Eau clair et idées noires (libre)

Lénore était seule dans la salle de bain. A cette heure de la journée, la plupart des élèves étaient dehors à chasser les dernières rayons de soleil ou confortablement calfeutrés dans un fauteuil d’une salle commune. Lénore, quand à elle, ne se sentait pas de cœur à rejoindre les autres, car elle se savait de bien piètre compagnie en ce moment.

Lénore était bien loin d’avoir digéré la dispute qu'elle avait eue avec Roween, mais c’était avant tout ce qu’elle avait vu dans les souvenirs de sa camarade qui l’empêchaient de dormir la nuit et qui la faisait tourner en rond comme un ours en cage: sa camarade avec une vie sur la conscience, et cela faisait des années qu’elle le cachait. Rien qu’en fermant les yeux, Roween était capable de revoir les dernières images de cette fille sur le toit, juste avant qu’elle ne soit heurtée par la tuile et qu’elle ne tombe dans le vide. Dans tout cela, il y avait quelque chose qui effrayait encore plus Lénore, bien plus que ces horribles images: en tenant Roween, elle avait ressenti une sorte de joie presque bestiale qui ne la quittait plus. A cette instant, Lénore avait été certaine: Roween avait non seulement pris une vie…mais elle était capable de recommencer si quelqu’un la contrariait suffisamment.

Lénore plongea la tête dans le lavabo qu’elle avait remplis d’eau froide et ouvrit grand les yeux. Peut-être qu’elle arriverait enfin à se débarrasser de ses images, mais au milieu de ses cheveux blonds qui glissaient dans l’eau tout autour de sa tête comme un voila blond, elle entendait toujours les cris de cette fille dont elle avait pu revoir la mort.
Lénore demeura la tête sous l’eau jusqu’au moment où elle croyait sentir ses poumons exploser. C’est seulement là qu’elle ressortit la tête de l’eau froide et qu’elle se passa les deux mains sur le visage. Dans la glace, une gamine pâle à faire peur la regardait, les yeux écarquillés et les cheveux dégoulinant d’eau. En voyant son image dans le miroir, les cernes noirâtres sous ses yeux et ses mains tremblantes après plusieurs nuits quasi sans sommeil, Lénore su soudain qu’elle ne pouvait pas continuer à vivre avec un tel secret sur la conscience. Elle savait bien que, si elle parlait, elle allait perdre l’amitié de Roween une fois pour toutes, mais à choisir entre des virées nocturnes entre amies et sa santé mentale, Lénore s’était décidée pour le second…il fallait qu’elle en parle à quelqu’un.