Il n'y a pas matière à s'inquiéter [Alice + Warren]

L'heure était arrivée pour Ludwig de dire adieu au bon tailleur huguenot qui l'avait hébergé pendant une semaine dans sa petite maison de Cantorbéry. Le mutant avait assuré qu'il venait d'une île de la côte de Clacton, et qu'il devait à présent repartir jusqu'au port de Brihgton. Très heureux d'avoir un peu de compagnie, le travailleur veuf, un peu sur l'âge, avait accepté de l'héberger en échange de quelques heures d'aide quotidienne au fusain. Évidemment, grâce à son pouvoir, le jeune homme s'était montré doué dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, et il avait même dû décliner la proposition de devenir apprenti. A la nouvelle de son départ définitif, l’artisan lui avait alors offert un peu de pain, de vin, et un chapeau en peau de castor. Le couvre-chef aurait valu une fortune une dizaine d'année plus tôt, mais en cette année de 1845, il n'était plus possible d'en écouler un seul, la soie l'ayant remplacé la fourrure dans le cœur des gens de bonne société. C'était une bonne occasion de s'en débarrasser, et de se protéger de la pluie qui tombait encore, car l'objet était imperméable.

Après une marche d'une demi-heure dans les terrains boueux, Ludwig parvint dans un bosquet qui bordait les longs espaces irréguliers de la ville. Il s’appuya contre un arbre dont les longues branches aux feuilles brunes laissaient encore traverser de lourdes goûtes d'eau. Un premier éclair alla se perdre à l'horizon. Il n'était pas tard, mais le ciel était déjà obscur. Le mutant avait eu le temps de réfléchir à sa prochaine destination. Ces derniers jours de labeur l'avaient passablement fatigués, et il était décidé à se reposer tant qu'il le faudrait, et à se laisser aller à des activités si possibles plus distrayantes. Direction une époque moderne où il faisait paraît-il bon vivre, située aux limites de ses capacités, une date qu'il aimait qualifier de butoir. Serrant les poings sous l'effet de la concentration il localisa un endroit qui devait se situer quelque part dans un quartier chic d’Amsterdam. Il trouverait bien un étudiant sympathique pour l'héberger, et la distraction là-bas ne manquait pas. Un second éclair le fit sursauter alors que le grésillement caractéristique débutait.

Sa vision se brouilla, comme toujours, alors que les troncs disparaissaient de plus en plus vite devant lui. Il se retrouva face à l'image dérangeante d'un corps en pleine recomposition morceau par morceau, ce qui lui fit perdre encore d'avantages ses repères. Il cligna des yeux avec consternation : cette image surprenante n'était que son propre reflet, dans le miroir d'une salle de bain d'une évidente nature collective. Il inspecta, sans encore pouvoir bouger, les lavabos blancs, dont la modernité affirmait qu'il ne s'était pas trompé d'époque. Une feuille plastifiée récapitulant quelques consignes d'hygiène, en anglais, lui fit par contre comprendre qu'il n'était probablement pas arrivé à destination. Passionné par la céramique blanche laquée et l'écriteau, il aurait sans doute raté la jeune fille, un peu à gauche de son champ de vision, si elle n'avait eu la bonne idée de lui adresser la parole d'un air plus que surpris.

Il la regarda dans un premier temps avec des yeux ronds, comme si elle faisait partie du mobilier, puis se rappela qu'il avait peut-être débarqué dans un lieu privé, et qu'il était sans doute plus poli de dire quelques mots. Il se découvrit la tête et fit une révérence rapide, à la manière d'un officier de cavalerie dont il avait pu profiter un peu de la compagnie :

-Mademoiselle. Veillez m'excuser de cette entrée soudaine. Il n'y a pas matière à s'inquiéter.

Ludwig remarqua la tenue de son interlocutrice, mais l'idée qu'il ne fut pas arriver à un moment très pertinent ne fit que lui effleurer l'esprit. Il sourit, autant pour la rassurer que parce qu'il était heureux de se trouver dans un lieu visiblement accueillant. Dans ces années là, il savait le phénomène mutant bien connu, et n'imaginait que mal qu'il fut perçu trop négativement ou avec une surprise excessive. A ses pieds, une flaque d'eau boueuse commençait à se former sur le carrelage, gouttant de ses habits trempés, qui étaient tous d'un style purement XIXe. Il lança d'un ton détaché :

-Je ne suis pas à Amsterdam, je suppose ?

A une heure avancée de la nuit, entre le jour et la nuit, Alice n’osait toujours pas fermé l’œil. Surement la crainte de se retrouvait dans le rêve d’un déséquilibré. Cela ne lui était encore jamais arrivée mais on ne sait jamais, personne ne contrôle vraiment son subconscient lorsqu’il dort à part elle bien sûr. Alice ne savait pas franchement quoi faire sans pour autant déranger ses camarades. Elle se levait alors sans bruit pour aller dans un endroit où elle se sentait bien : la salle de bain. Alice y restait parfois des heures, seule pour réfléchir jusqu’au réveil de ses camarades. Une fois là-bas, Alice se penchait pour boire au lavabo quand un bruit, ou plutôt un grésillement, survenu de nul par l’interrompu. Elle sursautait et c’est alors qu’elle aperçût une forme abstraite dans le miroir. Pris de panique, Alice se retournait pour vérifier que cette forme n’était pas le fruit de son imagination. Non elle était bien réelle ! Plus les secondes passèrent, plus la forme ressemblait à un corps humain. * Ca ne peut pas être un rêve, je ne dors pas * pensait-elle. Alice restait pétrifiée de peur. Elle ne savait ni quoi faire ni imaginer.

"C’est quoi ce délire ?!" arrivait-elle à articuler une fois que la forme devint un jeune homme fait d’os et de chair.

Alice le regardait de haut en bas. Il ne semblait pas venir de notre époque avec cette tenue assez particulière. Ce jeune homme est surement un mutant, vu la façon dont il est apparu c'est inutile d'en douter. Enfin il ne semblait pas lui vouloir du mal. Il s'excusait même d'être apparu aussi brusquement dans sa vie. Alice contenait un rire en voyant le chapeau de son interlocuteur. Ça ne se fait pas vraiment de rire des goûts des autres personnes alors elle se gardera bien de se moquer de lui. Alice s’aperçût enfin qu'il était trempé. Mais est-ce vraiment une bonne solution de s'approchait de lui ? Elle hésitait, il ne lui paraissait pas violent et puis il est plutôt sympathique à regarder...

Avant même qu'Alice ne fasse quoi que ce soit, la voix du jeune homme coupait la réflexion d'Alice. Il lui demandait s'il se trouvait à Amsterdam. * Non effectivement on n'est pas à Amsterdam cher monsieur * pensait alors Alice en souriant. Elle se décidait enfin à sortir une serviette de la commode à sa gauche et à s'approchait de lui. Mais pourquoi sourit-il ? Ce sourire déstabilisait quelque peu Alice mais elle parvint à dire ces mots :

"Non on n'est pas à Amsterdam, ici vous êtes à New York." disait-elle en lui donnant la serviette.

Que faire de plus ? Alice était quelque peu intimidé de se trouvait à environ un mètre de lui. Elle baissait la tête et remarquait une flaque d'eau boueuse. Pour éviter de se retrouvait à le regarder de sitôt, Alice se penchait pour attraper la serpillière qui traînait non loin et elle se mit à nettoyer. Il avait l'air sympa ce jeune garçon. Pourtant elle ne le connait pas encore assez pour l'affirmer mais ce sentiment de sécurité en sa présence la rassurer. * Mais enfin pourquoi être gênée ! Il ne sait pas ce que tu penses voyons !* se sermonnait-elle. Du moins elle espérait qu'il ne lisait pas dans les pensées.

"Vous êtes un mutant, ça ne fait aucun doute... mais pourquoi venir dans un tel lieu à trois heures du matin ?" demandait-Alice en gardant la tête baissée sur la serpillière.

Une alarme coupait ce semblant de discussion. Alice savait que son intrusion aller être découverte mais pourquoi maintenant ? Elle se relevait presque aussitôt pour regarder comment se portait le jeune homme. Alice voulait le rassurer, lui dire qu'il ne craignait rien mais est-ce vraiment la vérité ? Elle n'avait pas la réponse à sa propre question.

"Je... je suis désolée... je crois que vous avez été découvert. Ça va aller, ils ne vous feront rien." fit Alice pour essayer tant bien que mal de le rassurer et par la même occasion se rassurer elle-même.

Elle attrapait une des mains de son interlocuteur et la serrer entre les siennes. C'était la seule chose qu'elle pouvait faire. Cela lui permettait de se rassurer mais est-ce vraiment acceptable alors qu'elle ne le connait absolument pas ?

Sans effarement, Ludwig prit en compte le fait qu'il n'avait pas atterrit où il l'avait souhaité. Ce n'était en effet pas trop étonnant, la moindre distraction au moment où il canalisait son pouvoir pouvait l’amener à ce genre d'imprécision. Quoi qu'il en fut, il faisait beaucoup plus chaud dans cette salle de bain qu'en pleine campagne saxonne, et c'était déjà beaucoup. Il fut un peu décontenancé par la serviette qu'on lui tendait, ne sachant trop quoi en faire, ni pourquoi on lui la proposait spontanément et humblement. Il resta hébété, puis la passa autour de ses épaules, sans quitter du regard la jeune fille qui s'attelait maintenant à passer une serpillière sous ses pieds. Le mutant s'interrogea sur son statut et le bâtiment où il se trouvait. Il en déduit qu'il était très probablement dans un hôtel de classe moyenne, et qu'il avait devant lui une agente d'entretien. Bien qu'elle fut un peu juvénile, ses repères quant à l'âge et au niveau social étaient brouillés par ses fréquents sauts temporels. Il n'était jamais allé à New York, néanmoins, c'est avec fierté qu'il lança le nom de quelques modestes quartiers connus.

-Ah ? Je dois être à Harlem, ou dans le Bronx peut-être ? Il compta vivement sur ses doigts, sourit de plus belle avant de reprendre : Trois heures du matin, oui... Mais ça ne dit rien ! Je suis bien fin printemps début été 2011, il me semble ?

Il allait continuer, en lui assurant qu'elle était très perspicace en devinant qu'il était mutant, et en lui demandant de développer ce qu'elle entendait par ''un tel lieu''. Pourtant, il lui sembla qu'un son qui ressemblait assez à une alarme éclata dans le silence du soir. Cela ne fit qu’apostropher le jeune homme, qui se mit néanmoins en quête des caméras, les trouvant très performantes pour déterminer qui était un intrus, et qui ne l'était pas. Ne pas en trouver renforça l'admiration qu'il avait pour le concepteur du système : la technologie avait semblait-il beaucoup évoluée, sans qu'il s'en rende compte, depuis 1990. Ce qui commença à inquiéter Ludwig, ce fut la tension qu'il sentait alors que son interlocutrice commençait à montrer des signes de panique. Elle tentait de le cacher tant bien que mal sous des paroles qui se voulaient apaisantes, mais qui eurent sur le mutant un effet parfaitement inverse. Les choses s’accélérèrent encore d'avantage quand elle prit ses mains, comme pour annoncer que la situation était grave. Il voyait la GESTAPO débarquer soudainement, pointer leurs armes sur lui, et finir l’exécution interrompue en 44. Son sourire d'émerveillement se métamorphosa en un sourire en coin, tordu, gêné. Il remit son chapeau à sa place.

-Mes excuses, ce n'est vraiment pas dans mes habitudes de jouer le brigand.

Sur ses mots, Ludwig passa vivement derrière la jeune fille, alors que son bras droit enserrait avec une délicatesse ferme ses côtes. De la main gauche, il chercha dans sa poche un mora qu'il avait gagné en 1770 à l'occasion d'un jeu dans une taverne suédoise. Le couteau au grand manche, comparé à sa petit lame courbe, s'il fut destiné d'abord aux pêcheurs et aux horticulteurs, était assez dangereux pour un tel travail. Il le posa sans violence contre la gorge blanche, basculant pour cela légèrement en arrière la tête de celle qui était par rapport à lui trop petite pour faire autrement. Il n'aimait pas beaucoup ce genre de méthode, mais l'inconnu qui d'habituel lui était agréable prenait en ce moment précis des airs de cauchemar. S'assurant que sa prise était solide, il murmura, moyennant sa sincérité :

-Notez qu'il n'est pas dans mes projets de vous tuer, bien évidemment. Mais il serait plus heureux que vous me donniez des informations sur quelle police va tenter de me capturer, et s'ils ont de la considération pour vous.

Disant cela, il tira de quelques pas son interlocutrice, plaquant son flanc contre le mur latéral à l'entrée de la pièce, si bien qu'il faudrait d'abord ouvrir complètement la porte pour le voir, mais aussi pour le viser, la jeune fille maintenue devant lui.

Alice se trouvait plutôt mal, il semblait être encore plus nerveux depuis qu'elle lui avait dit de ne pas s’inquiéter. La dernière phrase du jeune homme ne rassurait pas Alice. Que voulait-il dire par jouer le brigand ? Alice eu assez rapidement sa réponse. En moins de temps qu'il en faut pour le dire, il se plaçait derrière elle pour la maintenir avec une main et la menacer avec un couteau de l'autre. Alice se crispait, sa respiration s'accélérait et elle se sentait très mal d'un coup. Pourquoi lui avoir fait confiance si vite alors qu'il est visiblement dangereux ! Qu'elle idiote fait-elle. Alice ferma les yeux en essayant de trouver comment le rassuré pour qu'il évite de faire un geste désespéré. D'abord elle essayait de se rassurer mais comment être objective avec un couteau sous la gorge ? Visiblement, il ne semblait pas vouloir la lâchait de sitôt et sa prise était trop forte pour qu'Alice tente quelque chose.

Après un certain temps, il reprit la parole ce qui surprit assez Alice. Elle ouvrit les yeux et elle tentait de se calmer. Il dit que ce n'était pas son projet de la tuer. A oui ? Alors pourquoi la menacé ! Alice écoutait attentivement en assimilant bien tous les mots de son interlocuteur. Des informations sur la police ? Mais qu'elle police ?! Personne ne va lui faire du mal et surtout pas la police !

"Mais qu'elle police ?! Ce sont des mutants qui vont venir voir si vous n'êtes pas dangereux ! Et ce n'est pas en vous voyant en train de menacer une élève de l'institut qu'ils vont se rendre compte que vous êtes pacifiste ! C'est justement avec ce genre de comportement qu'ils vont essayés de vous neutralisé ! Calmez-vous maintenant et lâcher ce couteau s'il vous plaît... Je ne voudrais pas qu'il vous arrive quelque chose voyons."

Pourquoi essayé de le faire changer d'avis ? Il paraît être trop angoissé pour écouter ses paroles et Alice ne savait plus vraiment quoi faire pour le convaincre. Elle ne pouvait pas bouger, il ne lui restait que la parole. La dernière fois qu'elle avait essayé de le rassurer, il avait plutôt réagi dans le sens inverse : il avait eu encore plus peur apparemment. Alice décidait tout de même de continuer. De toute façon si elle devait mourir, elle ne voulait pas que ce soit à cause de son manque de réaction.

"Tout ce que vous faites, c'est leur donné une raison de vous faire du mal. Ils veulent juste vérifier votre identité et être rassuré à votre sujet. Enfin peut-être que je me suis trompée et que vous n'êtes pas aussi gentil qu'on pourrait le croire en vous voyant..."

Alice baissait alors tristement les yeux en remarquant que, peut-être, la confiance naturelle qu'elle accordait à tous les êtres humains allait lui coûter la vie. Pourtant, Alice se sentait en sécurité avec lui avant qu'il ne la menace. Elle imaginait même qu'elle pouvait peut-être devenir son amie.

C'est d'une oreille attentive que le jeune homme écouta les déclarations de son otage, sans perdre toutefois son air de béate inquiétude. Des mutants ? Si des capacités extraordinaires entraient dans le jeu, cela pouvait expliquer son repérage si rapide, sans doute. La nature de ceux qui étaient sur le point d'arriver le radoucissait néanmoins un peu, quand bien même il restait possible qu'un organisme de sécurité emploi une garde évoluée pour ses interpellations. Il aurait vraiment aimé la croire quand elle parlait d'une école, mais la situation restait étrange, aussi continua-t-il à la maintenir, ne sachant encore s'il s'agissait d'une ruse. Elle essayait encore de l'apaiser, il le voyait. Elle n'avait pas crié, tout juste haussé le ton. Elle était plutôt courageuse, malgré sa respiration angoissée, l'insistance de ses ''voyons'' nerveux, le rythme redoublé son cœur qu'il sentait battre durement contre sa poitrine. Des gouttes de sueur se mirent à perler le long de son front, se mêlant indistinctement à celles de pluie qu'il avait à peine essuyées. La situation était critique, et Ludwig avait toute la peine du monde à distinguer quel comportement lui assurait le plus de chance de s'en sortir sans dommage. Il lui jeta en un souffle, presque galant, du moins autant que peut l'être un kidnappeur hésitant :

-Je n'ai jamais eu le courage d'être pacifiste.

L'adolescent, qui avait commencé à desserrer son étaux, le compressa à nouveau assez violemment au moment même où la porte s'ouvrit, laissant apparaître deux immenses ailes blanches. L'individu à leur centre, quoiqu'il fut un peu plus grand que lui, et non moins majestueux, lui parut presque petit en comparaison du colossal plumage. De longs cheveux blonds tombaient à l'arrière de sa tête, ajoutant encore à la grâce de cette statue impérieuse qui le contemplait de tout son surnaturel. La fascination en fut assez grande pour que Ludwig manque de laisser choir son arme trempée : il raffermie sa prise sur le manche au dernier moment. Il ferma les yeux un peu plus longtemps qu'à l'habitude, et les rouvrit, comme pour s'assurer qu'il n'était pas victime d'une hallucination. Il n'ignorait pas que la mutation pouvait altérer la plastique d'une personne, mais pour lui, c'était toujours en mal, faisant ressembler les malheureux aux démons des contes. Un ange, en revanche, c'était une surprise, et pas une petite.

Passé ce moment d'émerveillement, il n'eut aucun mal à suivre l'argumentation de l'être ailé. Bien qu'il le fut sûrement, il ne parvint même pas à se trouver sceau d'avoir réagi ainsi, ses pensées étaient s'étaient déjà envolées bien plus loin que lui-même. Il resta à commenter silencieux, immobile, impassible, le discours, sans oser l’interrompre. Sa bouche s'ouvrit, puis se referma. Le nom de Charles Xavier résonna comme les notes d'un carillon dans ses souvenirs. Il avait déjà entendu parler de ce grand homme, lors d'une conférence sur l'évolution à laquelle assistait son frère, dans les années 80. C'était quelqu'un qui lui avait paru à l'époque fort sage et érudit, avec qui il aurait apprécié converser. La courtoisie du X-man et la mention de l'illustre philanthrope mit fin à ses dernières craintes. Warren Worthington... cet individu là ne lui était pas étranger non plus. Il se demanda si ce n'était pas celui de cet homme d'affaire soucieux, qui était venu consulter le centre de recherche finlandais sur les mutations. Pour lui, le hasard datait d'à peine six mois, mais cela devait dater d'au moins quinze ans. Il relâcha avec délicatesse la jeune femme, s'assurant qu'elle se remette correctement sur pied. Il remit sommairement et sans précipitation le couteau dans sa poche. Son accent venu de nul part trancha le silence avant même qu'il ait pu s'installer, ses mots en furent de fait plutôt précipités.

-Enchanté, Warren Worthington. J'ai rencontré quelqu'un qui portait le même nom que vous, dans les années 90, à Vantaa. Il cherchait un remède à la mutation, je crois.

Ludwig eut un éclat de rire franc qui décontracta complètement tous ses muscles, tendus à l'extrême une minute avant. La raison de la visite, il s'en souvenait à présent, était trop risible pour qu'il ne s'en moque pas. Il ne se retenait d'ailleurs que rarement de rire. Il s'avança d'un pas net, et tendit naturellement la main au mutant ailé, de la même façon qu'il l'aurait fait à l'occasion d'une rencontre aimable, sa candeur faisant le reste. Sa passion avait dépassé son embarra, qui n'était jamais vraiment présent, de toute façon.

-Kärinä, voyageur.

Un instant plus tard, un homme grand, aux cheveux longs blonds, ouvrait la porte. Cet homme était doté de deux ailes blanches qui le faisaient ressembler à un ange. Alice ne lui avait jamais parlé mais elle l'avait déjà vu dans les couloirs. En même temps comment ne pas remarquer un homme ailé qui ne se cachait pas vraiment ? C'est alors qu'il se présentait et tentait de raisonner le jeune homme. Alice ne quittait pas l'ange des yeux pendant ce qui semblait être une négociation. Elle restait immobile jusqu'à ce que le jeune homme la lâchait. Une fois libre, Alice fit plusieurs pas dans la direction de son "sauveur". Sans suivre le reste de la conversation elle se blottit dans les bras de l'ange.

Tout ceci lui remis en mémoire l'incident du centre commercial. Elle se souvient de ce mutant qui lui avait sauvé la vie après qu'elle ait pris une balle pour le sauver. Pourquoi cet ange l'aidait-il ? Après tout ils ne se connaissaient pas... Enfin, pourquoi se plaindre pour une fois que quelqu'un paraissait honnête. De soulagement, Alice se mit à pleurer. Elle pouvait enfin se laisser aller. Elle murmura "Merci" entre deux sanglots. Surement trop troublée pour parler, elle continuait à sangloter.

Puis après plusieurs tentatives pour se calmait, Alice y parvient. Son "agresseur" s'approchait d'eux. Alice frissonnait puis elle se détachait de l'ange pour se reculait. *Ca suffit Alice, arrête de t’apitoyer sur toi-même.* pensait-elle. Alice s'adossait au mur en essuyant ses joues encore humides. Elle gardait le silence plusieurs minutes avant de s'adressait à Warren d'un ton assuré:

"Je sais que ça va vous paraître bizarre mais je dois vous demandez de ne pas lui faire de mal."

A ses mots, Alice baissait légèrement la tête et elle restait silencieuse. Pourquoi demander ça ? C'est absurde ! Il l'a pris en otage et voilà qu'elle veut le protéger maintenant ?! Alice était particulièrement troublée.

Avec un bref signe de tête surpris, Ludwig remercia son ex-otage pour cette attention étonnante. Toutes les personnes sympathiques qu'il rencontrait pendant ses voyages lui faisaient presque dire que l'humanité était bonne par nature. Il y en avait toujours une pour l’accueillir, pour lui offrir un peu de nourriture, tantôt gratuitement, tantôt contre un humble service. Il avait bien dormir dehors, ou eut le ventre vide, l'espace de quelques jours, mais son pouvoir lui assurait assez de mobilité pour, au final, ne jamais réellement souffrir de ce genre de carence. Certains des grands mal du vagabond lui étaient presque inconnus, et il n'imaginait pas les choses autrement, cependant, le geste de la jeune fille était encore un cran au-dessus des petites bontés. Sans doute avait-elle sentit qu'il n'était pas aussi amoral qu'il aurait pu lui paraître.

-Un grand merci pour votre accueil, fit-il poliment en s'inclinant à nouveau devant elle.

Il observa de nouveau l'être ailé des pieds à la tête, lorgnant le costume, s'arrêtant toujours plus sur les plumes. Vraiment, c'était là un bel ouvrage que cet homme là, il était étrange qu'un père ne soit pas fier d'un tel fils. Mais il était normal qu'en la période de transition qu'étaient les années 90, quelques comportements difficiles à comprendre voient le jour. Les réactions humaines étaient tout à fait fascinantes, parfois. Après avoir contemplé sans aucune gène, le sieur Worrington pour la énième fois, il lui déclara de façon clinique :

-Assurément, ça aurait été bien dommage qu'il en trouve un.

Le mutant croisa les bras avec aplomb, prêt à reprendre une conversation plus calibrée sur lui. Il hésita à reprendre directement. Lui-même avait du mal à expliquer ses réflexes extrêmes face à l'angoisse de l'alarme, l'inconnu du lieu, l'évocation d'une police. C'était curieux, de toutes les apparitions qu'il avait faites, peu étaient aussi stressantes que celles-là. Il savait qu'il fallait sûrement chercher la raison dans son profil psychologique, néanmoins, il essaya de ne pas trop creuser mentalement le sujet de l’exécution de ses parents. Depuis longtemps déjà, l'événement était enfoui sous un monticule d'indifférence et de détachement, et il n'avait aucune envie de le réveiller. Il ne réfléchit pas d'avantage à trouver une réponse susceptible de satisfaire parfaitement les interrogations, en définitive, il ne mentirait pas. Il traça un petit cercle de ses deux mains, mimant une explosion, ou peut-être simplement la grandeur.

-J'ai eu un coup de foudre. Il adressa un regard machinal à l'adolescente. C'était bien sûr une allusion au tonnerre qui l'avait fait sursauter, quoique ce ne fut pas évident. Je crois que je dois aussi m'excuser auprès de vous pour cette arrivée un peu surprenante. Il s'essuya rapidement la figure à l'aide de la serviette, comme si cette phrase lui rappelait qu'il était trempé. Une faiblesse. Je voulais me retrouver à Amsterdam, on m'a dit que c'était une ville qu'il fallait visiter. Je me suis visiblement trompé, car si les indications que m'a données mademoiselle sont exactes, nous sommes à New York. Ludwig partait du principe quelque peu idiot que ses interlocuteurs étaient aussi perdus que lui. J'ai pour habitude de toujours visiter un endroit, même si c'est une erreur... Au final, vous savez, ça ne fait pas une grande différence.

Il marqua une pause, et bien qu'il ne relâcha pas son sourire, on sentait qu'il souhaitait mettre un peu plus de profondeur dans ses dernières paroles. Il reprit, non sans enthousiasme, son monologue. Il ignorait encore si on allait le mettre à la porte, alors il jugea bon de questionner l'intéressant x-man avant qu'il n'en ait plus l'occasion.

-J'ai beaucoup entendu parler de l'institut Xavier ! C'est l’œuvre d'un grand homme. Est-il vrai que vous accueillez les jeunes mutants ? Ce qui voudrait dire que, il bascula sa tête vers l'intéressée, cette jeune fille est des nôtres ? La mutation est un phénomène nouveau qui donne aux années 2000 tout leur charme. Dites-moi, je n'ai nulle part où aller, auriez vous une établ... Il y avait cent-cinquante ans, c'était encore courant, pourtant... une chambre à me proposer ? Je serais honoré de la payer de mes services, je maîtrise toutes les formes d'artisanat.

Alice relevait les yeux quand elle comprit que le jeune homme s’adressait à elle. Il ne savait que s’excuser ? Et puis cette façon de faire des révérences pour un oui ou pour un non commencé à sérieusement l’énervé. Elle ne baissait pas les yeux comme pour le défier. S’il osait dire quelque chose qui déplairait à Alice, sa colère allait vraiment éclater. Puis il prononçait un enchainement de mot qui accélérait le cœur de la jeune femme. Il disait avoir eu un « coup de foudre ». Savait-il ce que cela voulait dire pour Alice ? Surement pas. Elle se décollait du mur pour avancer de quelques pas. Alice était encore assez éloignée de lui pour se sentir en sécurité. Warren était là aussi alors Alice n’avait pas peur. En écoutant attentivement le voyageur, elle comprit ou il voulait en venir. Alice se stoppait net et elle serrait ses poings.

« Fermez là ! »

Surprise d’avoir dit cela à haute voix, Alice cherchait le regard de Warren pour être sûr qu’il lui apporterait la sécurité dont elle avait besoin. Elle lui lançait un regard intense remplit de peur mais aussi de détermination. Un instant plus tard, Alice tournant la tête vers son interlocuteur, elle reprit la parole :

« Ca suffit maintenant ! Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous dites ! Vous vous en fichez de me faire du mal alors que j’ai essayé de vous aidez dès votre arrivée ! Vous ne savez que vous excusez et faire des révérences ridicules ! Je pensais que l’on aurait pu être ami mais je ne crois pas que ce soit possible. Vous prenez tout à la légère, rien ne vous importe ! Vous arrivez à rire après m’avoir pris en otage ! Mais réagissez un peu et assumé vos actes ! »

Les larmes aux yeux, Alice comprit qu’elle avait été trop loin. Ca ne lui arrivé pas souvent d’exploser de cette façon mais lorsque cela arrivé, c’était violent. Elle ne quittait pas le regard du garçon qui se faisait appeler Karina. La jeune femme n’osait même plus regarder Warren. Elle savait qu’il n’allait pas être d’accord avec ce qu’elle venait de faire. Pourquoi se mettre en colère contre un inconnu qui ne la connaissait pas ? Après tout il ne savait pas tout ce qu’elle avait vécu dans le passé. Il ne pouvait pas savoir qu’elle se sentait seule et qu’elle avait besoin de se sentir apprécier par des jeunes de son âge. Alice voulait des amis mutants pour éviter de se sentir rejeté par les autres. Et puis elle ne pouvait pas savoir que le « coup de foudre » dont il parlait été le tonnerre. « Je suis désolé de m’être emportée », voilà ce qu’elle aurait voulue lui dire mais aucun son ne sortait de ses lèvres.

Alice tournait la tête vers le miroir et c’est lorsqu’elle vit son reflet que ses larmes coulèrent pour la seconde fois. Elle regrettait de s’est emporté contre lui, il avait surement vécu des choses dix fois pire que les siennes. *Pourquoi je suis aussi perturbée à cause de lui ?* pensait alors Alice.

Le changement de l'attitude du jeune homme fut assez radical. Dès qu'il sentit les premiers éclats de la colère de l'adolescente, il s'enferma dans une carapace de docilité. Son sourire s’évanouit pour l'expression de la désolation la plus plate et sa tête s'abaissa en même temps que ses épaules. Son regard, voilé à demi par des paupières qui semblaient avoir quadruplé leur poids, vint trouver la vision réconfortante du sol carrelé à ses pieds. Le reste de son visage était soit neutre, soit navré, tous ses traits crispés ou tirés vers le bas. Malgré son mètre soixante-dix-huit, il paraissait avoir rapetissé pour se placer à un niveau encore inférieur de celle qui l'inondait de son courroux. Ludwig cherchait à inspirer une certaine pitié, empruntant les registres de la soumission, voire de la servilité, et de l'humilité. C'était une technique qui avait fait en quelque sorte ses preuves face à ses instructeurs lors de sa longue et douloureuse éducation militaire. Il se souvenait avoir lu dans une fable française, qu'un auteur appelé La Fontainebleau faisait dire à un Roseau « Je plie mais ne rompt pas ». Il ne se sentait pas l'âme d'un végétal, mais de fait il se comportait exactement comme l'arbuste : ployer sous la tempête en gardant assez d'appuis pour se remettre sur pied quoi qu'il arrive.

Le mutant fut en vérité plutôt soulagé quand les larmes reprirent leur trajet naturel sur les joues blanches de son ex-otage, signe que la tirade réprobatrice était bel et bien terminée, et qu'il pouvait à nouveau respirer normalement. Il osa ensuite relever les yeux autant que nécessaire, sans que sa posture résignée ne change trop. Il poussa un soupir lourd et abattu. Il articula d'une voix basse et étrangement lente, où l'on ne retrouvait plus aucune trace d'une quelconque joie, opposé parfait du ton vif et allègre qu'il avait employé un instant avant.

-Je suis confus mademoiselle que mon arrivée vous ai causé un si grand désappointement et... que vous ayez cru que je n'en tenais aucun compte. Si je puis faire quelque chose pour réparer ma maladresse, faites le moi savoir.

De l'époque d'où il venait, les enlèvements et les menaces étaient encore chose courante, on ne faisait pas un drame de s'être faite kidnapper un jour ou deux. Alors pour une poignée de minutes, la réaction lui semblait un peu disproportionnée, toutefois, il savait qu'il lui faudrait un peu de temps d'adaptation pour être parfaitement en phase avec le XXIe siècle. Sans doute pas beaucoup, quelques heures, mais il était conscient d'avoir dû prendre des décisions juste après son apparition, ce qui n'était pas l'idéal pour respecter les mœurs du moment, et ainsi lui-même ne s'en voulait pas vraiment. Le regret était de toute façon l'un des pires fléaux pour qui voyageait d'âge en âge. Pour les apparences en revanche, il se livrait coupable. Néanmoins, il se redressa et ses paroles retrouvèrent un peu de chaleur lorsqu'il déclama solennellement à Warren Worthington.

-Ange, gardien ailé des portes du paradis terrestre, sachez que le jour... ou la nuit, sous laquelle je vous ai apparu me désole, et que si rémission m'est accordée, je n'avilirais plus de mes actes ni ce lieu, ni son antichambre... ni sa salle de bain.

L'humour était un peu douteux, quoiqu'il ne fut pas parfaitement accidentel. Parallèlement, les pensées de Ludwig commençaient à dériver sur d'autres sujets, songeant par exemple que le décalage horaire allait être conséquent, car s'étant levé peu avant (il y avait de ça environ 166 ans, mais c'était plutôt relatif), il n'avait absolument pas sommeil.

Alice attrapait le mouchoir de Warren pour essuyer ses larmes. *Pourquoi je devrais lui pardonner ?!Il me fait souffrir et puis ensuite je devrais lui pardonner ?!*songeait-elle. Son pardon ? Alice ne l’accordait plus vraiment depuis longtemps. Elle l’avait accordée à des personnes détestables juste pour éviter d’être seule. Sa sœur par exemple. Alice pensait que le lien qui les unisse était plus fort que tout c’est pourquoi elle lui avait tout pardonné. A présent, plus personne n’aurait son pardon aussi facilement. Plus jamais.

« Je ne crois pas être capable de lui pardonner... pas pour l’instant. J’ai besoin de temps et là vous ne m’en laisser pas assez. Le pardon ça se gagne tout comme l’amitié. Je dois pouvoir discuter avec lui pour savoir pourquoi il a agi comme ça et seulement après je pourrais accorder ou non mon pardon. » Affirmait-Alice en regardant Warren.

Puis elle tournait la tête vers le voyageur. En le regardant de haut en bas, Alice réalisait que, peut être, il n’était pas si dangereux que cela. Il ne méritait pas d’être rejeté à cause d’une erreur...

Alice avait été rejetée tant de fois seulement parce qu’elle est une mutante. « Une erreur de la nature » comme l’appelait sa tante après avoir découvert son pouvoir. Ca n’était pas de sa faute pourtant. Elle n’avait pas choisi de naître ainsi...

Alice avait souffert du rejet permanent des autres pendant tant d’année qu’elle ne pouvait pas lui faire subir cela à lui aussi. Elle culpabilisait même de ne pas pouvoir lui accorder son pardon. Alors, en gardant les yeux rivés sur lui, elle s’adressait une nouvelle fois à Warren.

« Je ne pense pas qu’il soit si dangereux que ça. Il est peut-être un peu perturbé lui aussi. Il a surement besoin de temps. Et de toute façon la décision de le laisser vivre ici, à l’Institut, vous reviens Warren, je n’ai rien à dire. Mon opinion n’est pas le plus important. C’est à vous de décider. Il se peut même que je ne le revois jamais alors peu importe si je lui pardonne ou pas. »

Le regard d’Alice retombait sur le sol. Cette eau boueuse la dégouttait. Et puis il l’avait mouillé tout à l’heure avec sa prise d’otage. Quel imbécile ! Jamais personne ne prend de douche aussi tard à l’Institut. Et puis qu’elle idée de réagir comme ça ?