Modèle type d'une journée parfaite [Miranda]

« Et qu’est-ce que monsieur va prendre ? », son ton était empreint d’un brin de sarcasme, comme si elle ne croyait pas aux paroles qu’elle radotait, et certainement pas à l’utilisation volontairement poussée du mot « monsieur ». Le monsieur la regarda alors avec un drôle d’air, comme s’il n’aimait pas le ton peu respectueux de sa serveuse, ni même son attitude. Et c’est sur un ton conséquent qu’il répondit : « Monsieur va prendre des frittes avec son steak ». Alexandra partait d’un principe de base élémentaire : ne jamais faire preuve de respect face à quelqu’un qui n’en a aucun à votre égard. C’était un principe très facile à comprendre, plus difficile à appliquer pour certain. Elle l’avait accueillit avec un sourire, il lui avait répondit par un air bête. Elle lui avait demandé sa commande, il n’avait rien répondu. Elle avait répondu à ses questions sur le menu, il avait été bête, à croire que sa figure et sa voix ne connaissaient aucun autre registre que celui-là. Il l’avait ensuite fait tourné en rond. Puisque Alexandra considérait que la prochaine étape serait une critique du service offert, autant ne pas se forcer et lui donner raison immédiatement. « Oh, et est-ce que monsieur veut du ketchup avec ses frittes ? » L’homme baragouina une réponse qui semblait vouloir dire qu’il voulait juste manger, et qu’on lui foute la paix. Il la congédia, ce à quoi elle ne prit pas réellement la peine de répliquer, même pas par un sourire. De toute manière, ce n’était pas monsieur avec ses manières de rustre qui irait se plaindre. Ce restaurant servait de la bonne nourriture, rien de trop compliqué à cuisiner. Il méritait ses quelques étoiles, mais il n’avait rien d’un restaurant chic. Sa clientèle était très hétérogène, allant de la famille aux enfants mouvementés et insupportables, au gentil petit couple, à ceux qui voulait manger solo à n’importe quelle heure de la journée.

Le restaurant pouvait soit être mouvementé, soit être silencieux selon la période de la journée. Et, un truc que tous les restaurants expérimentaient de semblable, il y avait aussi les habitués de la place. « Steak fritte… Oh, et saignant, le steak. Genre encore vivant dans l’assiette, si tu vois ce que je veux dire. » Un sourire innocent au cuisinier, qui ne se doutait de rien, ou préférait ne pas s’en mêler. Et puis Alexandra repartait dans une autre direction. C’était l’après-midi, un peu dépasser le moment du midi où tout le monde venait manger, mais où il restait encore quelques traînards qui ne savaient pas quoi faire de leur temps. D’autres voulaient juste du café. Certains semblaient encore être en train de dégriser d’une soirée de beuverie de la veille.

La jeune mutante vint s’asseoir à la table faite sur le long face à la cuisine. Le genre de table où tout le monde peut décider de s’asseoir à côté de n’importe qui tant qu’il reste des bancs de libre. Elle avait déposé là sa cafetière, s’était accoudée après avoir fait un petit tour aux tables, et avait nonchalamment appuyé sa tête dans ses mains… Comme une serveuse modèle, quoi. Elle méritait bien une pause, de toute manière, avant de devoir porter son plat saignant au gentil monsieur à la table quatre. Toute son attention concentrée sur le poste de radio qui jouait faiblement, elle ne fit d’abord pas attention à l’homme qui c’était mis à côté d’elle. Ce ne fut que lorsqu’elle sentit un regard s’appesantir sur elle qu’elle tourna la tête. « Bob le livreur » Articula t-elle en relevant un sourcil. « David. » Oh, David ! Elle aurait dû le savoir, lui qui venait si souvent! Mais elle n’en avait vraiment rien à faire. « Oui, c’est ça… », acquiesça t-elle. Il lui fit une tonne de compliments, qui lui passèrent vingt pieds au dessus de la tête. Puis, elle fit l’erreur de lui demander, pour couper court à son blablatin: « Et qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » Les yeux de David s’allumèrent, comme si monsieur n’avait attendu que ça. « Accepter mon invitation au… » Et il partit dans son monologue. Monologue que la jeune mutante coupa finalement en levant la main. Elle dit, d’un ton très claire, avec une pointe d’irritation : « Non. Non. Et non. » Mais il n’en resta pas là : il voulait savoir pourquoi. Il énonça même des faits spectaculaires, comme le fait qu’ils feraient tout deux un couple parfait, et bla bla bla. Un couple parfait ? Intérieurement, Alexandra bouillait de l’envie de le refroidir d’un bon coup bien placé. Mais elle ne pouvait pas… et elle était sûr que David profitait de ce fait pour la harceler chaque semaine. Finalement, Alex décida de laisser tomber, comme elle le faisait toujours. Et elle repartit faire un petit tour de table pour voir les quelques cinq personnes attablées… tout en évitant soigneusement le monsieur de la table quatre qui attendait le plat qu’elle ne lui avait pas encore amené.

Le David pot de colle devait avoir un problème mental, ou quelque chose se rapprochant, ou encore un défaut de fabrication qui faisait en sorte qu’il ne comprenne pas le mot « non », peu importe la langue utilisée. Il se croyait irrésistible, en tout cas, avec son sourire d’apollon. Alexandra fut forcée de s’arrêter et de se tourner vers lui, lorsqu’il posa la main sur son bras. Et, pendant l’espace d’une seconde, elle fut tentée d’accepter l’invitation, pour lui faire vivre le pire rendez-vous de sa vie… ou au moins pour qu’il la laissât tranquille. Mais l’idée même la révulsait trop pour qu’elle puisse y penser plus que quelques secondes. Cette histoire devenait presque du harcèlement sexuelle. Il ne manquerait plus qu'elle se fasse virer à cause de lui. Mais elle craqua : « Très bien ! » Il la força à répéter, comme s’il n’avait pas bien compris, ou était trop interloqué. « Oui. Oui ! Maintenant, fou moi la paix. » Ce qu’il fit, en s’installant à une table non loin. Mais le simple fait de sentir son regard sur elle la faisait devenir folle. Elle tentat tant bien que mal de s'occuper d'une cliente qu'elle avait loupée jusqu'à maintenant - merci David !

Toute la tête d’Alexandra n’était pas présente lorsqu’elle prit la commande de la cliente. Il faut dire que, même si elle essayait d’y faire abstraction, la majorité de son cerveau était concentré sur David. L’homme aurait été content de l’apprendre, avant d’en connaître les raisons profondes : d’abord, savoir que cet obsédé la regardait la dérangeait profondément… Ensuite elle essayait de trouver un moyen de s’en débarrasser sans trop faire d’esclandre. Elle se trouvait sur son lieu de travail ; il était un client. Une partie d’elle envisageait malgré tout l’option de le mettre dehors à coup de pied, et tant pis pour le travail. Mais elle ne pouvait totalement s’en résoudre. Voilà quelques temps maintenant que David venait « lui rendre visite », et malgré le fait qu’elle ne l’avait jamais encouragée d’une quelconque manière, il tenait bon, transformant tous ses non en oui, tous ses regards et ses tons irrités en des yeux doux et des mots d’amour.

Alexandra eut le malheur de regarder un coup derrière son épaule, pour vérifier si ses soupçons étaient fondés, ou si elle commençait à paranoïer inutilement. Ils étaient fondés. David secoua la main dans sa direction, vivant visiblement la plus belle journée de sa vie. Alex serra les dents, tourna la tête pour revenir à sa cliente. - Je prendrai un coca avec... ça ! « Ça » désignait un poisson pointé au hasard. Le stylo qu’elle tenait avec beaucoup plus de force que nécessaire alla sur le calepin de commande qu’elle tenait. Alex s’abstient de tout commentaire débile, trouvant inutile qu’elle s’exclame sur le choix très judicieux que la cliente venait de faire. Surtout que c’était là le dernier de ses soucis. Et en dessert... Je vous parie le dessert gratos que j'arrive à vous débarrasser de ce monstre. Alexandra sortit aussitôt de ses pensées de mort à l’intention de David, et releva la tête, surprise, voyant pour la première fois la cliente. Puis, un sourire espiègle glissa sur ses traits et ses yeux pétillèrent de vie. « Se monstre-là ne craint pas le feu. » Un monstre, elle n’avait pas jusqu’alors considéré cette sangsue comme un monstre, mais maintenant que l’inconnue avait prononcé ce mot, elle trouvait que c’était là un pseudo qui lui collait bien à la peau. Elle jeta un bref regard à David par-dessus son épaule, pour réfléchir à la question. Aucune hésitation possible. Son sourire s’agrandit lorsqu’elle reposa son regard sur la cliente.

Si sa matinée avait été ennuyante, et si l’arrivée de David avait été un évènement des plus agaçant, ce petit pari, lui, rajoutait un peu de plaisir à cette journée. « J’ajoute une contrainte : vous ne pourrez ni le menacer directement, ni le faire sortir de force. Et j’irai jusqu’à mettre sur la table les desserts de la semaine, si vous faites en sorte qu’il ne mette plus jamais les pieds ici. » Bon, cela relèverait du miracle! Elle doutait que l’inconnue puisse y arriver, mais il s’agissait là d’une distraction des plus amusantes et Alexandra embarquait très volontiers dans ce petit jeu. Et si elle y arrivait, ce n'en serait que plus drôle.

- Parfait ! Le temps que le coca arrive, j'aurai déjà trouvé un plan d'action ! Alex en eut un rire amusé : « J’ai bien hâte de voir ça! » Elle s’éloigna de bien plus bonne humeur maintenant. Même le comportement de David ne la mina pas. L’homme devait avoir été un chien dans une autre vie, s’il avait pu remuer la queue et sortir la langue, il l’aurait très certainement fait. Il semblait vouloir la suivre partout, comme pour s’assurer qu’elle ne s’enfuirait pas. Heureusement, il restait sagement à sa place sur un banc. Il restait dans le restaurant, semblant s’assurer que la jolie brune ne décide pas de s’enfuir après son quart de travail… Comme s’il avait lu dans son esprit.

Gardant un œil sur ce qui se passait avec la mystérieuse cliente, Alexandra s’empressa d’aller porter la commande et de servir le client de la table quatre. Quelle surprise fusse lorsque le rustre se mit à paniquer devant son assiette sanglante, s’exclamant qu’il avait préciser rosé. Mettant l’emphase sur le dernier mot. Alexandra le regarda en cachant son sourire. Le pourboire, elle se doutait déjà qu’elle n’en aurait pas, alors… Elle reprit l’assiette et la reporta à la cuisine. « Il a changé d’idée, il le veut grillé. » Elle regarda en direction de David, et vit le mouvement de la cliente. La scène allait bientôt commencer. « Oh, et il a ajouté que si les coins pouvaient être un peu noircit… juste un peu, il aime le croustillant. » Elle haussa les épaules, mine de rien. Autant dire qu’elle allait lui servir un steak carbonisé. Au moins, le grand boss n’était pas là pour entendre ce qu’elle disait. Quoi que, c’était discutable : chaque client pouvait manger leur nourriture comme ils le souhaitaient.

Et puis, le pari prit forme. Alexandra était aux premières loges, profita et se délecta du numéro que la femme mettait en scène. Elle parlait si fort, que tous les clients présents, ainsi que ceux qui travaillaient, pouvaient entendre. Elle essayait de lui coller la honte. Mais, au-delà du plaisir de voir David se faire démolir, Alex s’interrogeait. Comment? Comment savait-elle? Mais ce devint très claire : elle avait triché. La tactique était très légale mais elle comprenait l’assurance de la cliente dans ce pari : elle le connaissait, même si cela ne semblait pas être le cas de David. Eh bien, tous les coups étaient permit.

Alexandra mit sa main devant sa bouche, pour éviter d’avoir une réaction trop flagrante. David avait la face défaite, semblait désorienté. Cela ne semblait pas être dans ses plans. Effectivement, il ne prit pas la peine de se pencher pour ramasser le bout de papier. Il promena son regard dans le restaurant, regarda l’heure et, se demandant manifestement qu’elle attitude adopter, il posa sa main sur sa tête. Lorsqu’il posa son regard sur elle, Alexandra prit un air dégoûtée très convainquant. Il bredouilla des mots, essaya d’expliquer la situation à la jeune mutante et sembla se sentir coupable. Mais Alex n’avait vraiment rien à faire des sentiments de l’homme. Il exprima un instant sa frustration, mais la honte et la conséquence de ses actes reprirent le dessus.

Et ce qui devait arriver arriva : il partit la queue entre les pattes, direction la sortie. Alexandra, mis à part un regard qui en avait dit long, n’avait rien dit. Il lui aurait été facile d’en rajouter sur la couche que venait de mettre l’inconnue… mais bien qu’elle voulut énormément se débarrasser définitivement de lui, elle préférait encore ne rien faire, ne pas s’immiscer dans cette partie du pari qui ne lui appartenait pas, et elle était curieuse de savoir si David oserait remettre les pieds ici, après ça. Si l’inconnue avait vraiment fait mouche une bonne fois pour toute. « Je n’aurais jamais cru être aussi contente d’avoir perdu un pari », se dit-elle à elle-même avant de retourner s’occuper des clients, soulagée de ne plus avoir une paire d’yeux qui la scrutait intensément. Se dirigeant ensuite vers la cliente revenue de l'extérieur, et qui venait de lui sauver la vie – pour aujourd’hui du moins -, elle lui dit avec un sourire en coin: « Très sincèrement, je n’aurais pas cru que vous y arriveriez. Mais vous avez oublié de me dire que vous le connaissiez. »

L’explication vint, démolissant sa théorie qu’elle connaissait David. En fait, c’était peut-être mieux ainsi, personne ne méritait de connaître David et d’être prit avec le restant de ses jours. Alexandra n’était pas experte en Facebook, mais savait qu’elle pourrait remercier son créateur pour le coup. Elle pourrait aussi intérieurement remercier David d’avoir fait la bêtise d’étaler sa vie publique aussi stupidement. « Quoi qu’il en soit, chapeau! » D’un côté, il ne fallait pas non plus qu’elle se réjouisse trop rapidement, une idée pour qu’il réapparaisse, et rien ne garantissait qu’il ne repointerait pas le bout de son nez ici. Il faut dire que cet homme possédait une certaine rigidité d’esprit : il ne changeait pas d’idée facilement, et en plus il était persévérant dans son genre !

- Bon ! Parlons de ces desserts ! Le fameux prix qu’elle avait gagné. C’était de bon cœur qu’Alexandra le lui offrait. La jeune femme était du genre bon joueur. Elle adorait les défis, et perdre faisait parfois partit du jeu. De toute manière, elle avait gagné autre chose : la paix d’esprit. Je fais une consommation parfaitement malsaine de sucre, donc il va falloir que je voie ce que vous avez de mieux dans ce domaine ! Tiens, une accro au sucre! Et bien, ce n’était pas nouveau, des tonnes de clients lui posaient des questions sur le menu, plusieurs étaient particulièrement attirés par celui des desserts. « Je crois qu’à ce niveau, on pourra facilement trouver votre bonheur » Elle jeta un coup d’œil rapide au dessert, pour se rafraîchir la mémoire et dit : « Y’a toujours le classique de la tarte au sucre… le gâteau avec sauce sucre à la crème, juste ici. Sinon un peu tous les gâteaux au chocolat que vous pouvez voir sur le menu. » Suite à quoi Alexandra tourna la tête vers la table quatre pour voir en direct l’homme se faire servir son assiette par une autre serveuse – elle-même se trouvant trop occupé pour remplir cette fonction pour le moment. Elle se mordit la lèvre, profondément fière de son coup mais tentant de le cacher. L’homme sembla encore une fois mécontent et – ce qui était injuste par contre – la serveuse dû se confondre en explications et en excuses. Cette fois, Alexandra contint difficilement un soupir, trouvant tout compte fait sa plaisanterie de bien mauvais goût. Si cette journée pouvait se terminer… Plus que quelques heures, et elle serait libérées de ses obligations. Elle retourna son regard vers la jeune femme – elle devait avoir à peu près son âge – et attendit de voir ce qui ferait son bonheur. De son côté, une pause c'était peut-être ce dont elle avait vraiment de besoin en ce moment, avant d'empoisonner injustement un client.

Va pour le gâteau, ce à quoi Alexandra répondit par un « Parfait! » En se dirigeant au niveau des cuisines, elle le prit en note, autant pour ne pas l’oublier, que pour le cuisinier qui en aurait de besoin. Elle passa à côté de la table numéro quatre, mais préféra faire comme si rien n’était et passa son chemin, l’air de fuir le regard accusateur de l’homme. Elle revint l’instant d’après avec le coca que madame sa sauveuse avait commandé, et le déposa sur la table avec une paille emballée. Suite à quoi elle l’informa : « Ce sera bientôt près. » Autant le poisson que le dessert que la cliente semblait attendre avec plus qu'impatience.

La mystérieuse cliente en profita pour lui poser une question sur David. Depuis combien de temps il lui tournait autour ? Depuis trop longtemps pour qu’elle puisse compter. Elle ne savait déjà plus comment cela avait commencé ! Une chose sûr, cela durait depuis trop longtemps. Elle lui raconta alors une drôle d’histoire sur une de ces propres expériences, et Alex ne sut pas si elle devait trouver ça drôle, ou juste extrêmement bizarre et radicale comme méthode pour se débarrasser de quelqu’un. Elle n’aimait pas particulièrement David – voir pas du tout – mais il ne mériterait probablement pas qu’elle s’acharne sur lui. Quoi que… Finalement, la mutante décida que la tournure de cette histoire avait de quoi être drôle. Elle sourit à l’inconnue. « David est le genre de gars capable d’insister pendant plusieurs semaines. Et comme c’est un lieu public… » Eh bien, il pouvait venir quand bon lui semblait, boire café sur café et lui taper sur le système. Alex haussa les épaules. « Enfin, il ne me reste plus qu’à prier pour qu’il ne revienne pas ». Simple manière de parler, Alex ne priait pas. Et elle doutait qu’il laisse tomber comme ça. Ce serait trop facile, pas vrai ? Mais elle pouvait au moins espérer, ça ne coûtait rien. Ça ou inventé un plan B, au cas où la honte ne l'aurait pas tuée.

La mutante jeta un coup d’œil à la salle, pour s’assurer que le restaurant était toujours sous contrôle. Rien n’avait bougé. Puis la cliente se présenta, et elle fit pareille : « Et moi Alexandra. Randi, c’est un surnom ? »

- Je ne garantis pas qu'il ne reviendra jamais, mais au moins il devrait rester loin des lieux pendant quelques jours. C’était plus que ce qu’elle ne pouvait espérer. Plus que ce qu’elle aurait imaginé à la base. Elle s’était préparée à vivre la même journée qu’hier, avec lui qui lui tournait autour de manière obsédante. Ou n’était-ce pas plutôt avant-hier? Les journées au travail avaient se défaut qu’elles se ressemblaient toutes. Elle s’exclama : « Eh bien, c’est un bon début ! » Au moins, elle savait que pour cette journée, exclusivement, elle serait tranquille. De réaliser toute l’étendue de ce que cela signifiait lui redonna des ailes.

Alexandra eut des précisions sur le nom de la cliente, et rit en entendant l’allusion à la sale peste. Étrangement, elle n’en doutait même pas. Et puis, on lui demanda si elle ne connaissait pas un coin bien ou s’amuser en soirée. Eh bien oui! C’était un peu son genre de sortir pour s’amuser, en plus, elle connaissait fort bien la ville pour y être née et s'y être promenée à répétition. « Ce ne sont pas les endroits pour s’amuser qui manque à New York » Dit-elle dans un sourire. « D’ailleurs, il y en a un sympas à quelques rues d’ici ; en sortant vous tournez à droite et, non… Attendez, je vais vous faire un dessin ce sera plus facile. » La mutante attrapa une serviette de table et traça des lignes pour désigner les rues, trois carrés représentant des endroits agréables – elle barbouilla le quatrième en se rappelant que la musique laissait franchement à désirer - et compléta le tout par quelques noms de rues principales. Elle agrémenta son croquis au fur et à mesure par des explications et conclut par : « Et voilà ! En espérant que ça vous aide. »

Suite à quoi elle s’excusa et la laissa quelques instants, pour revenir avec ce qu’elle avait commandé, et déposa le tout sur la table. « Bon appétit. » Et elle repartit sur le plancher pour s’occuper des autres clients. Se faisant, l’idée de sortir se soir lui vint en tête. Si aucun autre client désagréable ne venait lui voler son énergie, peut-être pourrait-elle profiter de ses nouvelles petites ailes causées par l’absence de David pour aller se distraire un peu.

« Amélie n’est pas encore arriver » Cette information, en temps normal, lui aurait passé vingt pieds au dessus de la tête. Savoir qu’Amélie était là où non n’était pas de ses préoccupations. Mais, en l’occurrence, la dite Amélie était serveuse. Alors, oui, elle était au courant, l’information n’était pas nouvelle : voilà dix bonnes minutes qu’elle rongeait son frein en l’attendant. Et tant que cette serveuse ne pointait pas le bout de son nez, elle ne pourrait pas aller promener le sien ailleurs. Son patron avait eu une arrière pensée en lui disant cette phrase anodine. Alex s’était alors exclamée : « Oh non ! » Suivit immédiatement après par un : « Oh oui ! » À la suite de quoi, la mutante étouffa un « Oh merde » et tenta d’être diplomatique. « Elle est toujours en retard. Ça ne veut rien dire. » Toujours était un bien grand mot ; souvent serait plus adapté. Mais on l’excusait : la pauvre avait un enfant à s’occuper… Autant dire qu’elle était dans une belle galère! « Mais elle n’a pas appelé, par vrai ? » Parce que si elle avait appelé pour dire qu’elle ne pouvait rentrer travailler, il l’aurait dit carrément. Cette discussion se continua, et prit finalement fin lorsqu’il lui annonça qu’elle devrait rester tant qu’Amélie n’était pas là. Et la mère monoparentale ne répondit par au coup de fil d’Alexandra.

C’est ainsi que la jeune femme fut à deux doigts de passer la soirée à servir des clients. À deux doigts, juste au moment de désespérer, de voir ses rêves de sorties s’évaporer. Une demi heure après l’annonce déprimante. Et puis, un boulet de canon entra dans le restaurant, à bout de souffle, gaspillant son énergie en excuses qu’Alexandra n’écoutait déjà plus, traçant son chemin le plus rapidement possible vers la sortie, avant que quelque chose d’autre ne la retienne. Car pour rien au monde elle ne serait restée une minute de plus dans cet endroit.

C’est un peu par hasard que Serval se rendit, plus tard dans la journée, dans le même bar sympathique que Miranda, ayant momentanément oublié sa rencontre avec Miss Facebook, spécialiste pour se débarrasser d’hommes encombrants. Elle aimait l’ambiance de cet endroit, même si elle aimait l’ambiance de dizaine d’autres places dans le même genre. La musique était bien tempérée, de sorte qu’on l’entendait à merveille, mais pas assez forte pour empêcher la discussion. Il y avait toujours des personnes différentes, ce qui était bien lorsqu’on ne voulait pas se coltiner toute sorte de personnes désagréables. En plus, elle n’y avait encore jamais croisé David… Ce qui était un gros plus. L’intérieur était agréable, sur deux étages, d’en haut on pouvait contempler ceux qui était en bas. Il y avait un immense bar, des tables et banquettes dispersés ça et là et une scène pour les soirées où il y avait un groupe de musique invité. C’était le cas ce soir, mais les membres semblaient en pause.

Alexandra passa tout près de Miranda, sans réellement sans rendre compte. Elle s’approcha du bar pour commander quelque chose à boire. Elle s’y accouda et promena son regard sur les lieux, pour décider où elle allait s’installer, ce qu’elle allait faire. Elle ferma les yeux pour s'imprégner. L’ambiance des lieux, les gens qui parlaient et semblaient avoir beaucoup de plaisir, de même que la musique, redonnèrent un éclat aux ailes d’Alex. Déjà, elle se sentit mieux, et le travail sembla bien loin derrière.