Ça faisait plusieurs mois que Markus avait perdu la mémoire. Des bribes revenaient mais rien n'était très clair. Absolument rien. Un sourire de femme, un coup dans les côtes particulièrement douloureux, des créatures étranges, des noms ou plutôt des sonorités, les cris d'une foule... mais il ne se rappelait plus si tout cela était dans son imagination ou dans sa mémoire.
Il mélangeait tout : ce qu'il avait lu dans le livre qui l'avait obsédé durant son absence et les paroles des gens qu'il avait croisés en revenant à New York. Lady, Kate, Walter... il pouvait se raccrocher à certaines valeurs presque sûres. Il était faible et ne savait à qui il pouvait faire confiance. Tous ces gens qu'il avait croisés dans les couloirs de l'Institut... ces sourires, comme s'ils se connaissaient alors que Links ne se rappelait d'eux que comme on se rappelle de gens que l'on croise dans la rue. Lucas, Angel, Plasm... des noms qu'il était censé connaître mais... mais qui donnait l'impression d'être des mots d'une langue étrangère dont le sens serait complètement hors de portée du jeune amnésique. Tous les matins, il faisait son jogging par réflexe, il allait encore dans la salle de musculation, il essayait d'en apprendre plus sur son pouvoir mais personne ne le lui avait expliqué de manière convaincante. Une transformation en une bête sauvage, c'était tout ce qu'il savait. Des mutants. Tous ces gens s'appelaient des mutants. Et lui, il avait fait du catch avant, en Europe, en France et était aussi un mutant. C'était comme lire la biographie d'un personnage de bande dessinée sans en avoir lu un seul exemplaire.
Il y avait autre chose qui ne collait pas : Markus Ford était le Béhémoth, c'était un super héros. Or... il n'avait pas du tout le sentiment d'être un héros. Ça ne pouvait pas être lui et c'est cet argument qui lui avait longtemps fait douter de son identité. Un jour qu'il marchait dans les grandes rues de New-York, Markus passa devant un kiosque. Un magazine titrait "Où est passé le Béhémoth ?". La photo sur la couverture donnait un peu froid dans le dos. Elle était floue, on ne pouvait même pas voir les yeux du super héros. Il n'y avait que le photographe de Spiderman pour réussir des clichés réussis d'un justicier masqué. Markus savait que ça ne pouvait pas être lui sur cette photo. On dirait un gamin, trop sûr de lui, ridicule en collants. Il se surprit tout de même en train de s'imaginer volant au dessus des toits de la Grande Pomme, vêtu de bleu et de noir, sauvant des gens, mettant ses super pouvoirs au service de l'humanité.
Le même jour, Markus, en rentrant à l'Institut, trouva dans sa chambre une serviette. Il l'ouvrit. Elle contenait un costume noir et bleu, luisant, avec un énorme B sur le torse. Un mot accompagnait le costume. "Les super héros ne meurent jamais". Pas de signature. Walter, Tristan et Lucas n'étaient pas là et Markus ressentit la furieuse envie de l'essayer. Evidemment, le costume lui allait parfaitement, du masque aux gants en passant par la ceinture remplie de gadgets... il ne fut presque pas étonné de constater qu'il savait exactement quelle pochette contenait quel gadget. Il retira les gants et le masque. Il enfila ses vêtements de civil par dessus son costume, répétant sans le savoir, un rituel quotidien d'un autre temps.
Il mit le masque et les gants dans les poches de son blouson et décida d'aller dîner dans un restaurant à proximité de l'Institut. Tout s'enchaîna très vite une fois dehors. Une voiture qui passait avec les vitres ouvertes et la chanson "Links 234" de Rammstein, une femme qui se faisait battre dans un appartement situé au troisième étage d'un immeuble, le magazine avec la photo, en deux secondes, son adrénaline monta comme si son cœur allait exploser. Ses réflexes s'étaient ranimés : abandonner ses vêtements de civil à l'abri des regards, se transformer en Béhémoth, mettre le masque, les gants, grimper à la seule force des jambes et des poignets l'escalier de secours, défoncer la porte de l'appartement, mettre l'homme hors d'état de nuire, regarder si la femme n'avait pas besoin de soin, appeler une ambulance et la police, partir sans même attendre de remerciement.
Il allait demander Kate en mariage et avait mis un terme à leur couple sans le vouloir... il n'était plus amoureux mais ne voulait pas rompre. Il avait été le plus grand catcheur de la FCE, au détriment de Luis Cervantes avant de se faire jeter parce qu'il était un mutant. Son pouvoir pouvait atteindre 15 formes et il n'en connaissait que 4 encore. Il avait de bons amis à l'Institut, il y avait même été professeur quelques temps. Il était dépendant à la morphine. Il s'était fait bannir d'énormément de boîtes de nuit. Et surtout... il était un super héros, le Béhémoth. Les journaux du lendemain titraient "Le Béhémoth revient d'entre les morts". Ce titre ne plaisait pas à Markus. Il préféra acheter le magazine de la veille. Il découpa la photo et la colla sur le mur juste à côté de son lit dans la chambre 5. Non, ce titre ne plaisait pas à Markus... car les super héros ne meurent jamais.
Jeu 11 Déc 2008 - 0:10