Il était tard, enfin tôt pour être plus exact. Un soleil rouge dépassait de l'horizon pour promener ses premiers rayons sur New York. Les derniers oiseaux de nuit rentraient chez eux pour goûter à un repose bien mérité, et les premiers lève-tôt partaient pour une nouvelle journée de travail. Gretchen faisait partie du premier groupe. Elle avait passé la nuit dans un laboratoire que la Confrérie avait mis à sa disposition. C'était bien mieux que le petit laboratoire de sa cave, au matériel démodé. Elle avait plusieurs assistants, des cobayes chaque fois qu'elle le souhaitait, et du matériel hi-tech. Rien que ce soir, ses recherches avaient avancé de plusieurs années. Plus que quelques mises au point, et Gretchen pourrait incuber son premier œuf modifié et, avec un peu de chance, faire naître l'être supérieur qui était le but de sa vie.
Elle poussa la porte de sa maison avec un soupir de soulagement. Accrochant son manteau et posant son sac de médecin, elle alla directement au salon. Là, elle posa un disque de bakélite sur son gramophone et tourna la manivelle pour lancer la musique. L'ouverture de Rienzi sortit du cornet pour imprégner la pièce de ses notes grandioses. Gretchen écouta un instant les yeux fermés, puis elle ouvrit le lourd buffet d'acajou occupant un coin de la pièce et remplit un verre d'un liquide écarlate à l'odeur salée. Elle leva le verre pour l'observer, apprécier la texture du sang comme un oeunologue appréciant un bon vin. Puis elle porta seule un toast à l'être suprême qui naîtrait de ses recherches et but une gorgée.
Soudain, elle fut tirée de ses pensées par le claquement de la porte d'entrée. Posant son verre, elle accourut voir qui était là. Personne ! Elle avait pourtant bien entendu du bruit. Un grincement retentit alors dans le salon qu'elle venait de quitter. Cette fois, elle était bien sûre qu'il y avait un intrus chez elle. Qui ? Un X-men ? Un chasseur de nazis ? Elle ouvrit la mallette qu'elle avait posée au pied du portemanteau et en sortit son Luger. L'arme au poing, elle entra dans le salon avec l'intention d'attraper cet intrus et de le tuer s'il ne pouvait pas justifier sa présence en ces lieux. Elle avait fui assez longtemps pour ne plus vouloir prendre le moindre risque.
Une silhouette grande et svelte, des cheveux blonds, un uniforme gris.
-Mais qu'est-ce que...?
Gretchen baissa involontairement son arme, son cerveau refusait d'assimiler les informations que ses yeux lui envoyaient. L'homme se retourna. C'était un jeune homme d'une petite trentaine d'années, d'une certaine prestance. Il était vêtu d'un uniforme prussien de 1916. Il souriait de ses dents bien blanches, ses yeux bleus pointés sur Gretchen.
-Bonsoir, Gretchen.
-M...Je...Dieter ?
Dieter Krauze, le frère aîné du docteur, miraculeusement revenu d'entre les morts, tel qu'il était avant de partir au front en 1916 et avant de revenir de la guerre mutilé. Le Luger tomba sur le tapis avec un bruit mat. Gretchen était comme anesthésiée. Elle devrait savoir que c'était impossible, que son frère était mort et enterré, mais elle n'arrivait pas à faire la part des choses. Dieter tendit les bras vers sa soeur, et elle s'y blottit sans hésiter. Dieter commença à faire quelques pas de valse, et Gretchen suivit. Elle caressa le visage de Dieter, les pensées embrumées par la beauté de ce visage d'ivoire. Elle aurait pu rester des années à danser comme ça. Mais le disque commençait à arriver à sa fin lorsqu'une vive douleur lui traversa la poitrine. Gretchen baissa lentement les yeux et vit la seringue plantée sous son sein gauche, le piston écrasé. Déjà sa vue se troublait.
-Dieter ! Nein... Qu'est-ce que...
Gretchen tomba sur le sol et cessa de respirer. "Dieter" la ramassa et la hissa sur son épaule pour l'emmener loin d'ici. Un mutant, un mutant qui avait le pouvoir de revêtir l'apparence d'un autre, qui savait quel était le seul point faible du docteur, et qui savait exactement quel usage il ferait de ses recherches...
Mer 2 Mar 2011 - 16:28