L'esprit perdu dans d'étranges songes où tout devenait possible, ou l'improbable devenait anodin, et l'anodin improbable, je me rapprochais lentement de la fin de ce sommeil de plomb, il me fallait à présent relever l'ancre, et amarrer, car la vie active m'appelait par le tumulte incessant du réveil. J'ouvrais les yeux à plusieurs reprises, le soleil était venu poser ses doigts d'or sur mon visage. Ma main tomba sur le réveil qui cessa enfin son vacarme bien trop perturbant pour un début d'après-midi. A côté de moi dormait un jeune homme dont le dos me rappelait quelques souvenirs plus ou moins vagues de la veille... Il semblait calme, bercé par la rumeurs de la circulation extérieure, loin du monde ou j'évoluais à présent... J'aurais aimé pouvoir rester là, assoupi, jusqu'à la fin de ma vie, attendre la fin, sans jamais avoir à affronter la cohérence du monde réel. Mais j'étais à nouveau un citoyen, un vrai, avec des papiers et le nécessaire pour assouvir mes devoirs de consommation. Je me levai à présent, m'y prenant à trois fois pour me tenir droit. Le loft s'étendait face à moi sur une dizaine de mètres, de la cuisine jusqu'au lit trainaient quelques lambeaux de vêtements aux couleurs diverses, en temps normal, j'aurai souri et me serai réjoui d'une telle découverte.. . Mais nous étions loin des temps normaux, et dans ma tête flottait constamment la question de ma sédentarisation, l'appel de la fuite, l'appel de la solitude, et les rapports humains m'étaient de plus en plus difficiles à vivre. Il me fallut bien cinq minutes pour parvenir jusqu'à la cuisine, j'avais la désagréable impression de ne me souvenir de rien, comme si l'on m'avait effacé toutes les marques qui me permettaient de me sentir chez moi. Arrivé devant la cafetière, je mis presque une éternité à trouver les filtres qui me faisaient face, j'étais totalement désorienté, allant même jusqu'à ôter mes mitaines de cuir pour plus de commodité. J'eus heureusement la présence d'esprit de les enfiler de nouveau pour éviter le pire, un simple touché aurait pu pétrifier ma cuisine entière... Il me fallut aussi une dizaines de minutes pour me rendre compte que j'étais nu comme un vers, que les stores étaient grands ouverts, que ma voisine d'en face bavait à la vitre depuis mon réveil...
J'enfilai mes vêtements dont je mis du temps à comprendre qu'il s'agissait des miens. Portant comme seul haut ma veste de cuir ouverte, et comme bas un vieux short en jean délavé et déchiré. Je me remis en quête du café... Mais j'avais déjà oublié où se trouvait la cafetière. C'est à ce moment précis que je me demandais ce qu'il m'arrivait... Le jeune homme autrefois assoupis s'était redressé et me regarda en souriant, mais à défaut d'être encore l'une de ces grimaces forcées, il s'agissait là d'un vrai sourire narquois, fièrement affiché...
-Quelque chose ne va pas gamin...?
-Oh non, je voulais juste savoir le prénom de l'Apollon avec qui j'ai passé la nuit...
Néant total, qui étais-je? Comment m'appelai-je? Je sentais en moi une horrible sensation de creux, de gouffre sans fond où s'étaient réfugiés tous mes souvenirs...
-Tu sais si j'ai pris quelque chose de spécial hier... Je me sens vraiment...
Je perdais mes mots... Il me fallait une éternité pour produire la moindre phrase cohérente.
-Non non... C'est moi en fait, mais ne t'en fais pas, bientôt tu oublieras même comment respirer, et tu finiras par mourir, là sous mes yeux...
Ce qu'il me disait était à la limite du compréhensible, mais j'y perçu la menace et sans savoir réellement pourquoi, j'ôtai à nouveau mes mitaines de cuir.
-Je paris que tu ne sais même pas quel est le but de ce réflexe, preuve que ton corps se souvient encore de beaucoup trop choses, je vais devoir intensifier l'attaque...
Il leva sa main, et soudain se fut le vide total, l'anéantissement d'une flopée de souvenir, la destruction de ce qui me servait de mémoire.
-Comment tu sens-tu maintenant? Je dois te tuer Kaleb, c'est comme ça, je suis sûr que tu veux en connaître la raison? C'est simple, tu tentes de faire croire que tu es un Dieu en matière de sculpture, tu veux nous faire penser à tous que ta technique est la meilleure. Mais les boss pour qui je travaille savent tout de toi, et maintenant tu dois y passer. Ton crime? Le mensonge...
J'étais à terre, et je ne pouvais rien faire, je ne savais même plus comment me redresser, à vrai dire, j'avais même oublié que je possédais un corps capable de me soulever, de me sauver... A l'instant précis ou je me sentais perdre ma faculté à respirer, la porte s'ouvrit à la volée, c'était la concierge, alarmée du vacarme apparemment insoutenable causé dans la nuit. Le jeune homme sortit un gun qu'il pointa en direction de l'arrivante. Je me sentais soudain respirer, reprendre quelque bribe de mémoire, sans plus attendre je me jetais face au gun, il tira une balle, mais elle ne pénétra pas mon corps. J'étais à moins d'un demi mètre de lui. Un éclair de peur traversa son magnifique visage, mon front devint gris blanc, aussi dur que du roc, un coup de boule... Il s'effondra, le nez en sang et la mâchoire bien entamée...
-T'as fini de causer? Dis-je hors de moi au gisant.
-Monsieur Cardigans, tout va bien?.. La détonation... Et... Bon sang vous avez la tête dure!
Je ne pus retenir un sourire, il fallu alors lui expliquer un joli mensonge bien ficelé, appeler la police pour faire incarcérer ce malade... C'était la première fois que j'étais face à un mutant, ou du moins la première fois que je savais qu'il s'en agissait d'un, et je venais froidement de lui exploser le nez et la mâchoire. Son don était terrifiant, j'aurai très bien pu mourir, là, par terre, juste à cause d'une amnésie... Mon pouvoir était bien mignon après ça... J'en avais encore des frissons dans tout le corps. J'appris plus tard que je n'avais pas mis les pieds chez moi de la nuit, qu'on m'y avait déposé avec le tueur à quelques minutes de mon réveil, que la concierge venait pour m'avertir que mon appart avait très surement été cambriolé. Rien de plus rassurant. La petite question qui tournait dans ma tête devint la seule solution à mes yeux pour tenter de trouver un réponse, ou du moins sécurité. J'avais suivi avec une grande attention toute une émission dédiée à l'idéologie Xavier, et je savais où se situait son « école » pour des personnes dans mon genre. Même si je n'étais pas du tout en accord avec l'utopie qu'il prônait comme réalisable, il pouvait très surement m'apporter un peu de sécurité, le temps que mes assassins décident d'abandonner leur projet concernant ma propre personne...
Deux jours plus tard, je survolais l'océan atlantique en direction de New York, histoire de m'y faire quelques connaissances si possibles mutantes...