. Peu motivée à se rendre à son travail ou à l'université, elle avait téléphoné pour prévenir d'une prétendue grippe carabinée qui la clouait au lit. L'esprit plus libéré, la demoiselle passait donc tout son temps dans la chambre du blond et s'occupait dans son coin à bouquiner, en jetant de temps en temps un coup d'œil au malade. Elle ne l'approchait pas, ne tentait pas de le toucher...Une fois seulement, elle s'était aventurée à remonter correctement une couverture qui venait de glisser et elle avait frôlé doucement son épaule. Ses yeux s'étaient attardés sur le tatouage du bras qu'elle n'avait que très rarement vu. Eletrochoc sentimental, comme dans un navet hollywoodien à gros budget. Elle avait tout lâché et était très vite revenue à sa place.

Pour le reste, les infirmières se chargeaient de la toilette de l'homme, et du reste...Des infirmières plutôt ravies d'ailleurs de devoir s'occuper d'un tel représentant de la gente masculine. Ovide en avait même levé les yeux au ciel, la fois où elle les avait entendues glousser soudainement, alors qu'elle attendait patiemment dehors que la toilette se finisse. Pour quelle raison, mystère. Refusant à connaitre la vérité, la jeune femme s'était fait la réflexion que même couché sur un lit d'hôpital, l'homme parvenait encore à attirer les femmes autour de lui. Décidément. A propos d'Autumn, les filles n'avaient pas l'air de se soucier de sa présence ou en tout cas, c'était loin d'être pour elles un obstacle quant aux conversations féminines...

Le soir, quand l'heure des visites prenait fin, elle rentrait chez Matthew. Pas vraiment envie de rejoindre son appartement...D'ailleurs, c'était loin d'être une bonne idée. Si les voisins avaient trouvé les corps, celui de son père avait sans doute été facilement identifiable et elle n'avait pas envie de répondre aux questions de la police. Elle ne savait pas s'ils pouvaient facilement la trouver, son père avait toujours pris soin d'embrouiller le plus possible les pistes, cela leur prendrait un certain temps. Pour l'instant, elle voulait juste se cacher et cela tombait bien, elle avait trouvé les clefs de l'appartement de Matthew dans ses affaires. Ayant investi ce qui semblait être une chambre inoccupée, elle n'avait pas osé se balader dans la maison, se cantonnant à un nombre restreint de pièces. En réalité, elle ne faisait qu'y dormir, accompagnée par le chat avec qui elle avait sympathisé. L'animal amateur de câlins appréciait ses caresses et la nuit, se pelotonnait à ses pieds sur la couverture chaude. Une présence rassurante pour la demoiselle qui avait pourtant bien du mal à trouver le sommeil réparateur dont elle avait besoin et souvent qui passait des nuits blanches plantées devant son ordinateur. Lorsqu'elle fermait les yeux, elle voyait le corps de son père, le sang s'étendant sous sa tête. Elle repensait à ses paroles, aux dures vérités qui avaient éclaté et enfin elle revoyait le corps figé de Matthew entres les draps immaculés de l'hôpital...Pour se réveiller en sursaut. Et recommencer encore et toujours le même cauchemar. Résultat des courses, au bout d'une semaine, elle avait accumulé de la fatigue comme jamais. Sa peau n'avait jamais été aussi pâle, ses traits tirés et ses cernes marquées. Elle semblait avoir maigri aussi...Normal, elle avait seulement picoré par ci, par là, incapable d'avaler un vrai repas consistant.

Et puis finalement après cette longue semaine d'attente, l'homme bougea enfin. Ce jour-là, Autumn était assise dans un coin de la pièce, un bouquin emprunté dans la bibliothèque du blond sur ses genoux, elle lisait en le veillant. Le bruit des couvertures frôlées lui fit lever la tête et elle entendit une voix pâteuse poser une question bien étonnante. Bondissant aussitôt sur ses pieds, elle se rapprocha du lit. Et leva un sourire intrigué, partagée entre la joie et l'étonnement, se retenant de sourire comme une gosse.

« - Bonjour M&Ms...Mmmh, qui est Melchior...?»

La jeune femme n'essayait pas vraiment de comprendre, il avait l'air complètement perché. Ca le changeait. Elle n'avait pas vraiment envie de lui raconter maintenant ce qui venait de se passer. Non, elle aurait au moins la décence d'attendre qu'il soit un peu plus d'aplomb et prêt à faire face à la réalité pour tout lui avouer. L'avait-il au moins reconnue? Il lui parlait certes, mais c'était peut-être parce qu'elle était la seule à être à ses côtés...

« - Vous me reconnaissez? Vous êtes à l'hôpital...Il s'est passé...Disons que vous avez eu un accident, je vous raconterai...Comment vous vous sentez? »

Il lui faudrait expliquer également ce que, elle, elle faisait là. Mais plus tard, ce n'était pas vraiment important pour l'instant. Un sourire s'afficha sur son visage, malgré elle et malgré les délires du blond. Le sourire des gens heureux, de ceux qui sont comblés, et leurs yeux brillants. Et encore, elle se retenait à grand peine de pleurer d'émotion comme une madeleine, comme lorsqu'elle regardait un film kleenex. Ridicule? Peut-être bien mais elle était soulagée et elle ne parvenait pas vraiment à le cacher. Après tout Matthew avait risqué sa vie pour elle et puis, elle l'avait toujours apprécié. Ça valait bien un peu de sentiment dans tout ça.


*****

A quelques détours de couloirs plus loin, dans un autre service de l'hôpital et plus précisément celui de la maternité, Bruce Burcley, fraichement débarqué sur la planète Terre, cassait déjà les oreilles de tout le monde en chouinant comme un dératé. Pourtant, ça n'empêchait pas ses parents de l'admirer avec un amour et une dévotion sans bornes. Celle des parents heureux, même si son paternel avait quand même fini par remarquer qu'il criait beaucoup plus que de raison et qu'il risquait de devenir vite épuisant. Au bout d'un -long- moment, Bruce finit tout de même par s'endormir, suivi dans les bras de Morphée par sa mère quelques minutes plus tard, encore épuisée par l'effort qu'elle venait de fournir. Stan, son mari, lui tint doucement la main pendant qu'elle se laissait happer peu à peu par le sommeil, puis lorsqu'elle fut profondément endormie, il se décida à la laisser pour aller faire un tour. Histoire de prendre l'air. Les hôpitaux, ça n'avait jamais vraiment son truc.

Alors qu'il passait devant l'accueil, il surprit par hasard la conversation de deux infirmières et s'arrêta soudain, les yeux écarquillés comme deux soucoupes. Il venait d'entendre un nom qui l'avait laissé pantois.

« - Oui, le beau gosse, Matthew Meyers, tu sais, celui qui a cette si...Enfin bref, il parait qu'il s'est enfin réveillé!
- Non sérieux!! Han, trop bien, en plus on est de garde cette nuit!! »

L'homme fit volte face, afficha son sourire ultra bright de charmeur et s'approcha des femmes.

« - Bonjour mesdemoiselles, excusez moi de vous déranger...Dites, j'aurais une petite question à vous poser... »

Chéri, je t'ai enfin retrouvé!!!

Dans tous les gros navets hollywoodiens, romantico-pathétiques dans l'âme, les scènes de réveil à l'hôpital se gravaient souvent sur le même scénario. Des retrouvailles chargées d'émotion, des personnes aux yeux remplis de larmes, des embrassades à n'en plus finir et le traditionnel baiser d'amour entre les deux protagonistes complètement fous l'un de l'autre...Oh mon dieu chéri, c'est maintenant que j'ai failli te perdre et je viens de me rendre compte que sans toi je ne pourrais pas vivre. Bien sûr, avant je trainais avec ton meilleur pote mais comme tu viens de me faire pitié, je vais rester avec toi pour le reste de ma vie...Non, ne riez pas, en général, les scénarios offerts sur grand écran n'étaient pas loin d'une énormité pareille.

Bref, il y avait donc la scène de réveil bouleversante et saisissante qui renvoyait la fin d'ET au stade de comédie. Et il avait le réveil de Matthew. Cocasse, inattendu, inespéré? Ou peut-être tout simplement navrant...Allez savoir. De toute façon, Ovide était bien trop dépassée par la situation pour songer à l'analyser. Le type aux cheveux noirs et à la mine d'ahuri venait de débouler d'un seul coup, surgi d'on ne sait où. Le moins qu'on pouvait dire, c'était que son entrée fracassante venait de donner au réveil de Matthew une dimension complètement surréaliste. Déjà que les hallucinations véritablement étranges du blond n'avaient pas vraiment joué en sa faveur, à présent son cri de panique, sa chute et tout le reste avaient...Non, laissez tomber, même Mr Bean et Benny Hill n'auraient pensé à cela.

Apparemment l'inconnu pas si inconnu que ça et Matthew semblaient bien se connaitre et sans risquer de trop se planter, Autumn pouvait affirmer qu'elle assistait à des retrouvailles inespérées. Debout près du lit, la mutante ne pipait mot, se contentant d'être la spectatrice attentive d'une conversation plutôt...animée. Malheureusement, elle avait beau être discrète, elle n'en était pas pour autant invisible et ce qui devait bientôt arriver arriva. Celui que M&Ms venait de nommer Burcley se détourna finalement d'Ikéaman pour s'intéresser à elle. Pour lui poser la question du million. Évidemment. C'était plutôt gênant mais dans un sens, elle aurait dû s'en douter: une présence féminine au chevet d'un malade...les hypothèses quant à sa présence étaient plutôt limitées.

Au début, elle avait trouvé intéressant de se trouver là et de connaitre l'identité de l'homme. Maintenant, elle voulait simplement se cacher, ou disparaitre bien loin, pour ne pas avoir à s'expliquer. Un peu prise de court, elle se contenta de sourire et secoua la tête négativement. Timidement, histoire de faire style.

« - Non non, je ne suis pas sa copine. Je suis celle...heu...qui garde le castor. »

N'importe quoi. Dommage, elle venait de rater une occasion de se taire. Devant l'air étonné du type, la jeune femme devança sa question en montrant Matthew d'un geste vague et d'un haussement d'épaules.

« - Cherchez pas à comprendre, les médocs, ça pardonne pas. En fait, je suis juste une...amie. Autumn. »

La mutante tendit la main vers l'homme, qui la lui serra sans hésiter, un grand sourire aux lèvres. Peut-être avait-il remarqué qu'elle avait tilté sur le mot "amie"? En réalité, elle avait failli dire connaissances, parce que franchement, elle ne savait pas trop dans quelle catégorie relationnelle elle devait se placer vis à vis du blond. Amis, c'était plutôt pas mal. Ca restait tout de même neutre, c'était plus amical que connaissances et surtout ça expliquait quand même un chouia sa présence ici.

« - Autumn! Enchanté, moi c'est Stan...Une amie hein...Très bien, je vois, je vois. »

Avec la tronche de celui qui ne voyait rien du tout. Le petit sourire qui flottait sur son visage et ses yeux pétillants en disaient long sur ce qu'il semblait penser mais heureusement, il n'insista pas.

« - Enchanté Stan...Et vous, vous connaissez M&...pardon Matthew d'où? Pourquoi vous le pensiez mort?
« - Eh ben, on s'est rencontré à l'école militaire, et on y a fait les quatre cent coups...Vous inquiétez pas, je vous raconterai absolument tout bien sûr. Et ensuite, on est parti en Irak et là...Puis j'ai été fait prisonnier et plus rien. J'ai été finalement libéré mais le temps que je revienne à New York, Matthew était...parti...Et puis...Enfin bref, voilà l'histoire...Bordel, quand j'y repense, j'y crois toujours pas. Mais mec, qu'est-ce que tu fous ici au juste? Il t'est arrivé quoi? Sans dec', t'as vraiment une sale gueule et Autumn...Bon, on se tutoie hein, merde aux formalités. Bref, il vous est arrivé un truc à tous les deux? Oh bordel...en plus mec, tu connais pas la meilleure? Pendant que tu te fais dorloter par les infirmières, moi ma femme vient de me pondre un môme. J'suis mari et père, tu y crois? »

Il semblait à Autumn qu'elle n'avait pas été la seule à cacher certaines choses mais après tout, ce n'était pas ses affaires. Si l'homme ne donnait pas plus de détails, c'était qu'il devait avoir de bonnes raisons, surtout si les mauvais souvenirs d'une guerre s'y mettaient au milieu. Pas vraiment du genre mégère, la demoiselle n'en rajouta pas et se contenta de sourire. La perspective d'une naissance n'était pas vraiment réjouissante pour elle mais bon...Tant que ça restait chez les autres, comme on dit...

« - Oh, vous...tu es père, félicitations! C'est super! »

Hypocrisie quand tu nous tiens...

Burcley semblait être un sacré numéro, à des années lumières de Matthew, aussi décalé et excentrique que le blond pouvait être droit et immuable, du moins quand il n'était pas sous l'emprise sournoise de médicaments divers. L'ami du Maraudeur avait la tchatche facile, c'était le moins qu'on puisse dire, et il parlait autant que les deux autres réunis. Dans son lit, Matthew paraissait subir une avalanche de paroles découses plutôt qu'une conversation normale. En d'autres circonstances, la jeune femme aurait pu trouver cela particulièrement amusant et en rire avec franchise. Peut-être que lorsque toute cette histoire serait terminée, oubliée et enterrée, qu'elle se souviendrait de cet aspect là, si incongru et si inattendu. Mais pour l'instant, elle était surtout dans un état second, simple spectatrice des évènements qui se déroulaient devant elle. Vaguement consciente que quelque chose se passait entre les deux hommes, une conversation secrète et muette dont elle ne faisait pas partie. Sans doute quelque chose en rapport avec leurs passés communs, où semblaient se mêler morts suspectes, informations erronées...pièges et conspirations peut-être? Allez savoir. Au point où elle en était, Autumn n'aurait pas été plus surprise que ça s'ils lui avaient annoncé qu'ils étaient membres des Men in Black et qu'ils chassaient l'immigré extraterrestre. Un jour, peut-être, elle demanderait plus de détails à Matthew sur son ancienne vie, sur ce qu'il avait fait pendant ces deux dernières années, et pendant sa vie d'avant. S'il voulait bien le lui dire, elle saurait écouter.

Mais elle n'était pas la seule à chercher des explications. L'ami de Matthew voulait savoir ce qui les avait conduit tous les deux à l'hôpital et ce qui les avait mis dans un état pareil. Et le grand blond ne s'en souvenait pas. Bonne ou mauvaise chose, Autumn ne parvenait pas à se décider. Son impressionnant trou de mémoire lui avait épargné un réveil difficile, encore plus délicat à gérer que ce qu'il avait eu à subir aujourd'hui. C'était une bonne chose. En revanche, penser qu'il comptait sur la jeune femme pour lui rafraichir les souvenirs la plongeait déjà dans un état de panique avancé. Il avait tué deux hommes, dont son paternel. Il avait risqué sa vie pour qu'elle ouvre enfin les yeux et que la vérité éclate.

Ça faisait beaucoup.

Stan voulait savoir, Matthew aussi. Elle décida d'attendre. Pas assez familière avec l'ami revenu des Enfers. Peu désireuse d'avoir une conversation sérieuse avec le blond. Et puis elle se sentait surtout lasse. Une fois rassurée sur l'état de santé de Matthew, une fois la surprise de l'arrivée de Stan passée, la fatigue revenait s'emparer d'elle. Fatigue morale et physique...elle était au trente-sixième en dessous et incapable de se lancer dans un effort intense. Quand elle venait voir Matthew, elle prenait les transports en commun, doutant de ses propres capacités à conduire correctement...Burcley avait raison, elle avait vraiment une sale tête. D'ailleurs, elle avait évité de croiser son reflet dans la glace ces derniers jours. Utiliser son pouvoir pour ressembler enfin à quelque chose? Oui, mais encore eut-il fallu parvenir à contrôler ses sentiments et son état de fatigue nerveuse.

Sur son lit, Matthew semblait accuser le coup. Et Autumn était de l'avis de Stan, il avait besoin de repos. Pas la peine d'avoir fait sept ans et plus de médecine pour arriver à une telle conclusion. L'invitation de Burckey semblait être une proposition en l'air mais la jeune femme y vit là un moyen de s'échapper de la pression qui pesait sur ses épaules. Elle avait besoin de dormir certes, mais avant d'y arriver, il fallait qu'elle se change les idées.

L'infirmière était partie en annonçant l'arrivée prochaine du médecin. Jetant un coup d'œil à sa montre, Autumn jugea le temps...Il n'allait pas tarder à arriver.

« - Vous inquiétez pas, je connais son petit secret. Et en fait, je veux bien un café. »

Stan eut l'air ravi, un peu comme un gosse qui aurait reçu pour Noël le cadeau des ses rêves. Autumn eut un petit sourire. Elle espérait juste qu'il ne la bombarderait pas de questions au sujet d'une prétendue relation avec Matthew, ni qu'ils entreraient trop en détails sur ce qui leur était arrivé. Pour l'instant, elle avait seulement besoin de sortir.

« - A la bonne heure! Bon Matthew mon pote, on va te laisser mais on revient toute à l'heure. Toi et moi, on a beaucoup de choses à rattraper. En attendant, je vais m'occuper de ta demoiselle. T'inquiète, je promet d'être un parfait gentleman, tu me connais...
- Reposez-vous M&Ms. On repassera toute à l'heure. »

Si Matthew avait voulu protester, ce qui était difficilement imaginable vu son air de déterré, il n'en aurait certainement pas eu l'occasion. Stan entraina aussitôt Autumn avec une dernière promesse de retour rapide sans laisser au blond le temps de répliquer quoi que ce soit. De toute façon, le médecin venait de faire son entrée et les deux visiteurs s'éclipsèrent rapidement, laissant le patient entre les des mains expertes. Quelques minutes après, Ovide marchait tranquillement aux côtés de Stan dans le couloir, tout en l'écoutant lui parler d'un soit disant groupe de soutien pour jeunes pères en détresse qu'il avait évité. Arrivée à un croisement, la demoiselle indiqua une direction d'un geste de la main.

« - La salle des machines à café est par là. »

L'homme leva un sourcil indigné.

« - Tu rigoles, on a assez bouffé des hôpitaux, tu crois pas? Je t'amène dans un petit bistrot, c'est à même pas cinq minutes en voiture. On y sera tranquilles. »

La demoiselle hocha la tête doucement. Ce n'était pas une mauvaise idée, la perspective de quitter les murs immaculés et l'odeur de propreté excessive était plutôt même alléchante. Elle lui emboita le pas vers la sortie pendant que le silence s'installait.

Alors qu'ils passaient les portes coulissantes qui menaient à l'extérieur, Stan se retourna soudain vers elle, un sourire malicieux gravé sur son visage.

« - Au fait...M&Ms c'est mignon tout plein comme p'tit nom. C'est par rapport aux bombons?
- Heu...oui, entre autres.
- Ceux qui fondent dans la bouche, pas dans la main?
- Heu. Je suppose. »

Elle essayait de voir où il voulait en venir mais rentrer dans la tête de Burcley, c'était sans doute comme être perdue au milieu d'une galerie marchande, un jour de pluie et de premier jour des soldes, face au rayon des jupes à moins cinquante pour cent. L'homme lui jeta un coup d'œil et croisa son regard, avant de lâcher un commentaire d'une retenue inattendue.

« - On est pas encore assez intimes pour une blague graveleuse, je crois bien. »

*****

L'endroit choisi par Stan paraissait avoir été taillé sur mesure pour une conversation privée. De loin, il ressemblait aux snack bars des feuilletons américains, le décor un peu vieillot et les tables séparées par de hautes banquettes qui leur assuraient une bonne intimité. Celle où Autumn avait pris place commençait à montrer les signes évidents du temps. Éliminée par endroits, recousue sommairement à d'autres, elle aurait largement mérité à être changée mais n'en restait pas moins confortable. Exténuée, la jeune femme s'y était laissé tomber comme une masse. Face à elle, Stan souriait

« - Un bon café bien chaud, ça va te remettre. Hésite pas à commander quelque chose à manger hein, ça peut te faire que du bien.
- Tu n'as pas l'air dans ton assiette non plus.
« - Huit heures de travail et ma femme qui m'a littéralement broyé les os de la main à chaque contraction. Je sais pas ce qui est le pire, si quand elle haletait comme un clebs, quand elle sifflait ou quand elle meuglait comme une vache...Et puis le gosse. Le docteur m'a dit, « félicitations monsieur, c'est un beau garçon ». Pour ma part, j'ai seulement vu que c'était un garçon. Et puis ensuite, je sais pas si c'est l'odeur ou la vue, mais y'a un truc qu'est pas passé et là je me suis senti mal...Et 'tin, j'en ai vu pourtant, des choses pas agréables...A mon avis, celui qui a pondu la réflexion comme quoi voir naitre ton enfant est le plus beau de ta vie...Eh ben, il a pas en voir parce qu'entre les cris et le sang, c'est loin d'être jouasse. Et quand le môme est là, ta femme crie plus, tu te dis que c'est enfin fini mais faux, c'est juste une illusion. A peine sorti, ton gamin il prend le relais et visiblement il va le faire pendant les dix-huit prochaines années. Même mon capitaine casse-couilles à l'armée, il criait pas aussi fort.
- J'aimais pas déjà la perspective d'avoir des gosses mais là tu viens de m'achever et de plomber tout minuscule espoir que je sois mère un jour.
- Eh ben, déjà on a donné au monde un mini Stan. J'pense que si on évite de lui infliger un mini Meyers ce sera pas plus mal.
- Heu maisonestpasensemble...
- Hum ouais ...Moi tout ce que je sais qu'il voyait des filles mais jamais il m'a mentionnée une amie proche, du genre à l'accompagner dans les moments difficiles, par exemple à moitié crevé sur un lit d'hôpital. Matthew est plus du genre solitaire tu vois?
- En même temps, il a passé une semaine dans le coma, il a pas trop eu l'occasion de me dire de dégager.
- T'inquiète, si tu l'avais dérangé, il se serait pas gêné pour te le dire. Je le connais bien, il est du genre pas trop sociable, limite conn*rd de base, mais quand les gens comptent pour lui, il devient un autre homme. Sans compter que si t'es au courant pour son pouvoir, c'est qu'il a eu suffisamment confiance pour te le dire.
- On dirait que tu le connais bien.
- Affirmatif. Ca remonte à l'école militaire...Raa 'tin c'était le bon temps.
- J'ignorais qu'il avait fait l'école militaire.»

En y réfléchissant bien, ça pouvait expliquer le caractère rigide, froid et calme d'Ikeaman. La précision avec lequel il s'habillait, sa ponctualité, réglée comme un vieux coucou précis, sa rigueur dans tout ce qu'il entreprenait. La conversation avec Stan prenait une tournure plus qu'intéressante et Autumn y voyait là un moyen de cerner un peu plus le personnage. Elle but une gorgée de café et regarda l'homme aux cheveux noirs en souriant.

« - Parle-moi de lui.
- Ah ouais...Matthew, y'aurait des choses à en raconter sur lui, tiens. Je crois que je peux dire que c'était mon meilleur pote à l'armée et quand je l'ai cru mort, j'ai vraiment flippé. Toujours là pour les autres, toujours prêt à défendre une injustice, toujours prêt à aider et évidemment toujours la bonne décision et la bonne idée. Le type réglo mais qui se laissait pas marcher sur les pieds. Un mélange entre Captain America et mmh...Batman? Bref, ça a étonné personne quand il s'est retrouvé promu sergent. Il le méritait. Vraiment. Bon évidemment, niveau sens de l'humour et déconne, c'était pas encore ça. Il était vraiment rigide le gars.
- Il n'a pas l'air d'avoir tellement changé.
- Non j'ai vu ça...Même cloué sur son lit, il trouve quand même le moyen de rester sérieux. D'ailleurs, ça fait drôle de le voir dans cet état...bordel, il lui arrivé quoi. »

Autumn garda le silence, elle ne savait pas quoi dire. Que devait-elle faire, les évènements passés étaient trop douloureux à raconter, sans compter qu'elle ne pouvait en parler à n'importe qui. Le plus étonnant dans tout cela, c'était sans doute ce que ressentait Autumn. Étrangement, elle ne connaissait Stan depuis quelques minutes mais elle se sentait déjà à l'aise. Peut-être sans doute était-ce le fait qu'il semblait avoir une très bonne relation avec Matthew, qu'il acceptait les mutants, mais il y avait autre chose...Elle ne savait pas quoi mais elle n'était pas femme à se lancer dans des questions existentielles et à vouloir mettre un nom sur tout ce qui lui paraissait incompréhensible. C'était comme ça, et elle ne cherchait pas à savoir.

De l'autre côté de la table, Stan dut comprendre sa gène et la tournure délicate que prenait la conversation. Il afficha la tête des mauvais jours et prit une voix douce, presque paternelle.

« - C'est si grave?. »

Autumn hocha la tête. En réalité, elle cherchait ses mots, elle cherchait comme exprimer le sentiment de détresse qui s'accaparait d'elle. Et elle avait beau essayer, elle n' y arrivait pas. De toute façon, la jeune femme avait toujours été une solitaire, gardant ses problèmes pour elle. Se confier devenait tout une épreuve mais le visage amical de Burcley inspirait la confiance...

« - Matthew...C'est lui qui a tué mon père. Mais je crois qu'il ne s'en souvient pas. »

Avec sa révélation, Autumn s'était attendue à n'importe quelle réaction de la part de Burcley. Après tout, elle venait de lui annoncer que Matthew était l'homme qui avait mis fin aux jours de son propre père. Mais l'expression de surprise et de colère mélangées qui s'afficha soudain sur le visage de l'homme la prit au dépourvu. Alors qu'il se levait et se mettait à vociférer, attirant l'attention générale, la jeune femme se retourna pour voir la raison de son brusque énervement. Et resta éberluée, une expression abasourdie sur le visage, lorsqu'elle vit la haute et imposante silhouette du blond se profiler entre les tables du bar. Débarrassé de sa tenue de patient et vêtu des vêtements de ville qu'elle lui avait apportés. A moitié debout elle aussi, elle observa Burcley perdre face à la forteresse Matthew, qui ne semblait pas enclin à vouloir jouer la carte de l'obéissance. Elle aurait aimé aussi protesté et tenté de le raisonner, mais une autre pensée occupait son esprit et lui arrachait une question: Matthew avait-il entendu ses dernières paroles, son aveu face à Burcley?

Passant au dessus des protestations, l'homme les rejoignit tranquillement et s'installa près d'elle, obligeant Ovide à se pousser pour lui faire de la place. Déboussolée par l'arrivée inattendue de Matthew, la demoiselle avait raté le lapsus de Burcley à propos du pouvoir de l'homme qu'elle ne connaissait pas et c'était donc toujours ignorante que l'étudiante écoutait la conversation. Elle restait muette, attendant la suite des évènements. Matthew avait entendu ses dernières paroles comme elle le craignait et à présent...Eh bien, la situation devenait délicate. Croisant brièvement son regard, elle ne put faire autre chose que subir et lui renvoyer le sien. Dans ses yeux, elle lisait la gène et l'imploration du pardon auquel elle répondit d'un simple signe de tête. Qu'est-ce qu'elle pouvait lui dire? Honnêtement, le blond n'avait pas tout à fait tord quand il affirmait que le bar n'était pas l'endroit le plus adéquat pour de quelconques explications.

« Vous êtes sûr que vous voulez rentrer M&Ms? »

Au moins, ses paroles et l'utilisation de son surnom indiquaient qu'elle s'inquiétait pour lui, malgré tout ce qui s'était passé. Pour le reste, elle se doutait bien que l'homme ne changerait pas d'avis.

« Bon j'espère au moins que vous vous reposerez.
Pour ça, je crois qu'il va falloir l'assommer. Non sérieux, ce mec s'écoute même pas lui même...Faut pas espérer des miracles! »

La remarque de Burcley eut le mérite d'arracher un sourire à la jeune femme, un air exaspéré au blond, et à détendre l'atmosphère qui devenait pesante. Quelques minutes plus tard, après avoir réglé l'addition, les trois quittaient enfin le bar. Stan était le seul à avoir sa voiture à disposition et il se proposa aimablement pour ramener les deux autres à l'appartement de Matthew., profitant que sa femme soit en train de dormir. Évidemment, il ne fit que les déposer avant de retourner auprès des siens, mais avec la promesse de revenir dès que possible. Et en attendant, comme il le fit remarquer à son ancien coéquipier, l'ancien militaire ne devait pas jouer les héros mais se reposer. Cette remarque valait également pour Autumn.

Restés seuls, les deux mutants se dirigèrent vers l'appartement dans le silence le plus total. Une fois le seuil passé, un miaulement se fit soudain entendre. Le chat, tout pimpant, venait souhaiter la bienvenue à sa nouvelle amie et à son ancien...maitre? Hum, le terme colocataire était sans doute plus approprié. Peu importait, la jeune femme l'attrapa dans ses bras et le colla contre sa poitrine, avant de se retourner vers son compagnon.

« Ok, M&Ms, je pense qu'on devrait écouter Stan...On parlera plus tard si vo..si tu veux bien? »

Tutoyer Matthew, ça lui faisait tout drôle mais maintenant, le vouvoiement n'était plus trop de rigueur. Le blond n'était plus un garde du corps, ni même une simple connaissance. Elle eut un petit sourire et s'éloigna doucement. Avant de se retourner...Elle avait oublié un petit détail.

« Au fait, j'ai pris la chambre du côté ouest de l'appartement, j'espère que ça t'ennuie pas trop. Elle était vide et j'ai pensé que je pouvais l'utiliser. Ah et j'y ai dormi avec le chat...Je crois qu'il m'aime bien. »

Dans ses bras, la bête ronronnait. En y réfléchissant bien, Autumn aurait sans doute aimé avoir une présence plus réconfortante que celle d'un simple chat, tout attachant fut-il, auprès d'elle, mais elle se voyait très mal demander une telle faveur à Matthew. C'était plutôt à elle de prendre soin de lui, parce qu'il avait beau réussi à se lever tout seul, on voyait bien qu'il était encore faible.

Il leur fallait simplement un peu de patience à tous les deux. Du repos aussi. Et peut-être bien le miracle donc avait parlé Stan. Ca, ça les aurait bien aidés...


*****

Cinq jours après leur retour à l'appartement de Matthew, Stan Burcley refit son apparition. Chose promise, chose due,et puis il avait tellement de temps à rattraper auprès de son meilleur ami qu'il n'aurait raté pour rien au monde une telle occasion. Sa femme et son fils, qui se portaient à merveille, étaient rentrés chez eux et profitaient des congés maternité...Oh joie! Burcley, lui, avait déjà expérimenté quatre courtes nuits à changer les couches et à passer des heures, son fils sur l'épaule, à chantonner d'une voix douce pour calmer ses pleurs. Bon, certes, il lui murmurait des chansons de l'armée, chansons dont les paroles partaient souvent en vrille et qui faisaient lever les yeux à sa femme, mais fort heureusement, leur marmot n'avait pas encore l'âge de comprendre. Seul le ton importait et aux yeux de Stan...Bah oui, il était un bon père. Qui se serait risqué à insinuer le contraire?

Lorsqu'il pénétra dans le salon à l'énorme baie vitrée, sa première réaction fut celle de stopper net et d'ouvrir des yeux ébahis. Un peu comme Autumn la fois où elle avait découvert l'endroit où habitait Matthew. Une chose était sûre, après tout ce que les deux lascars avaient vécu ensemble, notamment l'austérité et la privation communes à l'armée, un tel étalage de richesses, ça pouvait surprendre. Planté comme un gosse devant un magnifique jouet, Stan restait captivé par la vue éblouissante que l'appartement offrait sur la ville immense de New York.

« 'Tin mec...t'as hérité de tes vieux? Ou tu t'es réconcilié avec eux? »

Au bout d'un moment, il finit par se détourner du spectacle et accepta avec enthousiasme le café qu'Autumn venait de lui offrir. Sa tasse à la main, il dévisagea les deux colocataires.

« Eh ben, vous avez l'air d'aller mieux, vous deux. Ou en tout cas que moi qui vient de passer quatre nuits blanches...N'ayez jamais de gosse. Jamais. »

Il n'avait pas tort, les valises qu'il arborait sous les yeux étaient impressionnantes mais pour Matthew et Autumn, les cinq jours avaient été bénéfiques. Les deux avaient parlé. Pour se vider le cœur, ça faisait toujours du bien. Pour mettre les choses au clair aussi, rafraichir la mémoire au blond sur ce qui l'avait mis dans un tel état. Et puis pour prouver à Autumn que l'homme avait eu ses raisons d'agir ainsi. Les papiers, les comptes...Tout ce que M&Ms avait trouvé et imprimé était passé sous les yeux de la jeune femme qui avait vu défiler les preuves, irrefutables. D'abord atterrée, elle avait fini par assimiler la nouvelle avant de s'enfermer dans un mutisme complet. De s'évader et de s'enfermer dans sa chambre pour y être seule. Deux jours en autarcie complète, pendant lesquels l'ancien militaire n'avait pas cherché à la gêner. Après tout, il n'était pas stupide, il comprenait parfaitement qu'elle avait besoin de tranquillité. Découvrir le monstre qu'avait été son paternel n'avait rien d'une partie de plaisir...et au niveau parents détestables, Matthew en connaissait un rayon. Entretemps, il en avait profité pour faire disparaître les preuves, ou du moins celles qu'il avait jugé inutiles de garder. Sans doute s'était-il occupé des pistes qui pouvaient mener jusqu'à la demoiselle ou du moins s'était-il intéressé à ce que faisait la police, pour éviter qu'elle ne vienne farfouiller chez eux. Pour l'instant, ils semblaient tranquilles et libres de tout danger.

Et puis finalement, Autumn était ressortie pour le rejoindre. Parce qu'en fait, elle n'avait pas vraiment envie d'être seule. La jeune femme avait compris tout ce qu'avait risqué Matthew pour elle, et elle lui en était reconnaissante. Rester aux côtés de l'homme l'aidait à se sentir bien et en sécurité, lui avait l'air d'apprécier sa compagnie. Pourtant, le temps des aveux n'était pas encore fini, il restait encore beaucoup de choses à dire. Le passé de Matthew, et son présent chez les Maraudeurs, il lui avait tout raconté...Elle l'avait compris, accepté...Vous trouvez que je passe vite dessus? Eh bien, c'était leurs affaires à tous les deux, pas les vôtres, ni celles de personne...

Maintenant, la suite restait à écrire. Et le dernier invité venait d'arriver.

Assise dans un fauteuil à part, les jambes repliées sous elle, Autumn écoutait la conversation. Habillée dans un style des plus décontractés, un simple t-shirt blanc et un jean usé, les pieds nus sur le tissu doux, les cheveux attachés en une queue de cheval lâche...la demoiselle semblait commencer à prendre ses marques dans l'immense appartement du maraudeur et à se sentir comme chez elle. Sa tasse de café à la main, elle suivait attentivement la conversation des deux hommes, laissant son regard dériver entre les deux, du grand et calme Matthew à l'agité Burcley. Silencieuse, la demoiselle ne perdait pas une miette de cet échange pour le moins atypique, un échange qu'elle n'aurait voulu perdre pour rien au monde. Quand Matthew avait voulu qu'elle reste, elle avait eu un petit pincement au cœur. Prétendre le contraire aurait été mentir, elle avait ressenti la même chose lorsqu'il lui avait demandé de rester avec elle dans sa chambre d'hôpital. Cce n'était rien de bien important, simplement la réaction d'une jeune femme un tantinet troublée et reconnaissante, mais on pouvait aisément la comprendre. L'homme ne lui accordait pas simplement un toit ou une protection, il lui offrait carrément l'opportunité de faire partie de sa vie et de connaître le moindre de ses secrets. C'était tout un programme. La confiance de Matthew Meyers, Autumn ne s'en rendait peut-être pas encore compte mais il s'agissait d'une chose que le blond n'accordait que trop rarement. Trop solitaire, trop dégouté des gens. Et sans doute les deux personnes présentes maintenant dans son appartement étaient les deux seuls êtres sur terre qui avaient droit à ce privilège. Avec Stan, le blond partageait un passé et de nombreuses aventures. Un secret important bien gardé aussi et une confiance mutuelle, malgré leurs caractères diamétralement opposés. Avec Ovide, pour l'instant, c'était encore flou mais de son côté, la demoiselle oscillait entre la surprise et le ravissement. Le blond voulait d'elle à ses côtés...C'était déjà pas mal, plus que ce qu'elle n'avait jamais espérer.

Mais pour l'instant, l'heure n'était pas à de telles questions existentielles. La situation semblait plutôt tendue, à voir le visage des deux hommes. Quoique...Matthew affichait toujours le même visage, déchiffrer ce qu'il pensait était loin d'être évident. En revanche Burcley montrait un sérieux inhabituel, qui semblait annoncer des nouvelles peu exaltantes. Ses déclarations ne firent qu'étayer cette hypothèse, encore qu'Autumn ne saisissait pas tout...Les noms lui étaient inconnus, les évènements passés encore peu familiers. Simplement, elle comprit que Matthew avait représenté à un moment donné une menace, à cause de sa condition de mutant. Condition particulière qu'elle n'avait découvert que récemment, quatre jours avant pour être exact. L'homme pouvait projeter son esprit dans n'importe quel ordinateur et surfer sans aucune limite, en se jouant des mots de passe et autres barrières...Le rêve de tout geek, Autumn en était presque jalouse. Néanmoins, ce talent avait failli coûté cher à son propriétaire. Et Stan en avait payé les pots cassés en servant de cible quand l'ennemi du jour avait voulu atteindre indirectement le blond...Curieusement, cette nouvelle ne lui fit ni chaud ni froid, ni lui arracha le moindre frisson. Mince, elle devenait comme Ikéaman...Mais au point où elle était, la demoiselle n'était plus à une trahison près. Les derniers jours lui avaient montré que n'importe qui pouvait faire n'importe quoi. Son propre père avait employé des méthodes plus que douteuses et menti à sa propre famille pour son bénéfice, un petit soldat haut gradé dans l'armée américaine pouvait lui aussi s'adonner à un traquenard bien sordide.

Burcley voulait savoir ce que Matthew avait fait après son départ de l'armée. A présent, Autumn était apte à lui réciter son curriculum...Si l'homme aux cheveux noirs s'inquiétait de savoir comment avait viré son meilleur ami, eh bien, il allait avoir une sacrée surprise. Pendant que lui avait cherché une femme pour se poser et avec laquelle fonder une famille, l'autre avait d'abord décroché un poste dans la mafia irlandaise avant d'intégrer un groupe de mutants mystérieux, visiblement dirigé par un fou furieux. Chacun sa vie, n'est-ce pas...Certes, Matthew ne s'était jamais engagé par conviction ou philosophie, seulement pour l'argent, mais cela ne rendait pas pour autant sa situation très glorieuse.

Les derniers mots de Stan la sortirent pourtant à ses pensées et parvinrent à lui arracher une expression de surprise.

« - Et vous voulez faire quoi...Vous attaquer tous seuls à l'armée? »

Peut-être qu'elle n'avait pas très bien compris, mais dans ce genre d'affaires de corruption et de traitrise, on n'avait pas souvent affaire à un seul adversaire, mais bel et bien à toute une ribambelle d'indésirables qui s'étaient retrouvés là, attirés par le gain de l'argent. Surtout que dans la bouche de Stan, cette affaire prenait des proportions gigantesques...Quand il utilisait l'adjectif « énorme », à quoi faisait-il référence exactement?

« - C'est pas un peu...gros? »

Une expression de préoccupation et d'incompréhension apparut sur son visage. En revanche, l'intéressé ne semblait pas plus embêté que ça.

« - On s'en fout, ces mecs ont cru qu'ils pouvaient nous baiser mais c'est mal nous connaître. On est pas des gamins qui mouillent leur culotte quand on leur pique un bonbon. Bordel mec, j'ai hâte qu'on leur fasse leur fête, à ce mac de mes deux et à sa petite pute incompétente. »

Bon, il était clair que Burcley avait son avis très arrêté sur la question. Certes, il avait failli trouver la mort dans toute cette historie et en avait réchappé de justesse, ce qui pouvait expliquer un langage si fleuri et une haine si vigoureuse. L'homme se tourna vers elle et eut un large sourire lorsqu'il vit son visage se décomposer quelque peu.

« - T'inquiète pas Autumn, Meyers s'en sortira...Je serai là pour jouer les nounous et m'occuper de lui. Comme d'hab... »

Une déclaration toute pimpante gratifiée d'un grand sourire pour le blond, avant d'enchainer aussi sec.

« - Dis donc, j'avais jamais remarqué mais les fringues classes, ça te va pas si mal que ça, et ton gel fait des merveilles. Quoique tu fais encore plus tarlouze peroxydée que lorsque t'avais le crâne rasé, mais bon, même toi, tu peux pas être parfait...»

A peine une seconde de répit, tout juste le temps de reprendre un souffle et sans laisser à personne le temps d'en placer une, la mitraillette Burcley poursuivait de nouveau.

« - Bon alors, si tu me racontais maintenant ce que toi tu as fait quand t'as mis les voiles? »

A ce stade, Autumn crut bon d'intervenir. Parce qu'elle refusait d'être simple spectatrice dans cette conversation. Elle se doutait de la réaction du brun mais...non, c'était trop tentant.

« - Il a été mon garde du corps. Mon père l'avait engagé pour me protéger. »
« - Non...sérieux??? »

La proposition que venait de lui faire Burcley avait le mérite d’être originale et plutôt inattendue. Pour lui et Matthew, habitués à la guerre et au combat, ce genre de conversation pouvait paraitre banal, mais pour Autumn, tout ce monde était nouveau. Certes, la demoiselle n’avait pas non plus eu une enfance et une adolescence totalement normales mais malgré tout, elle n’avait pas vraiment l’habitude de jouer au petit soldat …Face à elle, le regard de Burcley était chargé d’excitation et de frénésie, un peu comme celui d’un gosse devant la perspective de jouer à son sport favori. Autumn était bien loin d’une telle réaction…D’ailleurs, une certaine nervosité commençait à envahir ses veines. Mélange entre l’ébullition soudaine de se lancer à corps perdu dans cette entreprise foireuse mais freinée par un coin de sa conscience qui lui hurlait que cette idée comportait plus de dangers que nécessaires. Et si la mutante avait été encore dans son ancienne vie tranquille, d’étudiante et d’employée sans histoire, elle aurait sans doute pris le temps d’y réfléchir à deux fois. Seulement, sa vie n’était plus tout à fait la même depuis quelques jours…Convaincue de son nouveau départ, elle ne perdit pas de temps en réflexions quelconques et hocha la tête, sans même songer à la violence cachée derrière les propos des deux hommes. Les évènements récents lui avaient revoir son concept de « normalité ». Elle se releva, posa ses pieds par terre et adopta une attitude moins détendue. L'excitation de Stan semblait s'être emparée d'elle. Néanmoins, l’enthousiasme de Burcley ne semblait pas être partagé par tout le monde. Près d’eux, la tête de Matthew en disait long sur ce qu’il pensait…Apparemment, l’idée qu’Autumn puisse participer à l’opération vengeance ne semblait pas le convaincre des masses. La jeune femme fit mime de ne pas s’en apercevoir et garda son regard rivé sur le brun.

« - Moi je suis pour…Je veux participer, il faut juste savoir comment je pourrais vous aider … »

Burcley eut un large sourire.

« - Eh bien, j’ignore quelles sont tes capacités et tes talents, mais je suis un pro pour détecter le meilleur des gens. Et puis faut pas oublier un détail. Rien qu’à voir sa tête, j’imagine que Meyers va pas trop être d’accord sur le fait qu’on mette en danger ta petite bouille…»

Un regard rapide à son ami, avec le fameux sourire dont Burcley seul avait le secret et qui mettait le monde à ses pieds malgré son flagrant manque de sérieux et de savoir-vivre…

« - Du calme Meyers, tu sais bien que je ferai très attention à elle. Malgré ton envie de me fusiller sur place, je sais que tu as totalement confiance en moi et que je suis le meilleur. N’est-ce pas M&Ms… ? Mignon tout plein le surnom…Enfin bref, passons, j'ai déjà un plan. L’idée, c’est de pénétrer jusqu’au bureau du Général. Je me suis renseigné auprès d’anciens contacts, notre homme a pas perdu les bonnes habitudes. Entrainement quotidien, réglé comme une horloge, et donc il laisse son bureau pendant ce temps. Mais faut éloigner le bleu qui protège son château fort. C’est là qu’Autumn rentre en scène. Il y a eu des recrutements il y a peu de temps. Toi, tu changes son fichier informatique, tu la fais apparaitre comme l’une de ces recrues, et voilà. Pendant qu’il l’amène faire le tour du propriétaire, toi et moi on rentre. T’as l’art et la manière pour trafiquer les caméras, on rentre, on prend ce qui nous intéresse et on sort. Autumn nous rejoint ensuite. Ni vus ni connus. Autumn a le gabarit pour paraitre recrue de l’armée, ça paraitra pas bizarre.
- En fait, techniquement, je peux être n'importe quoi si mon physique convient pas.
- Comment ça?
- Eh bien, tu penses pas que Matthew est le seul à avoir un petit secret?
- Un secret...Heu...Disons que Matthew est un homme très mystérieux... »

Autumn ne prit pas la peine de répondre. Quoi de meilleur qu'une petite démonstration pour montrer l'étendue et les subtilités de ses pouvoirs? Doucement, elle ferma les yeux et se concentra. Lentement, ses cheveux bruns attachés devinrent plus courts, laissant place à une courte tignasse masculine ébouriffée. Son nez s'allongea et se fit plus gros, ses yeux virèrent au bleu, ses sourcils s'épaissirent. Sa mâchoire devint plus large et se couvrit d'une courte barbe...Le reste de son corps n'était pas en reste. Ses vêtements amples et confortables laissaient le pas à un jean et une chemise plus fonctionnels. En à peine un instant, Autumn n'était plus. A sa place, un jeune homme occupait le confortable fauteuil de Matthew Meyers.

L'expression de surprise de l'ancien caporal Stan Burcley aurait sans doute mérité de figurer dans les annales. Autumn ne put s'empêcher de sourire, derrière son masque de virilité soudaine. Elle aurait pu en rester là, mais elle avait envie d'en rajouter une couche. Encore un peu de concentration et le jeune homme assis sur le canapé de Matthew disparut aux yeux de tous...

Non, vraiment, y'avait pas à dire, c'était vraiment amusant.

« - Oh putain de...put...putain de merde, t'es mutante toi aussi! »

Devant son public abasourdi et visiblement choqué, Autumn réapparut, un sourire flottant sur ses lèvres.

« - Bingo. Et pour une mission d'infiltration, je crois que j'ai le pouvoir idéal. Et au moindre souci, je peux disparaitre...
- Mais, c'est....juste...énorme. T'en penses quoi Matt'? »

Tout comme Burcley, Autumn se tourna vers Matthew, guettant sa réaction. Franchement, qu'est-ce qui pouvait tourner mal?