Pas d'bol...

Appelez ca le sort, destin, karma ou ce que vous voulez du genre, moi je ne dirais qu’une chose, c’est juste un gros manque de bol.
J’ai jamais eu de chance, le gars qui jette dix fois une pièce en l’air en clamant pile et qui se retrouve dix fois avec face dans la pogne, vous voyez le genre ?
J’aurai pu naitre blond, intelligent et riche. Non, ca aurait été trop demandé. Je suis brun quelconque, assez limite coté caboche et sec comme un ivrogne le lendemain d’un jour de paye. J’aurai pu avoir ce quelque chose qui vous fait se retourner sur votre passage en disant « lui là, il me fait vibrer le string », non bien sûr.

Ah oui, c’est sur, on se retourne sur mon passage mais pas pour ce que j’aurai voulu. J’ai des yeux vert fluo, du genre qui fait spot de boite de nuit dans les nightclub, enfin des yeux…si on veut…plutôt deux orbites qui projettent une lumière verdâtre. C’est sûr, c’est cool pour rentrer la nuit quand t’as trop forcé sur la « dive bouteille » comme on disait, mais sinon, c’est limite dans le genre.
Un mutos comme on dit ici, j’suis un con de mutos. Pas un de ceux qui font des trucs extraordinaires et qui sauvent le monde comme les X Men qu’on voit parfois aux news, non non…Pas non plus de ceux qui comme le terroriste Magneto peuvent foutre la trouille à ces bourgeois de Wall Street qui nous suce l’argent comme une horde de vampire post Twillight. Non…j’ai juste des spots de boite de nuit à la place des yeux. On peut difficilement sauver ou menacer l’humanité avec ça, c’est certain.
De toute façon, je n’ai jamais eu l’âme d’un super héro, je roule pour moi et c’est déjà hyper dur dans ce monde de fous, les autres peuvent bien se débrouiller. Je gagne ma thune à Mutant Town comme manutentionnaire et je rentre retrouver au soir tombant ma petite chambre bien triste et naze d’un appartement croulant de NigerStreet. Seul, bien entendu…vous voudriez d’un petit ami qui a des phares à la place des yeux ? Et bien elles non plus.

J’aurai pu avoir la haine et rejoindre les terroristes ou les chtarbés du groupe à la mode, FLM je crois…Mais bon, j’suis Monsieur Tout-le-monde : je me prends pour Deniro devant ma glace, je rêve de répliques à la Tony Montana mais je me défoule sur ma PS3 à GTA. Normal quoi. Et puis, ça peut être dangereux, ma mère me disait souvent de rester loin des problèmes car le meilleur moyen d’allonger la vie et d’essayer de ne pas la raccourcir.

Alors je trace ma life et je longe les murs. Il parait qu’en Amérique, le soleil peut briller pour tous. Moi je bois de l’ombre et j’achète de la crème solaire en attendant.
Non j’ai jamais eu de bol.
Anonyme et mutant…insignifiant, j’ai au moins le mérite de n’ennuyer personne.
C’est du moins ce que je croyais.
On en apprend tous les jours, m’sieurs dames.


L’asphalte est super froid, normal on est début janvier. Dire que je fais ce chemin deux fois par jour en coupant par cette rue, j’aurai jamais cru que ca arriverait ici et surtout comme ça. J’essaye de focaliser sur mon sac de fruits et légumes renversé sur le sol à deux pas de mon visage.
C’est drôle comme en certaines occasions, le temps peut s’étirer à l’infini et nous permettre de comprendre la nature même de notre univers.

J’ai d’abord posé la question classique : pourquoi ? Un vol ? Peu probable, mon portefeuille est toujours dans ma veste. Un règlement de compte ? Ma vie sociale se résume à mes potes de travail et ma vue sentimentale à des films classés X sur le net… Alors quoi ? Et bien rien, c’est juste le fait d’être au mauvais moment au mauvais endroit. C’est l’histoire de ma vie en gros, ça je pense que vous commencez à comprendre.

Mes derniers mots ? Ils s’étranglent dans ma gorge alors que je me noie littéralement dans mon sang. Je meurs comme j’ai vécu : en silence.

Il pleut ?
Une pluie a drôle d’odeur. Peut-être qu’ils m’urinent dessus ? Non ils l’ont déjà fait il y a une éternité, après le énième coup de couteau, lorsque je me suis écroulé sur le sol.
Je reconnais l’odeur alors que ma vue se trouble : essence.
Déjà je ferme les yeux et je n’entends plus leurs cris et leurs rires, juste le bruit de craquement d’une allumette.

Parfois on passe sa vie à se plaindre que rien ne nous arrive. On a tord vu ce qui pourrait nous arriver !
Je n’ai jamais eu de chance, j’ai passé ma vie parmi des gens que ma différence éloignait et la seule fois où cette différence a eu pour effet de me faire remarquer par les autres, ce fut ce soir.

Remarqué par ces gens qui m’ont massacré et dont je n’ai même pas pu voir le visage.
Remarqué par ces passants regardant flamber mon corps pendant une vingtaine de minutes en se disant qu’en Amérique, ce soir le soleil brillait surtout pour eux.

Chienne de mort.