Sur la route de DC à NY [Terminé]

Troublé par les événements récents, Erik avait pris sa voiture pour rouler, sans but précis, juste pour rouler. Les mêmes questions tournaient en rond dans son esprit : Penny était-elle encore vivante ? Et les autres, étaient-ils morts aussi ? Et est-ce que ça allait recommencer ? Combien de temps allait-il avoir avant que ça recommence ? Quel genre de monstre était-il ? Où aller, que faire, à qui parler ? Peu de personnes étaient susceptible d'entre la confession d'un meurtrier sans paniquer...

La pluie s'était calmée et les essuie-glaces finissaient de balayer les dernières gouttes qui couraient sur le pare-brise. Mais ses larmes avaient pris le relai, comme s'il était écrit que la route devait rester une image trouble devant lui. Il renifla. Dans la précipitation, il n'avait pas pensé à allumer le chauffage et le froid de l'hiver embrassait peu à peu l'intérieur de la voiture, engourdissant ses membres.

Un coup de klaxon accompagnait la lumière d'un véhicule qui venait de le doubler, signe que la conduite d'Erik devait laisser à désirer. A bout de nerfs, il décida de s'arrêter devant un bistro miteux sur la route 95 qui rallie Washington à New York, une dizaine de kilomètres avant l'entrée de la ville. Il resta quelques minutes dans la voiture, la tête sur le volant, à attendre que ses larmes sèchent. Finalement, il prit sa casquette sur le tableau de bord et sortit.

Le parking était presque désert, éclairé par un unique lampadaire dont la lumière blafarde apportait plus de crainte que de réconfort. Un peu plus loin, la bar était d'une banalité affligeante. Un néon scintillait, essayant de révélé la porte d'entrée sur un mur rongé par les mousses et les moisissures. Devant, quelques clients le regardaient arriver.

Erik marchait sur le goudron encore humide, l'eau amplifiant le bruit de ses pas. Il enfonça sa casquette sur sa tête, la rabaissant un peu, puis referma sa veste des Princeton Tigers avant de mettre les mains dans ses poches pour les réchauffer tant bien que mal. Il baissa le regard pour fuir celui des clients qui le toisaient, mais il se déportèrent pour se placer entre lui et la porte d'entrée : -Hey, t'aurais pas du feu ? Erik s'arrêta, mais ne répondit pas. Il ne se sentait pas capable de parler sans se trahir par sa voix. -Hey, j't'ai posé une question! Tu sais pas parler ? Erik se força et un timide -Non finit par sortir. Il pensait que cette réponse leur suffirait et essaya d'avancer. L'un d'eux lui attrapa le bras et Erik, par réflexe se dégagea de son emprise. -Regardez-ça les gars, une forte tête. L'homme se retourna vers ses camarades qui se mirent à rire en signe de soutien. J'te fais peur ? Même si ce n'était pas le cas quelques secondes auparavant, à ce moment, là, oui, Erik avait peur, et il était en même temps profondément énervé, il avait déjà suffisamment de préoccupations pour ne pas en plus se faire embrouiller par une bande de vauriens. -Et regarde-moi quand je te parle ! L'homme arracha sa casquette à Erik qui put alors voir les trois hommes. Celui qui était devant lui était de taille moyenne, comme son plus proche camarade, mais celui complètement à droite était plus grand d'une tête et surtout plus large. Avec la lumière du néon éclairant par derrière, il ne parvenait pas à percevoir leurs vêtements distinctement. Il lui semblait que jeans et blousons en cuir devaient bien correspondre à ce qu'il devinait de leurs silhouettes. Il ne voyait pas non plus leurs visages, le grand avait le crane rasé, celui au milieu, les cheveux courts, et celui devant lui une sorte de coupe mi-longue qui ressemblait plus à un manque d'entretien qu'à un vrai style vestimentaire.

Erik releva les yeux et son regard devait être particulièrement baigné de haine, à en juger par le ton de son opposant : -J'aime pas ta gueule! Qu'est-ce que t'as à me regarder comme ça ? Tu veux te battre ? Puis se tournant vers ses camarades j'vais m'le faire ce fils de... -Laisse tomber, c'est qu'un gosse... -DÉGAGE C*NNARD! Le cri était puissant, mais comparé à ce qu'Erik avait vu plus tôt, il y avait à peine de quoi le faire sourciller, ce qui déplut beaucoup.

Le coup l'avait renversé sur le sol humide. Un peu sonné, Erik se frotta la mâchoire. Il voyait devant lui les trois hommes ricaner. Celui qui l'avait frappé tenait dans sa main sa casquette. Il chercha ce qu'il était censé faire quand...

Les yeux d’Alexandra se promenaient de la route à la radio. La musique emplissait tranquillement la vieille voiture, cachant temporairement le ronronnement discordant qu’elle émettait quelques fois. « Can you spend a little t… ♫ » Et les doigts de sa main qui n’était pas embarrassé à conduire, touchait aux boutons de contrôle pour changer les postes de musique. « …and you are listening to… » Il s’était mis à mouillé plus tôt sur le chemin, rien de bien dramatique; ça n’avait pas duré longtemps. Malgré la fin de la pluie, Alexandra ne roulait pas davantage plus rapidement. Elle s’en moquait royalement, puisqu’elle n’était pas pressée, mais les autres voitures semblaient en être particulièrement irrité. Et puis quoi, elle n’allait pas rouler en folle pour leur faire plaisir. Ça voiture, déjà, ne tiendrait probablement pas le choc… c’était une voiture de ville, voyez-vous, et non de grand chemin. Ensuite, Alex n’avait pas en tête de direction précise. « ♫ Days like this I want to drive away… » Tout justement! Cette chanson au moins comprenait bien ce que vivait Alexandra. Elle avait voulu s’éloigner un instant de cette ville rendue un peu trop survolté, pour ne pas dire cinglée sur les bords. Elle aimait cette ville, mais parfois tous ces trucs d’anti-mutant, et même de mutant, la rendait étouffante. Alors quoi de mieux que de rouler un peu pour se changer les idées ? « …see you coming and…♫ » Certes, elle aurait pu rester fidèle à elle-même et aller boire un verre, ou s’amuser dans un club, mais dans ce cas elle ne se serait pas retrouvée dans le stationnement d’un vieux bistro miteux.

Elle ne s’y était pas arrêtée par plaisir… car il n’y avait sûrement rien de bien palpitant à l’intérieur de ce bar, déjà que l’extérieur n’avait rien d’alléchant. C’était cette vieille voiture qui l’avait forcé à s’arrêter à cet endroit précis, plutôt qu’un autre. Mais détrompez-vous, elle n’était habité par aucun esprit, n’avait aucun troisième œil et n’était même pas doter d’une conscience propre. Elle était juste bonne pour les quelques coins de rues de New York qu’Alexandra lui faisait prendre. Le ronronnement discordant de la voiture avait empiré, ce qui n’avait pas été un bon signe. « ♫ Everybody’s looking for something. Some of them want to use you, some of them want to get used by you, some of them want to abuse you, some of them want to be abused… ♫ » C’est sûr l’air de sweet dreams qu’Alexandra quitta la route dans un cahotement digne de l’enfer. Un caprice de la voiture, un manque de batterie, de gaz, de quoi ? « Foutu voiture », marmonna la jeune fille. Elle coupa le contact et se pencha pour farfouiller dans son sac, espérant y trouver quelque chose d’utile. Le coffre à gant subit le même examen. Rien. Même pas une lampe pour scruter les ténèbres grandissantes. Pas qu’elle aurait pu regarder sous le capot pour trouver le problème, de toute manière.

C’est à peu près à ce moment là, alors qu’elle était dans sa voiture à regarder les moyens mis à sa disposition, qu’un homme se faisait accoster devant le bistro. Les voix portaient bien jusqu’à elle dans cet endroit semi désertique, bien qu’elle n’aurait pas su dire ce qui se disait. De toute manière, elle n’y portait alors pas vraiment attention, à peine releva t-elle la tête quelques secondes, même lorsqu’une des voix cria. Après tout, en quoi était-ce de ces affaires ? Elle sortit de la voiture, pensant donner un coup de fil à l’intérieur, espérant y trouver un téléphone en état d’usage…

…quand elle vit un jeune homme tombé au sol. En fait, on l’y avait grandement aidé. Alexandra s’était alors arrêté, pensant passer son chemin discrètement comme si rien n’était. Mais elle en fut incapable. Ce devait être plus fort qu’elle. Alors, elle s’approcha avec un air déterminé et dur : « HEY ! » d’abord pour attirer leurs attentions sur elle. Ils l’a dégoûtaient. « Laisser le tranquille. » C’était un ordre dans sa bouche, parce qu’elle n’entendait pas plaisanter sur le sujet. Mais eux oui, car son intervention sembla les amuser plus qu’autre chose. Après tout, qu’était-elle à leurs yeux? Une fille pas très crédible vu son gabarit.

Poupée? Après ça et les menaces de rendre préjudice à son joli petit minois, elle ne pouvait plus reculer. Et le pourrait-elle qu’elle ne le ferait pas. Cela faisait partit de ces choses dans la vie devant lesquelles ont ne recule jamais, mais que l’on devrait pour notre plus grand bien. Alexandra refusait de leur donner victoire. Elle ne savait pas se battre… vraiment pas, et elle n’était pas armée, à moins que son pouvoir puisse compter comme d’une arme. La mutante tiqua lorsqu’elle vit le couteau, et entendit le son qu’il émit. Elle avala difficilement, mais se résolut de cacher son instant de frayeur. Il était hors de question qu’elle le leur montre, hors de question qu’ils s’en réjouissent, et hors de question qu’elle se défile. La vue de l’arme lui donna une drôle de poussée d’adrénaline qui la conforta dans le fait qu’elle se trouvait face à trois erreurs de la nature. Sa nature protectrice et contradictoire la poussait à faire face à ce danger. Peut-être regretterait-elle plus tard de s’en être mêler, mais pas maintenant.

Ils étaient armés. Oui, évidemment. Le contraire aurait été étonnant. Elle avait espéré naïvement qu’ils laisseraient tomber, mais ils n’avaient aucune morale. Il fallait être lâche pour s’en prendre à un jeune homme comme ça, trois contre un, lâche de sortir les armes devant une simple fille désarmée.

Le chef de la meute reprit la parole : Ou alors tu veux négocier pour qu'on le laisse tranquille ? T'as quoi à offrir, poupée ?

Non, vraiment, ils la dégoûtaient. Le chef s’avança vers elle, et Alex se força à ne pas bouger, ce qu’elle réussit très bien sur le coup. Elle remarqua le mouvement de l’inconnu qu’elle était venue aider, remarqua aussitôt après la menace des deux acolytes. Alexandra lança un regard de défi au chef et répliqua : « Rien qui puisse te faire plaisir. Et je ne négocie pas avec les idiots dans ton genre. » D’accord, elle aurait au moins pu éviter la provocation. Alex avait toujours été une fille franche, on ne pouvait pas vraiment lui en vouloir pour ça. Mais celui qu’elle avait traité d’idiot le prit très mal : J’essayais d’être gentil, mais puisque tu le prends comme ça ! Il s’avança, agressif, imposant, et Alex recula cette fois d’un pas. Ou d’un demi, parce que la distance entre les deux n’avaient pas été si grande que ça.

La gifle qu’elle reçut, elle aurait peut-être pu s’arranger pour l’éviter si elle avait réagit plus vite. Mais dans ce genre de situation là, les choses ont tendance à se passer assez vite. Trop vite même, parfois. Et Alex n’avait pas encore développé de super réflexe. Ce coup, c’était probablement une façon de montrer sa supériorité, de la dominer. Mais lorsqu’elle reçut la puissante gifle, et avant même d’avoir touché le sol dans sa chute, un grand serval, semblant surgir de sa propre personne, sauta sur ce chef de pacotille pour le mettre au sol, lui qui avait osé la toucher. Si ce n’était pas le pouvoir mutant le plus puissant existant, ça savait se battre, et ça pouvait effrayer.

Ce n’était pas franc jeu : cet homme avait au moins le double de son poids. S’imaginer sa force pouvait alors être assez facile. Il n’avait pas retenu son coup. Pourquoi l’aurait-il fait ? Après tout elle s’était imposé dans son petit jeu et l’avait traité d’idiot. Elle l’avait presque cherché, l’avait mérité même. Elle avait touché le sol mouillé par la pluie, et le chef de la meute en avait fait de même, poussé brutalement au sol par le serval. Alexandra n’eut pas vent des prouesses du jeune inconnu, mais lorsqu’elle se roula sur le dos, un peu sonnée, elle entendit le mot mutant, prononcé au pluriel, ce qui était intéressant, et comprit très bien le sens du mot dégénéré, ce qu’elle n’apprécia pas. La mutante se redressa en position assise d’abord, pour voir l’animal sauvage mordre l’homme au bras pour la deuxième fois. Ce dernier cria de douleur, hurla également : Lâche moi, sale bête! LÂCHE MOI! Et bien, maintenant au moins on pouvait dire qu’ils étaient quittes. Alexandra passa le revers de sa main au coin de sa bouche, où perlait un peu de sang. Avec une once d’amertume, elle répliqua au chef: « Je t’avais dit que je n’avais rien qui te ferais plaisir. »

Elle se redressa complètement et tourna la tête pour voir où étaient les deux autres écervelés et le jeune homme. Un des deux acolytes était au sol. Bonne nouvelle. Elle mit quelques secondes de plus pour repérer les deux autres. L’inconnu s’était éloigné et… Alexandra ressentit un pincement dans les côtes, qui la ramena à sa propre réalité. Elle tourna la tête pour voir le chef qui se débattait et tentait de se débarrasser de l’animal à l’aide de son bras valide. Un coup de poing. Un autre pincement désagréable. Le serval lâcha le bras, donna un coup de griffe pour se venger puis recula de plusieurs pas en émettant un grognement menaçant. Du sang tâchait les poils autour de sa bouche… d’ailleurs, du sang coulait librement du bras du chef mutilé. Il aurait une vilaine marque, mais au moins il n’aurait pas besoin de s’inquiéter d’attraper ou non la rage. Ça aurait dû lui servir de leçon...

Le chef se releva, un peu paniqué, mais la colère surplombait probablement d’avantage sa peur, la colère de s’être fait attaqué ou celle d’avoir à faire avec des mutants… peut-être un petit mélange des deux. Il lui hurla des insanités, et le serval sortit les crocs en réponse, près à charger de nouveau, près à le déchiqueter en lambeau. De nouveau, il haussa le ton : Ça te fait rire? Ça te fait RIRE! De fait, non, Alexandra n’avait rien dit ni fait de tel. Mais maintenant qu’il le disait, elle avait effectivement envie d’en rire pour le provoquer un peu. Je vais te faire rire, moi ! Le fait est que cette situation n’avait rien de drôle, ni de loin, et encore moins de près. Il fallait vraiment être un dégénéré pour réagir ainsi. Et lorsque l’homme passa sa main dans son dos pour en sortir une arme, elle crut deviner pourquoi c’était lui le chef. Décidément, se procurer une arme était vraiment trop facile. Se fut au tour d’Alexandra de crier, un cri du fond du coeur: « NON! » Au même instant, faisant écho à ses paroles, le bruit d’une détonation explosa dans l’air.

Elle n’était pas la cible. Le serval l’était. Mais parce que l’homme tremblait de rage et de douleur, parce qu’il ne semblait pas savoir visée mais plutôt tirer au hasard, et aussi parce que l’animal bougeait quand même assez vite, la première balle le manqua. La deuxième aussi. Alors, l’homme changea subitement de cible et releva l’arme dans sa direction. Après tout, elle était une cible immobile, et donc facile à atteindre. Le serval s’élança au même instant pour tenter d'empêcher ça, mais déjà le déclic se faisait encore...

Si Alexandra avait eu quelques maigres scrupules à s’attaquer au chef, ils s’étaient envolés maintenant qu’il pointait une arme sur elle et son gardien. Ça n’aurait jamais dû en arriver jusque là. Le serval l’avait d’abord immobilisé, pour éviter qu’il ne lui fasse mal à nouveau, l’avait même mordu et griffé pour le dissuader de recommencer et comme une petite vengeance personnelle. Mais le chef avait voulu passer à la vitesse supérieure. Il avait sortit une arme à feu et c’était mit à tirer… manifestement dans l’idée de tuer. Non, il n’avait vraiment aucune morale. Mourir, tuée dans un coin paumé n’était pas dans les plans d’Alex. Il fallait peut-être qu’elle le dise au chef, qu’elle le lui imprime en lettre de sang sur le front pour qu’il se souvienne de ne pas attaquer n’importe qui, sous n’importe quel prétexte.

Alexandra s'était figée, ce qui était une mauvaise technique de défense. Et puis, quelque chose de très bizarre se produisit alors qu’elle pensait avec un étrange sang-froid qu’il allait faire feu et l’abattre, les abattre. Le sol se tordit devant eux deux de manière incongrue et déboussolante, déplaçant le chef dans une autre direction. C’était l’inconnu qui avait fait ça ? Évidemment, personne d’autre n’aurait pu. Quel genre de pouvoir étais-ce là ? Le déclic, puis le coup de feu. Alexandra sursauta, sentit son cœur se contracter, comme si elle pensait toujours qu’elle et l’animal en étaient la cible. Mais la balle se logea dans le deuxième acolyte, qui s’affala au sol, blessé à la jambe.

Il faut qu'on parte, je ne tiendrai pas éternellement. Alexandra hocha la tête en reculant légèrement. Il fallait effectivement qu’ils partent, cet endroit était vraiment un coin dangereux! Mais avant… Le serval sauta, mordit l’homme au niveau du poignet pour qu’il lâche son arme. Arme qui tomba sur le sol après un cri de douleur. Le serval chargea à nouveau le chef, pour le bousculer. Les choses étaient différentes maintenant, il était seul et désarmé. Voulait-il vraiment continuer à s’en prendre à deux mutants ? L’homme sembla se tenir incertain sur ces deux jambes, alors que l’animal, à quelques pas de distance, le menaçait. Il aurait bien aimé reprendre son arme, mais le félin l’en dissuadait assez efficacement. Il saignait toujours, et à voir son regard il devait également souffrir. Bande de dégénérés ! cria t-il avant de prendre la sage décision de s’éloigner, sans penser à ses coéquipiers.

C’était vraiment étrange de ce dire qu’en voulant fuir la folie d’une ville, on se précipitait dans une autre sorte de délire. Un problème de plus grande ampleur. Mais les choses suivaient difficilement la route qu’on voulait qu’elles prennent. Alors que le chef fuyait, les oreilles du serval captèrent autre chose, un bruit qu’elle-même put entendre puisque l’animal et elle étaient liés. Des bruits de pas à quelques mètres d’eux. Elle pouvait entendre le mouvement de leur vêtement qui frottait entre eux, le tintement léger d’un bruit qu’elle ne put identifier mais qui lui glaça inexplicablement le sang. Le serval avait une bonne vue nocturne, et ce qu’elle crut apercevoir à travers ses yeux ne la rassura pas non plus. « Il faut vraiment qu’on y aille. » Dit-elle en agrippant le bras de l’inconnu. Il pu reconnaître dans sa voix un sentiment d’urgence qui ne laissait pas place à la discussion. « Ma voiture ne démarre pas. »

L'animal avait bondi sur le chef pour le désarmer. Erik était autant soulagé que reconnaissant. Il pouvait relâcher son emprise et pensa à souffler un peu. Ils étaient sortis d'affaire. Il s'apprêtait à remercier la jeune fille, mais elle semblait préoccupée. Il regarda l'animal qui était aux aguets. Que savaient-ils donc qu'Erik ignorait ?

« Il faut vraiment qu’on y aille. » Elle lui avait agrippé le bras en disant cela, et le ton dans sa voix trahissait une certaine inquiétude. Il était d'accord mais ne comprenait pas. Jusqu'à maintenant, elle avait eu raison sur de nombreux points, et Erik décida de lui faire confiance. Après tout , une jeune fille qui apprivoisait un animal sauvage devait bien avoir quelques ressources cachées.

« Ma voiture ne démarre pas. » Ce n'était pas vraiment un problème, Erik avait la sienne, et elle tournait encore bien. On peut prendre la mienne, mais si tu as des choses à récupérer, vas-y vite, je vais démarrer. En disant cela, il avait posé sa main dans le dos de la jeune fille, pour l'inviter à avancer, mais aussi pour la rassurer sur sa présence. C'était inutile, mais ce geste était venu naturellement. Erik réalisa qu'il était peut-être un peu trop familier et accéléra le pas vers sa Toyota Corolla grise. Alors qu'il sortait ses clés et ouvrait la portière du conducteur, il put voir ce qui inquiétait la jeune fille : un groupe d'hommes en casque de hockey arrivait, et tout indiquait qu'ils n'étaient pas là pour les féliciter. Ils n'allaient pas avoir beaucoup de temps avant de se faire attaquer. Grouillez-vous, on met les voiles !

Erik monta dans la voiture et démarra le moteur. Il valait mieux ne plus trainer maintenant. Le ronronnement mécanique allait attirer droit sur eux le gang. En jetant un œil sur le côté, il les voyait déferler. Il n'avait vu que rapidement, mais il lui semblait que l'un d'eux avait une arme à feu de bon calibre. Tout ça allait vraiment trop loin. Vous pensez pouvoir tenir le volant ? S'ils approchent trop, je ne pourrai pas me concentrer sur la route. Il appuya sur l'accélérateur pour faire démarrer la voiture, espérant que la jeune fille avait une bonne maîtrise de la conduite.

Elle entendait leurs souffles alors qu’ils couraient. Alexandra les avait mis dans une mauvaise posture. C’était parce qu’elle était mutante. Et lui aussi. Il n’y avait aucune autre raison probable. Est-ce qu’on pouvait appeler cela du profilage mutant? Elle aurait certainement mieux fait de ne pas se mêler de cette bagarre entre l’inconnue et les trois autres lourdauds. En même temps, elle savait que même si elle avait la possibilité de recommencer cette scène, elle ne changerait rien.

Sa voiture faisait la tête. Une espèce de crise d’adolescence avancé, ou une crise de la quarantaine. Quand bien même elle la supplierait, le seul son qui sortirait du moteur serait un son étouffé pas très concluant. On peut prendre la mienne, mais si tu as des choses à récupérer, vas-y vite, je vais démarrer. Bonne, très bonne idée. Prendre la poutre d’escampette, il n’y avait là pas meilleur plan qui soit. Le jeune homme – elle se rendit compte qu’il devait avoir à peu près le même âge qu’elle, ce qu’elle n’avait pas réalisé avant, il faut dire qu’elle avait eu autre chose à faire -, posa une main dans son dos, la faisant légèrement se raidir sur le coup. Mais elle avança, puis se mit à courir en direction de sa voiture pour récupérer son sac en vitesse. Le serval ne bougea pas de son emplacement, le regard rivé vers la menace potentielle.

Grouillez-vous, on met les voiles ! Un masque de hockey à la Jason… il fallait vraiment être tordu. La jeune mutante ne traîna pas et fut rapidement de retour. Elle ouvrit la portière, où se glissa le serval, et entra elle aussi. Elle préférait garder le gardien avec elle, plutôt que de le rappeler prématurément. Par les yeux de l’animal, elle réalisa qu’un d’eux était équipé pour faire la guerre. C’était simplement merveilleux! Quelle galère. Tout ça allait vraiment beaucoup trop loin.

Le ronronnement chaotique de sa voiture à elle aurait irrémédiablement attiré l’attention sur eux. Mais qu’importe le bruit que faisait le moteur de l’inconnu, c’était déjà trop. C’était comme allumer un néon en pleine nuit. Vous pensez pouvoir tenir le volant ? S'ils approchent trop, je ne pourrai pas me concentrer sur la route. Avoir prévu le coup, elle aurait prit le volant, tien ! « Oui, mais prévenez moi avant de lâcher le volant. » Tenir le volant et diriger la voiture depuis le siège passager ne devait pas être aussi facile que dans les films, mais quand même elle savait conduire. Enfin, certaines personnes lui avaient déjà reprocher d’être un danger ambulant sur les routes… mais elle ne voyait vraiment pas pourquoi.

L’automobile décolla de sa position. Tout allait bien. Mais tout pouvait changer en une fraction de seconde. Les yeux du serval sur le siège arrière de la voiture lui servaient de rétroviseur assez performant. C’est un peu ça qui lui permit de voir le soldat manqué relevé son arme, un fusil d’assaut. Tien, ce devait être lui le chef, vu son équipement. Il n’avait certainement pas l’intention de les laisser s’enfuir aussi facilement. Alexandra cria à l’intention de l’inconnu : « Penches-toi ! » Ce que elle et son gardien firent. S’ensuivit des impacts de balle sur le carrelage de la voiture et la vitre arrière. Puis la voiture subit un choc lorsque les pneus arrièrent furent touchés. La seule consolation possible à avoir après cette catastrophe, se serait d’espéré que monsieur le chef soldat manqué n’avait pas d’autre chargeur à sa disposition, après avoir vidé celui-là sur la voiture… s’il l’avait bien vidé.

« Oui, mais prévenez moi avant de lâcher le volant. » Ca allait de soi, quoi que honnêtement, Erik pensait plus tout lâcher dès qu'il en aurait ressenti le besoin. Elle avait récupéré ses affaires et était revenue dans la voiture, accompagnée de son animal. La voiture avait démarré sans problème. Mais avec un des hommes armé, ils n'étaient pas encore sortis d'affaire.

« Penches-toi ! » Il ne savait ni quand ni comment elle avait su qu'il fallait le faire, mais il obéît. La charge avait éclaté la vitre arrière et probablement esquinté en grande partie la carrosserie. En se relevant, Erik prît peur. Sans voir la route, il avait un peu dévié de sa trajectoire, et en voulant redresser sa trajectoire, il avait noté que la voiture chassait. Les pneus étaient éclatés. L'eau sur la route n'aidait pas non plus. Le volant semblait totalement décorrelé des roues. Il fallu une ou deux secondes à Erik pour stabiliser le véhicule. Jamais Erik n'avait été aussi content que les voitures soient passées à la traction avant.

Ils étaient maintenant trop loin pour qu'Erik puisse utiliser ses pouvoirs. Le fusil arrosait trop large pour pouvoir dévier ses charges. C'était en tant qu'humain qu'il devait essayer de gérer la situation. Il accéléra, espérant que la jeune fille aurait une autre intuition si le chef tirait à nouveau. Erik avait pensé à appeler les policiers, mais avec les trois hommes bien amochés, il était évident qu'ils seraient bien plus embêtés qu'aidés.

Qu'est-ce qu'il font ? Dans quelques secondes, on aura rejoint la route 95. Mais on ne pourra pas rouler éternellement comme ça. Il s'engagea sur la voie d'accélération, mais avec des pneus à plat, il ne pouvait pas rouler à pleine vitesse. La circulation était plus tranquille à cette heure-ci. C'était plus simple pour rouler à la vitesse qui leur convenait. Tu as un endroit où aller ? Erik était toujours un peu nerveux. La journée avait été trop pour lui : Découvrir qu'il était un mutant, envoyer sa petite-amie à l'hôpital, et maintenant ça. Pendant quelques secondes, il eut une pensée pour Penny. Comment allait-elle ? Il fallait qu'il aille la voir bientôt.

L’automobile subit quelques écarts de route qui effraya Alexandra. La stupidité qui lui vint aussitôt en tête fut qu’elle n’avait pas mit sa ceinture de sécurité. Un accident aurait été un comble, ne serais-ce que parce que cela aurait facilité la tâche aux hommes armés. D’un rapide coup d’œil à l’inconnu, Alexandra fut soulagé de voir qu’il n’était pas blessé. Tout le monde allait bien. L’auto roulait toujours, bien qu’à vitesse moyenne. Que demander de plus ? Peut-être la paix, si ce n’était pas trop demander. C’était à se demander dans quelle société de fou ils vivaient exactement.

Qu'est-ce qu'ils font ? Dans quelques secondes, on aura rejoint la route 95. Mais on ne pourra pas rouler éternellement comme ça. Non, sans blague! Le regard de la jeune femme se fixa devant elle alors qu’elle regarda à travers les yeux du serval. Elle fronça les sourcils. Sur le parking, un homme remuait les bras et cinq hommes bougeaient en réponse. Pourquoi est-ce que ça n’avait rien de rassurant ? « Bon sang… » souffla t-elle. « Ils prennent une voiture. » Voler, réquisitionner, emprunter, du pareil au même. Elle remarqua plus tard qu'en fait ils s'étaient séparé en deux voiture. Lorsque les gens visés dans le bar miteux se rendraient compte que leur voiture n’était plus là, ils en seraient très fâchés. À moins qu’ils ne le sachent déjà, la discrétion n’était pas le fort des hommes masqués. Elle tourna la tête vers le conducteur. Tu as un endroit où aller ? Secoua la tête négativement. « Trop loin. » Elle s’affala dans son siège et passa la main dans ses cheveux, d’avant en arrière. Il lui fallait réfléchir aux possibilités. Quelques mètres plus loin, elle déclara : « Ils nous prennent en chasse. » Les possibilités étaient maigres. « Qu’est-ce qu’il y a sur cette route ? » À part le bar miteux qu’ils venaient de quitter en urgence. Le truc, c’était que sur une autoroute il n’y avait pas beaucoup de place où s’arrêter. Et comment les semer avec une voiture avec deux roues sur le plat, même en traction avant.

Et puis la peur qu’Alexandra avait ressentit se mêla de colère. On était en train de la poursuivre comme si elle n’était qu’un vulgaire animal. Un animal qu’on voudrait servir au dîner après l’avoir vidé. « Ils vont nous rattraper. » Même si elle n’avait pas regardé, elle aurait pu le dire, c’était évident. Et elle s'exclama : « Mais c'est quoi leur problème! » même si elle se doutait de connaître la réponse. Décidément, les poursuites en auto, c’était vraiment juste amusant dans les films.

Tout ça allait effectivement trop loin. Les hommes qui les poursuivaient ne s’en rendaient-ils pas compte? Non, ils devaient être trop concentré à vouloir leurs têtes au bout d’une pique pour s’intéresser à autre chose. Trop survoltés de voir la couleur de leur sang. Alexandra aurait aimé, adoré même, avoir les pouvoirs pour faire front, pour les affronter. Elle détestait se sentiment d’avoir l’impression de fuir comme une trouillarde. Détestait encore plus celui d’être pourchassée comme un animal, voir un monstre. Elle n’était rien de tout cela.

Si le bon esprit de la route le leur permettait, ils pourraient peut-être réussir à semer leur poursuivant et atteindre New York. La grande pomme était leur seul vrai moyen de s’en sortir indemne. Ils étaient trop nombreux… C’est que méchants avaient la fâcheuses tendances d’arriver en meute pour être sûr d’avoir le dessus. On pouvait en penser ce qu’on en voulait, surtout dans la situation où se trouvait Alexandra, mais c’était quand même efficace comme tactique.

À un moment durant cette course poursuite, Alexandra se prit note mentalement que l’endroit où elle se trouvait n’avait aucune importance : les problèmes anti-mutant étaient comme des ombres tapis dans l’ombre près à surgir à la moindre utilisation d’un pouvoir mutant… même s’il s’agissait de défendre sa peau contre trois hommes mal avenant. En attendant, leur moyen de locomotion produisait une drôle de boucane. À la limite, il fallait se réjouir que cette fumée ne provienne pas du moteur, mais plutôt des pneus malmenés. En même temps, les autos adverses prenaient le dessus sur leur position et bientôt il y aurait impact. Prends le volant, je vais tenter quelque chose. Ce que la jeune mutante fit avec beaucoup de succès. Il faut dire qu’il n’y avait pas beaucoup d’obstacle à éviter, et que donc la seule chose à faire était de maintenir le volant pour éviter de prendre le champ. Dans ces conditions, il ne fallait pas non plus parler d’exploit.

La mutante se permit de jeter un coup d’œil, à travers les yeux du serval. Ce n’était pas la meilleur des choses à faire. Mais bon, après tout, on dit bien qu’un coup d’œil n’a jamais tué personne. Juste à temps pour voir une des deux voitures dévié dangereusement et heurter le garde-fou. Elle se reconcentra aussitôt sur la route en sentant le bolide commencer à dévier vers la droite, très légèrement. Rien qui ne demanda plus que quelques millièmes d’effort à redresser. Erik, de son côté, semblait avoir fournit beaucoup d’effort et d’énergie dans l’utilisation de son pouvoir pour leur éviter la catastrophe.

« Tu crois pouvoir recommencer ? » Elle était juste un peu inquiète du contraire. Si la première voiture avait eu son compte, la deuxième demandait encore à être impressionner. Suite à quoi, Alex laissa volontiers le volant à l’inconnu. Et puis, à un moment, elle se redressa sur son banc. « Je vois la ville, on y est presque ! » Ce qui pouvait être considéré comme une extrêmement bonne nouvelle. La voiture derrière se faisait une menace particulièrement dangereuse, mais s’ils atteignaient NY…

Jusqu'à présent, la jeune fille s'était avéré être dotée d'un sens de l'observation particulièrement aiguisé. Elle semblait capable de savoir tout ce qui se passait tout près ou très loin, et dans n'importe quelle direction. Erik s'en voulait de ne pas lui avoir confié entièrement la conduite de la voiture, il aurait été libre d'utiliser ses pouvoirs et elle aurait pu utiliser ses capacités pour mener le véhicule d'une main de maître. Il était trop tard maintenant. Et derrière eux, la deuxième voiture arrivait rapidement. Il reprit le volant et redressa son siège.

« Tu crois pouvoir recommencer ? » Erik redoutait cette question car il se l'était lui-même posée, et la réponse ne lui plaisait toujours pas. Pas tout de suite. Il sentait la douleur s'insinuer dans sa tête, et quelques heures plus tôt, cette même douleur n'avait rien apporté de bon. Il respira un grand coup, cherchant à détendre ses bras qui s'étaient crispés sur le volant.

Erik sursauta. Il avait été surpris par un coup de feu. Dans le rétroviseur, le chef du gang était penché à la fenêtre avec son fusil. Il rentra à nouveau dans le véhicule, signe qu'il devait recharger son arme. Au même instant, un morceau de pneu vola et leurs poursuivants firent une embardée pour l'éviter. Erik sentit la voiture chasser légèrement sur la gauche. Elle n'allait plus tenir très longtemps à cette vitesse. Plus loin devant eux, ils voyaient le pont de Pulasky Skyway. Il étaient presque en ville.

La voiture se rapprocha d'un coup et vint les percuter à l'arrière. Le choc arracha un juron à Erik. Mais ce qui l'inquiétait plus, c'était surtout le chef qui repassait par la fenêtre. La voiture derrière eux se déporta sur la gauche et accéléra pour se mettre à leur niveau. Accroche-toi. Eric freina d'un coup, en donnant un coup de volant vers la droite pour s'engager sur la jonction avec la route 78. La voiture heurta quelques petits panneaux d'indication du virage qui la poussèrent sur la droite. Entre le freinage, le virage, le sol humide et le choc des panneaux, Eric avait beaucoup de mal à maintenir le véhicule sur la route. Un coup de feu retentit, mais ils étaient maintenant trop bas sur la bretelle d'échange pour voir leurs poursuivants. Il relacha un peu le frein pour laisser la voiture reprendre de l'adhérence. Cette dernière finît par se stabiliser.

Le gang était probablement toujours en train de rouler sur la 95, et avant qu'ils ne puissent faire demi-tour, Erik et la jeune fille seraient déjà loin dans la ville. Ils s'enfoncèrent dans Jersey City à vitesse réduite et se garèrent dans une petite ruelle entre deux bâtiments de plusieurs étages. Je crois qu'ici, on sera tranquilles. Est-ce que tu vas bien ?

Erik sortit de la voiture et en fit le tour pour mesurer l'étendue des dégâts. La carrosserie était bien abimée, et parfois trouée. Les deux roues arrières étaient mortes. Il se dirigea vers le coffre pour sortir la roue de secours et commença à retirer celle arrière gauche pour la remplacer. On roulera mieux si on n'a qu'un seul pneu à plat. Il disait ça en actionnant le cric pour faire monter la voiture de quelques pouces. Ensuite, je pourrai te ramener chez toi. Il força sur la clé pour déviser les écrous qui résistaient avec zèle. Au fait, je m'appelle Erik. En disant ça, il voulait être cordial mais la tristesse, le stress, la peur, toutes ces émotions avaient donné un ton un peu trop grave à ses propos. Il s'arrêta et souffla. Puis sans oser regarder la jeune fille : Merci d'être intervenue...

Pas tout de suite. Dommage. Très dommage. Malheureux même. Il était le seul des deux à pouvoir utiliser ses pouvoirs pour contre-attaquer efficacement. À part la double vue que lui donnait le serval, Alexandra se trouvait inutile, prise dans une voiture, poursuivit par une autre. La jeune mutante sursauta également, n’ayant pas eu le temps de voir le coup de feu venir. Au moins, le mouvement des voitures ne facilitait pas la vie au chef des méchants. Mais la voiture d’Éric non plus, ne leur facilitait pas la tâche en perdant des morceaux. Bien sûr, dans le meilleur des cas, si on était très positif, on pouvait se dire qu’un morceau de voiture perdu risquait un bon moment d’heurter la voiture adverse, mais il y avait quand même peu de chance.

En attendant, ils venaient de perdre un morceau de pneu, compliquant les choses pour la voiture. Mais ils y étaient presque, ce n’était vraiment pas le moment qu’elle lâche le morceau. Les fous furieux non plus ne laissait pas tomber, venant jusqu’à les percuter à l’arrière. Alexandra avait difficilement envie de mourir d’un accident de voiture… ni de mourir tout court d’ailleurs, surtout pas dans ses conditions-là. Accroche-toi. Le freinage, la brusque et dangereuse conduite ainsi que le dérapage qui suivit ne donna pas loisir à Alexandra de vouloir se décrisper et lâcher ce qui lui permettait de ne pas être secouée d’un côté et de l’autre comme un vulgaire bout de papier. Par une quelconque chance, la voiture garda le cap.

Et par un heureux bonheur, ils semèrent les hommes qui les poursuivaient. La voiture ralentit et, se rendant compte qu’elle se tenait toujours, elle se cala et poussa le soupir qu’elle avait retenu. Elle avait suivit le plus possible la route arrière à l’aide du serval, sans apercevoir quoi que ce soit d’inquiétant. Ils se garèrent dans un coin particulièrement tranquille entre deux immeubles.

L’inconnu lui demanda : Est-ce que tu vas bien ? Ce à quoi elle répondit par l’affirmative avant de se permettre de prendre une minute pour soufflée. Cette virée n’avait décidément pas été ce qu’elle s’était imaginée. Puis, elle sortit de la voiture. Le serval se glissa par la vitre arrière d’un bond et vint se mettre à ses côtés. Alexandra appuya le haut de son corps sur le mur derrière elle, et glissa les mains dans les poches de sa veste. Elle fit une drôle de face, en voyant l’étendue des dégâts sur la voiture… enfin, au moins ils étaient sain et sauf, c’était quand même l’essentielle. L’inconnu essaya de pallier en remplaçant la roue par une de secours. Ensuite, je pourrai te ramener chez toi. Alex était plutôt sceptique sur le sujet. Même en pleine noirceur, se faire reconduire chez elle par une voiture clairement trouée de tire de balle et à moitié cabossée ? Il y avait des milliers d’autres façons, et bien meilleure, d’attirer l’attention. Au fait, je m'appelle Erik. Erik, ça sonnait bien. Mais c’était vraiment une affreuse manière de faire la rencontre de quelqu’un. « Alexandra », répondit-elle en retour. Et puis, il la remercia, chose qui l’étonna : Merci d'être intervenue... Ils ne le sauraient jamais, mais peut-être les choses se serraient-elles passées différemment si elle n’était pas intervenue. Enfin, d’un côté, ce qui était advenu n’était pas sa faute. Et, d’un autre, elle ne regrettait pas. Par contre, peu d’accord sur les remerciements, Alex répliqua sans méchanceté : « Oui et bien… je suis pas sur que ça ait vraiment aidé. »

Elle se déplaça du côté passager pour récupérer son sac, et le serval en fit autant se déplaçant à ses côtés avant de s’asseoir au sol. Le contenu s’était un peu éparpillé dans le fond de la voiture, elle perdit donc un peu de temps pour récupérer ce qui était tombé du sac entrouvert. Elle se redressa, ses clefs de voiture dans les mains et releva la tête en pensant à cette dernière. Une complication de plus. Tant pis. Et puis, on ne la lui volerait pas. Après une seconde d’exaspération, elle balança les clefs dans son sac et referma la portière, pour s’arrêter face à Eric. D’un geste vague, elle désigna la voiture. « Ce fut un… plaisir -- enfin, je crois » elle n’était pas bien sûr que ce soit le mot approprié à la situation, puisque celle-ci n’avait rien eu de plaisante, bien au contraire. « mais je crois que je vais plutôt… me trouver un taxi. »

La jeune fille restait debout, adossée contre le mur, à regarder Erik changer la roue de secours. « Alexandra » lui allait plutôt bien. Elle restait toujours la mystérieuse inconnue qui était intervenue quand lui pensait ne pas être capable de se défendre. « Oui et bien… je suis pas sur que ça ait vraiment aidé. » Erik était étonné par ses paroles. Elle avait complètement changé la donne. Il était seul près à se faire frapper et soudainement, ils étaient deux, et il devait se battre pour lui, mais surtout pour quelqu'un d'autre, une personne qui elle, n'avait pas hésité à risquer pour lui. Tu ne te rends pas vraiment compte de ce que tu as changé, n'est-ce pas ? Seul, j'aurais été maltraité, peut-être même tué. Je n'aurais pas eu la force de me défendre seul. Et puis, tu as un puissant compagnon à tes côtés. Erik sourît à ces mots. L'animal était là, bien sagement aux côtés de sa maîtresse.

Pendant qu'elle récupérait ses affaires dans la voiture, Erik termina de serrer les écrous de la roue de secours. C'était plutôt pénible et il n'était de loin pas le garçon le plus fort de la contrée. Alexandra revint et se posta en face de lui, alors qu'il se relevait en se frottant les mains pour essayer de retirer un peu le cambouis qui s'y était déposé. « Ce fut un… plaisir -- enfin, je crois -- mais je crois que je vais plutôt… me trouver un taxi. » Erik sourît à cette idée : J'insiste, ça m'étonnerait qu'un taxi t'accepte avec un animal qui fait partie de ceux pour lesquels on doit disposer d'un permis spécial.

Il était un peu mal à l'aise pendant toute cette discussion, parce qu'il se sentait en devoir de se justifier, même si Alexandra n'avait pas semblée choquée jusque là. Il jeta la roue crevée dans le coffre et essaya de le claquer. Ce dernier resista à deux essais puis finît par se soumettre. Il y a quelques heures, j'avais une vie simple, des camarades de classe, une petite amie, une voiture en état... Et puis j'ai découvert que j'étais différent et tout a basculé. S'il-te-plait, ne me prends pas pour un monstre. En disant cela, Erik réalisait qu'il avait en fait peur qu'elle parte en taxi parce qu'elle ne voulait le fuir, lui, le mutant. Il se frotta le poignet gauche de la main opposée en signe de nervosité.

Non, elle ne se rendait pas vraiment compte de ce qu’elle avait changé. Du moins pas totalement. Erik semblait avoir un pouvoir assez puissant pour se débrouiller seul sans problème. Mais le jeune homme semblait dire qu’elle lui avait sauvé la mise, et peut-être même la vie. Elle en était heureuse. Heureuse d’avoir pu lui venir en aide. Elle s’en serait de toute manière voulue de ne pas être intervenu. Ces idiots avaient bien mérité ce qu’ils leur étaient arrivés. Pour ce qui était des autres, mieux valait ne plus y penser. Elle se contenta d’hocher une fois lentement la tête avant d’aller prendre son sac et de revenir vers Eric, pour lui annoncer qu’elle préférait tailler son bout de chemin seul.

Mais cet homme qui venait d’achever sa tâche manuelle, et dont les mains en portaient la preuve, sourit et refusa de la laisser prendre un taxi : J'insiste, ça m'étonnerait qu'un taxi t'accepte avec un animal qui fait partie de ceux pour lesquels on doit disposer d'un permis spécial. Alexandra fronça légèrement des sourcils. Il ne devait pas avoir vu l’animal surgir de nulle part, sinon il ne dirait pas ça. La mutante eut un rire léger. « Ce n’est pas vraiment un problème. » Ce n’était même pas du tout un problème. Elle n’aurait qu’à le faire disparaître, et le tour serait jouer : elle aurait l’air d’une normale jeune fille rentrant chez elle tardivement.

Mais Erik n’avait pas dit son dernier mot sur le sujet et, après s’être battu avec le coffre – et avoir gagner – il reprit la parole. Il lui expliqua d’abord des faits qui la laissèrent perplexe sur où il voulait en venir, et pourquoi il lui disait ça à elle, une inconnue. Il termina par : Et puis j'ai découvert que j'étais différent et tout a basculé. S'il-te-plait, ne me prends pas pour un monstre. Alexandra resta muette un moment réalisant ce qu’il lui disait. Il semblait nerveux, comme s’il avait peur de sa réaction. Les yeux de la jeune femme brillèrent un instant d’une légère colère. Monstre. Elle détestait tous ces noms qu’on leur affublait méchamment. Elle réalisa de ce fait même qu’il n’avait pas comprit ce qu’elle était elle-même. Une mutante, tout comme lui. Il avait dû manquer l’arrivé surnaturelle du serval. Elle dit un peu trop brusquement et d'un ton un peu trop dure : « Les vrais monstres sont ceux qui nous ont attaqué. » Quelques secondes après ses paroles, elle tourna la tête pour se ressaisir, passa la main dans ses cheveux de la même manière qu’auparavant, d’avant en arrière, et lorsqu’elle retourna la tête vers Erik, ses yeux s’étaient adoucies. « Il y a quelques heures… ? » répéta t-elle. On ne l’aurait pas cru, vu sa maîtrise. Son univers en avait été totalement bouleversé, ce qu’Alexandra comprenait. « J’imagine que tu aurais préféré rester dans ta simple vie… mais bienvenu dans la mienne. » Elle posa un bref regard sur le serval à ses côtés et dit calmement : « C’est moi qui l’ait invoquer. Je n’aurai aucune difficulté à le faire disparaître. Il n’y a donc aucun problème pour le taxi. »

« Les vrais monstres sont ceux qui nous ont attaqué. » Ces mots avaient claqué comme un fouet. Erik était étonné et désolé, il ne pensait pas que ses propos pouvaient la blesser. Il allait s'excuser quand Alexandra enchaina : « Il y a quelques heures… ? » Pourquoi était-elle étonnée ? Il n'avait aucune idée d'à quoi devait ressembler un mutant qui s'était découvert depuis quelques heures. Peut-être que son pouvoir s'exprimait plus que la moyenne. Peut-être qu'il lui venait plus naturellement. Quoi qu'Erik ne savait pas vraiment comment il marchait. Les choses lui venaient naturellement, il savait juste comment le faire. Enfin, si on exceptait le moment où il avait complètement été dépassé par son pouvoir, ainsi que les moments où il était calme et où rien ne semblait nécessiter d'utiliser son pouvoir. En fait, pour l'instant, il avait plus l'impression de le laisser s'exprimer que de réellement le contrôler...

« J’imagine que tu aurais préféré rester dans ta simple vie… mais bienvenu dans la mienne. » Le visage d'Erik était marqué d'étonnement. Jusque là, il était tellement obnubilé par sa propre condition de mutant qu'il n'avait même pas imaginé que la jeune fille en était aussi une. Alexandra avait ajouté « C’est moi qui l’ait invoqué. Je n’aurai aucune difficulté à le faire disparaître. Il n’y a donc aucun problème pour le taxi. » Invoquer des animaux sauvages, voilà un pouvoir qui laissa libre cours à l'imagination d'Erik. Il se refaisait la scène en imaginant qu'Alexandra avait invoqué un ours polaire à la place de son félin, juste pour voir ce que ça aurait pu donner. Il souria.

Ok, je comprends. Je dois donc ajouter à ma liste de nouveautés dans cette journée : première rencontre avec une mutante. Erik avança sa main, puis, réalisant qu'elle avait peut-être encore du cambouis, la frotta contre sa cuisse, et la tendit à nouveau. Peut-être la providence nous remettra à nouveau l'un sur la route de l'autre. Au revoir Alexandra.

Erik retourna vers sa voiture. Il sortit son téléphone portable et sélectionna "maman" dans ses contacts. Il répétait son texte dans sa tête : Maman, c'est moi, j'ai beaucoup de choses à te raconter. Je peux dormir à la maison ce soir ?

Oh oui, à voir l’étonnement se peindre sur le visage du jeune et gentil Erik, c’était sûr et certain qu’il l’avait prit pour une simple humaine. Enfin, pas si simplette que ça, l'humaine, étant donné l’animal qu’elle se trimballait, mais tout de même. Cet homme était sûrement spécial. Il avait acquis ses pouvoirs tardivement, selon ses dires, mais il les contrôlait avec une telle aisance qu’il aurait bluffé n’importe qui. Il serait sûrement puissant, mais ce ne serait certainement pas Alexandra qui se pencherait sur son cas. Ok, je comprends. Je dois donc ajouter à ma liste de nouveautés dans cette journée : première rencontre avec une mutante. La mutante en question lui sourit avec sincérité. « Journée chargée, hein ? » C’était là tout un nouvel univers dans lequel venait de plonger Erik. C’était peut-être injuste de le laisser tomber à sa nouvelle vie, mais il ne revenait de droit à personne de l’aider à réaliser son statut et à vivre avec. Et puis, les règles en étaient simple, et tout le monde les connaissait d’instinct : ne pas le crier sur tous les toits, se retenir de le chuchoter à n’importe quelle oreille, car toutes ne sont pas prévenantes ni de bonne écoute.

La jeune femme lorgna en direction de la main tendue, elle eut un instant d’hésitation avant de compléter son mouvement et venir la serrer. Peut-être la providence nous remettra à nouveau l'un sur la route de l'autre. Au revoir Alexandra. Un sourire en coin apparut sur son visage. Elle hocha la tête et dit : « Peut-être, oui. Mais rendons-nous service mutuellement : évitons les endroits miteux une fois la nuit tombé. » Elle lui fit un clin d’œil avant de contourner et de tracer son chemin hors de la ruelle et, tranquillement, vers le transport qui allait la reconduire chez elle. Un sourire désabusé trôna sur ses traits un instant, lorsqu’elle pensa comment le hasard pouvait drôlement et bizarrement faire les choses. Mais Alexandra y voyait aussi un message : quoi qu’elle fasse, elle ne pourrait jamais réellement s’éloigner de tout ce qui rendait la ville survoltée, cinglée. Et rien ne l’étonnerait si, un mois plus tard, elle retombait sur cet inconnu qui n’en était plus vraiment un maintenant… L'homme à qui elle avait sauvé la peau, sur la route de DC à New York.