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Pouvoirs : alteration du temps
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Sujet: Bringing Out the Dead Dim 30 Oct 2011 - 21:01
TRISKELION NIVEAU E " Laboratoire classé A"
Il croisa les mains derrière le dos, tout en ne quittant pas des yeux le ballet incessant des scientifiques s’affairant comme des milliers d’abeilles autour de l’antre de leur reine. A ses cotés, un homme se tenait près d’un monte charge. Sa blouse blanche impeccable tranchait avec son apparence négligée, ses cheveux grisonnants et sa barbe mal rasée. L’homme devait approcher de la cinquantaine et pourtant les traits fatigués de son visage lui donnaient un air beaucoup plus vieux. Sans doute fourbu d’avoir trop veillé, on aurait dit facilement de lui qu’il semblait être de ceux dont le corps n’est qu’un auxiliaire secondaire d’un esprit fulgurant en transe quasi constante. Ses yeux allaient d’un élément à l’autre avec la vivacité d’une anguille se faufilant dans les rochers. C’est en les observant qu’on devinait l’iceberg immergé d’une intelligence foudroyante d’un génie secret de ce début de siècle. Le Professeur Salanzar superviseur de la section scientifique du BAM.
Hopes restait fasciné par ce qu’il observait. L’homme du passé qu’il était ne pouvait se résoudre à ces manifestations extraordinaires du progrès scientifique. Il avait éprouvé les horreurs de l’industrie meurtrière dans les tranchés de la vieille Europe à l’aube d’un vingtième siècle furieux et sanguinaire et le voici à présent face au dilemme impossible d’un croisement entre métaphysique et génétique. Pendant ce siècle l’Homme avait imposé son arrogance à chercher à supplanter Dieu et en cette ère nouvelle et terrible, il l’avait finalement dépossédé de son sceptre.
- C’est monstrueusement inquiétant, Herbert.
- C’est la science. Daniel.
Hopes se contenta de sourire à son tour et tout en décroisant les mains pour les appuyer sur la rambarde qui lui faisait face, il poursuivit
- C’est une science que nous ne contrôlons pas. Nous sommes comme des enfants qui viennent de trouver l’arme de leur père cachée sous le lit conjugal. L’homme qui a conçu cela reste introuvable et d’après les éléments que j’ai pu mettre en lumière, nous ne le trouverons plus. Cela fait un mois que vous observez sans comprendre, il vous faudra bien vous rendre à l’évidence que ça nous dépasse totalement.
Herbert Salanzar se gratta la barbe d’un air pensif avant de consulter le dossier qu’il portait à la main.
- Je ne serais pas aussi pessimiste…Certes nous ne comprenons toujours pas comment le processus fonctionne à l’origine mais nous sommes parvenu à le maintenir en état de maturation. Le reproduire, c’est hors de question pour l’instant mais mener cette expérience à terme…nous le pouvons. De toute façon, nous n’avons que deux « cobayes » sans vraiment pouvoir espérer la possibilité d’autres sujets d’étude..n’est-ce pas ?
- En effet. Le fait d’avoir pu sauver de la destruction le sujet A et B est un miracle, il ne reste plus rien des potentiels autres lieux de stockage. Il m’arrive même parfois de me demander si ces deux là ne nous ont pas été laissé à dessein tant le ménage a été opéré d’une manière …radicale. J’ai du mal à croire que la minuterie de l’explosif fut défectueuse dans cette partie du laboratoire. Il est des miracles au gout de tromperie.
- Le Sujet B réagit parfaitement bien au conditionnement, la réaffectation mémorielle est une totale réussite d’après nos analyses. Son pouvoir à un potentiel intéressant, il serait intéressant de la garder un peu plus longtemps à nos cotés.
- Ce n’est pas un problème, vous pourrez le garder à l’œil puisque le reconditionnement le destine à nos services du BAM. Il fera un agent d’exception le moment venu. J’ai pu le voir à l’œuvre…je veux dire, le modèle d’origine.
- Dommage que nous ne soyons pas parvenu au même résultat avec le premier sujet…Il semblerait que son pouvoir latent de nature électrique parasite les modifications synaptiques empêchant le processus de conditionnement.
- J’ai lu le rapport, ca ne pose pas de problème en ce qui concerne ce que nous lui réservons et puis vous avez trouvez une alternative intéressante, parait-il ?
- Une modification du centre de la mémoire n’est jamais une chose facile, surtout lorsqu’elle intervient dans les conditions aussi étranges que celles-ci …Je ne sais franchement pas à quel point nous pouvons effacer sa mémoire, ni sur quelle période. Au moins 2 ans, c’est certain. Mais que savons-nous de sa psyché à cette période ?
Hopes plissa les yeux à la recherche d’une cigarette dans son paquet fraichement entamé.
- J’ai mes sources..c’était une âme égarée et je connais parfaitement l’endroit qu’il faut à ce genre de personne. J’ai d’ailleurs déjà entamé des démarches afin de faciliter une « seconde » intégration puisqu’il parait que le modèle d’origine y a séjourné une courte période.
- Hum, cela ne risque t-il pas de poser des problèmes si certaines personnes l’ont déjà rencontré ?
- Non, un ami à moi s’est chargé de faire en sorte que notre sujet ne laisse aucun souvenir de son passage passé auprès des habitants des lieux. Il n’était guère enthousiaste à l’idée mais il ferait n’importe quoi lorsqu’il s’agit de « rédemption »…puisque c’est bien de cela qu’il s’agit finalement. Quoiqu’en pratique, aucun être ne peut être plus innocent qu’un enfant qui vient de naitre.
- Et les originaux ?
- Vous le savez, ils sont morts ici même..l’enquête suit son court même si je doute toujours que nous ayons eu les originaux entre les mains.
- Les rapports d’autopsie n’ont rien laissé transparaitre qui aurait pu laisser supposer le contraire, tout était normal.
- Ce que nous avons sous les yeux est tout sauf normal, professeur et les analyses vous affirment le contraire.
Le silence s’instaura alors que Daniel fixait toujours l’immense cuve contenant un corps nu immergé dans une sorte de liquide visqueux de couleur rougeâtre.
- Puisque nous n’avons pas de reconditionnement à faire, nous pouvons tabler sur un éveil complet du sujet B d’ici une grosse semaine. Il aura passé d’un état embryonnaire à la physionomie d’une jeune femme de 25 ans en trois mois ! On frise la science fiction Je n’aurais pas cru voir ça de mon vivant.
Daniel exhala une bouffé de fumée acre provoquant une légère toux chez son interlocuteur et ajouta en souriant.
- Alors, pour ma part je n’ose imaginer ce que mes yeux auront à endurer dans l’avenir…Un mutant qui joue à dieu…c’est à se demander par raccourci si Dieu n’est pas un mutant finalement ?
- Je suis un scientifique, Daniel..Dieu ne fait pas parti de mes équations.
- Dommage, un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup l’y ramène. Vous m’excuserez, j’ai encore beaucoup à faire aujourd’hui.
Il salua le professeur d’une tape sur l’épaule avant de jeter un dernier regard sur la chevelure rousse flottant de manière surnaturelle dans le liquide de la cuve.
- Je vous contact dès le réveil du sujet B
- Bien…veillez cependant à ne pas oublier que Dieu, scientifique ou mutant : la chose qui se trouve la dedans est un être humain et possède un nom…Elioth…Caitlyn Elioth.
Caitlyn Elioth Neutre Beta
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Pouvoirs : tranformation de la douleur en décharge électrique
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Sujet: Re: Bringing Out the Dead Dim 12 Fév 2012 - 14:10
Cette petite tache juste sous son tablier alors que la détonation du coup de feu emplit encore l’espace devenu silencieux. Il n’y a pas de douleur, non…comment pourrait-il y en avoir dans sa condition ? Elle sait ce qu’elle est et ce qui lui reste à vivre, c’est gravé dans la pierre et sur le bitume anonyme qu’elle arpente sous le soleil trompeur de la Californie. La douleur n’est qu’un concept aussi sans saveur que la normalité. C’est une vie extraordinaire pour une fille ordinaire dont l’avenir s’apparente à du « on se satisfera de ce qui se présentera » plutôt que de grandes espérances à combler. Elle finira fille mère à regarder NCIS à la télé accompagner d’un quelconque quidam, elle s’offusquera de ces criminels terroristes qui barbouillent de la couleur de leurs espoirs le monde bien pensant d’une civilisation à bout de souffle. Où alors elle finira sous les jets de pierres lorsque le vent de l’intolérance se sera fait tempête. Quand on n’a pas la chance d’être bien né et qu’en plus on est différente, on respire par petites bouffées en s’excusant presque d’exister.
Mais Caitlyn ne s’excuse pas, elle ne s’est jamais excusée et ne le fera jamais. Elle impose sa présence parce que c’est sa force, parce qu’elle sent au creux de son âme cette rage de vivre, cette ambition dévorante qui ne la lâche plus. Elle sait que la vie est ailleurs, que nous ne sommes plus que des accidents en devenir : elle attend le déclic qui va la pousser à empoigner son destin car après tout, nous ne sommes que ce que nous voulons devenir.
C’est ce soir, c’est maintenant…dans ce fast food d’une petite ville périphérique de San Francisco qui pue les rêves brisés et le regret de routes qu’on n’a pas prises et de mots qui n’ont pas voulu sortir. C’est au bout de ce flingue de ce junky qui ignore qu’il n’est déjà plus qu’un nom sur une tombe et qui n’a pas plus d’importance que la poussière que ses semelles déplacent. C’est dans ce morceau de métal fiché sous ses cotes et de cette rose écarlate qui vient d’éclore sur son vêtement. C’est au bout de ce fourmillement qui transcende tout son corps et qui annonce la déflagration rageuse d’une prise de conscience. Les mots se perdent encore dans le vide, le « salope » sonore et le tonnerre du coup de feu alors que le temps semble figé dans le local.
C’est ainsi que devrait prendre fin une vie. Elle a refusé de vider le tiroir caisse, elle est morte en défendant le trésor d’un autre qui se fout bel et bien de son nom et de son sang. Elle ne serait à peine qu’un fait divers en deux lignes d’un journal local. C’est ainsi que commence pourtant l’histoire de sa vie au moment où levant les bras, elle décharge des salves d’éclairs sur son agresseur lui grillant net le cerveau. Elle hurle plus fort que lui tendit qu’elle le tue, non pas de rage ou de terreur, ne vous y trompez pas.
C’est un cri d’un nouveau né qui vient au monde ou d’un esclave qui vient de rompre ses chaines. C’est le hurlement d’Abel qui tue Cain pour s’affranchir de son ombre trop pesante. C’est une fin au goût de commencement. Par deux fois elle se sera affranchie. La violence de son père tout d’abord, afin de rompre les liens d’appartenance avec cette famille de façade et ce soir, les liens de sa propre vie afin de pouvoir s’élever plus haut. Il parait que l’Amour véritable vous attend quelque part comme un cadeau de la vie. Comment aimer les cadeaux de quelqu’un que vous n’aimez pas ? Quel étrange paradoxe que cette vie bavarde en promesses en avare en dons. C’est la vie qu’assassine ce soir la Petite Rousse, un genre de « fuck off » absolu devant tout ce qu’elle lui a fait miroiter et qu’elle n’aura jamais. L’Amour peut attendre, elle non. A présent, elle prendra à défaut d’espérer car c’est une vérité qu’on apprend au bout de soi-même : rien n’est impossible et il n’est de limite que de celles que vous vous fixez.
Ce soir là, encore embrumée des événements, tendit qu’elle s’enfuyait des lieux de sa renaissance, elle se fit la promesse de vivre et de se consumer comme une comète. Monter, culminer et illuminer les cieux de ce qui faisait d’elle son unicité, vaciller et solitaire, s’éteindre dans le tremblement de la bougie qu’on souffle. Elle allait montrer au monde du haut de ses 21 ans ce qu’elle savait déjà, restait à juste à déterminer de quelle façon.
Nous y voilà… Elle l’ignore mais elle a à présent 25 ans. Il n’y a rien eu d’autre depuis.
Ou peut être pas ?
Juste l’évidence d’un vide immense et de quelque chose qui manque, quelque chose qui n’est pas à sa place, comme une ombre sur la chronologie. C’est comme un mot qui s’entête à ne pas vous revenir à l’esprit, quelque chose que l’on sent proche mais qui échappe à chaque fois qu’on l’approche. L’Ombre à une forme rassurante et bienfaisante et pourtant, elle est terrifiante. Elle a la voix indéfinissable et asexuée mais une voix sincère et connue. L’Ombre veille sur elle dans « ce vide » comme une amie intime au passé commun. Caitlyn l’appelle pas son prénom mais ne s’en souvient pas. Ce qu’elle comprend reste que leurs vies à tous deux sont étroitement mêlées. Tout le temps de ce doute alors que dans l’obscurité elle cherche à revenir à la vie. L’Ombre à son chevet la guide et reste à son coté parfois dans un mutisme familier. C’est une longue gestation vers la lumière, un chemin fait d’émotion mais sans souvenirs. L’Amour, la Peur, la Terreur, la Fierté, la Peine, La joie, la Complicité…tout sauf la douleur. Tout lui revient en pagaille sans pour autant pouvoir en fixer le concept sur des images. Plusieurs fois, elle sent que l’Ombre est menacée et qu’on cherche elle aussi à l’éradiquer. Elle s’en défend comme si c’était là son bien le plus précieux. Elle finit enfin par lui fabriquer un sanctuaire au fin fond de son âme afin de la préserver des attaques extérieures. Une zone à elle, hors d’atteinte.
Dès lors, une fois ce compromis trouvé, la progression se fait plus facilement. C’est un chemin pénible mais elle en sait l’issu proche.
Plusieurs fois, elle frôle la lumière.
Elle rôde …. Et alors, soudain… Elle sent qu’on la précipite vers elle.
Dieu ? Le concept lui avait effleuré l’esprit mais une dernière fois depuis sa retraite, l’Ombre lui adressa des paroles de réconfort qui furent oubliées à peine prononcées, des paroles au gout de déjà entendu.
« Retiens bien cette chose Caitlyn, Dieu ne peut pas te faire du mal, il ne peut pas nous atteindre. Ni toi, ni moi. Pour la simple et bonne raison, que Dieu n'existe pas. Dieu, c'est nous. Alors ne crains pas son jugement, ni le mien, ni celui des autres, et prend sa place pour dispenser au monde ta propre justice, tes propres règles, et ta seule volonté. Oublie ta vie d'avant, ce ne sont que des chaînes. Libère-toi. »
Et elle se libéra ouvrant les yeux vers un monde de lumière tendit que sur ses joues, les larmes roulaient.
James Tucker Agent du B.A.M. Alpha
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Sujet: Re: Bringing Out the Dead Jeu 1 Mar 2012 - 6:30
« Quand le monde entier est contre toi, quel est le meilleur endroit où te réfugier ?
~ Je m'appelle James Thomas Tucker, j'ai 24 ans et je suis agent de renseignement à la solde du gouvernement.
Oui, je sais, ça sonne très impressionnant dit comme ça et à peine les gens entendent-ils cette phrase que, la plupart du temps, ils ouvrent de grands yeux et sont déjà parti dans un imaginaire fantasmé où ils s'imaginent que mon rôle consiste à me balader en costume sur mesure, un cigare à la main, à jouer des parties palpitantes de poker avec des magnats du crime, où charisme et classe priment sur la discrétion et la compétence, où, quoi qu'il arrive, je finis toujours par attirer - ou me faire piéger, dépend des versions - par une créature de rêve, sensuelle et tentatrice, dans des draps de satin pour une nuit de folie. Où ma vie est rythmée par les sauvetages de monde in extremis, avec des silhouettes féminines qui se déhanchent langoureusement en arrière plan sur la musique de Golden Eye, où je possède un nom de code à faire pâlir d'envie Ian Fleming, où j'ai toujours un gadget mortel à la pointe de la technologie dans mon porte feuille et où je conduis des Aston Martin avec un permis de tuer. Mais vous n'imaginez pas à quel point c'est énervant de voir vos proches tripoter le moindre de vos stylos, votre porte clé, votre téléphone, en s'imaginant qu'il suffit d'appuyer sur une combinaison aléatoire de touches pour en faire sortir un laser, un grappin, une aiguille au poison mortel, et ainsi de suite. Non, tout ceci n'existe pas. Je ne déjeune pas à midi avec M dans un jet privé de luxe avant d'être parachuté à quatorze heures pour désamorcer une ogive nucléaire en Russie et détruire une base complète à moi seul. Je ne me bats pas contre de gros psychopathes à l'intelligence redoutable à coup de magnum et de répliques cinématographiques bien senties. Non, rien de tout ça. Mon rôle consiste à attendre et observer, pour saisir l'information cruciale, au bon endroit, au bon moment. Alors, disons le clairement, la majorité du temps, il ne se passe rien et je me fais chier comme un rat crevé. Est-ce que pour autant je suis payé à ne rien faire ? Et bien, tout est une question de point de vue. Et quand je ne suis pas sur le terrain... Et bien je passe le temps qu'il me reste à déprimer devant la paperasse administrative qu'il me reste à remplir, à fournir des rapports kilométriques et ennuyeux, à devoir supporter l'humour de beauf de certains collègues à la machine à café, à réfléchir sur telle ou telle enquête et à désespérément attendre quelque chose d'un peu plus palpitant que la routine quotidienne qu'on me sort en ce moment.
Pourtant, est-ce que je m'en plains ? Non. C'est la vie que j'ai choisi et je suis loin d'être le plus mal loti.
Malgré tout ce que vous pourriez imaginer, ma vie privée est, elle aussi, d'un banal affligeant. J'ai un appartement modeste dans l'un des quartiers résidentiels de la ville, je paie mes factures, mon loyer, mes impôts, je vais voter, je respecte la loi, j'ai un chien qui m'accompagne à chacun de mes footing et je tente tant bien que mal de faire correspondre mes jours de repos avec ceux de ma femme, entre deux missions. Et oui, ici aussi la réalité est certainement très éloignée de l'image qu'on peut se faire d'un agent secret. Je ne suis pas un surhomme, je suis comme tout le monde. J'ai mes faiblesses, mes défauts, mes habitudes, mes certitudes. Je marche moi aussi dans ces sentiers balisés que tout le monde emprunte même si je me targue d'avoir la pensée libre, je ne suis qu'un anonyme parmi tant d'autre dans cette foule grouillante qui va et vient dans la ville, même si j'ai l'orgueil de me penser unique. Je suis comme vous et moi : tout le monde et personne à la fois. J'ai une femme, Julia. Ça fait trois ans que nous sommes ensemble et, comme moi j'étais auparavant, elle est agent du FBI. Nous ne sommes pas mariés, du moins pas encore, même si j'aborde cette perspective avec scepticisme. Je n'ai jamais été ni croyant ni vraiment porté sur ce genre de traditions un peu hypocrites et aliénantes. Je n'ai pas besoin de ce genre de chose pour la rendre heureuse, ni pour qu'elle sache ce que je ressens vis à vis d'elle. Heureux ? Il paraît.
Alors, c'est comme ça que vous imaginiez ma vie ?
Ennuyeux à mourir, n'est-ce pas ?
Pourtant, c'est la face que je prends soin de montrer à ma femme avec des "Oui je vais bien mon cœur ne t'en fais pas.", à ces pseudo psychologues qui tentent de me sonder avec leur psychologie à deux balles pour savoir si je suis "apte" à être réaffecté, comme si ces débiles atrophiés du cerveau étaient à même de me comprendre simplement parce qu'ils ont fait des "études" en sciences humaines, ce qui consiste en gros à rester assis le cul sur une chaise huit heures par jour à écouter un vieux con vous déblatérer des théories pendant que vous grattez le papier d'un air absent. Ils attendent de moi un comportement particulier, alors je leur offre ce qu'ils veulent d'un air docile et volontaire, car j'ai horreur de ce genre de violation de l'esprit. Ce n'est pas parce que j'ai passé cinq des sept derniers mois dans le coma que je suis devenu un débile ou un incompétent et ce n'est pas à un agent formé à l'infiltration qu'on va empêcher de jouer la comédie pour réussir un test psychologique.
Alors, est-ce que je vais bien ?
Je me sens aussi bien qu'un homme qui avance maladroitement sur la surface fragile et délicate d'une fine couche de glace, posant ses pieds, l'un après l'autre, sur ce chemin traître et fragile, qui se craquèle et se fissure dès qu'il ose prendre trop d'assurance et considérer pour acquis ce qu'on lui sert sur un plateau pourtant d'argent. Je me sens comme un homme qui vient de perdre l'équilibre sur le bord d'une falaise abrupte, aux crocs acérés, suspendu au dessus de ce vide béant, battant l'air de ses bras avec force sans savoir s'il va réussir à reprendre un appui ferme ou s'il va sombrer dans le gouffre menaçant. Je me sens, moi, dans ma pleine et entière fragilité, face à cette réalité écrasante qui vous dévore et vous broie comme un rouleau compresseur, sans cruauté ni méchanceté aucune, mais dans la plus impitoyable et inéluctable des indifférences. Je sens l'intégrité de la réalité autour de moi aussi précaire et compromise qu'une coquille d’œuf vide prête à céder sous mon poing serré. Un souffle, une parole de trop, et j'ai l'impression que tout pourrait partir en un millier d'éclats scintillants. Sont-ce là des séquelles de ma confrontation avec le télépathe qui m'a fait me noyer dans les flots noirs et glacés de l'inconscience pendant tout ce temps ? N'est-ce pas juste une impression sur laquelle je me repose de manière inconsidérée, pour ne pas avouer la faiblesse qui m'étreint depuis que j'ai rouvert les yeux en ce monde ? Mon orgueil est-il à ce point si développé et envahissant que je ne peux m'avouer mes limites ? Parfois, ce n'est qu'une impression vague et diffuse, lointaine, pas plus perceptible qu'un fin crachin sur la peau par une journée humide. D'autres fois, l'angoisse m'étreint comme si je sentais couler ce monde entre mes doigts, partir dans la déliquescence la plus totale, comme une poix noire et empoisonnée collant à la peau. Une sensation, une idée, une graine où germe la folie. Suis-je dérangé ? Pourquoi aucune des plus de soixante nuits que j'ai passées depuis mon réveil n'a-t-elle été reposante ? Je le sens, là, quelque part, ce vide, ce manque, ce quelque chose que je tente d'apercevoir, mais qui m'échappe, et qui se dérobe. J'ai la désagréable sensation de posséder les clefs de mon propre salut, mais d'être aveugle et de ne porter sur le monde qu'un regard primitif et conditionné. Et pourtant, je m'acharne avec ardeur à ne pas remarquer ces incohérences quand elles se révèlent à mon regard. Ne pas les remarquer, ou sciemment les ignorer ? Si je n'en ai pas conscience, alors elles n'existent pas. Telle une obsession qui me ronge et me dévore, je mets un soin particulier à vivre ma vie comme si de rien n'était, à retrouver ce rythme régulier et apaisant qui me rassure, cette monotonie langoureuse qui m'enserre dans ses bras chaleureux comme une douce vague réconfortante où je peux me laisser aller.
Me laisser aller, et oublier.
Pourquoi quand ma femme me dit "Je t'aime", suis-je incapable d'être sincère dans ma réponse ?
Pourquoi ce présent à la saveur fade et amer semble-t-il s'acharner à vouloir me mettre à l'écart et trahir ce passé redécouvert et pourtant prometteur ?
Pourquoi ai-je menti quand Julia m'a demandé si je me souvenais de la première fois que nous avions accueilli notre chien à la maison ?
Les souvenirs paraissent plus heureux dans ma mémoire que ce que nous partageons désormais. Est-ce le Monde qui sombre ou ma perception qui a changé ?
Et ce parfum entêtant, cette odeur familière qui me revient sans cesse, porté par les notes mélodieuses de cette voix lointaine hantant mes rêves, pourquoi est-ce que j'y discerne du Jimmy Hendrix chanté a capella ?
Tant de Pourquoi et si peu de Parce que. J'en viens parfois à me demander si quelqu'un ne me joue pas un mauvais tour, si je suis bien éveillé, et si je ne suis pas toujours dans ce lit d'hôpital, légume ayant recréé son univers mental en désespoir de cause.
Dans notre monde, pour survivre, nous nous accrochons aux gens dont nous dépendons. Nous leurs confions nos espoirs, et nos craintes. Mais que se passe-t-il quand la confiance est perdue ? Où nous réfugier lorsque les choses auxquelles nous croyons disparaissent sous nos yeux ? Nous sommes par nature des êtres routiniers, ce qui nous est familier nous rassure et nous réconforte. Mais que se passe-t-il lorsque le familier devient menaçant ? Quand le danger que l'on s'appliquait à fuir resurgit au cœur même de notre vie ? Depuis soixante jours et soixante nuits maintenant, je me pose cette question et je crois que, enfin, j'ai trouvé la solution.
« Quand le monde entier est contre toi, quel est le meilleur endroit où te réfugier ?
Et l'abîme d'horreur soulevé par la réponse me fait frissonner. Je sais, maintenant, ce qu'il me reste à faire.