Dieu crée, l'homme détruit [ Libre ]

Depuis la nuit des temps, c’était ainsi. L’évolution du monde s’accélérait toujours autant. On était passé du stade de simples cellules à des êtres dits supérieurs appelés communément mutants. L’avancée génétique pouvait être considérée comme une bonne chose, mais il existait, comme à chaque changement de situation, des conflits inévitables entre l’avant et l’après, en l’occurrence l’homo sapiens sapiens et le mutant.

Il était précisément minuit et le vent océanique passait entre ses cheveux ébènes fins et sa robe de soie noire, les soulevant avec légèreté. Holly ne reconnaissait plus les rues qui l’entouraient, et n’arrêtant pas de passer sans le vouloir d’une heure à une autre, elle s’aperçu qu’elle ne maîtrisait tout bonnement plus ses dons. Cela devenait insupportable à vivre, ce dysfonctionnement la perturbait et l’affaiblissait énormément… Jusqu’au point où, à bout de souffle et surtout de forces, elle s’écroula à terre, arrêtant enfin de bouger. Elle avait l’impression d’être victime d’une malédiction, ses pouvoirs étaient comme des chaînes à ses pieds qui lui empêchaient de mener une vie normale, et le fait qu’elle était muette comme une tombe ne l’aidait certainement pas plus. Tout le monde aurait pu penser qu’elle rêvait juste de « normalité », mais pourtant non. La seule chose dont elle avait réellement envie, était de trouver sa place… Savoir où elle devait vivre et avec qui passer le reste de ses jours… Grâce à ses capacités, il était certain qu’elle aurait pu faire un bond dans le futur et le découvrir, mais ce n’était pas chose facile, car elle venait à peine de se découvrir et avait besoin de temps pour apprendre à se maîtriser. Toujours était-il que plus le temps passait et plus elle se disait qu’elle finirait ses jours seule. Sa vie qui n’était déjà pas rose devenait un réel cauchemar. Des idées noires, elle en avait déjà eu, mais toutes ses tentatives de suicide avaient été vaines, c’était comme si quelque chose l’en empêchait à chaque fois, à la dernière minute.

Lorsque la jeune femme tenta de se relever et qu’elle ouvrit les yeux, elle vit deux hommes qui se tenaient en face d’elle. Elle eut alors un bien mauvais pressentiment qui se révéla juste seulement quelques secondes plus tard. Ces deux énergumènes étaient des anti-mutants, et l’un d’entre eux s’empressa de tirer Holly par les cheveux pendant que l’autre la prenait par les jambes. Elle tentait de se débattre, mais ils étaient trop forts. Hurler et appeler au secours ? Cela lui était impossible ! Quant à arrêter à nouveau le temps, il ne fallait pas même y penser, car elle était bien trop faible. Le plus enveloppé des deux regarda l’autre d’un air complice et joueur, avant de lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Son interlocuteur explosa alors de rire, créant la terreur pour McCracken : Qu’allaient-ils lui faire ?! Le maigrelet dit alors à la jeune femme :

« Alors la Mutos, on ne parle pas ? Tu crois qu’on t’a pas vu apparaître de nulle part, sale monstre ? Pourquoi tu t’en vas plus, hein ? T’as peur, avoue ! Et t’as bien raison ! »

Ils s’approchèrent alors du bord de l’eau, et après un clin d’œil échangé, ils la balancèrent dans l’eau glacée, toujours en souriant. Une fois qu’il ne virent plus son corps, ils retournèrent à leurs activités, satisfaits. Holly était toujours en vie, elle tentait de ne pas couler mais la fatigue était pesante…

Assis en haut d'une grue, Martin était tranquillement en train de manger un succulent hot-dog, un de ceux qui faisaient la réputation de New-York.
Il en était arrivé à la moitié quand il vit deux hommes s'en prendre à une jeune femme qui semblait bien mal au point. C'était là un acte lâche et vil.

Il se releva. Il tourna le dos l'espace d'un instant pour vérifier ses flèches puis, quand il se retourna, il eut un moment de frayeur. Les deux hommes s'enfuyaient mais la fille n'était plus là. Etant malentendant, il n'avait pas entendu le bruit du plongeon, mais par contre, sa vue aiguisée aperçut des remous dans l'eau, et il comprit aussitôt ce qu'il venait de se produire.

La situation était urgente. C'est pourquoi, à grand renfort de bonds puissants, il arriva sur l'embarcadère en quelques secondes. Il vit alors la jeune femme flottant dans l'eau. Par cette saison, l'eau devait être glaciale. Il serait suicidaire qu'il y plongeât aussi. Alors il escalada la structure jusqu'à se rapprocher au maximum de l'eau. Il prit son arc et le tendit à la pauvre mutante.

Attrapez mon arc ! Vite ! Je vais vous tirer de là ! Allez ! Attrapez-le !

Que l’eau était glaciale ! Ce bain de minuit n’était gère plaisant ! Ces deux idiots qui l’avaient jeté à l’eau… Que leur avait-elle fait au juste pour qu’ils s’en prennent à elle ?! Les humains l’exaspéraient, allait-elle donc mourir comme elle l’avait prévu, seule et surtout bêtement ? Elle s’imaginait déjà les gros titres du lendemain, « Une mutante muette retrouvée noyée dans l’Atlantique », ou peut-être personne ne la retrouverait jamais et son corps finirait engloutit dans les profondeurs de l’océan. De toutes façons, elle savait d’office qu’elle allait finir ses jours sur place, et, après tout, qui pourrait bien la regretter ? Absolument personne.

Se préparant à faire ses adieux au monde, un homme couru à son secours. Il lui tendit un objet bien étrange, un arc. Un arc, en plein cœur de New York ? Voilà un bien étrange personnage. Cet acte de bravoure dont il faisait preuve remis alors totalement en question la destinée de McCracken : Sa chance de continuer à vivre lui tendait les bras… Elle décida presque choquée par elle-même, de prendre l’arc que tenait Martin. L’épuisement ne l’aidait réellement pas, la jeune mutante ne parvenait pas à attraper l’objet qui devait la sauver. Elle aurait voulu plus que jamais parler et dire au jeune homme de lui tendre quelque chose de plus long, de plus facile à attraper… Ou tout simplement de ne pas la laisser couler ! Dans un souffle de courage elle décida d’utiliser ses dernières forces pour remonter. C’était maintenant ou jamais et elle choisit de survivre par tous les moyens.

Elle fut remontée après deux minutes interminables passées à se débattre des eaux et de son état second. Enfin sortie, et surtout enfin sauve. Holly était trempée, elle tremblait, et frissonnait de tous côtés. Elle s’agenouilla sur le gravier peu confortable, toussant toute l’eau contenue dans ses poumons silencieusement, comme d’habitude. De chaudes larmes coulaient de ses yeux gonflés et rouges, et ses joues étaient pâles comme un linge. Elle avait terriblement mal à la poitrine et à la gorge. Cinq minutes plus tard elle vomit toute l’eau salée qu’elle avait ingurgitée, rien de très élégant. Après cet épisode peu supportable elle reprit lentement son calme et alla s’asseoir en ramenant ses jambes contre elle. Elle était épuisée et honteuse, mais reconnaissante envers son sauveur. Comment le lui faire comprendre ? Elle ne parlait pas. Holly, gênée, cherchait une solution. Ses yeux étaient encore perlés de larmes lorsqu’elle leva péniblement la tête vers lui et afficha un léger sourire déstabilisé … Elle tenta tout de même de le regarder et de bouger ses lèvres de sorte qu'on puisse y lire un « merci ». Et comme Marivaux l'eut dit lui-même : Le regard chez une jeune femme est un interprète toujours charmant qui se charge de dire avec complaisance ce que la bouche n'ose prononcer...

La jeune femme se battit pour sa vie et, au prix de nombreux
efforts, attrapa l'arc de Martin. Le jeune homme la tira sur la berge sans
tarder. Elle se mit alors à tousser pour recracher toute l'eau contenue dans ses
poumons. Elle tremblait de tout son corps. Martin regretta alors ne pas avoir
une couverture de survie à lui mettre sur le dos. Elle aurait été chez elle, il
l'aurait déshabillée pour la précipiter de suite sous une bonne couette. Là ils
étaient dehors, en pleine ville, et ils faisaient froid comme de coutume une
nuit d'hiver. Il fallait donc agir rapidement, avec les moyens du bord.

Il posa sa main sur le dos de la jeune femme et lui parla avec beaucoup de
douceur.

Vous tremblez. Mais je ne rien à vous donner pour vous réchauffer. Je vous
propose de me coller à vous et vous frotter pour vous faire partager un peu de
chaleur humaine. D'accord ?

Il savait que la jeune femme était passée à deux doigts d'un viol et il
s'attendait à ce qu'elle le repoussât, surtout s'il lui proposait cet acte,
somme toute assez intime. Normalement, il devrait agir tout de suite, ne même
pas poser la question, mais dans le cadre d'une agression, il fallait être
prudent. Il ne voulait pas risquer de faire paniquer cette jeune femme étant
donné l'état dans lequel elle était. Cela ne pourrait que compliquer les choses.

Dégénérés et tarés étaient les seuls adjectifs que l’on pouvait attribuer aux seules personnes qu‘Holly avait rencontré depuis qu’elle avait quitté la demeure familiale. À force, elle avait finit par croire que tous les hommes étaient les mêmes, de pauvres diables sans esprit tous plus pitoyables les uns des autres… Réellement, l’image qu’elle se faisait du monde qui l’entourait était tout sauf élogieuse. Il serait intéressant pour certaines personnes de fermer ne serait-ce qu’une fois la bouche et observer tranquillement ce qui se dit ou se fait autour d’elles, car c’est en observant le monde que la jeune mutante s’aperçut qu’il avait une allure grotesque, et ce, partout où elle mettait les pieds. Comme le disait Musset lui-même : tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravés; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange…

Vous tremblez. Mais je ne rien à vous donner pour vous réchauffer. Je vous
propose de me coller à vous et vous frotter pour vous faire partager un peu de
chaleur humaine. D'accord ?

Bon sang, elle venait de se faire agresser et la personne qui était censée l’avoir sauver venait de lui proposer de se frotter contre elle ?! En voilà, une idée impensable ! Certes, elle était frigorifiée, mais ce n’était pas pour qu’une personne inconnue entre dans son intimité, et ce, par n’importe quel moyen possible et imaginable. Alors qu’il passa sa chaude main sur son dos, elle le repoussa d’un coup. Plutôt paniquée, elle essaya de rassembler toutes ses forces pour stopper les aiguilles de sa montre et repartir lentement vers son nouveau chez elle, qui était la confrérie, mais elle était bien trop faible pour le faire… Lorsqu’elle se retourna, Martin était toujours là… Elle lui fit alors simplement un « non » de la tête pour tenter de lui faire comprendre qu’il ne la toucherait pas.

Martin était bien loin de compte concernant la susceptibilité de la jeune femme et il avait bien eu raison d'être prudent dans son approche. S'il l'avait frottée directement, il s'en serait surement pris plein la figure.

Mais ce fut une autre qui s'en chargea. Une mutante, à en juger la façon dont elle lui avait balancé une plaque d'égout vers lui. Temporairement sonné, les filles étaient déjà loin quand il reprit conscience. Il les apercevait, s'apprêtant à tourner au coin d'une rue.

Alors, avant qu'elles ne disparussent de son champ de vision, il ne put s'empêcher de leur lancer une dernière remarque.

DE RIEN, leur cria-t-il, CE FUT UN PLAISIR ! La prochaine fois, finit-il par murmurer pour lui-même, je te laisserai couler...

Et il repartit grimper en haut des building. Ces bonnes femmes l'avaient mis de mauvaise humeur. Il n'avait qu'une seule envie désormais : se faire une toile tout en bouffant des pop-corn. Seulement après, il recommencera sa tournée d'arrestation des criminels.