Station de Car, Route 80, Des Moines, Iowa. [Libre]

J'ai l'impression d'avoir vécu les trois plus longues journées de ma vie, et accessoirement, après en avoir passé la moitié dans un rayon de cent mètres, la cavale de ces derniers temps a tendance à déstabiliser un tantinet mon rythme habituel. J'en suis conscient oui, une migraine infernale se charge de me le rappeler en exerçant une percée continue dans la zone arrière-supérieure de mon crâne. Ne pas dormir plus de trois heures consécutives quand j'étais une sorte de plante d'intérieur passait encore, étant donné mon niveau d'activité... Mais là, penché au dessus d'un fossé de la Route 80, à vomir mes tripes, je me demande si je suis pas en train de faire une énorme ânerie. Au moins, jusque là, aucun phénomène inexplicable.

Récapitulons.

Je me suis réveillé il y a trois jours dans un foyer pour sans-abri à Lincoln. Des heures à attendre dans une petite salle aux murs verdâtre, en compagnie de quelques clochards nauséabonds avachis sur des bancs ou des tapis, des heures à fixer un étrange tube lumineux au plafond. Une grosse femme est venue me demander mon nom et l'adresse de mes parents. J'ai hésité et fini par dire une connerie comme elle avait du en entendre des centaines de fois par toutes sortes de vagabonds, peu de chances qu'elle soit dupe. Comme je disais plus rien, elle est sortie et je me suis retrouvé de nouveau face au luminaire, seule personne à peu près lucide de l'endroit. Bon, il fallait pas que je reste là. Alors que je me levais, elle a réapparu dans l'encadrement de la porte et m'a demandé de la suivre, ce que j'ai fait. Elle m'a donné des habits et m'a indiqué la douche. Le soir, elle m'a redemandé d'où je venais, et m'a prévenu qu'elle avertirait la police si je continuais à cacher mon identité. Une femme peu mobile, seule à garder un foyer pour sans abris. J'ai prit la fuite dans la nuit, sans difficultés, en volant cinq dollars sur son bureau.

Dehors, j'ai eu l'impression de sortir d'un rêve de dix ans, et je commençai à joindre des bribes de souvenirs de mon enfance avec l'empreinte technologique du temps dans lequel j'évoluais maintenant. Il est étrange de se figurer que pendant les dix ans que j'avais passé à l'écart du monde, dans les restes d'une époque révolue, le monde lui, avait continué à tourner, ce qui m'avait mit doublement en retard. Bref, j'ai fini par prendre un bus un peu au hasard, vers l'est, avec l'envie frénétique de mettre le plus de distance entre la petite maison au sud est de Lincoln, Nebraska et moi même. Le chauffeur, un type sympathique m'a expliqué que mes cinq dollars m'amèneraient pas plus loin qu'Omaha, à la frontière de l'Iowa.

Le jour pointait déjà quand il m'a déposé à Omaha. J'y ai erré pendant toute la journée. Près de la station j'ai entendu des locaux parler d'évènements inexplicables près de Lincoln, et rire d'une blague à propos des 'rednecks'. Le souvenir du type ralentit et du toîit de la maison resurgit, sans que j'arrive réellement à distinguer le réel de l'hallucination et l'hallucination des rêves qui avaient suivi ces évènements et resurgissaient à ma conscience. La migraine à commencé à ce moment là. Je suis resté assis dans les parages à observer les alentours, mais pour éviter de tomber de sommeil, j'ai rapidement décidé de me diriger vers le centre ville. Je me suis rendu compte que j'avais très envie de marcher, de profiter de ma nouvelle mobilité. J'étais submergé par une vague de bonheur. Je ris. Mais je passai la nuit dans la rue, sans m'attarder à un endroit en particulier (et il m'a semblé que c'était pour ne pas avoir l'air d'un sans abri... Ce que pourtant j'étais).

Tôt le matin, exténué, j'ai trouvé une station de car de la Gray Hound, et j'ai attendu le premier de la journée. Quand il est arrivé je suis monté en faisant profil bas, et je me suis tassé dans mon siège, personne ne m'avait demandé quoi que ce soit jusque là. Le car à démarré. Après une vingtaine de minutes, un contrôleur m'a forcé à lui accorder son attention et j'ai été contraint de descendre à la prochaine station, c'est à dire à celle de Des Moines, Iowa.

La migraine était montée, et à peine avais-je posé le pied sur le sol, que mon centre de gravité sembla basculer. J'ai couru vers le fossé en espérant que mon 'pouvoir' resterait hors de ça.