Muette mais pas bête (Anton Griffith)

Cela faisait maintenant plus d'un mois qu'il avait appris le décès du malade qui l'avait crucifié. Pourtant, Anton n'avait toujours pas recouvert la totalité de sa puissance. Au final, il était plutôt heureux de ne pas avoir eu à l’exécuter de sa main. Il s'était rendu compte de l'absurdité des folles idées de plans d'assassinat qu'il avait eues durant la visite du Vice-Commissaire Patterson. Il aurait fini par devenir complètement fou si le psychopathe n'avait été tué. Seul avantage qu'il voyait désormais à toute cette mascarade, c'était qu'il était fixé sur ses idées et son opinion par rapport aux idéaux du professeur Xavier et ceux de Magnéto. Il ne croyait en aucun des deux.

Le professeur n'arriverait jamais à rien faire de mieux que créer un havre de paix pour les jeunes mutants et Magnéto, lui, risquait de mener une guerre entre mutants et humains. Les X-Men n'étaient pas assez démagogues. C'était d'une équipe de sauveteurs au quotidien qu'avait besoin le monde, pas d'une bande de héros disparate qui n'intervenait que lorsqu'un conflit majeur risquait d'avoir lieu. En bref, ils n'étaient pas assez efficaces et présents. Ils n'étaient pas assez nombreux pour la surface qu'ils tentaient de recouvrir aussi. D'après Éole, il aurait fallu que les X-Men soient capables de patrouiller dans la rue et de protéger les civiles quels qu'ils soient en se chargeant de recadrer chaque jeune mutant livré à lui-même. Ainsi, les effectifs augmenteraient très vite et le professeur pourrait placer une équipe composée d'au moins deux mutants puissants et rompus à la gestion dans chaque grande ville des États-Unis ce qui permettrait de toucher et de recruter un plus grand nombre de jeunes mutants. C'était en allant sur le terrain que la Confrérie des mauvais mutants avait constitué sa véritable armée de mutants. Seul problème, cette stratégie était particulièrement coûteuse, à moins d'obtenir des subventions de l’état ou des financements de riches PDG en échange d'une quelconque publicité. Cela faisait des années que le professeur Xavier et Hank McCoy essayaient de faire valoir les droits des mutants par la diplomatie sans succès. Même si l’État venait à accepter de réviser ses positions, les choses ne changeraient pas. Ce n'était pas l’État qui avait ce pouvoir mais le peuple. Il fallait que le peuple voit dans les mutants non pas un problème de terrorisme mais de potentiels protecteurs et des personnes simplement différentes. Certains humains étaient persuadés de l'existence des êtres vivants extra-terrestres et seraient capables de les accueillir à bras ouverts, pensant que ces derniers ne viendraient que dans le but de nous enseigner leur technologie, pourquoi n'accepteraient-ils pas des êtres humanoïdes d'une espèce très proche de la leur capables de les protéger de nombre de dangers ?
Seuls quelques cas isolés resteraient dangereux malgré un recadrage efficace. Mais après tout, il y a des fous partout. Il y a même plus de fous humains que de fous mutants. De plus, il serait aisé d’annihiler les pouvoirs de ces mutants représentant un danger pour les autres grâce à la technologie qui avait servi pour concevoir le Cube.

Voilà les pensées qu'Anton ruminait toujours plus, jour après jour, nuit après nuit. Il dormait de moins en moins et n'allait presque plus aux cours dispensés à l'Institut. Les cours ne constituaient plus aucun intérêt pour lui depuis bien longtemps. C'était trop académique. Il était lassé d'entendre toujours la même litanie d'amour et d'entre-aide que le jeune mutant retrouvait inlassablement dans les cours. Seuls les cours ayant pour objectif la maîtrise de ses pouvoirs avaient encore un peu d'attrait à ses yeux. Mais ils étaient bien souvent trop simples. Ça ne l'amusait plus depuis longtemps de se rendre compte que son niveau de maîtrise était supérieur à celui de bon nombre d'élèves. Ça l'ennuyait de voir des mutants d'âges situés entre treize et vingt ans suant comme des bêtes pour réussir un exercice. Peut-être que si les cours étaient passés à la vitesse supérieure, il s'y serait intéressé mais il ne voyait vraiment pas l'intérêt de faire sans arrêt des choses qu'il savait déjà faire ou de toujours entendre la même chose. Mais maintenant que sa puissance avait si terriblement diminué, il ne réussissait plus aucun exercice et ne s'en ennuyait que plus. Il passait donc ses journées allongé sur son lit à regarder fixement le plafond ou dans le bois adossés contre le tronc d'un des vieux arbres. Il essayait de se rappeler ce que voulait dire s'amuser ou tout simplement vivre. Toujours sans succès. Ce jour-là, le temps s'y prêtant, il avait passé tout son temps allongé sur le sol couvert de mousse du bois, scrutant le ciel et les bourgeons qui commençaient à paraître sur les branches des arbres, perdu dans les heures qui s'écoulaient.
Il se souvint qu'il n'était pas une plante verte quand il se rendit compte de l'obscurité qui l'entourait et des cris des animaux nocturnes, fantômes et monstres difformes en tout genre. Sans trop savoir comment, il parvint à retrouver la route du manoir malgré la noirceur du monde qui l'entourait. Il traversa d'abord le hall qui était aussi désert que bien éclairé malgré l'heure tardive. Peu désireux de retrouver sa chambre où il serait sans l'ombre d'un doute confronté à son colocataire qui ronflait terriblement, il prit la direction de la salle détente qu'il savait chauffée et pleine de fauteuils confortables.

Dans la cheminée, quelques flammes dévoraient joyeusement les bûches disposées à cet effet, jetant des ombres fantastiques sur la salle. Anton s'assit nonchalamment dans un des fauteuils détournés du feu crépitant, aveugle au monde qui l'entourait. Trop peu satisfait de la luminosité que créait l'incendie maîtrisé, il pointa sa main vers la cheminée, paume présentée et essaya de lancer une bourrasque suffisamment forte pour le raviver. Sa première tentative échoua mais pas la seconde. Les flammes s'enhardirent au triple, éclairant la totalité de la salle, puis se calmèrent doucement. Un détails éveilla le jeune maître de l'air : une forme humaine recroquevillée dans un fauteuil qui lui faisait face. Elle était recouverte d'une fourrure fauve rayée, arborait deux yeux brillants et dépareillés et des courbes féminines très peu accentuées.

Anton ne pensait pas la connaître. Peut-être avait-il déjà aperçu l'hybride mais certainement pas plus. C'était le genre de mutations dont on se souvenait toujours. D'une voix rendue rauque par les heures de mutisme, il interrogea :
-Qui es-tu ? Que t'arrives-t-il ?

-Qui es-tu ? Que t'arrive-t-il ?

Sans émettre le moindre son avec sa bouche, l'hybride tourna la tête vers Anton et tendit la main vers une petite ardoise sur laquelle elle griffonna au marqueur son nom et son prénom, tout simplement autre mot. Maëlys Duval. Elle devait être française, ce n'était pas un nom très courant dans le Nouveau Monde. Il avait à peine eu le temps de finir de lire que la jeune mutante effaçait son ardoise pour remplacer son nom par une nouvelle inscription : Je vais trè bien va te couché. Cette fois-ci, malgré les fautes et l'obscurité de la pièce, Éole parvint à lire plus rapidement.

*C'est ça... Fou toi de ma gueule, prend moi pour un con après tout.*

Le jeune maître de l'air n'était pas assez bête pour ne pas voir son état dépressif. Même dans un constant état second et l'hybridation de Maëlys, il le voyait. Il suffisait de voir son écriture enfantine ressemblant à celle des débuts des enfants qui apprennent à lire et à écrire. Si elle avait été réduite mentalement, ça aurait pu être expliqué mais visiblement ce n'était pas le cas. Pourquoi garder le mal-être pour soit ? C'était stupide comme attitude. C'était ce genre de façon de faire face qui empirait immanquablement les choses. Mais au final, Anton comprenait, n'était-ce pas ce qu'il faisait lui-même ? Quoi que lui, c'était un vide de vie, tout simplement. Il avait besoin d'un objectif pour vivre, sans cela, il n'était qu'une coquille vide, vide de la moindre trace d'esprit et même de gène mutant. Il était végétatif. Auparavant, il avait cet objectif qui le faisait avancer, mais ce but s'était évanoui, envolé dans un nuage de fumées suffocantes. Il fallait qu'il en trouve un, mais en était-il seulement capable ? La chatte qu'il voyait traversait sans doute une épreuve similaire ou du moins aux conséquences similaires. Étrangement, des réactions complètement différentes face à des problèmes mènent à un même état ; le vide.

-Je ne dors pas en ce moment. Je suis Anton Griffith.

L'adolescent commençait à être vraiment curieux de ce qui mettait la jeune femme dans cet état. Rejet ? Mutation ? Amour ? Mort ? Vie ? Haine ? Il éprouvait de la compassion pour elle. C'était d'ailleurs la seule émotion qui traversait son esprit depuis bien longtemps la lassitude et léthargie mises à part. Il avait envie de la comprendre et de l'aider. Quant est-ce que c'était la dernière fois qu'il n'avait pas pensé à lui mais aux autres ? Il ne s'en souvenait même plus. Pourquoi ce brusque élan de sympathie ? A quoi bon ? Et pourquoi toutes ces questions ? C'était une échappatoire, autant en profiter. Tentant de pousser la conversation plus loin, le jeune mutant demanda :
-Pourquoi tu ne dors pas ? Pourquoi ne parles-tu pas ?

Il rapprocha son fauteuil de celui de Maëlys.

"J'y aRrive paS. Jé éTé kiDnappéE eT tOrtUrée paR des traFicaNts de snUff-moVies et jé vu mOn fRère mYstérIeusemeNt rEssuCité mAssacRer les rEsponsSablEs, çA te vA coMme eXplicaTion ?"

Ce n'était pas rien.. Quoi que la réapparition de son frère était une bonne nouvelle. Néanmoins, elle avait du subir des atrocités totalement inhumaine avant que son frère arrive et tue tout le monde. Ça oui, elle n'avait pas du en voir des jolies choses durant sa détention. Quelle horreur. Anton se demandait si elle aurait aimé s'occuper elle-même du massacre de ses tortionnaires. A la voir, il devinait que même si elle en avait eu l'occasion, elle ne l'aurait pas fait. Elle était trop brisée. Comment peut-on être aussi cruel ? Quel est l'intérêt de commettre un tel acte ? Quel plaisir ont-ils bien trouver dans ce crime ? Décidément les humains sont vraiment dépourvus d'humanité. C'était eux les monstres mais comme ils faisaient bloc devant le groupe des mutants qui était encore une minorité. Comment le professeur Xavier pouvait-il encore croire qu'une coexistence entre humains et mutants était possible quand on voyait cela ? Rien ne justifiait une telle sauvagerie. A quoi bon se battre contre un ennemi qui n'était pas capable d'accepter la différence, un ennemi qui parce qu'il nous comprends pas nous craignent et nous diabolisent de manière irraisonnée. Même les savants et philosophes des humains étaient nombreux à voir une incarnation du mal dans la mutation. Etrange comme un simple élément de la vie peut ouvrir une personne. Après tout, la plupart des mutants possédaient le même cerveau que les humains, pourtant, ils étaient toujours plus ouverts d'esprit que ces derniers.

-Pourquoi tu restes là à te morfondre ? Tu attends de retrouver l'usage de la parole ?

Devant la réplique d’Éole, Maëlys prit une expression mécontente. Elle s'avachit plus qu'elle ne l'était déjà contre l'accoudoir de son fauteuil, laissant le haut de sa chambre bâiller. L'adolescent entrevit le sein de la jeune femme-chatte. Un frisson le parcourut, étrange mélange de désir et de répulsion. Elle était si décharnée qu'on aurait pu dire que sa peau s'était renfoncée entre ses côtes que l'on pouvait compter sans la moindre difficulté malgré sa fourrure. Depuis combien de temps était-elle dans cet état ? Deux semaines ? Trois semaines ? Un mois ? D'ailleurs, où était passé son frère ? Il n'avait tout de même pas réapparu pour disparaître à nouveau ? La preuve que si, sinon elle ne serait pas aussi cadavérique. Son frère l'aurait certainement forcée à s'alimenter correctement. Mais pourquoi n'était-il pas resté avec sa sœur le temps qu'elle se rétablisse ? Avait-il été blessé ? Le jeune maître de l'air pressentait que cette histoire avait des dessous très louches. Mais en attendant, Maëlys était en pleine déprime et n'allait visiblement pas bien du tout. La laisser dépérir ainsi serait ignoble, il fallait faire quelque chose, la sortir de son état effarant. Mais comment faire ? Elle semblait décidée à rester dans cet état oisif et ce fauteuil défoncé par l'usage inculte de dizaines d'adolescents. Pourquoi tant d'obstination ? Se faire aider par quelqu'un n'était pas si stupide que ça alors pourquoi se renfermer ainsi qu'elle le faisait ? Sa mutation devait faire que les autres pensionnaires de l'Institut devaient éprouver facilement de la compassion pour elle, Anton ne devait donc pas être le premier à tenter de la réconforter.

"KeskE tu vEux que je fAsse ? Le mOnde é tro hoRible jE veu pa voIr ça plUs loNgtemPs"

-Le monde n'est pas horrible. Ce sont les humains qui sont horribles. Ils déforment le monde à leur convenance, massacrent végétaux et animaux pour leur confort, se montrent intolérants envers tout phénomène qu'ils ne comprennent pas et entraîne donc chez eux un sentiment de peur.

Cette tirade aussi spontanée que sincère donna une idée à l'adolescent. Encore fallait-il que l'hybride veuille bien. Et même si elle acceptait, il fallait qu'elle accepte de voir le monde en positif ce qui induisait qu'elle oublie l'origine du problème qu'Anton lui connaissait à savoir la cruauté dont les Hommes étaient capables. Il proposa d'une voix qui se voulait douce mais resta terriblement râpeuse à cause des heures de mutismes :
-Viens, tu verras comme la nuit est belle.

"Lé muTants ossi cé dEs sAcrés caS. CelUi que j'Aime a reJoint la cOnfréRie. Je sais mêMe pa si iL m'aiMe ou si il vEut juSte se raPprocHer de XaVieR" 

Ce n'était pas entièrement faux, il y avait bel et bien des mutants qui étaient plus fourbes encore que les humain. Mais bien souvent, cette méchanceté et cette fourberie apparente était la cause soit d'une réclusion du mutant en question très tôt. C'était le résultat d'un manque évident d'éducation et de la misère, son visage. A l'inverse, il arrivait que des mutants particulièrement éclairés passent pour mauvais à cause des enjeux politiques et sociaux dans lesquels la vie les avait enrôlés de force. Certes, il y avait eu des mutants que la puissance destructrice de leurs pouvoirs avait rendus fous au point de tenter des génocides humains, mais ce type de personnages restait une minorité. Non, les humains étaient au final plus dangereux que les mutants. Ils faisaient montre d'une grande intolérance et n'essayaient généralement pas de comprendre le problème mutant. Comment Maëlys pouvait-elle encore ne pas en vouloir aux humains malgré tout ce qu'ils lui avaient fais subir ? Elle était très courageuse, ça ne faisait pas de doute, très intègre aussi, mais ce n'était pas toujours ce qui faisait avancer les choses. D'autres humains prendraient la suite de ceux qui l'avaient torturée et agresseraient une autre mutante et d'autres mutants. Même pour leur propre espèce, les humains représentaient un danger. Tous les éradiquer n'était pas la bonne solution, mais il fallait faire quelque chose. Pour la première fois, il comprenait le but que s'était fixé le prêtre qui l'avait crucifié. Mais sa solution n'était pas meilleure, ses assassinats n'avaient fait qu'exacerber la haine que les humains vouaient au mutants. Il fallait forcer les humains à aimer les mutants, à les admirer.

-Magnéto n'a pas besoin de ce genre d'espions. Il a des métamorphes très compétant à son service. Je ne sais rien de plus que les autres sur ce conflit, mais je suis certain qu'un confrériste n'a aucune raison de se rapprocher du professeur. Magnéto offre une plus grande protection que lui.

Anton prit la main que Maëlys lui tendait et l'emmena à pas lents au-dehors tout en veillant à reste juste à côté d'elle pour la soutenir. Dès qu'il ouvrit la porte, le jeune mutant sentit l'air encore froid et sec lui caresser le visage. Il inspira une bouffée de cet air qu'il n'avait su goûter durant toutes ses semaines. Quelque part au fond de lui, il sentit quelque chose se débloquer et sut immédiatement qu'il venait de reconquérir ses pleines capacités. Éole avança dans l'herbe humide, toujours en restant à la même hauteur que Maëlys. Il jubilait et ne se gênait pas vraiment pour le lui faire savoir, espérant que sa joie soit contagieuse et qu'elle oublie ses problèmes quelques instants. La faible lueur blanchâtre faisait apparaître des ombres fantastiques derrière les arbres et divers buissons du parc. Les étoiles brillaient fièrement aux côtés d'un quart de lune à demi caché par un nuage audacieux. Une légère brise faisait bruisser les branches garnies d'aiguilles des quelques conifères qui sublimaient le parc lorsque les feuillus perdaient leur robe verte, rouge et or et tout particulièrement quant il neigeait sur l'Institut. Oui, c'était une belle nuit pro-printanière. Anton serra un peu plus la main velue de Maëlys de sa main chaude et calleuse.

Anton avait réussi à faire bouger Maëlys de son fauteuil. Il l'avait emmenée à l'extérieur admirer la nuit étoilée. Cette nuit qui lui permettait d'achever de tourner une page et de retrouver le goût de vivre. Il ne savait pas si c'était le retour d'une humeur positive mais il avait l'impression d'être plus heureux encore qu'avant. Il se questionnait moins aussi. Il commençait à y voir un peu plus clair.

Il ne restait plus qu'une question : quitter l'Institut ou pas ? Éole trouvait que l'Institut ne lui apportait plus rien. Il ne pouvait y perfectionner ses aptitudes et il n'adhérait pas aux idées du professeur Xavier. Le seul avantage qu'il y trouvait était le logis que l'internat offrait. Mais des logis, il devait y en avoir des centaines d'autres tels que Mutant town. De plus, il ne devait pas être le seul mutant capable de manipuler l'air ambiant des États-Unis. Peut-être qu'en cherchant bien, il parviendrait à trouver un autre mutant possédant un pouvoir similaire et pourrait l'aider à mieux prendre conscience de sa puissance.

Dans la nuit et sa joie, le jeune mutant tourna la tête vers l'hybride qui l'accompagnait et son sourire glissa sur son visage comme une coulée de boue. Elle semblait complètement sensible au spectacle nocturne qui s'offrait à elle. Pire encore, l'adolescent trouva une lueur de mépris dans les yeux de la femme-chatte et ce dédain semblait s'adresser à lui. Le jeune maître de l'air la vit griffonner sur son ardoise de son feutre grinçant.

"C'est tout ?"

Une bouffée de colère monta en lui. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour la réconforter et la faire sortir de son état cafardeux et végétatif mais on ne pouvait pas dire qu'elle y mettait du sien. C'est alors qu'arriva un papillon de nuit qui semblait décidé à se poser juste sur le nez d'Anton. D'un geste de la main rageur, il chassa l'insecte qui revint à la chasse et investit la lèvre supérieur du garçon, en battant paresseusement de ses ailes recouvertes de spores irritant. Eole le chassa de nouveau mais le mal était fait. Son nez se mit à le picoter tant et si bien qu'il finit par éternuer violemment. L'éternuement additionné à ses pouvoirs et son énervement qui lui en faisait perdre le contrôle le souleva de terre pour le faire tourner en avant jusqu'à le laisser étalé sur le dos dans le gazon humide. Dans le même temps un craquement se fit entendre quelques mètre derrière eux.

Le choc l'avait un peu étourdi mais dès qu'il entendit le rire de Maêlys, il reprit ses esprits. Elle riait ! Certes, c'était à ses dépends, mais elle riait quand même. Le jeune mutant senti toute la colère qui l'avait animé quelques instants plus tôt s'évanouir, remplacée par son propre rire. Ils restèrent là, à s'étouffer de rire plusieurs minutes durant puis Anton se souvint du craquement qu'il avait entendu juste avant de s'aplatir, dos au sol. Il se tourna et vit que dans son éternuement, il avait littéralement fracassé un petit arbuste. En voyant cela, il ne put s'empêcher de paniquer en fonçant vers le feuillu mourant en s'inquiétant:

-Oh non ! Le jardinier va encore m'arracher la tête ! Déjà que quand on touche aux feuilles il essaye de nous pendre à un fil à linge par les testicules... Alors là il va carrément me planter dans le sol à la place de ce machin tout rabougri... Ou alors il va me faire pousser des orchidées sous le nez ! En plus j'y suis allergique... Pauvre de moi !

Il essaya en vain de remettre en place le pauvre végétal arborescent pendant plusieurs minutes puis se rendit à l'évidence dans un gros soupir. Il se retourna vers Maëlys et lui intima de ne pas bouger. Sans attendre sa réponse, il fila vers le manoir et revint avec un sac de voyage contenant la plupart de ses affaires et la totalité de son argent. Il lui proposa:

- Et si on partait quelques jours de l'Institut ? J'ai de l'argent, je pourrais t'acheter des vêtements à moins que tu ne préfères aller chercher tes affaires... On ira où tu voudras en utilisant un des véhicules des X-men. Ca ne sera pas la première fois que je leur en empreinte un. Quitte à être pendu, autant que ça soit pour quelque chose, ajouta-t-il en désignant le buisson agonisant.

Maëlys avait à peine eu le temps de hocher la tête en signe d'approbation à la proposition d'Anton que ce dernier partait vers les portes du garage. Il eut tôt fait de comprendre qu'il ne parviendrait pas à l'ouvrir de l'extérieur, il revint donc dans le manoir et emprunta les escaliers en direction du sous-sol et du garage. Sitôt entré, le jeune mutant fila vers la porte du garage. Il avait vu juste, à moins d'avoir les clés ou plus vraisemblablement la télécommande, le garage ne pouvait pas être ouvert de l'extérieur, en revanche, de l'intérieur, il était possible d'ouvrir la porte manuellement au moyen d'une poignée et d'un petit bouton situé juste en dessous.

La femme-chatte était déjà là, vêtue d'un jean et d'un haut à capuche. Sur son ardoise, elle avait marqué de cette même écriture brouillonne que précédemment :

-Surprends-moi, maintenant.

*C'est ce que tu veux vraiment ? Tu vas être servie ma petite chatte !*

Il sentit une étrange forme d'excitation monter en lui, comme s'il relevait un défi... Décidé à impressionner la jeune femme, Anton se dirigea vers une voiture d'aspect futuriste d'un gris métallisé, au pare-brise prolongé sur le capot de marque BMW. Éole avait choisi cette voiture et avait déjà envie de la conduire depuis un certain moment, si bien qu'il s'était débrouillé pour trouver comment la faire démarrer sans son propriétaire. Alors qu'il traînait dans le garage, avant sa déprime, il avait vu le X-man qui en était le propriétaire faire démarrer le bolide et l'ouvrir par appel vocal. Fasciné par l'engin, Anton avait donc fait en sorte de se trouver dans le garage en même temps que l'homme un seconde fois afin de l'enregistrer sur le smartphone qu'il était parvenu à se payer avec le peu d'argent dont il disposait et celui qu'il avait emprunté à son effroyablement ennuyeux colocataire. Bien entendu, ce fils à papa ne reverrait jamais le vert de ses billets...

Anton sortit donc le téléphone et mit en route l'enregistrement. Comme prévu l'engin s'ouvrit sans faire d'histoires. Il décocha un sourire éclatant à sa compagne féline et monta dans la voiture, côté conducteur après avoir posé son sac de voyage sur la banquette arrière. En observant le tableau de bord -on ne pouvait pas vraiment appeler ça autrement- il vit que si le bolide futuriste était bardé de toute sorte de gadgets visant à faciliter la conduite, le fonctionnement de base n'était pas différent de celui des voitures classiques. Un frein, une pédale d'accélération, un volant, un embreillage, une boîte de vitesses, un compteur bien qu'il soit numérique.

Cette voiture était un bijou. Éole remit en marche l'enregistrement du X-man au moment où ce dernier avait fait démarrer son bolide. Le ronflement du moteur se fit immédiatement entendre, doux et discret. Ils démarrèrent et et sortirent au pas du garage et atteignirent le portail sans aller plus vite pour autant. Le jeune mutant voulait être sûr de ne pas réveiller qui que ce soit. Il descendit de voiture le temps de composer le code qui fit ouvrir le portail de fer forgé sans le moindre grincement et ils partirent. Après qu'ils aient mis environ cent mètres entre l'Institut et eux, ils dépassèrent les 80 km/h.

- Où est-ce que tu veux qu'on aille ?

Anton avait demandé à Maëlys où elle désirait aller. Ce à quoi elle répondit de son écriture enfantine:
-Je ne sais pas. Dans un endroit où il n'y a pas trop de monde.

Ne connaissant pas les alentours de l'Institut, Anton ne savait pas vraiment vers où se diriger mais il se doutait bien qu'il finirait bien par trouver l'endroit idéal. Ils finiraient bien par tomber sur une forêt, un lac isolé, une coline balayée par les vents ou un champ correspondant aux attentes de la jolie femme-chatte. L'adolescent profitait de la route et des petits chemins pour pousser un peu plus la voiture, fenêtres ouvertes, la vitesse montant avec l'adrénaline. Dans une ligne droite, il monta jusqu'à cent quarante kilomètres par heure mais resta malgré tout relativement prudent, ne prenant pas de risques dans les virages et adoptant une vitesse modérée lorsqu'ils n'étaient plus seuls sur la route. La sensation qu'il éprouvait au volant de cette voiture était extraordinairement grisante. C'était une sensation sans pareilles. Une sensation que ni l'alcool ni la drogue ne lui auraient jamais permis d'atteindre.

Dans un moment où la conduite du jeune mutant devait être irréprochable à cause d'autres automobilistes, ce dernier jeta un regard à sa compagne. Elle avait l'air d'apprécier le voyage elle aussi. Cependant, elle se tenait assise sur le bout du siège. Tout d'abord, Anton ne comprit pas pourquoi mais cela fut de courte durée et il lui dit avec un sourire quelque peu enjôleur:
-T'en fais pas pour tes poils, on les enlèvera après. Installe-toi le plus confortablement possible et profites du voyage.

Son regard glissa brièvement sur la courbe encore gracieuse de ses jambes malgré sa maigreur avant de revenir sur la route. Ils prirent un tournant, se débarrassant des autres conducteurs et reprirent leur course effrénée. L'exaltation du jeune homme lui faisait prendre de plus en plus confiance en lui, le menant à prendre plus de risques, prenant des virages plus serrés. Les arbres qui encadraient la route défilaient si vite que le jeune maître de l'air avait du mal à les distinguer. Il avait l'impression de voler, ce qui était particulièrement enivrant et le faisait regretter de ne pouvoir voler en utilisant ses pouvoirs.

Enfin, la lisière de ce qui semblait être une forêt apparut au loin dans la nuit. En très peu de temps, ils y furent et s'y arrêtèrent un peu à l'écart de la route. Anton interrogea Maëlys:
-Ça te convient ?

- Super !

Anton faillit ne pas remarquer que Maëlys n'avait pas utilisé l'ardoise pour s'exprimer, comme s'il connaissait sa voix. Cette voix si anodine que c'en était presque choquant dans cette bouche féline. Quand il comprit, son sourire s'élargit et il s'exclama:
- Tu... Tu as parlé ?! Mais c'est formidable !

Le jeune mutant ne put faire autrement qu'écouter son euphorie et prit la jolie hybride dans ses bras en la faisant tourner dans les airs, tout heureux. Ce ne fut que quand il la reposa qu'il se rendit compte de ce qu'il avait fait. Il commençait à se sentir gêné. Il avait peut-être dépassé les limites de ce qu'elle pouvait supporter. Après ce qu'elle avait vécu, il aurait parfaitement compris qu'elle ne supporte pas tout contact physique avec quelqu'un d'autre. Empourpré et embarrassé, il s'excusa:
-Excusemoijemesuislaisséemporterjenevoulaispasjaipasréfléchisjesuisvraimentdésolé.

Il ne s'était bien sûr pas rendu compte qu'il avait été totalement inintelligible. Toujours rouge de honte, le jeune homme se tourna vers la forêt. Malgré la saison, elle était encore épaisse et touffue. En effet, la plupart des arbres y résidant étaient des sapins et des pins à l'allure majestueuse. C'était l'endroit idéal. Le seul ennuis de cette forêt était l'abondance de buissons, fourrés et ronces en tout genre qui allaient rendre leur progression longue et fastidieuse. S'ils ne finissaient pas avec les bras et les jambes recouverts d'égratignures et d'entailles, ils auraient beaucoup de chance. Mais c'était sans compter les pouvoirs d'Anton.
- Tu viens ?

Dans un cri de joie, la bondissante dédéprimée fila sur ses quatre pattes dans les sous-bois, sans se soucier le moins du monde des ronces et autres buissons à épines. S'il ne voulait pas être distancé par la chatte-femme, il allait devoir courir lui aussi, tant pis pour les branches basses. Il matérialisa un bouclier d'air comprimé autour de lui et s'élança à la suite de la belle féline, tentant tant bien que mal de ne pas la laisser le distancer.

Très vite et malgré tout ses efforts, Maëlys ne fut plus qu'une silhouette, une ombre parmi les bois. On aurait même pu la prendre pour un lynx dans l'obscurité. Le changement entre l'hybride silencieuse et traumatisée qu'il avait trouvé blottie contre le dossier d'un fauteuil de la salle de détente et la femme-chatte qui s'amusait à faire des entrechats entre les conifères de cette forêt était extraordinaire et incroyable.

N'ayant pas le cœur à la stopper dans son élan alors qu'elle reprenait goût à la vie, Anton força l'allure du mieux qu'il put, brisant les branches basses et courbant les différents buissons qui se trouvaient sur son chemin à l'aide de vents très forts. Il commençait à voir les sentiers tracés par la faune locale ce qui lui permettait d'éviter un certain nombres de buissons et d'épineux. Pour le reste, il courrait aussi vite qu'il le pouvait sans s'épuiser pour autant quoique la joie de Maëlys le transportait si bien qu'il avait presque l'impression d'être lui-même un animal, allant parfois jusqu'à se déplacer à quatre pattes comme elle. Il éprouvait même une sorte de joie sauvage à se conduire ainsi.