j'erre, tu erres.... nous errons. [Abel et qui veut !]

[1 ou deux jours après l'exposition de Aaron]

Une fois encore, Shin' trébucha, entrainant Haeru à sa suite qui refusait de lui lâcher la main, chose qui convenait parfaitement à Shin' qui s'accrochait désespérément à tout ce qui émanait de sa sœur : aussi bien sa main sur laquelle il avait crispé les doigts, que ses pensées et émotions qu'il considérait comme sienne.

Les nuits passés sous les porches n'étaient que des nuits incomplètes en raisons du froid, des bruits incessants, et de ces grandes personnes qui les arrachaient aux bras de Morphée dès les premiers rayons de la grosse boule qui chauffe. Il semblait aux jumeaux que Shin' ne parviendrait plus à reprendre des forces. Cela faisait peut être trois jours maintenant et il n'en trébuchait pas beaucoup moins qu'au premier jours. Or, plus il sentait la fatigue l'engourdir, plus il se concentrait sur ce lien unique qu'il avait imposé malgré lui à Haeru, lien qui, comme tout pouvoir psychique qui se respecte, consommait le peu d'énergie qu'il grappillait auprès de Morphée..

Jours après jours, les gamins étaient passés du stade effrayant de tout-droit-sortis-d'un-film-d'horreur, avec leurs grands yeux vide et las, au stade de gosse un peu sales, la tignasse emmêlée et terreuses comme le reste de leurs vêtement, au stade final de résidus de la société. Tout juste considérés comme êtes vivants à défaut d'êtres humains, ils étaient repoussés chaque jour un peu plus hors de la ville, éloignées des quartiers résidentielles et marchands. Le décors avait changé, mais ne comportait pas moins de merveilles aux yeux émerveillés d'Haeru. Moins de couleurs certes, et pour tout éclat, celui des bouteilles de bière et des restes de vitrines de cabines téléphonique.

Les deux enfants contemplaient les genoux de Shin' qui n'avaient plus de genoux que l'appellation lointaine. Haeru tira sur le morceau transparent et fin qui s'y était enfoncé cette fois avant de plaquer ses deux paumes contre les bouts de chaires éraflées et coupées.
Shin' y superposa ses propres paumes, avant de poser son front brulant contre celui de sa sœur.

"Nous n'avons pas mal, plus jamais."

Le quartier était tristement miteux de ce côté de la ville. Non seulement les bâtiments arboraient un air délabré: les portes avaient été forcées, les vitres qui n'étaient pas protégées par un grillage métallique se trouvaient en morceaux, les vidanges avaient été oubliées dans les ruelles et les bouteilles vides de bière joncheaient le sol. L'odeur était on ne peut plus accueillante, et on ne s'étonnait même pas de voir la silhouette d'un rongeur quelconque raser les murs. La sécurité n'était pas non plus de mise dans le quartier, mais si on espérait bien fort se faire oublier, parfois on y arrivait. De part et d'autre de la rue principale, quelques commerces tentaient d'allécher les passant avec des babioles tout droit sorties de Chine. Le plastique, le bois, le cuivre et le fer étaient à l'honneur pour toutes chaussures, carrosse, bouilloires et appareils électroménagers de pauvre qualité. Parfois, un dépanneur émergeait d'une intersection. Plus rares encore étaient les épiceries ou les motels. Mais il n'en demeurait pas moins qu'une certaine auberge fût le refuge temporaire de la-dite mutante. Perdue depuis son arrivée dans la populeuse ville américaine, la jeune norvégienne avait erré quelques jours avant de mettre le pied dans ce quartier du nord Manhattan. Elle avait eu quelques difficultés à trouver quelqu'un à qui elle pouvait parler, les gens étant plutôt méfiants à son égard. Cependant, avoir une peau de couleur brune ou noire, ou bien simplement blanche, on n'est pas plus accepté par ceux d'apparence normale. Abel finit par soutirer quelques informations pratiques à une jeune mère de famille qui avait un peu plus de toupet que les autres.

Une fois son appétit rassasié et son manque de sommeil, comblé, Abel rangea ses maigres possessions dans sa petite valise, et elle décida de quitter la chambre qu’elle avait louée pour la nuit. La ville lui avait fait une sale impression, à commencer par ce logis qui peinait à atteindre ses deux étoiles de confort. Dehors, Abel huma l’air, épais et humide de la grosse pomme. Il y avait beaucoup trop de mouvement dans la rue, ça lui donnait le tournis. Lorsqu’elle voulu avancer, elle trébucha de manière très peu héroïque sur quelque chose. Elle ne l’avait pas vue du tout, c’était immobile et se confondait avec la grisaille du paysage. C’était petit et bougeait très peu. Le contact avec la chose lui fit l’effet d’une brûlure, de la tête au pied. Comme un courant électrique qui vous traverse par une belle journée de pluie. La chose remua.

Quelques instants après, lorsque la jeune femme fut remise de ses émotions, celle-ci réussit à distinguer les deux silhouettes d’enfants très mal en point. Son premier réflexe fut de se référer à sa langue maternelle pour s’exclamer nerveusement…

- « Dæffen steike!» (trad. Holy Jesus!)

…Avant de réviser sa grammaire anglaise et de tenter une communication un peu plus appropriée.

- « Ne me mordez pas!..non, pas tout à fait…Est-ce que vous allez bien?»

Son anglais était encore lourd des consonnes norvégiennes, mais elle avait fait un effort pour bien articuler ces mots, dans la mesure où elle pourrait être le plus clair possible. Le sort des deux petites créatures l’interpellait d’une manière qu’elle n’aurait su expliquer. Son expression, une fois passée l’effet de surprise, affichait un voile d’inquiétude non feint. En fait, il n’y avait rien à cacher dans ces prunelles doucement ambrées. La jeune femme s’agenouilla pour se mettre à la hauteur des deux enfants, tout en attendant leur réaction avec appréhension.

Encore le sol. Une fois de plus le liquide âcre et rouge s'était un peu enfui du corps de Shin. Quelques tâches rougeâtres avaient rejoins les autres, plus anciennes, des Grandes personnes de la cave. Et Haeru avait sentit la douleur des graviers dans sa peau comme si c'était la sienne, elle était sienne d'ailleurs. Tout comme la fièvre qui commençait à prendre possession du corps de Shin, de la colère un peu sourde qui grimpait en lui, étouffée par cette lourde fatigue dont les deux enfants ne pouvaient se débarrasser.

Posant ses deux mains sur les genoux égratignés de son frère, Haeru murmura tout bas ces quelques mots, autant réconfort que certitude. Il n'auraient plus mal maintenant, c'était fini. Cela n'existait plus pour eux. Une douce torpeur les enveloppa sous la décision, faisant doucement disparaître ce désagrément et Shin acquiesça du chef en même temps qu'elle. Deux corps pour un seul esprit. Un seul amalgame.

°°Danger.°°

Tous deux avaient sentit un étrange frôlement et une sensation immédiate, infiniment désagréable, comme si l'on vous arrachait l'âme. Pendant une fraction de seconde, Haeru se sentit perdue, seule et inexistante, comme vidée de sa propre essence. Le réflexe avait été tout aussi immédiat: Attrapant le bras de Shin, la gamine l'avait vivement poussé sur le côté pour s'éloigner de la source du problème. Shin avait esquissé le même réflexe, mais il n'en avait plus la force. Haeru l'avait pour deux.

Le cœur battant la chamade bien plus qu'il ne l'avait fait ces 3 derniers jours, même lors de leur départ de chez les Grandes Personnes de la cave, les yeux brillant entre la colère et la peur, Haeru leva les yeux sur ce qui avait ainsi éveillé un sentiment aussi fort qu'ils n'avaient ressentit depuis longtemps, une peur viscérale.
Elle se tenait debout entre Abel et son frère, le protégeant de son corps.

Les yeux de la gamine étudièrent d'abord en silence l'inconnue, cette grande personne de couleur bizarre, avant de lui répondre de la façon la plus naturelle du monde, d'une voix un peu étrange et trainante, sans lâcher le regard d'Abel un instant.

"Nous n'allons pas bien, tu as essayé de nous manger. Mais nous sommes plus forts que toi, alors va manger quelqu'un d'autre."

Haeru avait bien compris que cette scission dans leur esprit commun devait venir de cette grande personne, le doute ne faisait guère parti de leur façon de penser, à elle et son jumeau. Si cette Grande Personne délavée ne partait pas, elle devrait les protéger, elle et son frère, il ne fallait pas que quelqu'un mange leur esprit, c'était bien pire que se servir de leur corps. Ca ne devait pas être.

Attendant la réaction de la Grande Personne Délavée, Haeru sentit Shin' se relever dans son dos, attraper sa main et se serrer contre elle.

# Terreur #


# Colère #


Ses pensés même n'étaient plus que flashs désagréables dont le sens semblait lui échapper peu à peu.. Shin ne voulait plus se relever, et s'agrippait à sa sœur de toutes son âme pour ne plus être qu'eux, mais en elle. Cette fatigue l'épuisait, et lui d'ordinaire si calme, si vide, détaché de tout ce qui n'était pas eux, ne pouvait se défaire de cette colère grondante et sourde qui semblait se complaire au creux de son ventre, se délectant de chacun de ses maux, se nourrissant de chaque poussée de fièvre..

N'eut été Haeru qui l'empêchait de trop se concentrer sur ce monstre qui lui rongeait le corps, il se serait débarrassé de cette partie gangreneuse de son être comme il avait désatomisé certaines parties des Grandes Personnes.

Une légère poussée, un frôlement. Et l'impression soudaine qu'on vous arrache le cœur et l'âme dans une douleur indicible.

°°Danger ! °°

Une même pensée, dans deux esprits distincts pour une fraction de seconde, infime et terrifiante. Qui ne s'est jamais fait amputé de la moitié de son corps ne peut comprendre. Qui à déjà subit pareil tourment n'a put y survivre. Un dixième de seconde durant laquelle tout n'était plus qu' incomplet et terrible : une demi vie, la connaissance exacerbé de la Solitude dans sa macabre puissance.

Shin' voulut bondir sur ses jambes, s'éloigner de cette petite mort dans un réflexe instinctif et bestial. Mais ses jambes refusèrent de le porter. Alors il se sentit empoigné et trainer un peu plus loin. Haeru.
Sa moitié manquante, il l'aurait reconnu entre mille. Avec un regain d'énergie que seule la Terreur peut insuffler à une carcasse vide, l'esprit de Shin' se jeta en Haeru, reconquérant cette partie de lui qu'il avait perdu, l'espace d'un dixième de seconde, une éternité. Et les morceaux se recolèrent, et tout ne fut plus qu'un.

Le monde se mit alors à tourner dangereusement et un instant, l'enfant se sentit partir... avant que la peur ne l'aiguillonne de nouveau : le dangers était toujours présent en la forme de cette Grande Personne si blanche qu'elle en était presque .. invisible.. comment savait il que c'était elle ? A dire vrai il ne s'était rendu compte de rien, et son esprit embrouiller aurait été bien incapable de désigner un coupable. Mais Haeru savait alors il en était persuadé.

Épuisement, Faim, Douleur, Colère, Lassitude, Vide, Sang,... toutes ces ombres immenses et trop lourdes à porter, tous ces monstres avides, ces faims voraces qu'il ne savait plus comment contenter.. et maintenant ça. Une peur viscérale comme ils n'en avaient encore jamais ressentit. Et tout ça c'était ce sa faute, à elle, la Délavée.

Shin se releva péniblement, tirant toutes ses maigres forces de cette colère grondante qui menaçait à chaque instant de s'emparer de lui.

Il chancela, une fois puis deux avant que le monde ne cesse enfin de vaciller autour de lui. L'équilibre était des plus précaire, et l'enfant doutait de se relever d'une nouvelle chute mais il avança. Shin' n'avait que très vaguement suivit l'échange avec la délavé que par l'intermédiaire de l'esprit d'Haeru alors qu'il ne se répétait plus qu'une chose : nous n'avons plus mal, plus jamais.

Une ritournelle incessante, une promesse sacré, une obsession et un devoir.

Shin' glissa l'une de ses mains dans celle d'Haeru, avant de se mettre à ses côtés, à sa hauteur. Ils étaient plus fort que les Grandes Personnes, ils l'avaient découvert il y a peu mais ne l'oublieraient jamais plus.

Shin' n'ajouta rien aux paroles de sa jumelle, se contenta de lever sur la Délavé un regard gris et terrible : tout à la fois haineux et vide, menaçant. ( plus ou moins cf vava en fait XD)

[mouarf, sorry du retard de rép Abel, j'ai pas arrêté de courir partout -j'en ai même laissé Kurka tranquille sur le chat, c'est pour dire..*ZBAF*- ]