All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock]
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Sujet: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Ven 18 Fév 2011 - 1:13
Zéro rapport, c'est pour l'ambiance.
Les jours s'allongeaient doucement. L'après-midi était doux pour la saison, ce qui n'avait rien de désagréable. Harvey Reaves dans son uniforme chemise blanche – pantalon noir regardait vivre la rue, adossé à l'entrée du Blood Orchid dont une des lourdes portes était ouverte, l'autre affichant les jours et horaires d'ouverture ainsi que les grandes lignes du programme de la semaine. Tirant une bouffée de sa Lucky il tendit l'oreille en entendant Ray Bellamy, son collègue, l'alpaguer depuis le vestiaire où ce dernier lisait l'agenda de service.
« T'as vu ? Elle a invité Dita von Teese... - Sans dèc' ? - Bah c'est c'qu'y a de marqué ouais... Ça t'arrive de regarder le planning ? - Tu bosses cette semaine-là ? - Normalement nan... mais toi tu feras l'piquet héhé... - 'Tain, c'toujours sur moi qu'ça tombe... »
Harvey était un employé un peu particulier au sein du service de sécurité. Ancien flic tombé sous le charme d'Argamane, il récolta de ses tentatives pour la séduire un poste au salaire juteux, mais pour lequel il ne comptait pas ses heures, pour la simple raison qu'il était un mutant au pouvoir de célérité très utile à sa patronne. Laquelle ne manquait évidemment jamais de le réquisitionner sans la moindre chance de négociation lorsqu'une soirée privée ou particulière était prévue, en plus de ses heures habituelles. C'était le prix à payer pour avoir le droit de la voir souvent malgré son revenu qui jamais ne le lui aurait autant permis, ou sentir sa main se poser sur son bras quand elle le gratifiait pour ses talents de chien de garde. Le genre de petits détails qui rendaient sa vie de célibataire endurci plus douce.
« Au moins j'aurai ptet des congés en plus... » pensa-t-il sans vraiment l'espérer.
De l'intérieur un éclat de voix lui parvint comme un claquement de fouet. Haussant les sourcils il pencha la tête vers Ray qui regardait discrètement en direction de la salle de danse.
« Arf, pauvre gamine. - Elle s'énerve encore contre la nouvelle ? - Ouais. Qui pleure, d'ailleurs. - Humpf... Encore une qui va faire une semaine et basta. - Plus ça va, plus j'la trouve horrible avec les filles. - Mh... »
Le jeune homme à la porte s'interrompit en voyant arriver un individu inconnu au bataillon, qui semblait avoir pour projet d'entrer dans le bar. Il jeta sa cigarette vers le caniveau d'une pichenette tout en le fixant.
« Boucle-là, Ray, v'là du monde. »
Il se redressa et, affichant un air affable sans l'être trop, salua l'inconnu.
« Bonjour Monsieur. Vous désirez un renseignement ? »
« Je... J'suis désolée madame... - Ben tiens. Encore heureux. - J'suis pas habituée, j'ai... j'ai jamais... j'ai jamais dansé dans un endroit comme celui-là... - Oh ? Vraiment ? Comme tu me surprends. »
Nouvelle gifle, la jeune fille, qui ne devait pas avoir plus de dix-sept ans, baissa définitivement les yeux. Le silence était lourd, le public, qui mêlait des danseuses expérimentées et d'autres pas plus rodées qu'elle, regardait la scène en affichant différentes expressions. Les premières, souvent, observaient un mutisme cérémonial, les autres, quant à elles, affichaient un malaise mal contenu dans leurs gestes : changement d'appui, croisement de jambes, remise en place de mèches de cheveux déjà bien placés...
« Tu sais pourquoi tu n'as jamais dansé dans un établissement comme le mien ? C'est parce que tu n'en as pas la trempe. Quatre fois, quatre fois que je te donne une chance de me prouver que tu peux danser, et malgré tous les conseils qu'on a pu te donner tu restes tout juste bonne à montrer ton cul comme une petite chienne en chaleur. Aucune classe. Aucune grâce. Aucune passion dans ce que tu fais. Rien. Tu n'as rien. Tu bouges aussi bien qu'une petite fille de dix ans qui essaye de faire sa grande dame en enfilant les escarpins de sa mère et en se peinturlurant le visage à grand coup de rouge à lèvres et de fard à paupières. Tu disais être douée en pole dance ? C'est un minimum, et pourtant il a fallu que je demande à Natalie d'apporter un miroir pour que tu te regardes. Et tu y voyais quoi ? Une fille désirable ? Moi je vois une espèce de vieille guenon à peine capable de lever la jambe. Tu n'as pas le moindre muscle. Aucune maîtrise de tes mouvements. On dirait juste qu'on t'a fiché un balai dans le f... - Madame...? - … Quoi ? articula lentement le dragon en se détournant de la jeune fille qui n'osait pas bouger d'un millimètre alors que les larmes roulaient sur ses joues empourprées. - Pardonnez-moi, poursuivit l'importune, une des danseuses les plus âgées (une belle femme brune, entre trente et trente-cinq ans). Je me permets de vous informer qu'il est déjà quinze heures. - Ach... Et en plus, en plus, tu me fais perdre un temps monstrueux... Hors de ma vue, tu t'occuperas encore des verres ce soir. Tu sais le faire, ça, non ? »
La pauvre fille attrapa ses affaires et s'en alla la nuque tassée dans ses épaules voûtées en direction des loges.
« Emily ! - Elle est partie... - … Hum. Patty ? - Avec. - Huffff... - Euh... Je peux les rattraper si vous... - Ok, pause. Deux minutes, pas plus », soupira la propriétaire du bar.
Le petit cortège se mit aussitôt en branle, alors qu'Argamane se pinçait l'arrête du nez d'un air parfaitement consterné. Quelques jeunes filles manifestement pas très rassurées se rassemblèrent en grappe autour de deux des titulaires qui adoptèrent une attitude maternelle, et commencèrent à chuchoter avec elles en jetant se des regards stressés les unes aux autres, évitant soigneusement de faire trop de bruit. Leur employeuse tourna les talons et remonta la volée de marches menant au bar, histoire de se détendre au calme. Nouvel échec dont elle prit conscience quand elle vit la silhouette tout en muscles de Ray qui descendait depuis l'entrée, lui faisant signe pour attirer son attention.
« Madame, un certain Mr Braddock est à l'entrée. - Ah ! Seigneur... souffla-t-elle, la contraction de ses épaules retombant complètement alors qu'elle levait les yeux vers le plafond avant de les fermer. - Je... lui dis de repasser une autre fois ? - Non, non, non, absolument pas, faites-le entrer d'ici une petite minute; soyez aimables surtout. - Bien entendu. - Merci Ray. - Je vous en prie. »
Mains sur les hanches, Argamane respira un grand coup avant de poser une main sur son front, puis de retirer les longues épingles qui retenaient sa chevelure en chignon, doutant fort d'avoir la patience de les remettre en place après avoir nerveusement tiré sur quelques mèches pendant l'interminable martyre qu'elle venait de subir – et de faire subir. Ce faisant elle retourna vers la salle de spectacle et héla les « grandes sœurs ».
« Matilda, Faye, Lucy : vous prenez en charge la suite, je suis occupée. »
Les jeunes femmes acquiescèrent et leur maîtresse, réajustant rapidement sa jupe noire à crayon et le haut découvrant ses épaules, reporta ses mains à la cascade de ses cheveux d'ébène, la faisant fouetter la chute de son dos, marchant à nouveau vers la première salle, déjà occupée à retrouver une expression aimable qu'elle n'eut pas à feindre.
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Ven 18 Fév 2011 - 21:49
Quel étrange semaines avais-je passé avant ce jour. Sans cesse entre rêves et réalité, entre folie et raison. Tout s'était enchainé trop vite depuis mon retour en ce monde. Autrefois, même lorsque j'étais l'objet de manipulations, ou de ma propre démence, je faisais toujours en sorte de n'apparaître que de manière sporadique sur terre. Je passais le plus clair de mon temps retiré en d'autres dimensions, ou bien je vagabondais au gré du temps. Il se peut même qu'un jour j'eusse joué à marcher sur l'eau et à guérir les malades. Mais depuis mon retour, il y avait déjà quelques mois de ça, je n'avais fait qu'errer en cette époque, sur cette planète. Pas de retraite lointaine sur un monde désert, pas d'escapade en des périodes si troublées que ma propre folie n'y changeais pas grand chose. Je restais ici et maintenant. Pire, pour la première fois depuis, et bien depuis le docteur Crocodile, j'avais fait des rencontres en d'autres circonstances que des combats insensés. Il y avait d'abord eu William, ce petit homme aux dons si proches des miens, mais qui avait, lui, encore toute sa tête. Les journaux faisait encore, parfois, référence à cette rencontre, sans se douter de qui ils parlaient. Pour le monde il n'y avait encore aucune explication valable. Certains pensaient à un illusionniste, car seul un illusionniste pouvait faire apparaitre monstres, armées de fiction, et autres créatures ignobles. Mais venait toujours le contre argument de la nature qui avait pris possession pour un temps d'une partie de la ville de New-York. C'était le brouillard totale pour les médias et les spécialistes. La conclusion la plus commune étant qu'il s'agissait de l'œuvre d'un groupe de mutants et que cet acte serait revendiqué un jour ou l'autre.
Après ça, après ce désastre teinté de joie, celle de s'être fait un nouvel ami, il y eut LE jour. Ou plutôt la nuit. La rencontre avec cette créature chimérique, sortie tout droit de l'imaginaire collectif. Une vampire, puisqu'elle en présentait les caractéristiques les plus ténébreuses. Un petit îlot de perfection qui m'avait ancré en ce monde plus profondément que je ne l'avais cru possible auparavant. Je ne l'avais vue qu'une fois, cette nymphe écarlate, buveuse de sangtiments, joueuse d'hémotions. Pourtant, une fois suffit pour qu'elle ravisse une partie de moi, certainement la plus aimable, la moins cauchemardesque. De cette rencontre, nul ne parla et ne parlera jamais, car elle n'appartenait qu'à nous deux, Argamane et moi. Tout ce que je puis dire, sans ternir l'image de cette nuit, est qu'un couché de Terre sur la Lune n'a aucuns prix.
Et depuis me direz vous. Que c'est-il passé ? Nul nouvelle de moi, ni compte ni légende à mon propos depuis tout ce temps. Si je suis silencieux sur ce temps passé depuis cette nuit unique, c'est parce qu'il n'y eut rien qui vaille la peine d'être su. Des jeux, des rêves, quelques voyages sans incidents, mais surtout, la mélancolie. Le mal du pays qui me saisissait pour la première fois. Ce n'était pas de mon pays dont j'avais le mal, mais bien de celui des autres, cette Amérique à laquelle ne n'appartenais pas et qui pourtant était devenue chez moi. Alors j'y revenais, sur ce continent que le commun des mortels s'obstinait à appeler encore "nouveau". Plus précisément, je revenais dans cette grande pomme décadente, seule ville assez folle pour que j'y paraisse à peine plus extraordinaire que la normale. J'avais déambulé quelques jours dans les rues de la ville, buvant, chantant, mentant, à moi plus qu'aux autres. Je n'étais pas encore à la maison, même si j'essayais de m'en convaincre. Même dans cette cité décadente je n''étais pas encore chez moi.
Il me fallut pour ça retourner dans cette rue que je n'avais visité qu'une fois, pour me retrouver devant ce lieu, ce bar, qui m'avait abrité quelques heures et pourtant m'avait ancré à lui. Tout était différent, l'atmosphère de la rue, la lumière du jour sur la bâtisse. Même le videur à l'entrée, étrangement déjà à son poste alors que l'établissement était encore, je le savais, fermé, était différent. Je percevais déjà, à quelques mètres de ce lieu que j'aimais autant que j'en aimais la propriétaire, l'agitation qui régnait à l'intérieur. Il me suffisait de voir le gorille qui grimaçait, et d'entendre, très légèrement, une voix forte et stricte, pour comprendre que la patronne remettait en place une partie au moins de son personnel. Je ne put m'empêcher de sourire. Au fur et à mesure de mes pas vers le bar, mes vêtements, jusque là rien de plus qu'un caleçon à cœur et une veste en daim, se changèrent en un pantalon à pinces noir et une veste de même couleur ouverte sur une chemise blanc cassé en soie. Autour de mon cou apparaissait, et se nouait, un foulard de couleur et de manière identique à la chemise. En arrivant devant le vigile, alors qu'il s'adressait à moi, je devais ressembler à peu près à ce que j'étais, un lord anglais un peu excentrique.
-Oui, je viens voir votre patronne, simple visite de courtoisie. -Et qui la demande exactement ? -Oh oui bien sûr. Annoncez donc James Braddock. Avec un peu de chance elle sera ravie de me voir arriver à l'improviste. -T'as entendu Ray ? Vas demander à la dame si elle veut qu'on laisse monsieur entrer.
Aucune réponse ne vint de la direction vers laquelle avait parlé le monsieur sécurité du moment. Je n'avais qu'à le regarder pour voir sa frustration, sa jalousie. Il y avait des signes qui ne trompaient pas. Sa mâchoire soudainement crispée lorsqu'il comprit que j'étais, d'une manière ou d'une autre, un intime de sa patronne, sa jambe qui s'agitait légèrement sans qu'il ne semble s'en rendre compte. Oh comme il me semblait être un appel à la facétie. Pourtant je me retins, sachant qu'il était des aspects de ma personne que la belle à qui je rendais visite ne connaissait pas, et que je n'étais pas spécialement pressé de révélé. N'y voyez pas une quelconque volonté de dissimulation mesquine, Je pensais alors, simplement, qu'il me fallait me révéler petit à petit, espérant qu'elle ne m'ait pas déjà percé à jour, si je voulais qu'elle conserve à mon égare un minimum d'intérêt. Une minute de silence était déjà passée lorsqu'une nouvelle tête masculine passa par la large porte d'entrée. Un autre homme, certainement le fameux Ray.
-Elle sera prête à vous recevoir dans deux minutes m'sieur. -Fort bien, j'attendrais donc deux minutes.
Je regardais de nouveau le videur en service, remarquant avec amusement de nouvelles contractions dans ses muscles. En acceptant ma visite ainsi, Argamane avait certainement confirmé au pauvre bougre que j'étais de ses intimes, et il suintait désormais, pour un œil avertit, la jalousie. Me retenant de le taquiner à ce sujet, ou de l'humilier en lui prouvant l'inutilité de son poste face à moi, je patientais donc sagement regardant à mes pieds le temps défiler sur cette horloge que je venait de faire apparaitre dans le bitume, et qui n'existait que pour moi.
-Ding Dong !
Ce fut de ma bouche que sortit le son marquant l'écoulement des deux minutes. Alors avec un grand sourire, je redressais la tête vers les deux hommes qui me regardaient maintenant l'air incrédules, puis je m'avançais entre eux, pénétrant pour la seconde fois en ce lieux. A peine entré dans la pièce principale de l'établissement, je marquais une pause, fermant les yeux et inspirant l'odeur de l'endroit, ignorant derrière moi les voix des deux hommes de la sécurité.
-Hey Harvey, t'as vu ? Elle se met à fréquenter des dingos maintenant ? -La ferme Ray !
Le Harvey avait l'air ronchon, mais je n'y prêtais pas attention, préférant m'avancer encore un peu en ce lieu où mon cœur était resté. Du regard scrutait, je la cherchait elle, rien qu'elle, ne voyant même pas les regards de ces filles, toutes plus charmantes les unes que les autres, qui semblaient toutes se demander "C'est qui lui ?". Enfin elle était là. Magnifique. Elle avait l'air si sévère ainsi vêtue, une vrai chef d'entreprise, où bien un maîtresse d'un autre temps, si ce n'était ses cheveux désordonnés, tombant en une splendide cascade sur ses épaules que déjà je ne désirais qu'embrasser. Alors, contenant l'élan de joie qui voulait m'imposer de me précipiter vers elle, je la rejoignais d'un pas calme, une main dans le dos. Main dans laquelle, trichant un peu, je fit apparaitre un bouquet d'orchidées rouges. Ce ne fut qu'a moins d'un mètre d'elle, un sourire tendre sur les lèvres, qu'enfin j'osais parler.
-Je vous pris de m'excuser pour cette visite impromptue. j'espère que mon bonjour, accompagné de, je sortit alors le bouquet de derrière mon dos pour le lui tendre, ces fleurs, suffiront à faire pardonner mon offense.
Que de formes quand la seule chose que je désirais faire était l'embrasser, et la seule chose que je désirais lui dire était qu'elle m'avait atrocement manquée.
Dernière édition par James Braddock le Mar 19 Avr 2011 - 22:06, édité 1 fois
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Dim 20 Fév 2011 - 20:22
C'était une chose que d'entendre ce nom, un nom trop prompt à se graver dans sa mémoire, et de ne pouvoir s'empêcher de dévoiler à quel point il constituait un présent soudain, comme une fenêtre ouverte vers un air plus frais et plus pur que celui qu'elle respirait sur l'instant, empli de sa colère et de l'agitation nerveuse qui animait les jeunes femmes derrière elle. De dire sans mots mais avec sincérité qu'une visite amicale, parmi tout ce qu'elle aurait pu souhaiter, était précisément le meilleur remède à son tourment passager, qu'un peu de distraction et d'imprévu était le bienvenu. C'en était une autre d'avouer que pour son propre trouble, elle n'avait pu ôter de son esprit le même clair de terre, qui presque chaque nuit, alors qu'à travers la baie vitrée de son penthouse nimbé d'une lumière spectrale elle contemplait le ciel opaque au dessus de la Grosse Pomme, lui revenait en un souvenir intact. Que parfois, lors de ces mêmes nuits, ses yeux rouges se portaient vers le croissant souverain où la nudité de toute chose avait été mille fois plus belle que le faste auquel elle était revenue ici bas.
Peut-être était-ce le pouvoir qui l'attirait en lui, en cet homme d'apparence relativement banale si ce n'était une excentricité manifeste dans sa façon de se vêtir et dans le désordre de ses cheveux, dans son sourire aussi, le plus expressif qu'elle eût rencontré jusqu'ici à ce qu'il lui semblait – des traits qui sonnaient comme un manque de retenue et de classe dits comme cela, et qui auraient sans doute dû lui déplaire. Mais après tout, rares sont les êtres en ce monde qui échappent au magnétisme d'une puissance toujours plus grande, et celle du lord semblait n'avoir aucune limite. Pour autant la belle ne s'en posait pas la question, n'y voyant pas d'intérêt. Ce qui l'attachait à lui, c'était en tout cas cette démence qui brillait dans son regard changeant, l'instabilité qui mêlait la douceur et l'élégance du James qu'elle connaissait à la dangerosité évidente, l'instabilité palpable d'un homme jusque là caché mais qu'elle devinait derrière le premier, rendu fou par elle ne savait quel terrible passé qui ne lui avait pas été dévoilé, et par les possibilités infinies d'un pouvoir à double tranchant. Ce qui l'avait touchée au plus juste, c'était cette dualité qui la ramenait sans détour à son propre passé, lui murmurant avec cynisme « vois comme tu plies facilement devant un masque à deux visages ». La vérité était telle, elle ne pouvait le nier mais ne l'avouerait pas forcément non plus. Peut-être était-elle réellement éprise de ce qui pour elle reflétait une pure majesté, la hauteur invisible mais sensible d'un être unique sur ceux qu'on faisait passer pour ses semblables, alors qu'elle ne parvenait pas à comprendre comment cette confusion pouvait encore persister dans l'esprit de tout un chacun. Les deux employés de sécurité, par exemple. Ce genre de personnes dont l'aveuglement la laissait parfois pantoise. Pas parce qu'ils étaient ignorants ou parce que leur place dans la société aurait pu la pousser à des jugements de valeur, non, ça n'avait rien à voir. Seulement devant James ils avaient une attitude parfaitement semblable à celle qu'ils adoptaient avec n'importe qui, alors qu'elle avait perçu dès le début, avec une clarté déconcertante pour elle-même, qu'il fallait infiniment plus de recul devant cette flamme qu'elle retrouvait ce jour, et qui portait sur son cœur un poids trop bien connu, mélange étrange délicieuse douleur qu'elle goûtait avec un plaisir coupable et qui ravivait ses iris érubescents d'un éclat impossible à masquer tout à fait.
La réponse à ce questionnement était pourtant évidente. Argamane voyait ces choses parce qu'elle vivait dans un rêve. Et bien qu'elle le sache, qu'elle n'enorgueillisse même de nourrir l'illusion par une attitude mâtinée d'enchantement qui lui était devenue naturelle, elle avait tendance à généraliser certaines choses, comme à penser que quiconque pénétrait dans son royaume se devait de se dépouiller des armes de la raison. C'était toujours avec quelque déception qu'elle se rappelait elle-même à l'ordre en songeant que tout le monde n'était pas prêt à le faire sans aide. Dans l'enceinte du Blood Orchid, avant la tombée de la nuit, la réalité pouvait encore lutter pour garder sa place. C'était plutôt le rêve qui faisait timidement son apparition, comme la lune qu'on aperçoit parfois, attendant son heure en suivant les derniers pas du jour. Mais lorsque l'ombre tendait son aile par dessus les buildings, ce rapport s'inversait, et le réel tirait sa révérence par-delà l'horizon avec les derniers feux solaires. La maîtresse des lieux ne put s'empêcher de penser, en contemplant le pas faussement calme de celui qui s'avançait vers elle, qu'il n'existait certainement pas de meilleur ambassadeur de l'ombre et de ses mystères que lui, et que tout compte fait, il n'y avait aucun étonnement quant à leur si soudaine et si exacte alchimie. Elle était pour tous une reine du monde nocturne, il était pour elle une personnification de la fantasmagorie de ce même monde, et à bien des lieues d'ici, ce « Nocifer » l'avait affirmé pour eux seuls, la couronnant une fois pour toutes.
Quelle femme, dès lors, aurait eu le cœur à l'oublier ? Quelle impossible froideur aurait pu pousser celle qu'on appelait parfois Succube à rejeter l'offrande faite dans un demi-rêve d'un règne sans partage sur le cœur d'un dieu ? Quelle inhumaine impassibilité aurait su dompter son pouls alors qu'il était là, de nouveau, et qu'elle n'avait qu'à tendre le bras pour effleurer sa peau sans que nulle autre qu'elle sache réellement la signification que cela avait à ses yeux ?
Une main encore perdue dans l'épaisseur de sa chevelure, elle avait ce faciès de la femme séductrice qu'il avait rencontrée en premier, car il n'y avait pas d'autre entrée en son empire. Elle se devait d'être toujours celle que l'on voulait qu'elle soit car au fond, c'était ce qu'on attendait d'elle, consciemment ou non, comme on attend toujours quelque représentation particulière d'un autrui ayant dépassé l'inconnu. Malgré la chaleur du lien qu'il y avait entre elle et lui, se devait de rester celle qui dominait tout en ce lieu, c'était une règle aussi fondamentale que celle qui oblige un monarque à ne pas courber l'échine quand on l'accable. Nulle confrontation pourtant, elle savait bien qu'il l'avait aimée pour ça, pour cette poigne qu'elle laissait paraître sous les velours d'une beauté enivrante.
« Lord James Braddock », égraina-t-elle simplement avec une articulation lente comme la scansion d'un poème, liant le tout du timbre feulant de sa voix non sans une très nette nuance de gourmandise.
La simple prononciation de ce nom donnait le ton, à la fois pour eux qui voyaient clair dans leurs propos mutuels, mais aussi pour l'assistance, qu'Argamane savait attentive au moindre détail à l'heure qu'il était. On entendit d'ailleurs une jeune fille demander un peu trop fort à une autre si leur patronne avait bien dit « lord ». D'autres chuchotements, pêle-mêle, accompagnèrent le froissement du bouquet d'orchidées. La belle sourit avec une tendresse non feinte, riant presque de ces excuses qui, encore une fois, lui rappelaient combien cet homme pourtant proche de la quarantaine et de haute stature pouvait se transformer en un petit garçon dans les yeux de son amante.
« Je vous en prie, vous êtes tout pardonné », éluda-t-elle en se saisissant doucement du bouquet, effleurant au passage la main qui le tenait – bien entendu.
C'était d'autant plus vrai que la dite visite tombait à un moment on ne pouvait plus opportun, évitant à ses employés comme à elle un très probable report de la faute des incompétentes et des déserteuses sous le coup de l'énervement. Sans le quitter du regard, elle huma de plus près le parfum frais et délicat d'une fleur qui lui parvenait déjà de par son odorat plus aiguisé. Jamais elle n'avait senti une telle fragrance sur une orchidée, aussi puissante, aussi composite, et elle ne put s'empêcher de fermer les yeux en s'en émerveillant, cherchant à détacher toutes les notes sans en trouver le temps, car à chaque fois qu'elle en identifiait une, elle semblait changer imperceptiblement pour être quelque chose de proche mais pas tout à fait ce à quoi elle pensait – mais déjà une autre prenait le pas – et ce chevauchement de points colorés et indéfinissables cavala dans son esprit dans un désordre qui pourtant paraissait composer l'harmonie elle-même. Elle rouvrit des yeux pleins de ce pétillement caractéristique et redoublé sur son vis-à-vis, brûlant d'envie de faire état de ce qu'elle venait d'expérimenter tout autant que de le remercier de façon plus explicite, mais ne donna pas cours à cet étalage de sentiments.
« Elles sont divines », affirma-t-elle d'un ton assuré, mais qui cachait quelque chose d'un clin d'œil que lui seul pouvait comprendre. « Votre galanterie vous perdra, vous savez. »
Elle resta silencieuse un instant, tenant les orchidées tout contre elle dans une attitude qui avait quelque chose de juvénile, explorant toujours le regard si particulier de James comme on promène le sien en visitant un lieu magnifique où ce qu'on a de familier se pose au second plan pour ne donner que l'aisance d'une curiosité nouvelle, plus simple, moins farouche; l'expression enfin d'une profonde affection pour ce qu'il nous a déjà été donné d'appréhender sans posséder, d'un respect consenti sans frustration. « Non, non, il avait pas de bouquet en entrant. - Oh, t'as du mal voir... » Ce n'était que chuchotis mais la danseuse, les sens mis en éveil, sans doute, par son état émotionnel à fleur de peau, les entendait très nettement. Lançant un coup d'œil dans la direction des demoiselles, elle contourna le bar afin d'atteindre son extrémité droite. « N'empêche que ça fait bizarre, tu trouves pas, il fait bobo quand même... - Et elle toujours tirée à quatre épingles qui détache ses cheveux comme ça... - Cherche pas, elle pète un câble aujourd'hui. - Ça doit être ça ! »
« Matilda ! »
La voix de la maîtresse claqua brutalement dans le bruissement des conversations étouffées par l'affairement des jeunes femmes dans l'autre salle, lequel stoppa avec la même netteté glacée.
« Madame ? répondit la voix toute en retenue d'une beauté typique d'Europe de l'Est. - Pause terminée, répétez les numéros secondaires avec les filles, nous verrons le tien et les autres plus tard. Je serai dans mon bureau. - Entendu madame. »
Serrant les dents autant de rage que d'embarras, Argamane marcha d'un pas vif vers la porte à demi masquée du vestibule de l'ascenseur et, ouvrant la porte, fit signe à James de l'y suivre. Une fois là, elle referma derrière eux et pressa le bouton idoine en poussant un soupir mal contenu.
« Pardonnez-moi. Je ne suis pas de la meilleure humeur qui soit aujourd'hui », confessa-t-elle avec un demi-sourire crispé et un haussement de sourcils éloquents, les yeux baissés vers les fleurs pourpres qu'elle tenait toujours d'une main contre sa poitrine.
A peine avait-elle fini de parler que la double porte métallique s'ouvrit sans bruit sur le réduit aux tons dorés entouré de miroirs. Elle s'y engouffra, puis ordonna à la machinerie de les faire descendre quand son compagnon l'eût imitée. Le trajet ne dura qu'une poignée de secondes et elle semblait trop concentrée pour penser à autre chose qu'à attendre la seconde ouverture des portes. Elle s'en voulait d'exposer autant son amertume, et préférait limiter au maximum tout écart qui l'éloignerait encore de l'état d'esprit dans lequel elle souhaiter se retrouver, seule avec lui.
Celles-ci dévoilèrent ensuite un espace qui avait tout d'une crypte froide aux murs de pierre jaunie, plongée dans la pénombre fade de spots constants mais très faibles. Cette atmosphère sombre avait de quoi rebuter toute personne claustrophobe avant qu'Argamane ne fasse le premier pas hors de l'ascenseur, dont le couloir de lumière renforçait l'ombre alentours, pour tourner un interrupteur circulaire régulant la dispense de luminosité de la salle.
La salle fut éclairée dès lors d'un flamboiement d'appliques murales et de lustres élégants, laissant passer les deux visiteurs sous des arcades rocheuses, où l'obscurité se réfugiait à grand peine dans une coursive légèrement surélevée par rapport au sol de ce qui s'avérait être un labyrinthe d'étagères où reposaient un nombre étourdissant de spiritueux et autres bouteilles ou mêmes boîtes, sachets, quand des plus gros sacs ainsi que des caisses couvraient le mur qu'on pouvait apercevoir à l'opposé du sous-sol – c'est à dire à de nombreux mètres d'eux, sous une autre volée d'arcades. Ci et là des comptoirs étaient découpés dans les étagères, et supportaient des lampes de bureau près d'épais livres de comptes. Remplacez les biens de consommation par des livres, et vous vous seriez cru dans une vaste bibliothèque souterraine, si ce n'était l'allée centrale où le sol pavé était troué de sortes de bouches d'évacuation aux grilles très ouvragées, entrecoupée de quelques tables en fer forgé, et scandée par des colonnes de pierre richement sculptées d'arabesques entremêlées supportant des chandeliers qui comportaient des bougies éteintes. À bien y regarder, on pouvait d'ailleurs trouver d'autres chandelles disséminées un peu partout.
« Bienvenue là où aucun client ne devrait mettre les pieds... Vous avez de la chance, vous faites partie de ceux à qui je donne le droit de fouler le sol d'une partie des coulisses de mon petit théâtre. »
Elle restait adossée au mur, ne semblant pas dérangée par le froid qui régnait sous les voûtes, contemplant le lord avec curiosité afin de juger de ses réactions.
« D'ailleurs, vous pouvez voir là-bas que le terme n'est pas usurpé : ce monstre tout en taule, c'est la machinerie dont dépend une grande partie des effets utilisés pour nos numéros. La pyrotechnie par exemple. »
À plusieurs mètres de là, dans la direction indiquée par son signe de tête, il y avait effectivement, derrière un mur de verre manifestement très épais tant il réfléchissait ce qui s'y opposait, un dispositif digne d'une véritable usine, sectionné en plusieurs parties, beaucoup moins esthétique que le reste mais dont l'imposante masse gardait le caractère démesuré et majestueux de l'ensemble. Sur un côté de la bête métallique, il y avait un mur qui semblait ménager un petit couloir vers un espace situé derrière elle.
« On me dit souvent que mon sous-sol pourrait servir pour un film de vampires. L'ironie m'en amuse. Enfin, je dois avouer que pour la décoration, j'ai eu la main un peu lourde, je ne sais pas ce que vous en pensez... Ça me plaît, pourtant. Faites comme chez vous, et racontez-moi comment une voix bénie vous a ramené à moi », acheva-t-elle sur un ton presque enjoué en allant vers le milieu de la salle, descendant les quelques marches du niveau de sa démarche de reine au déhanché enviable – détail qui montrait qu'elle commençait à reprendre une certaine forme de calme. Là, elle déposa les orchidées sur une des tables de fer où elle s'appuya, à demi assise, une image qui ne serait certainement pas sans en rappeler une autre.
Ici, le badinage avait son importance. C'était sa façon à elle de faire la transition entre le coup de sang qui la guettait en haut, où elle savait qu'elle aurait fini par en mettre trois ou quatre à la porte sans raison valable, et cette cave, où elle aspirait au même calme et à la même fraîcheur que les pierres. Après tout, Argamane n'était pas le genre de femme à passer du coq à l'âne de façon anarchique; sa tension émotionnelle suivait la même règle.
Spoiler:
Désolée pour cette fin honteusement chiasseuse. Ça me réussit vraiment pas d'écrire en deux fois...
Dernière édition par Crimson le Ven 25 Fév 2011 - 3:34, édité 1 fois
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Jeu 24 Fév 2011 - 23:00
Ce fut comme si je ne l'avais pas vraiment regardée lorsque je l'avais aperçue, comme si, alors que je m'étais avancé vers elle, mes yeux n'avaient vus qu'une simple silhouette. Puis elle prononça mon nom, sa voix venant caresser mon ouïe, m'extirpant à cet impression de vague. Enfin je la voyais vraiment. Le contour de son visage si finement dessiné, ses yeux dans lesquels on percevait parfois, en fonction de la lumière, ce reflet écarlate, comme un autre rappel de cet échange presque sacré que nous avions connu lors de notre rencontre. Ces lèvres, cet appel à la luxure, au rouge carmin aussi vif que la passion qu'elle provoquait chez moi. Et ce nez, si délicatement dessiné, s'enfouissant un instant dans le bouquet offert pour se perdre dans la myriade d'odeurs qu'il recelait. Je ne faisait que l'observer, avec aux lèvres ce sourire niais propres aux hommes et aux femmes dont la raison à cédé la place à la douce folie de sentiments trop forts pour eux, cette douce folie propre, normalement, à l'adolescente.
-Je suis ravis qu'elles vous plaisent...
Le trouble était palpable dans ma voix presque autant que dans l'attitude nouvelle de la douce, de la dangereuse, Argamane. Oui, il me semblait déceler chez elle, dans sa façon enfantine de serrer les fleurs contre elle, cette même folie qui m'habitait. Comme ce moment, entravé par un publique non désiré, était ambiguë, aussi pénible que délicieux. Agréable de par la joie de revoir l'objet de mon affection, de pouvoir de nouveau sentir son odeur, entendre sa voix, voir ses gestes comme autant de trésors. Douloureux de par mon irrépressible désir de la toucher, de l'étreindre de nouveau, de gouter sa peau et ses lèvres. Alors ainsi, livré aux contradictions de mon corps et de mon esprit, je restait muet autant qu'elle, mon regard plongé dans le sien, brulant de mon désir de la toucher autant que de jouter de nouveau, avec pour seules armes nos mots. De la toucher surtout.
Si peu m'importait les remarques que nous entendions, sur moi bien évidemment, mais aussi sur Argamane, maitresse des lieux comme de l'avenir professionnel, au moins, de tout ceux présents avec nous dans le bar. Mais pourtant ma tendre maitresse, elle, ne semblait pas y être aussi insensible, et ce fut non sans un certain amusement que j'eus l'honneur de la voir assoir son autorité sur ses employés. Sa voix claqua dans la pièce comme un coup de fouet, lacérant l'insolence des jeunes femmes trop bavardes comme l'arme des esclavagistes l'aurait fait avec un dos. Elle avait dans la voix, la poigne que je lui avait imaginé lors de notre premier tête à tête, et son port était, alors qu'elle donnait ses ordres, plus royal encore que tout ce que je lui avais connu jusqu'ici. La colère la rendait plus belle encore, plus attirante.
Déjà elle laissait ses employés s'agiter seuls dans tout les sens, m'invitant à la rejoindre devant l'ascenseur qu'elle venait d'atteindre. Elle était décidément exceptionnelle cette Argamane, prenant jusqu'au soin de s'excuser auprès de moi pour ses débordements d'humeurs si charmant. Il me fallut attendre que nous soyons dans la machine pour pouvoir lui répondre. Une réponse banale par ailleurs, car mon esprit était ailleurs, ou plutôt trop présent, uniquement fixé sur elle, concentré sur mes yeux qui la dévoraient. Ce fut après que mes doigts eurent effleurés, brièvement, les siens, que les mots sortirent enfin.
-Il n'y a là rien à pardonner je le crains.
Le son de mes mots mourut au moment où les portes se rouvrirent sur ce lieux presque mystique. Il y avait, alors que je faisais mes premiers pas hors de l'appareil, comme un goût d'interdit. J'eus l'impression de m'avancer dans un endroit que trop peu de regards étaient destinés à voir, l'impression d'avoir volé ma place parmi ceux-là. Je sortis un instant de la contemplation de ma compagne pour me plonger dans celle de ce lieux improbable. Comment décrire ce que je ressentis alors ? Cette cave était une chapelle en l'honneur des choses qui faisaient de la vie un plaisir. Spiritueux et provisions occupant presque chaque once de ma vue, encadré par un décors assortit à l'ultime plaisir que la vie m'accordait, cette femme à mes yeux si parfaite, si dur à supporter pour le monde qu'il n'en avait accepter qu'une de ce genre en son sein. C'était d'ailleurs elle, de nouveau, le centre de mon attention. Elle qui avançait de nouveau, allant jusqu'à descendre quelques marches pour aller s'appuyer de telle manière que l'espace d'un instant, j'eus l'impression que c'était sur une table de billard que ses fesses se posaient. Je la suivit, évidemment, convaincu alors que je pourrait la suivre toujours. Un nouveau regard alentour, alors que je m'approchais maintenant d'elle, vint appuyer ses paroles. Je me souvint alors d'un film sur les vampires, une scène plus précisément, se déroulant dans une crypte sous un théâtre parisien. Il aurait fallut si peu pour que cet endroit y ressemble. Je suivit du regard la direction indiquée, remarquant sans grande impression l'immense machinerie. Ce genre d'appareil n'avait jamais éveillé chez moi quelque intérêt que ce fut, peut-être était-ce dut au fait de n'y avoir jamais recours, peut-être cela m'ennuie-t-il tout simplement.
Alors que j'allais la rejoindre tout à fait, venant reprendre la place que je m'étais faite auparavant auprès d'elle, mon regard fut attiré par un objet dans un des couloirs de bouteilles proche d'elle. Alors je m'avançai vers cette étagère, en extirpant une bouteille pour l'observer. L'objet était vieux et pourtant sans poussière, aussi âgé que moi, mais ça je le sut en y posant mon regard. C'est en lisant l'étiquette que je répondit.
-J'aime énormément, ça me fait pensé à vous.
Je parlais suffisamment fort pour être entendu, sans crier toute fois. Reposant la bouteille, je vins retrouver la délicieuse propriétaire de ce lieux si irréel, n'allant pourtant pas jusqu'à me glisser entre ses jambes comme je le fit cette magnifique nuit là.
-Mais je crains que le récit de ce voyage soit bien moins intéressant encore que celui du précédent. Ici nul crapules, point de cadavre non plus, et le mien encore moins que les autres. Je n'ai fait qu'errer un peu partout, préserver le monde autant que possible de mes actes. C'est du moins ce que le soir venu, je me raconte en m'endormant, pour ne pas assumer la vérité. Elle n'a pourtant rien d'effrayante, je la trouverais même plutôt séduisante. Un peu trop certainement. Mais à vous je vous la doit, la vérité. Et si je puis me mentir à moi même, à vous, je ne l'oserais pas. Si mon errance est vraie, elle n'avait pour but qu'elle même. De ces semaines passées je ne peux retenir que le manque qui aujourd'hui m'a finalement fait paraître devant vous. Il y eut une brève pause. En entendant mes mots je suis déçu pour vous. Vous deviez espérer mieux de ma part que la banalité que je vous sers. Il n'y a pas si longtemps pourtant, je vous aurait conté ma rencontre avec un chef de guerre Inca, ou comment j'ai fait croire, l'espace de quelques semaines, que j'étais le fils de Dieu envoyé pour apprendre au monde comment aimer le tout puissant. Mais aujourd'hui, comme déjà au lendemain de notre rencontre, il me semble que tout cela n'a plus grand intérêt si je ne peux pas le...
...vivre sans vous faillis-je dire. Mais je me retint, esquissant un léger sourire aussi troublé que je l'étais. Il me semblait n'être qu'un pâle reflet de celui que j'étais lorsque nous nous rencontrâmes. Ce soir là je fus d'une maitrise presque parfaite, ou du moins suffisante. Là je n'étais plus qu'un adolescent maladroit, pas plus habile avec ses mots qu'avec son corps, dont je ne savais trop que faire.
Dernière édition par James Braddock le Mar 19 Avr 2011 - 22:05, édité 1 fois
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Dim 13 Mar 2011 - 4:53
Leurs voix se pressaient sur les voûtes en un écho joueur, créant comme une rythmique à la mesure de leurs pas sur la pierre. Argamane contemplait les courbes du plafond où se dessinaient des arcs et des sillons, imaginant suivre des yeux ces deux voix qui se cherchaient, elle en était persuadée. Elle sourit de voir James jeter un coup d'œil aux réserves et se saisir d'un cru comme s'il se sentait un peu chez lui, ou en tout cas, sur une terre amie. Et cela l'étonna, encore une fois, de voir combien l'aisance de cet être perdu dans l'infini pouvait lui être chère. A vrai dire, elle ne pouvait qu'admettre silencieusement qu'elle avait pour lui une affection bien particulière et qu'il réveillait en elle des sentiments enfouis depuis bien longtemps. Cela n'avait rien de joyeux, pourtant. Mais elle s'en moquait, pour l'heure, et savait qu'il serait bien temps de s'y pencher lorsqu'il la laisserait retourner à sa routine. Routine qu'elle n'avait du reste aucune hâte de retrouver.
S'appuyant sur une main posée en arrière de son dos, l'autre posée négligemment sur un genou, elle observa le lord revenir vers elle avec un regard qui revêtait le masque du jeu pour dissimuler l'élan de tendresse qui l'habitait. Elle voulait rester maîtresse de l'image qu'elle renvoyait, bien qu'il lui faille renoncer à l'idée de lui mentir – chose qui l'intriguait et parvenait souvent à l'agacer. Non, James Braddock n'était définitivement pas un « ami » comme les autres. Peut-être parce qu'il aurait pu être ce qui s'apparentait le plus à la véritable définition du terme. Peut-être parce qu'il était comme une réincarnation de l'ancien avatar de cette même définition. Peut-être tout simplement parce qu'au milieu de tous ces hommes qui, à leur manière, s'étaient démarqués des autres par une distinction, un charisme particulier, James avait bien malgré lui trouvé la faille la plus inavouable de la danseuse que tout le monde prenait pour une femme aussi inébranlable que capable de soumettre n'importe qui à sa volonté. Elle ne lui avait pas confessé cela. Elle n'était pas certaine de le faire un jour, ou bien serait-ce dans longtemps – quoique le temps ne veuille rien dire avec lui. Et pourtant, s'il avait su la manière dont elle se conduisait avec les autres, il l'aurait compris tout de suite : elle trouvait de l'intérêt dans ses relations avec des hommes comme Langman, membre d'une puissante famille de mafieux, et appréciait de faire partie du cercles restreint des gens qu'on estime malgré le voile des illusions mondaines; lui n'avait rien à lui apporter de concret dans ces magouilles-là, il semblait avoir rompu le contact avec cette aristocratie de la bassesse humaine. Ce monde puant dans lequel elle avait bâti la moitié de sa vie. Lui, il était son anomalie. Et chaque fois que son nom venait caresser sa pensée, elle ouvrait le yeux en secret sur cette faiblesse immense qu'il représentait. Et elle le regardait, comme elle aurait pu le regarder là. Avec cette affection qui mêlait le désir ardent de paresse face aux impératifs de la réalité qui était la sienne, celle qu'il aurait pu effacer pour elle mais qu'elle ne pouvait se résoudre à quitter, au regret le plus grand de ne pouvoir lui dire combien elle espérait qu'il lui donne un jour la clé de sa prison d'or pur qu'elle s'était forgée seule.
Des barreaux comme autant de jour comptés depuis la mort de Thomas. James replaçait en face d'elle la vérité sur ce qu'avait été sa vie et sur ce qu'elle était elle-même au fond. Bien sûr qu'ils étaient fous. D'abord il y avait eu les misérables et leur vie de bohème, et puis il y avait eu l'amour fou comme une évidence et la trame complexe de cette relation où la douleur et le plaisir s'entremêlaient, consentis. L'engrenage, la sensation de n'être bien que parce que l'autre était là, fidèle, qu'il ne nous abandonnerait pas. L'accord tacite qui faisait que si l'un mourait avant la fin de la route, l'autre ne survivrait pas. Et puis elle avait survécu, finalement, après la fin, là où le monde s'arrête. Pour que lui soit aujourd'hui présenté un fantôme dans les yeux d'un inconnu plus attachant qu'aucun autre, pour que cette flamme blême lui crie que c'était là tout ce dont elle avait besoin pour vivre, et qu'elle ne pourrait jamais plus l'oublier, maintenant. Elle l'écoutait parler et cette litanie, qui hantait ses nuits où la lune éclairait le chemin des rêves, revenait encore. Le manque, oui. Lui osait le dire, mais elle ne le devait pas. Le silence qui s'ensuivit fut lourd, mais elle ne voulut pas le briser. Énumérer ses exploits comme de simples faits anodins, voilà sa manière à lui d'exprimer combien la vie lui semblait fade. Voilà ce qu'elle pouvait désormais regarder sans avoir l'impression de contempler son propre reflet. Pourtant, plus elle l'écoutait ainsi parler, plus elle se sentait gagnée par une étrange mélancolie qui, paradoxalement, amenait comme une sorte d'amusement sur ses traits. Un enfant. Ce n'était qu'un enfant. Un enfant qui souffrait d'avoir ouvert les yeux, alors que la veille il était adulte et fonçait dans un mur, les yeux fermés, sans rien comprendre. Il avait accompli les œuvres d'un dieu, se présentait à l'âge d'homme mais il n'était qu'un enfant dans ses yeux à elle. Et elle ne savait même pas se l'expliquer.
"J'habitais seul un monde de plaintes, et mon âme était une onde stagnante"...
Elle en mourait d'envie, il fallait qu'elle le fasse, qu'y avait-il de mal à cela après tout ? Elle savait qu'il ne finirait pas sa phrase, elle ne voulait pas l'y forcer. Elle ne voulait pas qu'il se fasse plus de mal que nécessaire.
« James », souffla-t-elle simplement, prenant doucement sa main pour l'attirer vers elle.
D'un même mouvement, elle se leva et, son corps touchant presque le sien, elle laissa son autre main caresser légèrement sa tempe, ses doigts s'enfoncer naturellement dans ses cheveux, et son regard papillonner sur tous les détails de ce visage qu'elle croyait connaître mais qui n'avait de cesse de se montrer sous un jour différent à chaque fois qu'elle lui faisait face, pour finalement la laisser devant la même conclusion.
« Mon James... » susurra-t-elle près de son oreille, avec moins de séduction que de sincérité troublée, sans joindre leurs corps pourtant si proches, comme si ce contact promettait un embrasement immédiat qu'elle ne voulait pas déclencher.
Non. Elle ne le pouvait pas. Elle avait eu ces mots au bord des lèvres trop de fois, s'était interdit de les prononcer si souvent. Ils n'avaient pas la moindre signification. Ils ne valaient rien. C'était dérisoire, inconvenant, impur.
« Le temps fut long, sans vous. J'ai pensé, quelquefois, que... Que j'aurais donné n'importe quoi pour vous suivre là où vous aviez choisi de vous égarer. »
Ce souvenir lui arracha un petit rire, comme si elle trouvait l'idée complètement ridicule après coup.
« Mais ce que j'aimerais par dessus tout, c'est que vous preniez ce lieu pour foyer. »
Car peu lui importait, finalement, qu'il mette un jour, une semaine, un mois ou plus pour revenir, si elle avait la certitude qu'il reviendrait, puisqu'elle serait toujours là. Peu lui importait puisque quoi qu'il advienne, elle ne pourrait jamais être plus qu'une courtisane qu'on aime pour tisser des fables nocturnes, pour donner le change, pour oublier. Mais cela, encore, elle ne pouvait le formuler.
« Il y a pourtant tant de choses qu'il me faudrait vous dire pour qu'il en soit ainsi... »
Elle se recula à peine, levant les yeux vers ses prunelles tant chéries.
« Si vous me l'accordez, je voudrais être seule avec vous dans un jardin comparable à l'Eden. Votre présence aujourd'hui me fait perdre le goût de ma propre création. »
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Mar 29 Mar 2011 - 9:54
Il était plus ardent que jamais, ce feux qu'elle faisait naître en moi et qui ni le temps ni la distance n'avaient put faire totalement disparaître. Comme il était dangereux ce feu, pour moi comme pour ma tendre amie. Il faisait naître en moi des idées que je savais, par chance, être soufflée par ma folie. Assaillit par la crainte de ce qu'il adviendrait si jamais je perdais pieds, et pourtant incapable de résister à l'attraction qu'exerçait Argamane sur moi, je n'étais qu'un pauvre papillon, elle était la flamme. Nos corps n'étaient maintenant plus séparés que par le contrôle d'elle même de la douce, et par le mien, vacillant. Je fermais les yeux, me délectait de cette proximité, de la tension qu'elle provoquait. Je m’imprégnais de cette chaleur qu'elle dégageait, de la douce odeur qui m'envoutait. Elle aurait put me demander la lune, littéralement. j'aurais pu la décrocher du ciel et en faire un ornement pour son établissement. La richesse, l'immortalité, tout, elle aurait put tout me demander et j'étais conscient qu'elle le savait. Pourtant je fut son seul souhait. Comment ne pas céder. Bien sûr j'aurais put écouter ma raison, disparaître et ne jamais revenir, mais la douce folie promise par cette histoire était à mes yeux l'essence même de la vie. Oui, j'étais son James, et j'aimais ça. Certainement ne serait-elle jamais ma Argamane, mais peu m'importait, je me sentais chez moi lorsqu'elle me regardait; et je n'avais pas connu cette sensation depuis bien trop longtemps.
-D'une certaine manière cet endroit et ce que j'ai de plus proche d'un foyer. Revenir ici deux fois en fait un des lieux que je fréquente le plus désormais. Mais vous vous en doutiez déjà, vous qui semblez me percer à jour à chacun de vos regards... Mais j'ai bien peur que les murs n'y soient pour rien.
Je marquai une pause, prenant soin de la regarder dans les yeux. Doucement, avec toute la délicatesse dont j'étais capable, je fit passer une mêche de ses cheveux derrière son oreille du bout des doigts.
-Les sentiments sont peut-être le seul domaine pour lequel ma raison à toujours eut le dessus, mais vous voilà, si envoutante, si... vous. Sans me demander mon avis vous vous êtes immiscée dans mon âme et mon esprit. Vous avez prit une partie de moi que j'ignorais et qui pourtant m'est vitale, et il me semble que je ne puis plus rester longtemps trop loin de vous. C'est une folie, peut-être la seule, que je ne connaissais pas encore et qui m'est, à bien des égares, plus agréable qu'aucune autre.
De nouveau je m'interrompais. Si j'avais bien finit ma phrase, il y avait une impression d'incomplétude dans mes mots. Peut-être cette impression m'était-elle propre, et je passais, quoi qu'il en fut, outre. Après tout la suite de la conversation avait aussi son intérêt. Disparaître d'ici, ne plus risquer d'être dérangés, ne plus risquer qu'elle soit distraite par le travail, voilà qui me convenait. Elle voulait un jardin semblable à l'Eden, mais il ne me venait rien à l'esprit qui correspondait et que je n'eut pas déjà visité mille fois. J'avais soif de nouveauté, l'envie de découvrir avec elle, de partager ce qu'elle ressentait. Ainsi il faudrait créer.
-Le jardin d’Eden ce sera...
Je n'avais que murmuré ma réponse. Mon regard plongé dans le sien, je laissais aller mon imagination. Sans attendre, à peine me fus-je tut, le décore commença à s’éclipser, semblant se changer en goutes de pluie qui remontaient vers le ciel. En quelques secondes tout était différent. Ils étaient désormais dans une grande prairie baignée de soleil, eux étaient dans l'ombre de l'unique arbre de la prairie, un pommier dont les fruits semblaient être la tentation elle même. La prairie était recouverte de fleures des champs de toutes les couleurs et entourée par une forêt parsemée dont provenait les chants de quelques oiseaux et le bruits de toutes sortes d'animaux. On pouvait aussi entendre la mer au loin, et l'odeur particulière de l'air était sans aucun doute marine. Ils étaient dans l'atlantique, sur une île flottante, de la taille de Manhattan, apparue en même temps qu'eux et qui, certainement, disparaitrait avec eux.
Dernière édition par James Braddock le Mar 19 Avr 2011 - 22:04, édité 1 fois
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Mar 19 Avr 2011 - 16:07
Toute vérité finit par se savoir.
Des mensonges par centaines pavaient l'existence de la belle. Comme autant de fleurs aux pétales rouges de honte, rouges du sang qu'elle avait fait couler directement ou non, rouges comme l'ardent mépris d'un homme trompé qui découvre que les lèvres rouges qu'il embrasse lui donnent autant de baisers de Judas. Rouges, rouges, rouges. Le champ dans lequel ils étaient se trouvait couvert de taches de sang, Argamane les imaginait clairement même si un nombre incalculable de coloris saupoudrait toute l'étendue ensoleillée autour d'eux.
Depuis qu'ils étaient dans ce jardin inconnu, elle regardait le paysage, les yeux plissés à cause de toute cette luminosité dont son mode de vie lui avait passablement ôté l'habitude. Là, dans les rayons qui semblaient plus éclatants que jamais, elle avait l'impression d'être arrachée à son monde, celui de l'illusion et du secret, alors même qu'elle pouvait très bien nager dans un mirage et que cette prairie n'était qu'à eux deux. Mais sans doute était-ce pire de devoir lui avouer ses fautes, à lui particulièrement, parce qu'elle ne savait toujours pas si elle pouvait réellement se le permettre, tout en ayant le sentiment d'être aujourd'hui devant une de ces personnes qui comptent dans votre vie plus qu'ils n'en ont l'air au départ.
Comme pour alléger son esprit, une interrogation vint chatouiller ses pensées trop obscures. Où sommes-nous ? N'importe où, semblait lui répondre un écho dans le vent qui bruissait en faisant danser les feuilles de l'arbre au dessus de leurs têtes. Où étaient-ils ? En vérité la question était bien futile. Que lui importait de savoir si ce havre avait un nom ou même une réalité similaire à celle de son quotidien... Peu importait, en fait, qu'il ait même cet aspect. Elle avait demandé le jardin primordial pour la seule raison qu'il portait comme symbole l'unique présence d'un homme et d'une femme à l'aube des temps, à l'heure où rien encore ne pouvait entacher leurs corps. Mais ils se seraient trouvés dans une grotte qu'elle n'aurait pas trouvé cela si étrange. C'était juste plus agréable de voir que pour lui, c'était ainsi que s'exprimait la même idée.
Affectant d'abord un visage neutre en détaillant ce décor chamarré, elle sourit finalement. Dieu que cette toile avait sa place dans une collection de tableaux naïfs. Il y avait très certainement beaucoup de James dans ce qu'elle voyait, et étrangement, cela la fit réfléchir plus profondément que ne l'aurait dû une simple escapade en ces terres sauvages, probablement vierges de toute civilisation, et si hospitalières à la fois. Était-elle en position d'en montrer autant ? Tout ce qu'elle avait de sincère à donner maintenant ne ferait que gâter l'atmosphère du lieu. Elle songea à combien elle regretterait d'égratigner tout cela par l'évocation de choses trop malsaines, combien elle s'en voudrait, d'autant plus, de causer en cela une fêlure dans la rêverie de son amant.
Déjà dix phrases avaient voulu traversé son expression si opaque et aucune n'avait trouvé grâce à ses yeux. C'était étonnant à ce propos de voir comme parler était parfois désuet avec James. Déjà lors de leur rencontre elle l'avait compris, mais cette fois-là, il n'y avait pas d'ambiguïté dans le silence, il s'imposait tout simplement. Ici, elle savait qu'elle aurait dû dire quelque chose, mais c'était dans son caractère : plutôt se taire que de lancer une banalité pour combler le vide. Le vide, elle n'en avait pas peur, puisqu'elle y créait mille choses, parfois dévoilées plus tard, parfois conservées secrètes. En cela ils se ressemblaient certainement, si ce n'était que lui n'avait aucune contrainte pour donner corps à ses élucubrations. Mais cela ne voulait en rien dire qu'il admettrait les choix qu'elle avait faits jadis. Non, à voir ce pré et sa végétation qui s'étirait paresseusement sous le soleil radieux, elle ne pouvait que ressasser ce qu'il disait de sa propre folie : qu'il ne saurait parler de ce qu'elle lui avait fait faire devant elle, de peur de la choquer peut-être, de lui faire peur, de la dégoûter, qu'en savait-elle finalement... C'était lui qui, ce disant, avait créé ce rempart. A bien y réfléchir, il avait été moins difficile à Argamane d'esquisser quelques traits de son passé souillé pour des oreilles moins scrupuleuses de leurs propres témoignages. Ces confidences là n'avaient pourtant qu'une valeur bien pauvre. Elles étaient la monnaie de ce qui pour elle n'était qu'une suite d'arrangements, de compromis. Son regard se leva vers James dont elle se rendit compte qu'elle avait saisi la main lorsque son pouvoir les avait transportés. Elle souriait toujours, mais il y avait de la peine dans ses yeux. Leur couleur rappelait celle d'un coquelicot fané.
Elle se détacha de lui, sans un mot, et tout en retirant ses chaussures, fit quelques pas hors de l'ombre où le vent vint cueillir sa chevelure miroitante. Sa silhouette était comme un défaut dans le paysage. Une tache noire au milieu des couleurs rayonnantes, sous un astre diurne qui semblait n'avoir jamais brillé si joyeusement. Seule sa peau laiteuse se fondait dans cette étrange photographie, comme surexposée ainsi qu'elle se sentait elle-même. Tendant le cou, elle laissa Éole l'effleurer en lui apportant le parfum salé des eaux qui s'alanguissaient au loin, et donna à Hélios tout le loisir de confronter ses feux aux siens, qui brûlaient tout autant mais n'apportaient nulle clarté. Son visage, pourtant, ne montrait nul plaisir, pas davantage de gêne cependant. Il y avait tant de choses à prononcer, tant d'autres à garder pour soi. Jamais encore elle ne s'était trouvée dans un dilemme qui lui parut aussi crucial et aussi idiot à la fois. Jamais elle n'avait douté d'elle-même, fière d'être ce qu'elle était, maîtrisant parfaitement le cours de sa vie depuis bien des années maintenant. Tout ce qu'elle avait accompli, elle l'avait assimilé sans remords, se rangeant simplement aux convenances qui veulent que ce pour quoi le commun est puni, on le garde pour soi afin de ne pas ternir l'image qu'autrui a de la chimère que l'on prétend être. Et tout cela pourtant, elle aurait pu le lui avouer, à lui son demi-dieu, qui malgré toute l'ampleur de son pouvoir paraissait réellement lui être dévoué corps et âme. C'était dans un mensonge qu'elle l'avait séduit. Là où, habituellement, elle ne voyait que la normalité, elle discernait avec lui le mal.
Que ses méfaits à lui soient aussi grands, sinon plus, que les siens, elle n'en savait donc rien mais n'en serait ni surprise ni convaincue. Le mal que l'on fait est évalué en partie par la conscience que l'on en a. Il pouvait tout, et était donc capable du plus grand mal. Mais elle qui pouvait si peu avait pris tant d'orgueil, de plaisir même parfois, à perpétrer des actes barbares, à se soumettre à des bassesses que tant de gens en ce monde considéraient comme inhumaines, que face à lui elle en prenait une toute autre mesure. C'était la voix de James qui résonnait en elle, et toute la ferveur qu'elle portait lorsqu'il lui exprimait quelle place elle avait pris dans la réalité trouble qui était la sienne – lui qui n'y avait manifestement plus de repère parfaitement fixe. Elle rouvrit alors les yeux sur l'Éden qu'il avait créé pour elle. Pour elle, oui. Il fallait bien qu'elle l'admette. Elle avait demandé, il avait accompli. Si elle lui avait demandé de demeurer dans cet endroit en lui donnant le pouvoir d'y revenir quand bon lui semblait, peut-être aurait-il également obéi. C'était injuste.
« James...? »
Elle se tourna de nouveau vers lui.
« Pourquoi refusez-vous de me dire ce que vous avez fait de répréhensible dans votre vie ? »
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Mar 19 Avr 2011 - 21:58
À peine étions nous arrivés en ce lieu imaginaire, qui ne devait sa beauté qu'au vague souvenir de mes cours de catéchisme et d'un tableau qui, lorsque j'étais enfant, m'avait plut, que déjà je regrettais notre venue. Un mot d'Argamane et je m'étais de nouveau pris pour un dieu. Créer cet endroit que bien des fous décriraient comme paradisiaque n'était pas sans conséquence. Dans ma folie je ne fis qu'une chose correctement, penser à faire de cette île un radeau. Mais le mal était fait et je n'y pensais déjà plus, bien trop occupé à la contempler elle, ma magnifique muse, cette nouvelle voix qui me murmurait ses désirs, s'ajoutant à tant d'autres qui, en sa présence, se retiraient révérencieusement. Trop occupé à me délecter de la douceur de sa peau contre la mienne alors que nous ne nous touchions que par les mains. Fou que j'étais. Et elle, ma douce maitresse, qui restait presque interdite en ce lieu, gardant un silence qui dans ce lieu impie devenait presque divin. Peut-être comprenait-elle l'ampleur de mon pouvoir et de la folie qui l'accompagnait, irrémédiablement. Peut-être croyait-elle déceler un peu de moi dans ce jardin dont je n'avais fait qu'emprunter l'image à l'imagination des autres. Oui, tout ça n'était que plagiat, réadaptation. Qu'aurais-je donc créé si j'avais par mégarde donné corps à ma propre vision du paradis dont Adam et Ève furent chassés ? L'enfer certainement. Tout aurait été teinté de cauchemar, car ainsi est mon esprit, prisonnier de lui même, perpétuellement confronté à ses peurs les plus primaires, les plus ridicules aussi.
Tandis que ma compagne me lâchait finalement pour s'exposer à un soleil qui ne la reconnaissait presque plus, je me reculais pour la laisser jouir de ce lieu qui n'était finalement le fruit que de son désir et non du mien. Mon paradis à moi était bien moins chimérique, et pourtant me semblait tout aussi irréel. Il se tenait devant moi, et je ne l'avais jusqu'alors vu qu'une fois. Oui, elle était mon éden, et cela m'effrayais. De nouveau je reculais d'un pas, m'enfonçant un peu plus sous l'ombre du pommier qui damna les deux premiers Hommes. Qu'étais-je censé faire ? Me livrer totalement à ce sentiment qui, je le savais et le sais encore, me détruirais un jour ? Fuir pour ne jamais revenir vers elle, ma petite damnation ? Ou alors grandir ? Voilà qui était plus effrayant encore que l'idée de céder aux hurlements de mon cœur. Au fond de moi je connaissait les raisons de cette peur. Si je franchissais ce pas, si j'osais mûrir, comme ils disent, alors plus jamais je n'aurais d'excuses. Grandir, pour moi, ça voulait dire accepter totalement qui j'étais, ce que j'étais, je suis. Cette idée me fit trembler, et je me réjouissais que, me tournant le dos, ma belle ne puisse le voir.
Enfin elle se tourna vers moi, prononçant mon nom, m'offrant son regard, s'offrant à mon regard. Comme elle était belle mon Argamane, cette âme sœur qui ne serait jamais tout à fait mienne. C'est avec un sourire sur les lèvres que je laissais mes yeux se délecter du spectacle de son être que je trouvais si parfait. M'adossant au tronc de l'arbre, fourrant mes mains dans mes poches pour en cacher le léger tremblement, je n'avais qu'une envie, la posséder en ce lieu aux allures de pays des merveilles, redécouvrir le sien comme si c'était la première fois. Mais mon envie n'était certainement pas la sienne, et tant que j'étais encore un enfant je ne pouvais que me plier à ses désirs plutôt qu'aux miens.
« Pourquoi refusez-vous de me dire ce que vous avez fait de répréhensible dans votre vie ? »
La question était une chape de plomb s'abattant sur ce moment finalement fort peu léger malgré le décors. Je restais un moment interdit, essayant de me remémorer notre première conversation. Je n'avais, alors, fait qu'évoquer vaguement la noirceur de certains de mes actes passés. Ce fut une erreur, je n'aurais rien dut dire...
Lorsque je sortis mes mains de mes poches, elles avaient cessé de trembler, et dans mon infinie candeur j'y vis un signe. Celui que je n'avais plus peur.
Ce qu'il faut comprendre c'est que, si pour tout autre personne, ou à tout autre moment, cette interrogation pourtant banale n'aurait eut aucune incidence. À cet instant précis, mêlé à mes propres questionnements, elle était la force qui me propulsait dans le précipice au bord duquel je me trouvais. D'une simple question, cette femme qui ne me connaissait finalement qu'à peine, et pourtant déjà mieux que quiconque, faisait de moi l'homme que durant des années j'avais refusé d'admettre que j'étais, et que plus jeune encore je n'avais pas sus être.
Je ne sais combien de temps dura ma réflexion. Quelques secondes ? Quelques minutes ? Peu importait, le temps entre nous n'était qu'un spectateur qui, dès nos premiers mots échangés, avait perdu toute importance. Et en osant enfin répondre j'eus l'impression de le rejoindre, me regardant comme si j'étais hors de mon corps, m'écoutant parler d'une voix calme et décidée, si semblable à celle que j'avais, enfant, entendu sortir des lèvres de mon père.
-Pour être tout à fait honnête, comme vous méritez que je le sois, il y a plusieurs raisons à ce refus. L'une d'elle, banale, est la honte. Non pas celle de la nature de mes actes, mais celle de leurs causes. Car voyez vous ma chère, si chère, amie, lorsque j'ai acquit ce pouvoir je suis devenu aussi fragile psychologiquement que convoité. Ainsi, la plupart de mes exactions en CE monde, je les ai commises par la volonté d'autres que moi, trop faible alors pour leur résister. Parmi ces méfaits en sont certains qui me font encore trembler de remords, parfois. La perversité des gens que j'ai laissé me manipuler à fait que ce fut contre mon frère et ma sœur que je me suis déchainé, alors qu'ils étaient, et restent à ce jour, avec vous désormais, les seules personnes que je porte en mon cœur. Mais il faut que vous sachiez que cette honte est bien moins grande que mon affection à votre égare Argamane, et que, si la vie nous en laisse l'opportunité, au fil du temps je vous en expliquerait tout les objets.
Je marquais une pause nécessaire. Si ce que je venais de dire avait nécessité l'effort dut à tout les premiers aveux, ce qui allait suivre était d'une tout autre nature et allait me forcer à assumer la mienne, que je m'efforçais de me dissimuler depuis si longtemps.
-Mais, comme je le disais, la honte n'est oas la seule raison de mon mutisme... Vous confesser celle-ci pourrait, je le crains, changer votre vision, comme la mienne, de ma personne.
Je poussai un soupir en séparant mon dos de l'arbre, faisant quelques pas, sans logique, dans l'illusoire espoir de calmer le feu dans mon ventre, attisé par ma nervosité. Puis je repris la parole, mon regard posé sur la belle sans pour autant jamais croisé le sien.
-Cette raison, voyez-vous, c'est que vous ne comprendriez pas, personne ne le pourrait, la porté de mes actes, ceux de ma propre volonté j'entends, ni leur nature, bonne ou mauvaise. Non, ne vous fâchez pas, je ne cherche pas à vous insulter. Nous savons tout deux votre intelligence, et soyez assurée que je vous admire aussi pour elle. Mais toute intelligente que vous êtes, toute mutante que vous êtes, vous restez humaine, quand moi je ne le suis plus tout à fait. Je ne parle pas là que de l'application de mon pouvoir, si effrayant pourtant, tellement au delà de ce qu'un Homme devrait être capable de faire. Non, ce dont je parle c'est de mon esprit, de la façon dont il fonctionne désormais. Si je sais que vous êtes brunes, que vos yeux possèdent des reflets du sang dont vous vous abreuvez, ou encore que cet arbre est là, que c'est un pommier, je ne le vois pourtant pas, pas de cette façon. Avec mon pouvoir, c'est aussi ma perception du monde qui a changé. Je ne vois plus que des cordes, plus ou moins grosses, celles composent, la réalité, toutes les réalités. J'en vois et comprend le tissage, j'en saisi les ramifications. De vous, par exemple, je pourrais tout savoir sans effort, de tout je pourrais tout savoir d'un simple regard. Alors je me force à ignorer ce que mes yeux voient, mais parfois j'en suis incapable. Alors je fais des choses, terribles ou magnifiques, je prend des décisions que je suis le seul à pouvoir prendre, dont je suis le seul à pouvoir saisir la portée. C'est le poids que je portais dans ma folie, et, qu'en l'avouant de vive voix devant vous, je porte de nouveau...
Mon discours était arrivé à son terme, l'aveu de qui j'étais, à elle comme à moi même. Ce que ça changerait du regard qu'Argamane me portait, je l'ignorais alors, mais je savais déjà que moi je serais changé, dès cet instant, à jamais. Je ne portais plus le poids de mon pouvoir, je commençais à l'assumer. Quant aux conséquences ? Bientôt vous saurez.
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Sujet: Re: All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock] Mar 17 Mai 2011 - 1:02
Elle regardait le lord se mouvoir dans cet espace fantasmé, et alors qu'elle avait espéré saisir quelque idée propre à la rassurer dans le tourment qui soudainement l'avait envahie, elle ne trouvait là que trop de désespoir.
Depuis le début, semblait-il, elle avait compris combien le pouvoir de James pouvait être un fardeau. Depuis le début elle s'était sentie pleine de tristesse pour lui qui, pourtant, de sa simple volonté aurait pu changer le monde selon son bon vouloir pour réduire à néant toute croyance en une quelconque divinité créatrice – à moins de la replacer directement en lui, ce qui était malheureusement très aisé. Depuis qu'elle avait assimilé les termes de ce qu'il était, peu importaient les détails – depuis le début, oui, elle n'avait eu à son égard que peine et compassion. Mais l'entendre ainsi parler de ce qu'il était, c'était se sentir blessée d'être impuissante devant la détresse que cela constituait pour lui d'être un humain trop divin, et un dieu trop peu humain.
Elle ne s'en fit pas la réflexion, mais c'est sans doute à ce moment-là que quelque chose se détruisit en elle, comme un sceau qui brusquement éclatait sous l'assaut dévastateur de ce qu'elle était, elle. Et si pour James cela venait d'un caractère biologique qui avait fait de lui ce qu'il était, pour Argamane la cruauté de la génétique n'y était pas pour grand chose. Cette déception désarmante, ce regret brutal et virulent de n'être que soi, et pas davantage, elle l'avait bien connu. Se révéler précisément maintenant combien elle aurait souhaité être la clé de tous ses maux ramenait tout au devant de la scène comme une évidence, et c'est statique qu'elle vit presque défiler dans son esprit la somme de ce que cette utopie avait autrefois accompli sur sa personne, sur la constitution même de ce qu'elle était aujourd'hui.
Se soumettre, dans l'esprit et dans le vécu d'Argamane, c'était sentir profondément en soi une appartenance entière à quelqu'un d'autre sans y trouver le moindre mal, mais au contraire, une fierté. C'était savoir que la presque totalité de soi repose entre les mains d'une unique personne à qui on porte un amour si grand, qu'il demeure inaltérable, qu'il nous dicte de comprendre et de pallier les fautes que cette même personne considère comme telles. Les concevoir, à son tour, comme des défauts auxquels il faut impérativement remédier, de manière automatique. C'était se plier, sans en ignorer l'aspect sans doute primitif et tout à fait aliénant, à l'empire qu'au fil du temps l'aura de cet être a étendu sur soi. C'était aimer cette lente mais sûre transformation de soi, comme on apprend à se connaître au gré des ans, comme on s'apprivoise soi-même à la lumière de sages paroles. Cette soumission apparaît entièrement consentie. Elle l'est, dans la mesure ou il est absolument impossible de l'évaluer dès ses prémices, lorsqu'à corps et à cœur perdu on s'y abandonne, lorsque l'existence toute entière s'abstrait pour ne devenir qu'une condition sans laquelle il est impossible de rendre à celui qui nous domine le réconfort et la sécurité qu'il nous apporte, sous la forme d'une fidélité et d'une affection à toute épreuve. Lorsqu'elle ne vaut plus rien sans le mentor, sans cette étoile parfaite qui brille comme un repère inaccessible, mais fiable. Peut-être ce consentement serait-il contestable au début de la relation qui se tisse, parce qu'il est une façon de se conformer, de force puis de gré, à l'idéal érigé en notre for intérieur du dominant. On a beau, alors, se heurter aux défauts qu'on lui découvre, on a vite fait de les lui pardonner pour ne plus voir que les nôtres. C'est ce mécanisme qui engendre l'acceptation d'une position inférieure. Il se renforce à mesure que le modèle nous flatte, quand à son tour, satisfait de notre conduite, il nous accorde son attention et une certaine affection, celle-ci s'exprimant si rarement de façon similaire à la nôtre que la moindre manifestation en devient un trésor. Et on finit par ne plus rien souhaiter de plus : la simple faveur d'un sourire adouci, d'une conversation sur le ton de l'égalité, de la confession d'une faiblesse même minime qu'on se croit dès lors en charge de protéger, d'une main posée sur soi avec une tendresse que l'on pense sincère, réelle, sans en avoir la moindre preuve factuelle : tout cela faisant appel au monde confus et subtil des sensations, des instincts. L'être chéri n'est alors plus celui que l'on aimait à l'origine. Il est plus beau, plus grand, plus parfait que tout autre en somme, et n'est-ce pas ce que le commun des mortels associe à l'amour ? N'est-il pas vrai que cette même communauté bâtit comme véritable l'amour inconditionnel allié à l'oubli de soi ? Répondre par la négative, c'est se leurrer. Répondre par l'affirmative, c'est accepter de comprendre pourquoi une femme comme elle, qui n'était finalement pas si différente des autres, avait pu se croire dans le droit chemin en s'enchaînant elle-même à la puissance charismatique d'un seul homme. Ce faisant, sans doute avait-elle également modelé son maître : au début de cette histoire il n'était en rien comparable à ce qu'il était devenu auprès d'elle. Mais les liens qui se forgent entre les êtres humains sont parfois bien pervers, quand les uns les autres ils motivent des rapports animaux. Ce qui en résulte ? Malgré tout le mal que l'on se fait en ceux-ci, impossible de ne pas adorer la douleur qu'on s'inflige mutuellement. Et à jamais, dans la mémoire d'Argamane, le souvenir qu'elle avait du couple qu'elle avait formé avec Thomas resterait le même. Celui d'un amour total. Ainsi n'avait-elle pas peur d'aimer. Elle savait le faire, ou du moins le croyait-elle. En revanche, sans qu'elle l'ait jamais pleinement réalisé à force que sa conscience l'occulte pour ne pas qu'elle souffre, elle ne savait pas être aimée. Sans doute l'avait-il aimée, lui aussi, plus fort qu'on n'aurait été enclin à le dire de son vivant. Mais elle n'avait que la certitude d'avoir été suffisamment digne de lui pour qu'il lui accorde le privilège d'être seule à se tenir près de lui quand s'évaporait son dernier souffle, et le bonheur étrange d'avoir finalement fait sa fierté.
Cet enfer jour après jour entretenu et révéré, c'était cela qui l'avait conduite à perpétrer les crimes inavouables qu'un peu plus tôt, elle avait voulu poser entre James et elle comme pour un échange. Mais ses mots avaient bouleversé un peu plus l'image initiale qu'elle avait eue de lui un soir de janvier, et pour une raison qu'elle ne cherchait même pas à s'expliquer, elle se sentait comme au pied du mur. L'impression qu'elle avait, après l'interminable minute immobile qui avait suivi la fin de la réponse qui lui avait donnée son amant, était celle de l'urgence. Elle avait peur de se tromper mais ne parvenait pas à se donner le choix. Elle lui devait toutes ces vérités qu'elle avait gardées farouchement à l'abri des aveux.
Ses souliers, qu'elle avait auparavant tenus en main, avaient chu à terre et gisaient comme une mue de la femme fatale et autoritaire qu'elle passait pour être. Un changement radical était visible sur elle. Son regard ne cherchait plus celui de James, il était perdu dans le vague et comme aveuglé par une noirceur encore jamais dévoilée devant lui. Et bien que sa façon de se mouvoir vers le lord restât tout aussi élégante qu'à l'accoutumée, il ne serait pas difficile pour lui d'y voir une nette différence : tout réflexe de séduction l'avait désertée. Il ne restait devant lui qu'une femme plus vulnérable et nue que si elle avait ôté même sa peau.
L'étrange lenteur de son pas l'amena finalement tout contre lui, et, tremblant comme l'herbe qu'ils foulaient sous le vent, elle l'étreignit avec une tendresse immense rimant avec une détresse palpable.
Longtemps encore elle demeura silencieuse, bien que ce temps-là n'ait encore une fois aucun sens rationnel. La lourdeur de l'instant rendait tout plus lancinant. Et puis finalement, se blottissant encore davantage, elle releva la tête pour murmurer au creux de son cou.
« Je vous ai menti, James, comme j'ai menti à tous ceux qui m'entourent depuis une éternité. Et me voilà maintenant qui tremble à l'idée que vous aimiez une autre que moi, me voilà jalouse de moi-même et jetée devant la réalité de ce que je suis comme vous l'êtes devant la vôtre. Me voilà jetée au pied de ma honte et battue par les regrets, car Dieu sait que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour apaiser vos tourments, mais comment pourriez-vous admettre près de vous le monstre que je suis après que je vous l'aie légitimement dévoilé... »
Ses bras se resserrèrent encore autour de lui, et dans un geste compulsif, ses mains se crispaient, imposant à cette peau qu'elle aimait le contact de ses ongles comme l'ébauche d'une morsure.
« Presque tout ce que je vous ai confié sur moi est pour ainsi dire faux, ou en tout cas maquillé. Je vous ai dit que j'étais française et que j'avais brutalement perdu mes parents, c'est faux. Je vous ai dit que j'avais été simple chanteuse et danseuse de cabaret, c'est faux. Je vous ai dit que j'étais veuve par accident, c'est faux. Je ne m'appelle même pas Argamane... »
Sa gorge se serrait, elle enfouit un instant son visage contre l'épaule de James avant de reprendre, sans toutefois oser lever les yeux vers lui.
« Je n'ai plus envie de vous cacher tout cela. Puisque vous en avez le pouvoir, apprenez ce que vous voulez. Pour l'heure c'est tout ce que j'ai à vous offrir, et c'est cela qui me pèse. »
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All work and no play makes Jack a dull boy. [PV J.Braddock]