Reveil et gueule de bois.. [PV: ERNEST]

La route avait été longue et difficile. Chaque seconde au volant fut un vrai calvaire et je ne comprend pas encore aujourd'hui comment nous avons fait pour rentrer sans provoquer d'accident. Les phares des voitures en faces me vrillaient le crâne à chaque fois et pourtant nous étions arrivés sains et sauf au QG de la confrérie. Enfin, la dur labeur il était pour moi car mon collègue, lui, dormait à poings fermés. Je ne sais même pas s'il s'était rendu compte que je l'avais déplacé. Bref, je traversai la petite foret, entrait par la porte secrète puis descendis jusqu'aux quartier des apprentis confréristes pour rejoindre ma chambre. En fait de chambre, il s'agissait plutôt d'un sordide dortoir où on trouvait le strict minimum vital. De plus, il pensaient vraiment pouvoir faire cohabiter quatre malabars dans un tel endroit? Moi j'avais de la chance, personne n'avait encore eu la prétention de vouloir faire chambre commune avec moi. Avec mon rythme militaire, ça pouvait se comprendre.

Nous arrivions alors dans la petite pièce où trônaient quatre lit. Les quatre étaient bordés parfaitement par mes soins. On trouvait aussi quatre table de nuit, mais une seule se différenciait des autres par la présence d'un réveil que j'avais apporté avec moi. Devant un seul des lits, au fond de la pièce, se trouvait une énorme malle semblable à celles des militaires désignant ainsi l'endroit où je dormais. Autrement, la pièce était des plus sobres, ressemblant à tous les dortoirs de la confrérie, et rien ne pouvait justifier la présence d'un être humain.

Etant donné l'heure et mon état de fatigue, rechercher le dortoir de mon invité m'avait semblé complètement inutile. Je posai donc Vermine sur le lit le plus éloigné du mien avant d'aller ouvrir ma malle et en sortir une grande serviette blanche. J'étendis la serviette sur le rongeur puis je me dirigeai vers mon propre lit pour m'asseoir dessus. J'enlevais mes chaussures et ma chemise, puis je me glissai sous la couette, à moitié assommé par l'alcool. J'allais très vite m'endormir et j’espérai que le rat ne ferait pas trop de bruit en se levant, car je prévoyait un terrible mal de crâne. Sur ce, je m'endormis sans autre forme de discours.

Ernest ouvrit les yeux… enfin l’œil puisqu’il était borgne. Il aperçu un plafond plongé dans l’obscurité. Où diable se trouvait-il ? Ce n’était pas le bar, c’était une certitude. Comment était-il arrivé là ? Il l’ignorait. D’habitude, il n’oubliait rien. Or là, il avait un gros trou. La dernière chose dont il se souvenait était qu’il discutait de Neko avec Gabriel. Devait-il en déduire que l’alcool avait eu raison de lui ? L’idée lui parut ridicule. S’il y avait bien une personne capable de tenir tête à une bouteille, ou même deux, c’était lui. Vermine se redressa, adoptant une position assise, et repoussa la serviette qui le couvrait.

-Merde, fit-il, tout bas, de sa voix calme.

Il était nu. Avait-il perdu son propre défi ? Avait-il été dépouillé ? Il balada son regard autour de lui. Peut-être trouverait-il ses affaires. Peut-être l’avait-on simplement déshabillé pour le mettre au lit. Mais non, aucun signe de ses possessions. Il découvrit cependant l’un des dortoirs de la Confrérie. Sur l’un des quatre lit, quelqu’un dormait, Gabriel assurément. Tout en fixant ce dernier, l’enfant-rat reprit tout bas.

-Alors ainsi, j’ai perdu.

L’indéniable confirmation de ce fait, peu élogieux, lui fut apporté lorsqu’il réalisa qu’on lui avait même enlevé son œil de verre. Décidément, son compagnon ne faisait pas les choses à moitié. Ceci dit, le jeune mutant trouvait cette démarche totalement acceptable, voir même appréciable. Il aurait agit de la même façon s’il avait gagné. C’était les règles du jeu. Mais il était tout de même un peu ennuyé. Il avait l’air fin, comme ça, à poil sur ce lit. Il fut presque tenté de quitter la chambre sans demander son reste. Mais il n’en fit rien. Au lieu de cela, il observa plus en détaille la pièce. Il la trouva très bien rangée. C’était remarquable car, il fallait bien l’avouer, la majorité des dortoirs ressemblaient à un dépotoir. Gabriel était visiblement quelqu’un d’organisé, de méthodique. C’était une qualité appréciable.

Ernest se surprit à désirer connaitre plus en détail son compagnon. D’habitude, il n’avait que faire des autres, Cérès étant une exception. Mais Gabriel avait piqué sa curiosité et stimulé son intérêt. Alors il allait rester jusqu’au réveil de l’homme. L’enfant-rat n’avait plus sommeil. Il se sentait en plaine forme. Car oui, son gène X agissant, il n’allait pas avoir la gueule de bois. Il sentait juste sa gorge et son estomac le bruler légèrement. Décidément, il avait dû boire des choses très fortes. Il devait savoir.

Afin de retrouver un peu de dignité, Vermine plia la serviette en deux et la noua autour de sa taille pour s’en faire un pagne. Sa nudité devenait alors moins choquante. Il s’assis en tailleur sur son lit, silencieux, immobile. Il serait patient. Gabriel le trouvait ainsi. Et lorsqu’il se réveillerait, Ernest l’accueillerait d’un aimable « salut collègue ».

- Tu sais s'qu'on devrait leur faire au Mutos dans ton genre? On devrait leur graver un M sur l'front pour qu'ils soient plus reconnaissables!

Il avance, la lame est si proche de mon visage. Tant pis. Je frappe. Je saigne. J'ai mal. Mal? Non.. C'est un rêve.. Comme à chaque fois je les tue. Je les laisse se vider de leur sang tandis que règne le silence. Le silence causé par la mort. Je suis debout au milieux de ces corps. J'attend. J'attend car je sais que je vais me réveiller. Je me réveille toujours à ce moment là. Attention.

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Mes yeux s'ouvrirent avec une rare difficulté. Ou étais-je? Ha ouai, j'étais rentré dans ma chambre. Mon bras se leva difficilement jusqu'à mon visage tandis que je tentais de reprendre mes esprits. Enfin, si j'attendais d'être en pleine forme je ne serais pas sorti du lit avant le soir. Pourtant il le fallait! Je me devais de sortir de ce bon vieux lit pour retrouver mes collègues mutants. Quoi que;; avaient-ils vraiment besoin de moi? C'est sur cette reflexion tout à fait philosophique que je me tournais vers le reveil pour vérifier que je ne m'étais pas assoupi trop longtemps. Seulement voilà, les petits chiffres clignotants me filèrent un foutu mal de crânes et je dus rapidement fermer les yeux pour éviter de détruire cette petite chose innocente.

- Oh putain..

Une de ces gueules de bois.. ça faisait longtemps! V'là que les indiens galopaient sous mon scalp. Bien, je n'étais pas encore devenu un vieux con. Soudain, une voix vient me sortir de mes songes:

- Salut collègue.

Oh vache j'l'avais oublié celui là! En un très court instant, je me souvenais de tout ce qu'il s'était passé le soir précédent. Le défi, le vomi, le dépouillage, le rat endormi, la prise de voiture, l'arrivée à la chambre, tout. Autant vous dire que ce flot d'information remonta dans mon esprit avec la douceur d'un bodybuilder vous essuyant les fesses avec du papier de verre. Vous voyez un peu la douleur que cela pouvait provoquer? Bref le rat était toujours là et me saluait. Fallait il encore pouvoir répondre! Je me redressais sur le lit en grognant comme si j'étais en train de soulever une immense haltère. Arrivé au point culminant, j’éprouvai un immense malaise. Je me détendis un instant pour laisser passer ça puis fixait le rongeur qui s'était fabriqué un pagne avec la serviette que je lui avais donné. Au moins il cachait sa virilité.

- Bonjour Ernest.

Ma propre voix m’assomma à moitié. La journée allait être longue..

- Déjà levé?

Vu ce qu'il s'était mit derrière la cravate, je pensais ne pas le voir bouger avant un moment. Pourtant il était là, devant moi, frais comme un gardon. Je ne vous cache pas qu'en cet instant, j'enviais son métabolisme diabolique. Les lendemains de cuite ne sont généralement pas une partie de plaisir. Soulevant la couette, je sortis du lit pour récupérer un t shirt sans manche noir que je posais sur mon épaule. Il me servirait quand j'aurais pris une bonne douche. Mais pour l'instant, j'avais toujours un invité.

- Sacré soirée hein?

Je passai alors ma main sur mon crâne avant de bailler bruyamment. Tout guerrier que j'étais, j'avais l'air bien minable ce matin là.

Avoir la gueule de bois, Ernest savait ce que c’était, mais uniquement parce qu’il avait observé les autres. Et jamais encore il n’avait eu l’occasion de voir ce phénomène s’exprimer dès le réveil, lorsqu’il était le plus prononcé. Pauvre Gabriel, il n’avait vraiment pas l’air en forme. Vermine se félicita intérieurement de ne pas être à sa place. En ce qui concernait l’alcool, son gène X n’avait au final pas de réel désavantage. Avoir les bénéfices de l’ivresse en se passant du prix à payer le lendemain, c’était un luxe. Il en était à présent pleinement conscient.

-Cela fait une heure et douze minutes que je suis levé, répondit-il de sa voix posée. Ma mutation m’épargne les déconforts d’une soirée bien arrosée. Cette nuit, plus que toutes les autres, il semble que cet atout me soit profitable.

L’enfant-rat était donc en plaine possession de ses moyens. Cependant, cela ne le dispensait pas de la nécessité de prendre une douche. Son odeur corporelle devenait désagréable. On pouvait y déceler de la sueur et, ö surprise, de l’alcool. A ceci s’ajoutait le fait qu’il avait quelque peu pataugé dans sa bile, la veille, ça aussi on pouvait le supposer en reniflant ses pattes griffues. Le seul à ne pas s’en rendre compte, c’était lui-même car trop habitué à sentir des effluves horribles. En même temps, il passait beaucoup de temps dans les égouts, difficile de lui en tenir rigueur. Ernest reprit.

-Je présume, qu’effectivement, notre soirée a été plaisante. En fait, pour tout te dire, je ne m’en souviens pas et c’est, je dois bien l’avouer, un peu frustrant. Aussi, si cela ne te dérange pas, j’aimerais bien que tu me la raconte. Je pourrais ainsi savoir à quoi je ressemble quand je perds les pédales. Car j’ai perdu les pédales, n’est-ce pas ? Et par la même occasion, j’ai perdu mon défi, est-ce vrai ?

Vermine était curieux d’entendre le récit de Gabriel, curieux de se redécouvrir. Quel visage avait-il eu hier soir ? Il poursuivit.

-La dernière chose qui me revient en mémoire, c’est que je te parlais de Neko, la fille chatte. Mais déjà, tout ceci est trouble, noyé dans l’incertitude.

L’enfant-rat décroisa les jambes, s’assaillant de façon plus classique sur le lit. Il considéra la mine piteuse de Gabriel et se sentit obligé d’ajouter quelques mots.

-Ceci dit, si tu ne te sens pas en mesure de parler, on peut remettre ça à plus tard. Dis-moi également si je peux faire quelque chose pour te rendre service. Tu n’a vraiment pas l’air très en forme.

Il proposait son aide, lui, Vermine, qui faisait de l’égoïsme sa façon d’être. Etrange, mais c’était ainsi. Il avait envie de se montrer agréable, une fois n’était pas coutume.

-Cela fait une heure et douze minutes que je suis levé. Ma mutation m’épargne les déconforts d’une soirée bien arrosée. Cette nuit, plus que toutes les autres, il semble que cet atout me soit profitable.

C'était donc bien sa mutation qui lui avait permis de boire autant pendant leur petite fête improvisée. Bon Dieu, pardonnez moi l'injure, mais ce que j'aimerai avoir cet avantage! Le jours d'avant il s'écroulait, vomissait, délirait, et en une nuit, le voilà frais comme un gardon. Mon petit rat, je t'aurais volontiers dépouillé de ton don si j'en avais eu la possibilité! Peut être t'aurais-je juste laissé la face de rat, je doutais que ça m'aille.

- Tss ça t'aura quand même pas suffit hier.

Dis-je en ricanant gentiment.

-Je présume, qu’effectivement, notre soirée a été plaisante. En fait, pour tout te dire, je ne m’en souviens pas et c’est, je dois bien l’avouer, un peu frustrant. Aussi, si cela ne te dérange pas, j’aimerais bien que tu me la raconte. Je pourrais ainsi savoir à quoi je ressemble quand je perds les pédales. Car j’ai perdu les pédales, n’est-ce pas ? Et par la même occasion, j’ai perdu mon défi, est-ce vrai ? La dernière chose qui me revient en mémoire, c’est que je te parlais de Neko, la fille chatte. Mais déjà, tout ceci est trouble, noyé dans l’incertitude. Ceci dit, si tu ne te sens pas en mesure de parler, on peut remettre ça à plus tard. Dis-moi également si je peux faire quelque chose pour te rendre service. Tu n’a vraiment pas l’air très en forme.

Ainsi donc il ne se souvenait pas de ses exploits? Ou plutôt de nos exploits même si j'avais plutôt joué un rôle secondaire. Je fermais les yeux un instant pour me concentrer sur cette soirée mémorable puis les rouvrit en grimaçant à cause de la lumière. Le cerveau était prêt à lancer le discours, mais ma gorge irritée semblait le retenir. Je réussis néanmoins à démarrer après m'être raclé la gorge.

- Hum hum.. T'en fais pas, il en faut plus pour m'arrêter! C'est con qu't'ai pas d'souvenirs, t'étais bien raide! Laisse moi réfléchir, tu dis que tu ne te souviens de rien depuis que t'as parlé de ton p'tit minou? Ah ouai! T'as commencé d'un coup à bégayer et à faire n'importe quoi! T'étais même plus capable de te servir un verre! D'ailleurs vu tout ce que t'as foutu à côté, tu m'devrais une bouteille! Pis un cigare aussi! Tu t'es mis à bouffer un de mes punch-punch avant de le gerber avec ton trop plein d'alcool. Heuuu t'as aussi rampé sur la table pour me voler d'abord. M'enfin j'te l'ai donné d'bon coeur vu que deux secondes plus tard tu roulais sous la table, m'faisant gagner le pari. Après ça devient le fouillis dans ma tête mais je sais que j'ai pris tout ce que je pouvais. Belle lame au fait. 'Suite on a réussi à mettre James en rogne puis tu t'es effondré d'un coup. Game Over.

Ma voix était rauque et mes phrases venaient au fil de mes pensées. J'avais essayé de suivre un ordre chronologique mais ce débriefing là fut bien le plus difficile de toute ma carrière. J'avais donc balancé tout ce qui me venait à l'esprit en espérant satisfaire la curiosité du rongeur. Puis, nouvelle pensée, nouvelle parole:

- J'prendrais bien une douche moi tiens.

Parce que si j'arrivais sentir le rat de là où j'étais, j'pouvais être sur que c'était pareil pour lui! Après tout, la chouille, on l'avait faite à deux!

- Ah ouai faudra se refaire ça! Mais pas tout de suite, j'y survivrai pas!

En disant cela, je laissai échapper un léger rire. Un rire qui ne dura pas longtemps car le propre son de ma voix me vrilla le crâne comme une perceuse. Je portai alors ma main à ma tempe tandis qu'il annonçait qu'il allait lui aussi se rafraîchir. Je le regardai donc s'en aller, ne disant rien à propos de la serviette. Il se tourna une dernière fois pour m'expliquer d'où venait le couteau, ce qui me fit sourire.

- J'espère pour mon pauvre crâne que ce sera son dernier changement de propriétaire par cette méthode.

Après quoi le rat disparut. Pour ma part, je commençai mon petit rituel. Je commençai par une courte douche avant d'aller me raser puis m'habiller d'un GI noir et d'un T-shirt blanc. Je descendis ensuite au réfectoire pour déjeuner en à peu près 15minutes. Je retournai ensuite dans ma chambre pour en faire le nettoyage complet comme tous les matins. Certes, la douleur dans mon crâne ma ralentissait, mais mes gestes étaient quasi automatiques, forgés par des années d'habitude. En quelques instants, les lits étaient à nouveau bordés, la malle était à nouveau fermée et rien ne pouvait permettre de dire que deux personnes avaient dormi dans cette chambre cette nuit là.

J'avais rangé le couteau dans ma poche arrière, placé le revolver sous mon oreiller et placé l'oeil de verre dans un de mes tubes à billes. Ce dernier objet avait été placé dans le tiroir de ma table de nuit, un peu comme s'il s'agissait d'un trophée. Ma tête me faisait toujours un mal de chien et j'avalai donc un cachet d'aspirine avant d'entamer une petite séries d'exercices. Je tirai donc deux altères de sous mon lit et commençai doucement. Lorsque Ernest frappa à la porte, j'étais en train de faire des pompes à un bras, l'autre tenant une altère dans mon dos. Je ne m'attendais pas à ce qu'il revienne si rapidement, mais je ne m’arrêtai pas pour autant.

- Entre.

-En voilà une belle démonstration de force, fit Ernest, de sa voix calme, en entrant dans la chambre.

Il observait son compagnon en train de faire ses exercices. Lui-même n’était pas capable d’en faire autant, surtout en considérant le poids des altères. Gabriel avait amplement eu l’occasion de constater, hier soir et ce matin, la maigreur de Vermine. Son pelage couleur cendre ne cachait pas le dessin de ses os. Et même si à présent il portait des vêtements à sa taille, il donnait quand même un peu l’impression de nager dedans. A ceci s’ajoutait bien sûr sa taille ridicule : même pas un mètre. Bref, c’était un poids plume et il possédait la force physique qui allait de paire.

Il déposa la serviette sur le lit. En cette occasion, il observa la pièce, de nouveau parfaitement ordonnée. Cette constatation le poussa machinalement à plier soigneusement la serviette en quatre. Ce fut vite fait. Il n’était peut-être pas fort mais il possédait une dextérité hors norme. Se tournant vers l’homme, il reprit de sa voix posée.

-Quelle minutie, quel ordre. Je devine en toi comme un côté militaire. Ce n’est pas pour me déplaire. J’aime quand on ne fait pas dans la demi-mesure. Même ta façon de me dépouiller témoigne de ton sens du détail. Tu ne m’a vraiment rien laissé… enfin presque. J’imagine que la perfection n’est pas de ce monde.

Il eut un sourire entendu et, tout d’un coup, il ouvrit grand sa gueule. D’une main, il désigna sa dentition martyrisée. Plusieurs de ses dents étaient fausses. Il s’agissait de prothèses au reflet métallique et affreusement pointues. Ces crocs artificiels promettaient à celui qui serait mordu par Ernest de cruelles blessures. Elles dénotaient aussi du caractère implacable de leur propriétaire, assez dément pour se mettre des poignards dans la bouche. D’une façon générale, du haut de ses 13 ans, l’enfant-rat avait le corps d’un vétéran. On se demandait presque où il avait récolté tant de blessures. Un œil et des dents en moins, mais ce n’était pas tout. Son corps tout entier était constellé de cicatrices, certaines si grosses que son pelage ne pouvait les dissimuler entièrement. Pour parfaire le portrait du mutant, le bout de sa queue se terminait bizarrement, comme si elle avait été « raccourcie » brutalement.

Vermine referma la bouche. Son nouvel ami n’avait donc pas poussé son dépouillement totalement jusqu’au bout mais il n’allait pas s’en plaindre plus que ça d’autant plus qu’il n’avait pas en réserve de nouvelles dents. D’ailleurs, il ferait bien de ne plus perdre d’oui de verre à présent car il n’avait plus de quoi le remplacer. Bah… il trouverait bien autre chose à se mettre dans l’orbite. En attendant, il s’assit sur le lit qu’il avait occupé. Il n’allait sans doute pas tarder à s’en aller pour de bon, peu désireux de déranger en imposant sa présence. Cependant, il avait encore envie de parler, de faire connaissance.

-Puis-je me permettre une petite question ? Quel est donc ton pouvoir ? On ne peut pas le deviner en t’observant. C’est intriguant. Ceci dit, on ne peut pas vraiment deviner le mien non plus en me regardant. Disons que mon don ne se limite heureusement pas à avoir une face de rongeur et à pouvoir me bourrer la gueule plus que la normal. Abreuve ma curiosité et, si cela t’intéresse, je t’en dirais plus sur moi.

Ernest entra. Calmement. Il semblait avoir retrouvé cette réserve sereine qu'il affichait lorsqu'il était entré dans le bar. Son compliment alimenta ma petite fierté personnelle, sentiment que je tentais pourtant de faire disparaître à cause des erreurs qu'il peut provoquer. Des humains ne m'avaient-ils pas fait devenir ce que je suis à cause d'une atteinte à leur fierté? N'avais-je pas engagé un combat qui aurait pu me coûter la vie avec une femme d'acier juste parce qu'elle touché cette corde sensible? Quoi qu'il en soit, Vermine aurait peut être besoin de s’entraîner ainsi. Le rongeur, s'il avait un foie à toute épreuve (ou presque), n'avait que la peau sur les os. Un peu de rigueur et il pourrait transformer ça en masse de muscle. M'enfin ça demanderait pas mal de travail vu le sujet de départ.

Je me levai alors et rangeai les haltères à leur place originelle, c'est à dire sous le lit. Je pris ensuite la parole en sortant une autre petite serviette de ma malle que j'utilisai pour m'éponger le front.

- Ça demande un peu d'entrainement. Rien de plus.

Il plia alors la serviette que je lui avait prêté pour la poser rapidement sur le lit. Il avait de petits gestes vifs ce qui renforçait sa ressemblance avec un rongeur. Il me parla ensuite de ma minutie, déformation professionnelle due à une longue carrière dans l'armée puis dans le mercenariat. Apparemment, elle m'avait fait défaut le soir précédent puisque j'avais oublié de lui ôter les poignards qu'il avait dans la bouche. Dommage, ç'aurait été amusant de lui enlever les dents en plus de l'oeil. Ernest se posa enfin sur le lit dans lequel il avait dormi avant de me faire part de sa curiosité à propos de mes dons. Je dois avouer que sa dernière remarque alimenta aussi la mienne.

- Ouai, faut croire que l'armée ça marque son homme. Quand à ce détail que j'ai loupé, je vais mettre ça sur le compte de l'alcool! Tu veux en savoir plus sur mon pouvoir? Soit. Je suis un fusil vivant. Oui, dit comme ça c'est assez abstrait, une démonstration s'impose.

Vermine était un allié, un confrériste sur qui je devais pouvoir compter. Il était donc tout naturel qu'il sache ce dont j'étais capable. Je fouillais donc dans la table de chevet pour en sortir une des balles que j'avais récupéré sur Ernest ivre. Je sortis ensuite le couteau de ma poche arrière et l'ouvris avant de le placer sur la paume de ma main ouverte. De la main gauche, je lançai la balle en l'air puis la fixai intensément. La pupille droite se dilata éxagérémént jusqu'à ce recouvrir entièrement l'oeil tandis que je zoomai sur la balle qui commençai à retomber, puis d'un coup, la lame fila pour couper l'objet en deux. La coupe avait été nette, perpendiculaire à la balle qui tomba en deux morceaux au sol, répandant la poudre par terre. Le couteau, lui, se ficha dans un grand "ploc" dans le mur, s'enfonçant jusqu'à la garde de bois foncé. Je tournai ensuite le regard vers Ernest, affichant toujours un oeil noir qui redevint normal petit à petit.

- Mon oeil droit est une lunette de visée. Il me permet de percevoir les détails les plus infimes à de grandes distances. Mes mains peuvent projeter à peu près n'importe quoi tant que ça n’excède pas 2 tonnes et cela avec une vitesse assez phénoménale. J'utilise ordinairement des billes ou des aiguilles d'acier qui, une fois "shootée", ont une puissance de pénétration supérieur à des armes de gros calibre. Autant dire que c'est assez pratique pour mon métier. Et toi? Quels sont donc tes dons cachés?

Parfaitement immobile et silencieux, Vermine avait observé la démonstration et écouté les explications. Son visage resta de marbre mais Gabriel devait commencer à se rendre compte que l’enfant-rat était peu expressif, qu’il préférait s’armer d’impassibilité, sauf évidement quand il était ivre mort. Une fois que l’homme acheva sa question, le jeune mutant se leva, s’avança d’un pas et, d’un geste rapide, récupéra les deux morceaux de la balle. Son œil unique observa l’objet sectionné avec précision et netteté. A vue d’œil, il estimait que le couteau était passé pile au milieu. Peut-être n’était-ce pas exactement vrai mais ce n’avait pas d’importance. Le coup témoignait d’une maitrise effroyable. Relevant la tête, Vermine prit la parole.

-Deux tonnes disais-tu ? Cela t’offre, j’imagine, un grand choix de projectiles. Ce qui va de paire avec les stratégies rendues possibles. De la frappe chirurgicale à la destruction de masse, ta mutation s’illustre par sa flexibilité. Intéressant, vraiment intéressant. Il y a tellement plus de potentiel qu’un bête lanceur de boucles de feu.

L’enfant-rat referma sa main et l’abaissa. Il retourna s’assoir sur le lit et enchaina sur sa mutation.

-En ce qui me concerne, je suis porteur de l’Altérium, une molécule hautement mutagène. Si mon physique a été altéré, ce n’est pas directement dû à l’effet de mon gène X, mais aux conséquences de cet effet. C’est l’Altérium qui m’a transformé. Si je mords quelqu’un, je peux le faire muter, de façon temporaire ou définitive. Généralement, les modifications sont préjudiciables au sujet. Si je mords un mutant, l’Altérium peut s’attaquer à son gène X, modifiant de ce fait son pouvoir, toujours de façon négative. Cette faculté est une arme néanmoins incertaines, peu utile dans le feu de l’action. Je ne choisis pas ce que l’Altérium va provoquer et ses effets mettent parfois plusieurs minutes à se manifester. Cependant, la molécule, si elle est traitée en laboratoire, elle devient une matière première très intéressante. La Confrérie ne s’en prive pas, tu peux l’imaginer. Ensuite, l’Altérium protège mon organisme contre bon nombre de substances. Tu as vu ce qu’il en était de l’alcool. Et encore, l’alcool arrive à m’atteindre au bout d’un moment. Ce n’est pas le cas du poison, de la drogue, des maladies, etc.

Ernest marqua une pause. Il avait encore à dire et, à ce sujet, une idée venait de germer en son esprit. Il reprit.

-L’Altérium a visiblement aussi un peu détracté mon système nerveux. Parfois, je fais des crises. Je me mue alors en une sorte de bombe électrique. Je ne ferais pas de démonstration ici, la pièce serait ravagé. De plus, je mets parfois des dizaines de minutes à provoquer volontairement la crise, sans que ce soit forcément couronné de succès. Si tu veux quand même voir ça, on peut se donner rendez-vous dehors, dans la forêt par exemple. En tout cas, ce phénomène pourrait représenter une arme très intéressante mais pas en l’état actuel. Faut que je m’entraine. Je pense qu’avec un peu d’aide, je pourrais progresser. C’est une historie de concentration, de maitrise de soit, de méthode sans doute. Faut que je puisse conter sur une sorte d’entraineur bien rigide, ne serait-ce que pour me donner un rythme, me l’imposer si nécessaire.

La question « Gabriel, tu es intéressé ? » ne vint pas. Mais elle était belle et bien sous-entendue. Vermine avait suffisamment développé pour le faire comprendre. S’il ne l’avait pas demandé directement, c’était que, quelque part, cela le dérangeait. Non, la question n’était pas déplacée. Il était face à un collègue bien plus âgé que lui, bien plus expérimenté. En fait, ce qui le titillait, c’était qu’en cas d’acceptation de la part de son compagnon, il risquait fort de le regretter. La façon de vivre de Vermine était tout sauf militaire. Il était du genre à faire ce qu’il voulait, quand il voulait, où il voulait. Et c’était un peu pour ça qu’il ne progressait pas. Il manquait de rigueur. Et si du jour au lendemain il se faisait sortir du lit à 6h tapante pour aller s’entrainer, il risquait fort de ronchonner, même si c’était pour son bien.

Tandis qu'Ernest se levai pour ramasser les restes de la balle, j'avançai vers le mur pour en arracher le couteau d'un geste brusque. Je me tournai alors à nouveau vers Vermine pour l'écouter parler tout en tâtant la lame de mon pouce. Certes la lame avait été mise à l'épreuve, mais elle avait bien vécu cette expérience. Le fil de la lame devait certainement avoir pris cher, mais un petit effilage et il serait comme neuf! Le rat, lui, commença par commenter ma démonstration et mes explications. J’acquiesçai par de simples signes de la tête à ses questions et remarques. Mon don était assez polyvalent, mais quel que soit le projectile, il était toujours dangereux. Ce qui n'était pas pour me déplaire. Ernest enchaîna ensuite avec sa propre mutation. Le mot Altérium provoqua un étrange sentiment de déjà vu. Ou plutôt de déjà entendu. Il me semblait avoir déjà surpris ce mot dans le bouche de Cérès, mais sans en connaitre vraiment la signification. Il me parla ensuite des facultés que possédait cette substance tandis que je restai silencieux, enregistrant toutes ces informations comme à chaque fois qu'une personne parlait de ses dons devant moi.

Il aborda ensuite un sujet qui m’intéressa fortement. Il pouvait devenir une bombe humaine. Ou une bombe rat. Enfin bref une bombe quoi. Sauf que pour maîtriser ça il aurait besoin d'aide. Il avait besoin de l'aide d'une personne rigide qui pourrait l'encadrer dans ses entraînements. Si une personne quelconque dans la confrérie autre que lui m'avait fait ce speech, je l'aurai simplement ignoré. Seulement, ce personnage avait gagné ma sympathie et avec cela, mon soutien. je n'avais donc pas besoin de question formulée. J'avais là un collègue qui méritait un petit coup de pouce et qui risquait de s'en mordre les doigts, car le militaire que j'étais deviendrait pour lui un coach cauchemardesque.

- C'est c'que j'disais. Un peu de rigueur et tu pourrais devenir une véritable machine de guerre. Et de la rigueur, j'en ai à revendre. J'peux t'encadrer mais une fois qu'c'est commencé, tu pourras pas revenir en arrière. J'te lâcherai pas tant qu'tu maîtrisera pas tes petites sauteries.

Esquissant un petit sourire narquois, je continuai:

- Toujours partant? J't'annonce directement la couleur ou tu veux profiter encore un peu de la belle vie?

Oui, si Ernest pensait trouver en moi un coach sympathique mais pas trop souple, il se trompait. J'avais été formé à la direction des troupes sur des champs de bataille et souplesse était un mot qui avait été rayé de mon dictionnaire. S'il faisait tout sans râler il devrait s'en sortir sans trop de bobos. Mais s'il acceptait et ne s'impliquait pas à fond, il subirai de terribles remontrances. Foi de Gabriel Miller.

Gabriel venait de formuler la proposition qu’escomptait Ernest. Ce dernier avait certainement vu juste : avec ce militaire, il aurait un coatch digne de ce nom, mais il risquait fort d’en baver. Encore une fois, cette dernière pensée le fit hésiter. C’était comme s’il se trouvait devant un inquiétant contrat, prêt à signer. En son esprit, il lisait et relisait les closes de ce contrats. Ce n’était pas un engagement à la légère. Bien sûr, rien ne l’empêchait d’arrêter s’il le voulait vraiment, mais ce ne serait pas sans conséquence. Il perdrait sa crédibilité, il baisserait dans l’estime de son collègue, et il gâcherait une belle opportunité. Car c’en était une belle, effectivement. Non, il ne pouvait pas se défiler, pas maintenant. Ce serait ridicule, il s’en voudrait.

-Surtout, ne me ménage pas, répondit-il enfin, avec un petit temps de retard, tout en pointant l’homme de sa griffe.

Rabaissant la main, il continua, expliquant clairement cette fois son objectif, ce à quoi il voulait aboutir.

-Actuellement, c’est simple, aucun de mes dons ne m’accorde un réel avantage lors des affrontements. C’est frustrant. Ouais, c’est frustrant de devoir compter sur un flingue merdique, de devoir se battre comme un homme alors que je suis un mutant. Je suis capable de mieux.

Vermine commença à faire les cents pas dans la chambre, tout en poursuivant.

-Aujourd’hui même, si tu veux, je te montrerais tout le cirque que je dois faire pour déclencher la décharge électrique. Faudra ce donner rendez-vous dans les bois, on aura l’espace nécessaire. Après ça, quand tu auras constaté mon médiocre stade de maitrise, je t’expliquerais ma stratégie, comment je pense pouvoir m’améliorer.

L’enfant-rat était en effet le mieux placé pour donner ces informations. C’était lui qui connaissait sa mutation.

-On pourra en discuter bien sûr. Ça nous donnera le programme. A toi de me le faire appliquer par tous les moyens possibles. Tu auras peut-être des méthodes auquel je n’ai pas pensé. Bref, ta carte blanche.

Vermine était tout à fait conscient qu’il risquait de regretter cette phrase très vite. Mais il ne faisait pas les choses à moitié. S’il voulait obtenir des résultats, il devait s’y investir à font.

-Et puis, si au passage tu peux me faire faire un peu de musculation, ça sera cool. Ça me sera toujours profitable. Le maigrichon que je suis a besoin de mieux encaisser les efforts, de se servir d’armes plus lourdes, tout ça.

Il se tourna vers Gabriel et s’immobilisa. Dans son œil unique brilla une farouche détermination.

-Vas-y, donne-moi la couleur. On commence quant tu veux. J’ai du temps à revendre pour l’instant.

HRP : si tu veux, tu peux conclure, par exemple en donnant RDV à Vermine dans les bois. J’ouvrais (maintenant, ou plus tard, selon toi) le nouveau sujet.