Crois-tu que je puisse y faire quelque chose? [PV Enora]

J’observai les cieux, m’attachant à cette vision lointaine et intouchable. Cependant, je n’avais pas réellement conscience de ce que j’observai. Les yeux figés, je regardai ce ciel azur sans le voir. J’étais perdue. Perdue au fond de moi-même, certaines images repassaient devant mes yeux. Images terrifiantes et marquantes des événements récents. Images auxquelles j’associai des sons et des odeurs. Notamment celle répugnante des égouts. Une partie de moi avait sombré là bas. Et je n’avais plus que l’impression d’être une coquille vide. Je ne pensais plus, je n’écoutai plus ce qui se disait. Je me contentai de rester là, enfermée dans ma chambre, cherchant à me retrouver moi-même. J’avais perdu l’appétit et le sommeil. Surtout le sommeil. Chaque nuit, je me réveillai en hurlant de terreur, revivant ces scènes que je n’aurais jamais dû vivre. Comment en étais-je arrivée là ?

Accoudée au balcon, je tentai de me vider l’esprit. Chose difficile voire même impossible. Je n’acceptai plus de parler à personne hormis à Daniel. Nos conversations ne duraient pas car je me contentai de hausser de temps à autre les épaules ou la tête. Le voir me rassurait et me faisait frémir d’effroi. Lui qui était passé si proche de la mort… Je préférai ne pas y repenser. Revoir en boucle ce mur d’eau foncer sur nous me donnait la chair de poule. Je passai rapidement mes mains sur mes bras, tâchant de faire disparaître ce signe de mon angoisse constante. C’était là le seul geste que je réalisai depuis une heure mais je ne m’en rendis même pas compte. Tout était calme et silencieux. Tout me paraissait aussi vide que moi…

Soudain, comme pour venir me contredire, une chose volante non identifiée fit son apparition sur le balcon. Une apparition mouvementée et surprenante dans tous les sens du terme. Un pas en arrière fut de rigueur même si la surprise et la peur que je venais d’éprouver m’en avait fait faire quatre. Les yeux écarquillés, j’observai cet personne venue du ciel. Un ange. Un vrai. Mes yeux remplis d’effroi scrutèrent ses ailes au plumage roux et si beau. Etais-je morte ? La question était nécessaire. Cependant, à moins d’avoir été foudroyée, je ne voyais aucune cause mortelle dans l’activité que j’avais entrepris. Je regarder l’ange se relever avec gêne. Non, je n’étais pas morte. J’avais devant moi un spécimen mutant des plus incroyable et magnifique qu'il soit. Il s’assit sur le rebord de la fenêtre, non loin de moi. Un léger silence s’installa durant lequel je ne quittai plus des yeux l’individu. Puis, il rompit le silence.

« Euh… Salut ! »

Je clignai plusieurs fois des paupières pour vérifier que je ne rêvais pas. Non, évidemment que je ne rêvais pas. Sinon, s’aurait certainement été le plus beau rêve que j’aurais fais depuis plusieurs semaines. Pour couronner le tout, le jeune homme me sortit un sourire qui ne pouvait que recevoir mon pardon. Cependant, plus gênée que lui en cet instant, je détournai les yeux en laissant un rose léger se poser sur mes joues. Je venais de faire un pas nouveau vers la lumière, je le savais. Accorder de l’importance à cet inconnu qui déboule d’une manière peu courtoise sur mon balcon, c’était hors de mes principes depuis quelques temps aussi, je me questionnai sur la raison de cet intérêt soudain pour le monde extérieur. Je revins lentement vers lui, les lèvres toujours fermées, et je repris ma position initiale, accoudée à la balustrade, tournant la tête pour cependant garder un œil sur cet énergumène. Il reprit alors la parole, mentionnant la raison de sa visite.

« Je suis ... Désolé, j'ai... Euh, enfin... Bref, j'ai vu que tu avais l'air triste alors je voulais venir voir ce qui se passait. »

J’avais l’air triste ? Pourquoi employer un verbe au passé alors que je débordai toujours autant de tristesse à cet instant ? J’aurais eu envie de le lui crier à la figure mais une larme vint m’interrompre. Je devenais une véritable fontaine depuis mon arrivée aux Etats-Unis. Moi qui avait toujours été plutôt joyeuse, j’avais l’impression de n’être entourée que par des ténèbres et une noirceur constante. Je détournai la tête et tâchai d'essuyer cette larme solitaire qui glissait sur ma joue. Je n'avais pas la force de répondre. Ou plutôt, c'était comme si j'avais oublié quels mouvement réaliser avec ma langue pour formuler une phrase. Cependant, l'ange roux semblait capable de tenir le discours à lui seul.

"Et puis aussi... Je... Euh on m'appelle Icare et je travaille comme secrétaire pour Daniel Hopes maintenant, il m'a parlé de toi, Enora... Oui c'est ça n'est-ce pas?! Alors je voulais euh... Te rencontrer un jour ou l'autre! Il m'a dit que tu occupais ce poste avant mais désormais que tu avais je cite "d'autres prérogatives", mais bon, pourquoi ne pas faire connaissance hein…?"

Daniel Hopes. Ce nom éveilla en moi des frissons. Mais je fus surprise que l'ange connaisse le mien. Ainsi, il arrivait à Daniel de parler de moi à d'autres mutants ? La curiosité prit le dessus. Je m'interrogeai intérieurement sur ce qu'il pouvait dire à mon sujet. Puis, les paroles qu'il m'avait dit me revinrent en mémoire. Moi, je le considérai comme un père et lui, il me considérait comme sa fille. Un lien puissant et quasiment irréversible. Je tâchai d'afficher un petit sourire. Miniature et qui ressemblait plus à une grimace mais le cœur y était et j'espérais qu'Icare s'en rende compte. Faire connaissance. Je jetai un coup d'œil discret à la porte qui était fermée. Quel jour étions-nous ? Je fronçai les sourcils, me rendant compte que je n'avais pas réfléchit à ce genre de choses depuis un certain temps. Etait-ce cela la folie ? Perdre la notion de tout ce qui nous entoure ? Si tel était le cas, alors j'avais certainement sombré.

" Bon en fait je crois que ce n'est pas le moment de te déranger, je suis désolé, je... je vais y aller..."

Quoi ? J'étais à ce point là une mauvaise compagnie ? Mes yeux lancèrent alors un appel au jeune homme ailé. J'avais besoin de réconfort, de soutien. Je venais de saisir que j'avais une chance d'en trouver là. Une personne qui ne me connaissait pas et qui ne me jugerait pas. Un confident de taille. L'ange voulait s'envoler mais ses ailes semblaient peu sures d'elles et je crus durant une fraction de seconde qu'il allait basculer par-dessus le balcon. Un petit cri d'effroi sortit de ma bouche. Cependant, Icare se reprit et revint de mon côté. Dans ma poitrine, mon cœur battait à tout rompre tandis que le jeune homme prononçait quelques mots avec une timidité palpable.

" En fait je crois que je vais sortir par la porte, j'ai assez fais de dégâts comme ça. Encore désolé, je... Tu n'as qu'a fermer les yeux et j'aurai disparu..."

Fermons les yeux. Juste un peu. Personnellement, je n'y comptais pas. Fermer les yeux, c'était se voiler la face. En l'occurrence, il fallait que j'arrête de ne plus regarder la réalité en face. Me reprendre en main. Ou plutôt, tâcher de redevenir l'ombre de moi-même. Le jeune homme s'avança vers la porte d'un pas assez pressé, trahissant sa gène. Que dire ? Que faire ? Je n'en avais pas la moindre idée. Je voulais le retenir. Point. Je quittai le balcon pour retourner près de lui. D'un geste instinctif qui pouvait, certes, paraître déplacé, je lui pris la main. A m'écouter, je me serais jetée dans ses bras pour pleurer mais mon côté coincé m'en empêcha. Puis, pour la première fois depuis maintenant plusieurs jours, je déliai ma langue.

"Euh… La porte est fermée… Je… Oui, Enora, c'est moi… Enfin.. Je ne pensais pas que Daniel… Euh…"

Oui, c'était confus et parfaitement approprié à mon image. Je baissai les yeux, surprise par le son de ma voix et d'avoir parlé à quelqu'un qui m'était encore inconnu alors que je ne répondais même pas à Daniel. Cependant, ces mots me ressemblaient également beaucoup ou plutôt, l'Enora telle qu'on la connaissait aurait tout aussi bien pu les dire. Tout me semblait étranger et normal à la fois. Je me raclai la gorge et tâchai de lâcher la main de l'ange. Puis, osant un petit regard discret et timide, je repris après avoir réfléchis longuement sur la structure de ma phrase :

"Excuse-moi. Je ne suis pas de bonne compagnie. Mais t'écouter me rassure alors… Ne pars pas… S'il te plaît…"

Telle Alice plongée au pays des merveilles, je tâchai de me raccrocher à quelque chose ou quelqu'un. Or, lorsque j'avais vu cet ange tomber du ciel, j'avais compris que c'était plus qu'un simple symbole. Je baissai les yeux de nouveau, observant le vague à mes pieds et me tortillant les doigts. L'espoir ne mourrait pas tant qu'au fond de nous, une petite voix hurlait de s'accrocher à la vie et nous ordonnait de refaire surface.

Je ne compris pas immédiatement ce qui se passait. Mon cerveau devait tourner au ralenti. Je commençai à croire qu'il avait même cessé toute activité durant ces dernières semaines. Mais qu'étais-je devenue ? Une ombre. Un souvenir. Rien de plus. Pourtant, Icare semblait me comprendre. Je vis dans ses yeux verts l'envie de m'aider, de me sortir de ce trou, de m'aider à m'envoler vers les cieux. L'ange ne tarda pas à le faire dans le sens littéral du terme. M'emmenant tout d'abord près du balcon, je crus voir en lui de la détermination mélangée à de la sensibilité. Une sorte de cocktail explosif qui me fit frissonner légèrement. Puis, sans me demander l'autorisation, il me prit dans se bras avant de prendre son envol.

Tout d'abord, je retins ma respiration, ne ressentant qu'une peur prenante mélangée à de la surprise. Quoi de plus normal ? Moi qui n'étais guère sortie depuis des semaines, je volais actuellement dans les bras d'un ange. Il y avait de quoi devenir complètement dingue, si ça n'était pas déjà fait. J'observai le sol s'éloigner lentement tandis que nous nous envolions vers les nuages. Ma peur se dissipa peu à peu pour laisser un plaisir nouveau et inexplicable m'envahir. Pour la première fois depuis des semaines, j'avais l'impression de vivre, d'être vivante. Je laissai cette sensation presque étourdissante s'emparer pleinement de moi, me rendant esclave de cet instant magique. Je reposai alors mes yeux sur Icare. L'ange. Mon ange. Celui qui venait de me rendre une partie de la lumière. Par le sourire qu'il me fit, je compris qu'il essaierait de déployer autant de force qu'il le pourrait à me rendre ce qui m'appartenait et qui m'avait été volé.

L'instant présent fut comblé lorsque, dune voix chantante, le garçon ailé entrepris un poème. Si beau, si profond que je ne compris qu'à moitié son sens tant j'étais bouleversée. Cependant, je compris que ce poème, il venait de le faire pour moi. Je me retrouvais parfaitement dans ses mots, ses vers, ses quatrains et tercets… Cette poésie si mélancolique me donna soudainement l'envie de m'effondrer. De partager enfin avec quelqu'un tout ce que je ressentais, si toutefois, se sentir comme morte était avoir des sentiments quelconques. J'avais longtemps été une jolie lumière éclairant la route de certains, cherchant à sortir de l'obscurité d'autres. Cependant, cette lumière s'était éteinte. Le noir avait envahit mes pensées, les rendant plus sombre que la nuit elle-même. L'ange roux qui me tenait dans ses bras venait de relancer progressivement la machine. Sous le choc et encore refermée sur moi-même, je m'agrippai un peu plus à son cou et posai ma tête contre son torse.

Lentement, Icare nous ramena vers le sol, sans pour autant s'y poser. D'un geste, il me montra une fleur. Quelques heures auparavant, j'aurais certainement eu l'envie sournoise de l'arracher avant de la détruire lentement. Mais la situation présente me fit agir tout autrement. Je posai mes yeux sur cette fleur. Si colorée, si belle, si parfumée. Je tentai de la garder en mémoire, cette image réconfortante et souriante de la nature. Tout en admirant et en m'extasiant devant cette vision, j'écoutai l'ange qui me parlait de beauté, de souffrance et de tristesse. Mes yeux croisèrent de nouveau les siens lorsqu'il me parla explicitement de ce qu'il pensait de tout cela. Je ne retint alors que ces mots qui m'étaient adressés.

" Je ne peux pas te parler de ce que je ne connais pas, de ton passé, de tes souffrances... Des sillons creusés sous ta peau mais... La beauté est encore possible Enora, il faut juste bien regarder autour de soi pour trouver la force de la trouver."

J'observai alors successivement l'ange et cette fleur éphémère. Mon passé et mes souffrances, j'en était la personnification même. Ses douleurs continues qui me tenaillaient perpétuellement sans scrupules, voilà quels étaient les sillons creusés sous ma peau d'enfant. Oui, car c'était ce que j'étais. Une enfant détruite car elle était entrée bien trop tôt dans le monde adulte. Ce monde dur, froid et sans merci. Cependant, je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même. Il n'y avait pas de responsables dans cette histoire autre que moi. Mes yeux se reposèrent sur l'ange et son regard semblait me parler. En l'observant comme cela, je ne pus qu'admettre qu'il disait vrai : la beauté existait. Le tout, c'était de tenter de la trouver.

L'ange m'emmena de nouveau frôler les nuages, toucher le soleil du bout des doigts, m'offrant une vue incomparable. Je crus comprendre où il voulait en venir. D'ici, je pouvais tout voir. Sans exception. L'institut nous appartenait autant que ses habitants. D'ici, tout ne ressemblait qu'à des petits pions maniables et amusants. Mais surtout, de là haut, c'était le monde entier qui paraissait plus beau. Le paysage, la vue… tout me pénétrait littéralement, me transperçant de cette beauté que j’avais cessé de chercher. Mes yeux s’écarquillèrent et je m’impregnai de cet instant. Le vent frais que l’on captait à cette altitude me fit frémir mais la chaleur que me donnait cette vue si belle, si douce et si agréable me réchauffa le cœur. L’ange avait raison. Entièrement. La beauté était là, il suffisait de la chercher. Et je l’avais enfin trouvée. Sans réellement comprendre pourquoi, de nouvelles larmes coulèrent, déversant sur mes joues une pluie torentielle que j’avais contenu jusque là. Mes yeux croisèrent de nouveau ceux d’Icare. Puis, je posais ma tête sur son épaule et, entre deux sanglots, parvins à m’exprimer :

« Merci Icare… Merci beaucoup… »

J’étais littéralement captivée par le moindre battement d’ailes de l’ange. Lui qui aurait pu parraître si artificiel il y a encore quelques minutes était tout à fait réel à présent. Et surtout, il semblait comprendre ce que je ressentais, bien que je n’arrivais moi-même pas à cerner ce qui me touchait. Lui parlait me faisait du bien, oui. J’avais l’impression que je pouvais tout lui dire, tout lui confier, qu’il m’écouterait et me conseillerait. Etait-il là pour soulager ma conscience ? J’allais presque le croire. Aussi, il me fut douloureux de relâcher l’étreinte que j’avais créé autour de lui lorsque nous revînmes sur la terre ferme. Il me reposa avec douceur et je chancelai légèrement. Puis, il se rassit sur la balustrade du balcon. J’essayais de faire en sorte que mes jambes ne cèdent pas sous mon poids, m’appuyant légèrement sur cette même balustrade. Puis, le jeune homme répondit à mes remerciement d’une façon à laquelle je ne m’étais pas attendue.

« Merci aussi Enora. Regarder les gens s'émerveiller est une autre beauté de ce monde, l'une des plus éclatantes je trouve... »

Je méditai sur ces paroles. Leur sens ne m’apparut qu’après une certaine réflexion. Je m’étais émerveillée, littéralement, là haut, si près des cieux. Sous entendait-il que je faisais partie de la beauté qui m’entourait lorsque j’ai admiré tout ce qui m’entourait ? C’est ainsi que je le comprenais. Je rougis légèrement avant de lui répondre par un mince sourire. L’ange replia ses ailes rousses. Intriguée, je ne pouvais résister à l’attraction qu’elles avaient sur moi et m’approchai lentement de lui. Avec timidité, je tendis la main et effleurai les plumes rousses du mutant. Ce contact doux me fit sourire un peu plus. Un peu de douceur dans ce monde de brutes, cela ne pouvait pas nous faire de mal, au contraire. Après un petit regard légèrement gêné vers le jeune homme, je continuai machinalement à caresser ses ailes, plongeant dans mes pensées. Puis, comme si j'en avais besoin, je vidai mon sac… Ou plutôt je commençai à me libérer du poids que j'avais su le cœur.

"Tu sais Icare… Daniel Hopes… Il est un peu comme mon père. On a pas mal de points communs… Je sais pas trop pourquoi je me suis attachée à lui comme ça… Enfin… Tu… Tu as déjà eu peur de perdre quelqu'un que tu appréciais vraiment ? Je veux dire… Le perdre vraiment ?"

Je dus m'arrêter. Ma voix commençait à dérailler étrangement vers les aigues. Un nœud se créait dans mon ventre et un autre dans ma gorge. Je ne pouvais plus parler. Je pensais que cela serait plus simple mais non. Tout était toujours aussi compliqué. C'était comme si quelque chose m'empêchait de m'exprimer clairement, ne me laissant que débiter quelques phrases qui, associées, n'avaient pas grand sens. Je reposai mon regard vert sur celui de l'ange, cherchant à nouveau réconfort et aisance dans sa réponse. J'avais l'impression d'avoir trouvé une pièce manquante à mon puzzle. Une personne à qui je pouvais tout avouer sans crainte si ce que je refoulais ne tentait pas de m'en empêcher. Un confident. Un ange.

La réponse de l'ange fut brève et directe. J'eus presqu'envie de m'enfoncer six pieds sous terre. Il n'y avait que moi pour mettre les pieds dans le plat de cette façon. Je me sentais à la fois honteuse et stupide. Evidemment, en posant cette question, j'avais presqu'envie que l'on me réponde que mon cas était unique, que j'avais le droit de pleurer, de me montrer distante avec le monde extérieur depuis le jour où j'avais cru que Daniel Hopes était mort noyé. Cependant, je venais de me rendre compte que la nostalgie de l'ange était réelle. Les plumes me glissèrent des doigts et j'eus soudain envie de pleurer. J'étais vraiment la fille la plus nulle de ce monde. Dans le regard gêné qu'Icare m'adressa, je sentis sa tristesse. Je détournai les yeux, honteuse d'avoir ravivé en lui des souvenirs désagréables. Autrefois, je faisais sourire les gens, les taquinant, plaisantant avec eux. Pourquoi n'était-ce plus possible ?

Un long moment de silence passa. J'aurais voulu m'excuser ou bouger. Lui montrer que j'étais désolée de la peine que je créais et qu'il aurait mieux fait de ne pas venir me voir. Mais les mots ne sortirent pas et mon corps refusait de bouger. Je préférai rester accoudée à la balustrade et j'observai avec Icare la beauté du monde qui nous entourait. Lorsqu'enfin, son regard se reposa sur moi, il avait repris une mine plus souriante. Un masque. Les sourcils légèrement froncé, je lui lançai un regard désolé. Je tâchai de garder de nouveau mes distances avec lui. Après tout, si à chaque mouvement que je faisais à son égard, il me repoussait, je n'allais pas tarder à m'effondrer définitivement. De nature câline, on ne me repoussait que rarement… Surtout lorsque je n'allais pas très bien. On m'ouvrait les bras et on me réconfortait. Icare ne me connaissait pas, il ne savait pas cela. Mais pour moi, il était clair qu'un second signe d ce genre causerait ma perte définitive.

Avec douceur, le jeune homme reprit la parole. Je l'écoutai attentivement. Daniel Hopes ? Me laisser tomber ? Impossible. Inimaginable et même pas envisageable. Il m'avais clairement dit qu'il me considérait comme sa fille. S'il le pensait vraiment, jamais il ne m'abandonnerait. Abandonner un enfant, ce n'est pas se montrer à la hauteur de son rôle paternel. Or, il était tout à fait disposé pour ce rôle, je le savais. J'appris également que Daniel avait aidé Icare. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres. Qui n'avait-il pas aidé ? Daniel m'avait dit un jour que j'avais un don d'empathie. Lui, il avait celui de savoir écouter les gens et leur dire les mots qu'il fallait. Mon sourire s'élargit légèrement lorsqu'Icare semblait s'excuser d'avoir pris ma place auprès de Daniel. J'en avais presque des crampes.

"Tu dois certainement mériter ce travail plus que moi. J'étais pas terrible… Et puis, ces dernières semaines, je n'ai pas été très… Enfin… Je veux dire que… Je restai enfermée ici…"

Je détournai les yeux et regardai dans le vague quelques secondes, l'expression figée. Je n'allais pas pleurer mais je me rendis compte que c'était difficile de parler de choses que l'on n'assumait pas. Puis, Icare sortit un briquet argenté de sa poche. Il ne m'était pas inconnu. Je l'avais déjà vu posé sur le bureau de Daniel. Une petite merveille. Il m'expliqua ensuite le but du "jeu" que les deux hommes s'étaient inventés. Hopes avait trouvé là un moyen de permettre au jeune homme de s'ouvrir au monde nouveau qu'était celui des mutants, de ne pas rester à l'écart. Il en aurait peut être fait de même avec moi si je n'avait pas déjà été assez extravertie. Cependant, je me souvenais qu'au cours des dernières semaines, il était passé régulièrement me voir. Et si j'avais la nette impression qu'il n'était pas venu depuis longtemps, c'était peut être parce qu'il viendrait demain… ou le jour suivant.

Icare rangea son briquet. Je reposai mon regard dans ses yeux verts. Y cherchai-je des réponses ? Je ne savais pas vraiment. Toujours est-il que je me détournai rapidement, assez mal à l'aise. Fixer les gens n'était pas mon fort. Je rougis légèrement. Puis, désirant en entendre un peu plus sur le jeune mutant, je me lançai dans quelques petites questions.

"On t'as peut-être déjà demandé tout ça mais… Pourquoi es-tu venu à l'institut ? Et depuis quand es-tu ici ?"

Ca, ça me ressemblait déjà un peu plus. Ma curiosité se réveillait. J'avais peut-être perdu la notion du temps, mais c'était là déjà un effort de ma part de me renseigner de la sorte sur mon nouveau camarade. J'observai le jeune homme avec attention, attendant sa réponse, le visage toujours assez fermé mais déjà beaucoup moins déprimé comparé à l'instant où l'ange avait chu sur mon balcon.

J'observai Icare avec attention. J'avais l'impression qu'il me livrait des secrets. Le genre de secrets que l'on garde au fond de soi sans avoir envie de les échanger avec personne, à tel point que, finalement, ils nous emprisonnent. En réalité, il avait du sentir mon trouble suite à son mouvement de recul. Je réagissais peut être excessivement… Mais il me semblait approprié de ne pas rester de marbre après un tel rejet. Alors il m'expliqua. Il me raconta un peu de son passé, me parlant de son amie. J'en déduisis qu'ils devaient être plutôt proches pour que le jeune homme ait tant de mal à en parler. Enfin, il m'avoua la fin tragique de l'histoire et je me rendis enfin compte à quel point j'avais été maladroite. J'écarquillai les yeux avant de détourner ce regard gêné et apeuré du jeune homme. Observant le sol, quelques mètres plus bas, je ne savais que dire ou que faire.

"Je… suis… désolée… Vraiment…"

Je n'osai plus vraiment le regarder en face, me contentant de quelques petits mouvement furtifs dans sa direction, guettant sa réaction. Cependant, il ne m'en voulait pas. Avec un maigre sourire, il passa une main autour de mon épaule. Je ne réagis pas, ayant peur d'en faire trop et de me faire envoyer promener une nouvelle fois. Il me serait dur de doser mes vagues d'affections avec cet étrange personnage sorti tout droit d'un conte pour enfant. Mais j'avais l'impression que le rôle de pilier qu'il venait de prendre dans ma vie allait nous rapprocher un peu. J'avais peur tout en étant rassurée à la fois. Après tout, les gens qui se sont rapprochés de moi depuis mon arrivée à New York n'ont fait que se blesser par ma faute. Ernest avait été enlevé, Daniel avait failli périr noyé… Icare allait-il se prendre un avion en plein vol ? J'aurais du en rire. J'en frémis d'angoisse.

Puis, il commença à répondre à mes interrogations. Ces questions qui paraissait bateau semblaient plus complexes pour le jeune homme. Pourquoi ? Telle était la question. Il me parla un peu plus de son passé, comme je le lui avais demandé. Deux ans à l'institut ? Et je ne l'avais jamais croisé auparavant ? Je réfléchissais activement là-dessus pendant qu'il continuait à débiter des phrases de mémoire. Il me parla de sa famille. Il y avait donc plusieurs mutants parmi eux. Je me questionnai alors sur les éventuels pouvoirs qu'auraient pu avoir mes frères et sœurs, si j'en avais eu. J l'écoutai attentivement jusqu'au bout. Jusqu'au moment où il me dévoila le nom de Julia. Les circonstances de sa mort me paraissaient tragiques. Elle avait voulu l'aider, lui, un mutant. Alors que d'ordinaire, on nous rejetait, quelqu'un avait voulu aider l'un des notre. J'eus beaucoup de respect pour cette fille.

Je posai délicatement ma main sur celle du jeune homme et, les sourcils légèrement froncés dans une moue intimidée et respectueuse.

"Ton amie… avait énormément de courage… Peu de gens auraient certainement agis comme elle l'a fait. Les autres nous fuient avec craintes ou nous montre du doigt. Finalement, une fois à l'institut… on se sent bien parce qu'on sait que le regard des autres n'est plus le même… La première fois que mes pouvoirs se sont montrés, j'ai du… fuir… Mais moi aussi j'avais quelqu'un. Mon meilleur ami. Et c'est dans ce genre de moment que l'on voit si les autres nous aime pour ce que l'on est ou non."

Étais-ce bien moi qui venait de m'exprimer de la sorte ? Voilà que je me remettais à faire des phrases. Des hommages. Et à parler comme Icare le faisait avec moi. J'étais carrément dérangée pour le coup. C'était moi la déprimée et je cherchais à aider un camarade ? Quoi de mieux pour le pousser au suicide… Quoi qu'apparemment, le suicide, il avait déjà expérimenté, ce qui expliquerait le fait qu'il soit placé sous tutelle en étant déclaré irresponsable. Je baissai les yeux et ôtai ma main de la sienne. J'avais envie de m'excuser. Pourquoi avais-je toujours le besoin de me mêler de choses qui ne me regardent pas ? Icare avait raison. Nous ne devions plus regarder le passé. Mais que penser de l'avenir ? Pour l'instant, pas grand-chose…

Je gardai le silence quelques instants, réfléchissant à une quelconque pensée heureuse. J'en cherchai une quelconque. Où se trouvait mon bonheur à cet instant précis ? Dans l'espoir que représentait Icare pour moi. Je reposai mon regard sur lui, cherchant un peu plus de réconfort. Puis, finalement, ma langue se délia, lentement, mot à mot…

"Voler… C'est le rêve de tout homme… Tu es un peu comme un morceau de rêve non ? Et puis… Voler, ça doit être la liberté non ?"

Je n'avais jamais réellement envisagé mon pouvoir en le qualifiant de "beau". Mais maintenant qu'Icare l'avait souligné, il était vrai que c'était une beauté qui me correspondait. Protéger ceux que j'aime serait pour moi ce qui pourrait me permettre de tenir dans n'importe quelle situation. Ca l’avait déjà été… Car finalement, la fois où j’avais envoyé ce camarade contre un mur, c’était parce qu’il avait cherché mon meilleur ami. Je l’avais déjà défendu. J’avais cherché à le protéger, à l’aider. Mais au lieu de ça, j’avais alors attaqué, comme quoi je ne me contrôlais vraiment pas.

Icare entendit mon ventre grogner. Je me mordillais légèrement la lèvre inférieure, un temps soit peu gênée par la situation. Mais le sourire qui rayonnait sur le visage de l’ange empêcha le rouge de me monter aux joues. Je lui rendis une ébauche de sourire. Sa proposition de m’accompagner déjeuner me fis une étrange sensation. Je n’étais pas sortie de l’institut ni même de ma chambre depuis un bon moment et je n’avais partagé aucun de mes repas avec une compagnie quelconque. Et puis… la cantine était toujours bondée à cette heure, les autres me regarderaient étrangement. Mais au fond de moi, je voulais y aller. Après tout ce n’était que la cantine non ?

Tandis que mon hésitation grandissait, l’ange poursuivit ses paroles. Et pour le coup, je me retrouvais réellement face à un dilemme. Icare avait raison, mes dernières sorties s’étaient montrées dangereuses et risquées. Mais lorsqu’il me parla d’un restaurant, des pensées bien plus agréables m’envahirent. Le souvenir d’une glace partagée avec Daniel. Le jour où il m’avait avoué les projets qu’il avait pour moi. Tous ces souvenirs me procurèrent une douce chaleur. Je sentis presque une nouvelle force en moi. Icare poursuivait ses mots, m’indiquant que tout ceci était fort risqué. Est-ce que je m’en fichais ? Oui. Pour le moment, me prendre une punition quelconque était le cadet de mes soucis. En revanche, sortir à l’extérieur… Redécouvrir le monde… Je me sentais prête et incapable de le faire à la fois. Mais le défi qu’on me lançait, j’étais capable de le relever. Si Icare s’était exprimé en ajoutant « Cap ou pas cap ? » à la fin de sa phrase, je savais pertinemment ce que j’aurais répondu quoi qu’il advienne.

« Euh… Écoute… C’est d’accord… Mais ne me lâches pas d’une semelle alors… Parce que… Je… pourrais m’attirer facilement des ennuis. Ou plutôt… Ca me fait un peu peur de sortir… Mais c’est pas grave… Si t’es là, ça ira… Donnes moi juste une minute… »

Je rentrai rapidement dans la chambre. La porte était toujours fermée à clé et je la laissai telle quel. Je pris une paire de Converse qui trainaient dans le coin et les enfilait rapidement. Puis, je pris une veste à fermeture éclaire dans laquelle je rangeai soigneusement mon porte feuille. Quand je me sentis enfin prête, je retournai sur le balcon et pris soin de fermer la fenêtre derrière moi. L’ange m’attendait, créant une ombre magnifique sur moi. Un large sourire s’étirait sur son visage. Pour ma part, je me contentai de lui répondre par un petit sourire en coin. Puis, une question apparut dans ma tête. Suivie de près par une seconde.

« Euh… Laisse-moi deviner… On va y aller en volant, c’est ça ? Et… Icare… c’est pas ton vrai nom… Alors… Est-ce que je pourrais au moins connaître le prénom de celui qui me montre la lumière ? »