Nouvel éveil [Privé Dorian]

Il était près de minuit, et tout dans le département du CRAM semblait calme vu du bureau du grand patron de la société. Se tenant debout devant la fenêtre, il observait la lune pleine en cette soirée du mois de septembre, perdu dans ses pensées jusqu'à ce que le son du téléphone ne vienne l'en tirer. S'approchant du bureau, il alluma la lampe de travail, prit place dans son grand fauteuil et décrocha le combiné.

- Qu'est ce que c'est?... hum... la section C?... Bien, envoyez-le moi.

Quelques minutes plus tard, on frappa à la porte. L'homme demeura assis et se contente de prononcer un simple "Entrez" puis, la porte s'ouvrit, découvrant une frête silhouette pénétrant la pièce d'une démarche mal assurée. Il se rendit jusqu'au bureau de son supérieur, s'arrêtant devant celui-ci avant de prendre la parole.

- Pardon de vous déranger à une heure aussi tardive, monsieur. J'apporte des nouvelles de la section C... Nous avons jugé qu'il serait mieux de vous les donner directement que de faire parvenir le message par votre secrétaire...

L'homme fit une pause, attenant une réaction de la part de son employeur, qui ne fit que le fixer d'un air agacé, les mains croisées et posées sur son bureau, attendant simplement que l'enquiquineur se décidé à poursuivre pour lui dire de quoi il en était.

- Un mutant est parvenu à s'évader, il s'agit d'une femelle...
- Oui, et alors? Ce n'est pas comme si c'était la première fois que nous avons à faire face à une tentative de rébellion ou d'évasion, vous n'avez qu'à l'éliminer, comme d'habitude, il était inutile de venir m'en faire part en personne.
- Je... je veux dire qu'elle a réussit à sortir du secteur...
- Comment? Vos tireurs ne l'ont pas eut?
- Ils n'ont pas tirés...
- Vous vous moquez de moi?

L'homme ne répondit pas, l'air visiblement de plus en plus embarrassé. Pourquoi diable avait-il fallut que ce soit lui qu'on envoie pour annoncer cela? Néanmoins, il ne pouvait reculer, et il devait lui révéler dans l'immédiat la raison pour laquelle le problème était si délicat. Le subordonné inspira, lançant un regard à son patron avant d'ouvrir à nouveau la bouche, espérant que la réaction de ce dernier ne serait pas des plus démesurée.

- Ils ont préféré ne pas le faire... la mutante en question se trouve être le projet A-02, vous comprennez? Ils ont cru que de faire feu n'était pas une solution envisageable...
- Je vois... Combien de temps cela fait-il qu'elle s'est échappée?
- Quelques heures, un peu plus d'une demie journée. Nous l'avons d'abord longuement cherchée mais ne sommes pas parvenu à retrouver sa trace. C'est seulement après les recherche que mon chef de département m'a envoyé vous en aviser...
- Bien, je vais être clair... Cette mutante représente l'avenir de l'humanité, elle pourrait nous permettre d'isoler le gêne «X» et de le détruire afin que le monde redevienne ce qu'il était autrefois. Nous avons espéré une chance comme celle-ci des années durant, et je refuse de la voir s'évaporer à cause de votre incompétance. La retrouver devra être votre priorité, et j'espère pour vous que vous avez une idée de là où elle se trouve. Me suis-je bien fait comprendre?
- Oui, monsieur.
- Parfait. Je ne veux plus vous revoir avant que vous ne l'ayez récupérée. Employez les moyens qu'il faudra, et surtout veillez à ce qu'elle ne soit pas compromettante pour nos installations. Disposez, maintenant.

L'homme acquiessa d'un signe de tête et tourna les talons, repartant en direction de la porte pour finalement la refermer derrière lui.
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La nuit était tombée depuis déjà quelques heures sur New York, avec elle une faible pluie qui s'était rapidement transformée en véritable averse torentielle, forçant les fêtards à regagner leurs appartements... ou le bar du coin, selon les préférances. Bref, rarement les ruelles de cette grande ville, d'ordinaire des plus animées, n'avait été aussi désertées, si bien que seul le bruit des pas d'une jeune égarée venaient briser le silence qui pesait sur les lieux. S'avançant d'un par rapide et mal assuré, une jeune mutante parcourait les rues de la grande cité sans réellement prêter attention à là où ses pas la mèneraient, semblant davantage préoccupée par ce qui pouvait se trouver derrière elle que devant. S'étant évadée du centre d'étude dont elle avait fait l'objet il n'y avait de cela que quelques jours, MiaKym avait parcouru plusieurs kilomètres avant d'aboutir dans cette ville dont elle connaissait rien, reflet d'un monde dont elle n'avait plus aucun souvenir. Mais, malgré les circonstances, elle arrivait à apprécier cette toute nouvelle liberté et observait avec curiosité chacune des choses qu'elle voyait, s'immobilisant parfois un moment si elle croisait un endroit où elle se sentait moins vulnérable, profitant de la sensation des gouttes venant se déposer puis glisser sur sa peau sans comprendre d'où elles pouvaient venir.

Puis, au fil des minutes, la pluie se calma, redonnant place à la douce averse qui avait commencée à tombée ce soir là. C'est d'ailleurs à ce moment que, arrivant au coin de deux rues d'ordinaire plus ou moins fréquentées, MiaKym apperçut une camionnette venant dans sa direction. Celle-ci se stoppa à côté d'elle, la faisant légèrement reculer alors qu'un homme faisait gliser la porte de côté avant d'en sortir, s'avançant vers l'adolescante d'un pas lent et médiculeux, prennant bien soins de ne pas l'effrayer. S'adressant à elle sur le ton avec lequel on s'adresse d'habitude à un petit animal, il commença à parler, désignant la camionnette avec de grands gestes pour faire comprendre à l'asiatique qu'il souhaitait qu'elle y entre.

- Allez, petite, entre là-dedans... viens, n'ais pas peur...

Faisant un pas vers l'arrière, MiaKym ne détacha pas son regard de l'homme, ne comprenant pas la moitié de ce qu'il lui disait mais comprenant par ses gestes qu'il souhaitait qu'elle reparte avec eux. Elle reconnut l'un de ceux qui s'occupait d'elle là-bas et, ne disant rien, elle le vit reprendre la parole en lui demandant une nouvelle fois d'entrer et, plutôt que de s'exécuter, elle prit la fuite, bifurquant à la première ruelle qu'elle croisa. Mais, par un malheureux hasard, elle ne put courir qu'une minute ou deux avant d'arriver devant un grand mur au fond de celle-ci, se retournant pour rebrousser chemin avant d'apercevoir l'homme à l'autre extrémité de la ruelle, lui bloquant le passage. Le conducteur dessendit à son tour du véhicule pour venir porter main forte à son collègue, s'avançant vers le phénomène de laboratoire en l'incitant à les suivres alors qu'elle reculait au rythme de leurs pas.

- Fini de jouer, gamine, tu vois, il n'y a plus d'issue... viens avec nous, ne nous force pas à venir te chercher...

La journée avait bien commencé pour Dorian. En ce moment, il était en vacances. Autrement dit, il pouvait profiter de la vie à loisir; se lever tard, manger des pizzas à volonté, aller se ruiner dans divers magasins pour acheter des choses qu’il achèterait sur un coup de tête, ne pas avoir à se raser tous les jours, ni à se promener en smoking lorsqu’il fait plus de trente degrés à l’extérieur… La belle vie, en somme! Il était passé dix heures lorsque le téléphone sonna, réveillant en sursaut l’agent qui s’était couché tard à cause d’un de ses amis plutôt… étrange.

- Allô?
- Salut l’ami! Comment va?
- Ethan…
- C’est mon nom, oui, tu l’as retenu plutôt vite, je suis fier de toi!
- Qu’est-ce que tu veux?
- Bah je voulais te dire que je venais de m’acheter une superbe veste qui me donne encore plus de classe! Tu sais, c’est un modèle très…

Ethan n’eut pas le temps de finir sa phrase, car Dorian lui avait raccroché au nez, excédé d’avoir été réveillé de la sorte. Il se passa une main sur le visage et se leva difficilement après une lutte acharnée contre sa conscience, qui lui soufflait de rester au lit et de paresser jusqu’au coucher du soleil. Lorsqu’il était en vacances, Dorian n’avait vraiment rien d’un agent secret. Alors qu’il allait se lever, le téléphone sonna de nouveau.

- Allô?
- Eh ben alors, agent McLean? On raccroche au nez de ses amis au charme infini?
- Tu m’as réveillé, crétin. D’ailleurs, qu’est-ce que tu fais déjà debout, alors que tu t’es couché à plus de cinq heures du mat’?
- T’aimerais connaître mon secret, pas vrai? Mais tu sais, quand on est génial, on est plus résistant que la normale, c’est logique.
- Et sinon tu voulais quoi?
- Si je te promets une pizza, tu ne me raccrocheras pas au nez?
- Quelle question idiote! On mange quand?
- D’ici deux heures? Au même endroit que d’habitude?
- Ça marche! A tout à l’heure.

Impatient, Dorian n’attendit pas la réponse d’Ethan et raccrocha le combiné. Il se leva et se lava rapidement, puis il tua le temps jusqu’à l’heure prévue. Il arriva le premier devant la pizzeria, et son ami l’y rejoignit bientôt, vêtu de noir, et adressant aux passants des sourires charmeurs, ce qui entraînait toujours une réaction de leur part. Lorsqu’il aperçut Dorian, il se mit à hurler dans la rue, en faisant de grands signes de la main.

- Doriaaaaaaaaaaaaaaaaaaan! Je suis lààààààà! Admire l’arrivée du grand Ethan!

Il se précipita en courant et fit un salto pour arriver devant l’agent, ayant pour seul but de se faire admirer. Dorian, quant à lui, ne savait plus où se mettre.

- Arrête de hurler comme ça… Tu nous fous la honte…
- Mais non voyons! On va la manger, cette pizza?

Dorian approuva avec un grand sourire et les deux hommes entrèrent. Ils passèrent leur commande, puis l’agent en vacances se tourna vers son équipier.

- Alors, si tu me disais ce que tu veux vraiment, au juste?
- Droit au but, hein? La maison t’appelle, on a du boulot.
- Hors de question, je suis en vacances!
- Tu crois peut-être avoir le choix?

Ethan n’avait pas souri en prononçant cette phrase. Il avait au contraire un air sérieux qu’il avait en de rares cas. C’était l’air qu’il avait lorsqu’il fallait que tout le monde comprenne tout de suite la gravité de la situation.

- Non, bien sûr…

L’homme garda son visage de marbre avant d’éclater d’un rire tonitruant qui résonna dans toute la salle, attirant l’attention des clients.

- Hey, je plaisantais! Je voulais juste voir mon vieil ami.
- On s’est vus hier.
- Oui mais je t’offre une pizza, enfin deux puisque tu en as commandé deux, espèce de goinfre. Alors ne te plains pas!

Les deux amis passèrent donc la journée ensemble, Ethan, après avoir payé les deux pizzas familiales que Dorian avait englouties, parla de lui durant tout l’après-midi, laissant à son équipier le soin de parler quelques minutes entre deux anecdotes. C’est lorsque la nuit fut tombée qu’Ethan consulta sa montre d’un air terrifié.

- Mon rendez-vous! J’ai deux heures de retard, tu pouvais pas me le dire?
- Tu ne m’as même pas dit que t’avais un rendez-vous…
- Oh c’est vrai… Bon bah j’y vais, je trouverai une excuse et elle tombera dans mes bras. A bientôt l’ami!

Ethan partit en courant, catastrophé, ce qui amusa Dorian, très solidaire. Ce dernier marcha lentement, profitant de l’air frais de la nuit avant de rentrer chez lui. Une pluie torrentielle commença à s’abattre sur la ville, chassant les piétons des rues. Les mains dans les poches, légèrement recroquevillé sur lui-même à cause de la pluie, Dorian laissa vagabonder ses pensées… Jusqu’à ce qu’il aperçoive, en tournant dans une rue vide, une jeune fille en tenue d’hôpital, poursuivie par un homme à l’air plutôt sévère. Un autre homme passa lui aussi en courant. Dorian soupira et, enlevant les mains de ses poches, les suivit à son tour, arrivant dans le dos des deux hommes alors qu’ils venaient de bloquer la fugitive dans un cul-de-sac.

« Fini de jouer, gamine, tu vois, il n'y a plus d'issue... viens avec nous, ne nous force pas à venir te chercher... »

Même s’il ne connaissait pas les circonstances de la fuite de cette dernière, pas plus que l’identité des trois personnes, il sentait qu’il devait aider la jeune asiatique. Il s’approcha lentement de l’homme le plus proche de lui à pas feutrés, tel un félin, et l’attrapa fermement, de manière à ce que l’homme ne puisse plus se défendre. Entendant cela, l’autre homme se tourna vers Dorian, mais ce dernier le devança, et tout ce que l’homme put voir fut certainement le dessous de la chaussure de l’agent, qui avait un don pour les arts martiaux. Il « s’occupa » ainsi des deux hommes et s’approcha de Miakym, tendant la main vers elle.

- Est-ce que ça va?

Les réactions de Miakym avaient été différentes durant l'intervention de Dorian. Elle avait d'abord reculé jusqu'à ce que le mur ne l'empêche d'aller plus loin, puis elle avait fait un pas dans sa direction lorsqu'il s'était approché d'elle pour s'assurer que tout allait bien. Suite à cela, elle avait jeté des regards curieux un peu partout dans la ruelle.

*Étrange, cette fille...*

Alors que l'agent tendait sa main vers elle pour qu'elle la saisisse, celle-ci tendit son bras, découvrant quelques marques de piqûres. Interloqué, l'homme saisit ce bras en douceur, relevant légèrement la manche de sa main droite tandis que l'autre lui tenait le poignet, paume tendue vers le haut. Il observa les traces, les sourcils froncés, puis reporta son attention sur l'adolescente. Sa tenue ainsi que son comportement pour le moins étrange laissaient facilement penser qu'elle était impliquée dans une affaire malsaine.

- Qu'est-ce que c'est? Qui t'a fait ça?

Dorian observa l'asiatique un instant et, n'ayant toujours pas eu de réponse à sa première question, se demanda si elle parlait sa langue. Il lâcha alors son bras, toujours en douceur, et se tourna vers l'un des agresseurs qu'il avait calmés. Il en releva un par le col et le gifla à plusieurs reprises pour l'aider à se réveiller. Lorsque celui-ci se réveilla, il semblait mal en point. L'agent secret l'interrogea alors d'un ton autoritaire.

- Qui est cette jeune femme? Pourquoi lui couriez-vous après?
- T'as pas à le savoir.

Dorian asséna à l'homme un puissant coup de poing et répéta sa question, mais il n'eut pas plus de chance. Lorsque sa victime perdit de nouveau connaissance, il répéta l'opération avec l'autre, mais les deux agresseurs avaient pour directive de ne rien dire, quitte à y laisser la vie. Cela ne disait rien qui vaille à l'amateur de pizzas, qui se redressa et retourna devant Miakym. Il ôta sa veste et la posa sur les épaules de l'adolescente avant de lui adresser un sourire.

- Désolé que tu aies dû assister à ça. Écoute, je peux t'aider, mais je vais avoir besoin de ta coopération. Je vais t'emmener au poste de police le plus proche, ils devraient pouvoir t'aider.

Il avança jusqu'à l'entrée de la ruelle et fit volte-face, adressant un autre sourire à la demoiselle.

- Allez, viens. Tu n'as plus rien à craindre à présent.

Le bras tendu vers l'homme, MiaKym demeura imobile au moment où celui-ci saisit son membre de la façon la plus douce qui soit, le maintenant de façon à ce que le poignet soit découvert. L'agent le regarda pendant quelques instant avant de relever son regard vers le visage de l'asiatique qui, elle, le fixait simplement avec curiosité, clignant des yeux tout en le détaillant du regard. Intriguée par tant de douceur, la jeune mutante sentit soudainement le sentiment d'insécurité disparaître peu à peu en elle, comprenant avec soulagement que cet homme n'était pas venu dans le but de s'en prendre à elle mais qu'il s'était sans doute plutôt retrouvé là par pur hasard.

Lorsqu'il l'interrogea, MiaKym ne fit qu'incliner légèrement la tête sur le côté, ne comprennant, à nouveau, pas un traitre mot de ce qu'il venait d'exprimer. Elle détacha son regard de lui pour le porter vers son propre bras, le regardant quelques secondes en se doutant que les questions devaient y faire référance vu la façon dont l'humain avait observé celui-ci quelques instants plus tôt. Elle releva ses yeux noirs dans ceux de Dorian, attendant qu'il mette en application la routine à laquelle elle s'était habituée sans que cela n'arrive, puisqu'il relacha simplement son poignet avant de retourner vers les deux individus chargés de la ramener au centre.

Elle assista alors à un interrogatoire pour le moins mouvementé, sursautant silencieusement à chaque coup qu'assénait Dorian à l'un des deux hommes, détournant même parfois le regard sans que ce ne soit par peur, mais bien parce qu'elle s'imaginait la sensation que devait leur procurer chacun des coups que leur portait l'agent. N'obtenant pas les réponses qu'il cherchait à avoir, ce dernier laissa les deux hommes inconscients au sol, revenant vers MiaKym avant de poser sa veste sur ses épaules, la mutante continuant de le regarder avec a même curiosité, ne se souciant plus de ses agresseurs. Elle n'avait guère comprit le but de ce qu'il venait d'infliger à ceux-ci, après tout n'ayant pas pu comprendre la signification de tout ce qu'il avait pu leur dire cela lui aurait été difficile, mais l'impression qu'elle eut qu'il avait agit ainsi pour la défendre la poussait encore davantage à voloir rester à ses côtés, s'y sentant bien plus en sécurité qu'avec tous ceux qu'elle avait pu côtoyer auparavant, ou du moins dont elle avait le souvenir.

Il prit à nouveau la parole sans qu'elle ne comprenne quoi que ce soit, la jeune fille se contentant, comme à l'habitude, de le regarder tout en écoutant les assemblements de syllabes qu'il exprimait et auxquels elle ne trouvait aucune signification. Elle le vit alors lui tourner le dos et se mettre à avancer vers l'autre extrémité de la ruelle, la mutante levant légèrement le bras comme pour le retrapper avant de l'abaisser lentement, le regardant simplement partir, croyant qu'il l'abandonnait. Elle baissa alors légèrement la tête, regardant les manches trop grandes du manteau qu'il lui avait enfilé avant d'entendre de nouveau la voix de Dorian s'élever, relevant les yeux vers lui pour constater qu'il s'était arrêté. Elle arriva cette fois à comprendre en partie ce qu'il lui disait, puisque le mot "Viens" ne lui était pas inconnu, ayant été employé plusieurs fois à son égard lorsque l'un des scientifiques ou des employés du CRAM souhaitait la voir avancer. Elle se rendit rapidement jusqu'à Dorian en prenant soin de contourner largement les deux hommes au sol, affichant à son tour un sourire quoi que celui-ci fut léger, ceci dû à son éternelle timidité.

Ils commencèrent alors à marcher, sortant d'abord de la ruelle puis prenant une rue un peu plus large, celle-ci menant à un parc précédant le poste de police. Après quelques minutes de marches, ils croisèrent un homme et une femme qui sortaient tout juste du bar devant lequel ils passaient, se soutenant l'un l'autre pour ne pas tomber et entretenant une conversation aussi insensée qu'histérique, ne pouvant s'empêcher de rire ou de hurler des imbécilitées. Intimidée par autant d'histérie, MiaKym s'agrippa solidement au bras de Dorian quand la femme poussa un rire digne de celui d'une folle internée suite à la plaisenterie de son mari au sujet de sa mésaventure de la veille. La mutante ne détacha pas son regard d'eux avant qu'ils ne soient considérablement loin derrière l'agent et elle-même, déserrant en même temps son emprise sur ce dernier sans pour autant lâcher son bras, jettant quelques regards craintifs vers la porte chaque fois qu'ils croisaient une bâtisse.

Ils arrivèrent finalement au parc, qu'ils traversèrent en un peu plus de temps qu'il n'en aurait fallut normalement, l'asiatique s'arrêtant régulièrement pour regarder un arbre par-ci, un oiseau par-là, et semblant s'émerveiller à la moindre chose qu'elle pouvait y trouver. Elle suivit néanmoins docilement l'agent jusqu'au poste sans trop s'attarder, préférant demeurer à ses côtés au cas où elle aurait à faire à une autre démonstration troublante comme celle qu'avait faite le couple quelques minutes plus tôt. Elle entra avec lui, cessant d'explorer les éléments constituants le lieu pour en passer aux individus qui s'y trouvaient. Elle remarqua d'abord les deux policiers postés derrière un comptoir qui semblaient tous deux occupés à leurs propres besognes, avant qu'ils ne lèvent le regard sur les deux arrivants. Sur un banc adossé au mur du fond était assis un homme, qu'elle ne remarqua pas tout de suite, et qui s'était sans doute fait arrêté il y avait de cela peu de temps, puisque des menottes le liaient à ce même banc alors que l'homme qui devait sans doute se charger de lui discutait avec une femme en complet; Une avocate, peut-être. Elle trouva étrange que ces gens soient tous vêtus de façon si différantes, qu'ils ne portent ni blouse, ni veste blanche comme c'était le cas de tous ceux qu'elle avait vu au laboratoire. Elle ne s'en préoccupa cependant pas réellement; Avec toutes les nouvelles choses qu'elle avait vu en une journée, une de plus ou de moins ne faisait pas une grande différance. Elle se rendit simplement avec Dorian jusqu'au comptoir, puis l'un des deux policiers prit la parole.

- Je peux faire quelque chose pour vous?

La mutante détourna son regard de celui-ci et c'est seulement à cet instant qu'elle remarqua l'homme sur le banc, lâchant au même moment le bras de son protecteur pour aller jusqu'au criminel, s'agenouillant devant lui en posant les mains sur les bracelets de fer. L'air soudainement inquiétée en croyant qu'il était dans la même situation qu'elle avait été et que des hommes le retenait captif, la mutante commença à tirer sur les menottes en espérant arriver à le libérer, tournant le regard vers Dorian comme si elle attendait son aide, alors que celui à qui elle tentait d'apporter la sienne la regardait sans rien dire, l'air incrédule...

Alors qu’ils marchaient vers le commissariat, Dorian ne cessa d’observer Miakym. Décidemment, elle n’était pas comme les autres, il y avait quelque chose d’étrange en elle, qui suscitait en lui une envie de la protéger. Il venait de la rencontrer et pourtant, elle semblait si fragile et entourée de mystère qu’il avait désirait à présent l’étudier tout en prenant soin d’elle. Croisant un couple d’ivrognes qui faisaient à eux seuls autant de bruit qu’une fanfare, l’asiatique s’agrippa fermement au bras de son sauveur, ce qui eut pour effet de renforcer l’impression qu’il avait un rôle de protecteur à jouer.

Son observation se poursuivit alors qu’ils traversaient le parc. Elle avait cette insouciance dans le regard qui lui donnait l’air d’une enfant de quatre ans s’éveillant au monde. La jeune mutante s’émerveillait effectivement de tout ce qui l’entourait, observant les arbres comme un amateur d’art admirerait l’œuvre la plus aboutie d’un peintre reconnu, et souriant face à la beauté d’un majestueux pigeon prenant son envol après un succulent repas à base de mie de pain. Que lui était-il arrivé ? Comment une adolescente âgée de seize ans avait-elle pu régresser à ce point ? A en juger par sa tenue pour le moins légère, Dorian se doutait qu’elle avait un rapport avec le milieu hospitalier. Et sans doute venait-elle d’un laboratoire, mais ça, il le découvrirait en temps voulu. A présent, il était lui aussi impliqué dans cette histoire depuis qu’il avait choisi de venir en aide à la fugitive.

Quoi qu’il en soit, elle n’avait pas répondu à ses questions. Jusqu’à présent, elle ne s’était exprimée que par des gestes. L’agent en conclut qu’elle était soit muette, soit tout simplement incapable de s’exprimer dans sa propre langue. Mais pour le moment, il optait plutôt pour le mutisme, car si elle avait pu parler japonais, sans doute l’aurait-elle déjà fait. Ils entrèrent finalement dans le poste de police, Dorian s’adressant aux policiers tandis que Miakym détaillait minutieusement l’endroit et ses occupants comme une créature sortant de la jungle et découvrant la civilisation pour la première fois de sa vie. L’un des deux agents demanda s’il pouvait faire quelque chose.

- Oui, je viens de sauver cette demoiselle d’une agression et quelque chose me dit qu’elle est impliquée dans des choses louches, donc si vous pouviez au moins l’identifier et me donner une adresse où la reconduire…
- Cette dem…

L’agent s’interrompit à la vue de Miakym penchée sur le détenu que l’un des leurs avait appréhendé peu avant. Dorian regarda à son tour, l’air interrogateur, et vit lui aussi la fugitive en train de tirer sur les menottes dans l’espoir de libérer le prisonnier. L’agent secret se hâta d’aller faire lâcher prise à l’asiatique et la tira avec force vers le bureau d’accueil, l’éloignant du prisonnier qui continuait de fixer celle qui avait voulu lui ôter les liens d’acier, tandis que le policier la fusillait du regard. Dorian, quant à lui, s’excusa à la place de l’adolescente.

- Je crois d’ailleurs qu’elle ne connaît rien de nos lois, elle se comporte un peu étrangement, voyez-vous.
- Il me faut au moins son nom, soupira l’agent.

Satisfait, Dorian se tourna vers la mutante.

- C’est vrai, tiens, je ne t’ai pas demandé ton nom… Comment t’appelles-tu ?

S’acharnant toujours sur les bracelets d’acier du criminel potentiel, MiaKym sentit soudain une poigne ferme l’agripper avec force, avant qu’elle ne soit entraînée vers l’arrière pour se retrouver devant le comptoir à l’accueil aux côtés de Dorian. Dévisageant celui-ci avec curiosité pendant un instant, la jeune mutante reporta son regard vers le captif dont les yeux foudroyait maintenant l’agent secret, sans doute parce que celui-ci était venu arrêter l’adolescente dans sa tentative pour le libérer. Malgré son incompréhension totale de la situation, elle demeura aux côtés de l’homme, vouant à ce dernier une confiance aveugle et naïve due à l’aide qu’il lui avait apporté face aux deux individus qui étaient venus pour la récupérer.

Ce n’est que lorsqu’elle entendit Dorian s’adresser une nouvelle fois au policier qu’elle cessa de regarder le criminel pour en revenir aux deux agents, remarquant l’air réprobateur de celui travaillant au poste. Repliant un peu la tête entre ses épaules à la manière d’un chien qu’on aurait grondé, elle se fit aussi petite que possible, reculant d’un pas ou deux avant que Dorian ne se tourne vers elle, lui demandant quelle était son identité. Les yeux grands ouverts, elle le regarda sans prononcer mot pendant près d’une minute, passant au policier, puis à l’agent, au policier, à l’agent et etc., comme analysant leurs deux comportements. Autant l’un paraissait exténué par la conduite pour le moins douteuse de la mutante, l’autre semblait simplement attendre une réponse avec patience, réponse que l’asiatique ne pouvait malheureusement pas lui donner puisque, à nouveau, elle n’avait pas comprit un traître mot de l’échange qu’avaient eut les deux hommes. Tous deux la regardant avec insistance, elle comprit cependant qu’ils devaient attendre un quelconque geste de sa part, et se douta qu’il ne devait pas s’agir de celui qu’elle avait déjà effectué face à Dorian puisque celui-ci n’avait su que faire de son bras. Suivant la voix de son intuition, elle se tourna alors de façon à faire dos à la fois à celui qui l’avait sauvé comme au policier, repoussant ensuite les cheveux couvrant sa nuque afin de dévoiler le code barre tatoué à cet endroit, au dessous duquel était inscrit en lettres moulées le code « A-02 ». Cette action étant la seule autre alternative à laquelle elle avait songé – puisque, dans la majore partie du temps, si les scientifiques ne venaient pas en réclamant d’abord une prise de sans ou un vaccin, c’était le geste qu’elle avait à poser afin que ceux-ci puissent l’identifier – elle demeura ainsi pendant quelques secondes en attendant, comme à son habitude, l’autorisation de couvrir à nouveau son matricule alors que le policier, incrédule et toujours aussi embêté, reprenait la parole.

- « A-02 »? Je doute que ce soit ainsi qu’elle se nomme. Je suis désolé, mais dans la mesure où elle refuse de s’identifier nous ne pouvons rien pour vous.

Le signal ne venant pas, MiaKym prit l’initiative de se retourner en entendant à nouveau la voix du policier, qui sembla réfléchir un instant avant de prendre la parole une nouvelle fois.

- Auriez-vous trouvé des papiers, un porte-monnaie ou des cartes de crédit sur elle?

Détaillant l’adolescente de haut en bas, il émit un petit soupire en songeant que sa question avait sans doute été des plus bêtes qu’il aurait pu poser, puisqu’à voir l’accoutrement dans lequel elle était habillée, il semblait évident qu’elle n’aurait eut nulle part où ranger ne serait-ce que l’un des articles qu’il avait énuméré.

- Non, bien sûr que non… Je ne sais trop quoi vous dire, peut-être cette petite a-t-elle simplement expérimenté un « médicament » ou autre produit un peu trop fort pour son métabolisme, ce ne serait pas la première fois que nous aurions à faire à un cas comme celui-ci, si vous voyez ce que je veux dire…

Claquant soudainement des doigts afin d’évaluer la réaction de l’asiatique, il fit une moue songeuse en voyant celle-ci réagir avec vivacité en sursautant suite au geste avant de regarder celui qui l’avait posé avec incompréhension. Il haussa les épaules, se disant que ses réflexes n’auraient pas été aussi aiguisés si elle avait été sous l’influence de quelconque drogue ou autre produit illicite, mais ne voyant rien d’autre…

- Nous pourrions la mettre en garde-à-vue jusqu’à demain matin, simple question de voir si cette hypothèse est probable. Autrement je vous suggère de rester avec elle jusqu’à ce que son état s’améliore si vous souhaitez que rien de fâcheux ne lui arrive, puisque dans cette état elle pourrait être vulnérable à tout et n’importe quoi.

Renvoyant son regard vers Dorian, MiaKym fixa celui-ci avec de grands yeux emplit de curiosité, comme espérant qu’il l’aide à saisir ce en quoi consistait la présente situation alors que le policier attendait sa réponse, l’air de ne rien voir d’intéressant ou de particulier dans la situation.

Lorsqu’il lui demanda comment s’appelait l’asiatique, Dorian vit celle-ci se retourner et relever sa chevelure ténébreuse. Il se demanda pourquoi jusqu’à ce qu’il aperçoive son tatouage, un code barre gratifié de ce qui semblait être un code : A-02. L’agent fixa la marque un instant, se plongeant alors subitement dans ses propres pensées. De quelle épreuve l’adolescente venait-elle de sortir ? Quel traitement pouvait-elle bien avoir subi ? Encore un détail qui faisait grandir son désir de la protéger.

Le policier demanda si Dorian avait trouvé des papiers sur Miakym, il se rendit malheureusement compte de l’idiotie de sa question en la détaillant du regard. Il claqua ensuite des doigts pour voir si elle n’était pas sous l’emprise d’une quelconque drogue, ce qui n’eut pour effet que de la faire sursauter, ce que l’agent secret trouva d’ailleurs plutôt mignon. C’était comme si on avait implanté l’âme de quelqu’un d’autre en elle, mais malgré le sérieux de la situation, ça lui donnait un effet comique. Finalement, l’homme qui avait claqué des doigts proposa de garder la jeune mutante en garde à vue. L’amateur de pizzas n’eut pas besoin de réfléchir longtemps, surtout après avoir aperçu le regard de la nippone qui l’observait fixement, comme attendant une réaction de sa part.

- Je préfère éviter la garde à vue. Je vais simplement l’emmener chez moi et tenter de retrouver son identité… ainsi que la vérité.

Sur ces mots, il fit volte-face et demanda à Miakym de le suivre, quittant la chaleur douillette du commissariat pour retrouver la fraîcheur de la nuit bercée par la pluie. Heureusement, l’appartement de Dorian n’était pas loin, aussi n’auraient-ils pas beaucoup de chemin à faire sous cette averse. Arrivé à la porte, il l’ouvrit et invita l’asiatique à entrer avec un grand sourire, puis il entra à son tour et referma la porte. Il regarda ensuite un instant le jeune cobaye qui portait encore la veste qu’il lui avait mise sur les épaules et sourit faiblement.

- Elle est un peu grande pour toi. Attends, je vais te chercher une serviette et quelque chose à te mettre… Du moins, si je trouve quelque chose qui pourrait t’aller.

L’agent secret ôta ses chaussures et arpenta alors les pièces de son appartement en quête de ce qu’il devait rapporter à son hôte. Il revint bientôt avec une grande serviette blanche et l’une de ses chemises, les tendant à l’asiatique.

- Bon, miss A-02, je t’ai trouvé une serviette, mais je n’ai pas de vêtements féminins. Il fallait s’y attendre, remarque… Bref, je n’ai qu’une chemise à te proposer, ça ne couvre pas grand-chose mais, par chance, elle sera suffisamment grande pour cacher l’essentiel. Je vais voir si je peux te trouver un short ou quelque chose dans le genre…

Il retourna dans sa chambre pour mettre ses affaires sens dessus dessous. Il revint finalement avec un short noir qui serait sûrement trop grand pour elle, mais qu’elle pourrait resserrer suffisamment pour qu’il ne retombe pas.

- Désolé, c’est tout ce que j’ai trouvé. Si tu veux, je peux appeler ma sœur, elle devrait avoir quelque chose à te prêter. Moui, c’est ce que je vais faire, je reviens !

Il décrocha donc le combiné du téléphone et composa rapidement le numéro de sa sœur, sans perdre Miakym du regard.

- Salut Jenny ! C’est Dorian, ton frère préféré. Dis-moi, j’ai une invitée un peu spéciale ce soir, et vu que ses vêtements sont trempés, je me suis dit que tu pourrais lui prêter quelque chose, vous avez à peu près le même gabarit. Demain ? D’accord, à demain alors !

Dorian raccrocha et se tourna vers la mutante.

- Bon, ma sœur ne peut pas passer ce soir, mais elle va te rapporter quelque chose demain matin. En attendant, je suis désolé, mais tu devras te contenter de la chemise et du short. Oh, j’y pense, tu dois être assoiffée et affamée ! Je vais aller te préparer quelque chose.

Il disparut dans la cuisine, et le téléphone sonna alors.

- Laisse sonner, c’est sûrement Ethan qui m’appelle pour se vanter ! Le répondeur va prendre le relais.
- Salut ! C’est Ethan, le plus beau et le plus merveilleux de tes amis ! Tu sais que tu as de la chance de m’avoir ?
- Qu’est-ce que je disais… Il va parler pendant des heures, ça lui arrive souvent. Bon, puisque tu es mon invitée, je vais t’offrir ce que je préfère… de la pizza !

C’était effectivement un imprévu. L’agent n’avait pas fait les courses depuis un bout de temps, et il ne lui restait plus que quatre pizzas familiales. Même si c’était un grand sacrifice, il en mit tout de même une au four, en espérant toutefois que l’asiatique apprécie. Il se demanda d’ailleurs si elle en avait déjà mangé. Quoi qu’il en soit, des myriades de questions lui traversaient l’esprit, et c’est autour du repas qu’il espérait bien obtenir des réponses…

- Au fait, fais comme chez toi ! J’ai comme l’impression que tu es ici pour quelques temps, alors considère cet appartement comme le tien.

Tout en s’affairant, Dorian jetait régulièrement des regards à son hôte afin de voir ce qu’elle pouvait bien faire faire. Enfin, elle bougea. Bien, il voulait qu’elle soit à l’aise le plus vite possible. Pendant qu’elle explorait les lieux, l’homme lui versa un grand verre de soda en guise d’apéritif alors que le four préchauffait, mais il ne se doutait pas que l’adolescente au comportement animal était si perdue dans la modernité. C’est lorsque le téléphone sonna et qu’il lui recommanda de ne pas répondre qu’il put entendre un grand fracas venant du salon tandis que la voix de son collègue narcissique s’éteignait au même instant.
Tournant la tête vers l’origine du vacarme, l’homme sentit son t-shirt se tirer tandis que l’asiatique, visiblement terrifiée, cherchait du réconfort auprès de son sauveur. Légèrement mal à l’aise, mais tellement attendri par un tel comportement, l’agent enveloppa la mutante de ses bras et l’étreignit quelques instants, de la manière dont on console un enfant qui aurait fait un cauchemar. L’amateur de pizzas la berça très légèrement.

- N’aie pas peur, tu n’as vraiment rien à craindre. Je te le promets.

Ses paroles n’étaient que murmures. L’homme pouvait sentir trembler la jeune cobaye, aussi se voulait-il le plus rassurant possible. Il cessa finalement l’étreinte pour tendre à l’adolescente le verre de soda.

- Tiens, je t’ai servi un verre. Il va falloir un peu de temps avant que le four ne soit suffisamment chaud. Quoique, je vais mettre la pizza dès maintenant, ça va nous faire gagner du temps.

L’homme s’exécuta aussitôt, mettant à cuire son plat préféré avant de se diriger vers le salon. C’est là qu’il vit le cruel destin de son répondeur, qui avait heurté violemment le mur près d’un cadre contenant une photo de lui et d’un labrador qu’il avait eu un certain temps. Les pièces de l’objet électronique étaient éparpillées un peu partout dans la pièce, la cassette était détruite, bref, la scène du crime était d’une violence insoutenable. Mal à l’aise, l’agent se tourna vers Miakym.

- Heu… Bon, je sais que ça ne coûte pas très cher, enfin pas ce modèle-là du moins, mais tu étais vraiment obligée de détruire mon répondeur ?

Il la regarda un instant, repassant dans son esprit la courte soirée qu’ils venaient de passer ensemble. Elle ne devait pas comprendre le moindre mot de ce qu’il disait, puisqu’elle n’avait pas réellement l’air de saisir tous ses mots. C’est ainsi qu’il réalisa qu’il n’aurait pas non plus les réponses à ses questions ce soir-là. Il fallait qu’elle retrouve la mémoire… en supposant qu’elle l’ait perdue. Peu doué pour ce qui est de mimer, l’agent essaya tout de même une nouvelle approche, pointant d’abord le répondeur du doigt avant de faire un signe de négation, du même doigt.

- Heu… Ça, non ! Pas casser répondeur !

Dorian se gratta l’arrière de la tête, il avait la désagréable impression de la prendre pour idiote en parlant de la sorte. Il ne pouvait pas continuer à s’exprimer ainsi, ça le mettait trop mal à l’aise vis-à-vis d’elle. La détaillant du regard, il reprit la parole.

- Heu… Tu n’as pas mis les vêtements que je t’ai donnés ? Si tu gardes ceux-ci, tu vas attraper froid.

Il retourna dans le hall d’entrée et prit les habits que la nippone avait déposés pour une obscure raison. Avait-elle même oublié comment se vêtir ou n’avait-elle simplement pas envie de porter quelque chose qui lui appartenait ? Il les lui tendit de nouveau.

- Je ne regarderai pas, mais il faut que tu te changes. En plus, tu ne dois pas avoir de mutuelle… Au fait, je ne me suis pas présenté, je crois ?

Le maître des arts martiaux se désigna du doigt, comme pour faire comprendre qu’il se présentait.

- Je m’appelle Dorian. Je ne vais pas te parler des surnoms stupides que l’on m’a assigné mais tu peux retenir ce prénom. Et toi, quel est ton nom ?

En posant cette question, il pointa Miakym du doigt, espérant qu’elle comprenne la question cette fois, espérant surtout qu’elle connaisse son propre prénom.

Toujours tremblante et blottie contre son protecteur, MiaKym sentit soudain les bras de ce dernier se refermer sur elle, l’enveloppant d’une étreinte apaisante qui fit rapidement son effet, la jeune nippone semblant se détendre peu à peu alors que Dorian la berçait doucement. Il la relâcha ensuite et lui tendit le verre de soda qu’il lui avait versé, lequel la mutante regarda un instant, l’air de n’avoir aucune idée de ce dont il s’agissait. Comme pour les vêtements qu’il lui avait proposés plus tôt, elle le saisit malgré son incompréhension, se doutant d’instinct que c’est ce qu’il attendait d’elle. Elle approcha alors curieusement son nez du haut du verre, reniflant son contenu comme en cherchant à assimiler l’odeur à quelque chose qu’elle connaîtrait déjà, ce qui ne porta guère ses fruits étant donné qu’elle n’avait plus mangé ou bu de choses semblables depuis le commencement de sa vie de cobaye et sa perte de mémoire.

Elle étira donc la langue et, à la manière d’un chat, tira une première léchée de la liqueur, plissant un peu les traits secouant énergiquement la tête sous le goût pétillant de celle-ci alors que Dorian se rendait dans le salon afin d’évaluer l’étendue des dégâts. Elle l’entendit alors prendre la parole de nouveau, lui demandant quelle était la nécessité d’avoir ainsi bousillé son répondeur alors que l’adolescente le regardait de son habituel air d’incompréhension, ne comprenant que son geste était mal qu’au moment où l’homme s’adressa à elle comme à un enfant. Elle baissa alors légèrement la tête, honteuse et croyant avoir causé du tord à celui qui l’avait sauvée, ne la relevant vers lui que lorsqu’il reprit la parole, l’agent venant ensuite se poster devant elle en lui tendant de nouveau les vêtements. Elle déposa le verre sur le comptoir et les saisit de nouveau, ne comprenant pas trop quelle était cette manie de lui tendre tant d’objets sans arrêt. Souhaitait-il qu’elle les enfile comme les chercheurs lui avaient prêtés la tenue qu’elle portait à ce moment? Peut-être… oui, c’était sans doute ce qu’il voulait.

La jeune cobaye n’eut cependant le temps de rien faire avant que Dorian reprenne, se désignant lui-même du doigt en se présentant, permettant à MiaKym de comprendre cette fois ses intentions. Elle répéta ce qu’elle croyait avoir comprit comme étant son nom plusieurs fois dans sa tête, avant d’enchainer à voix haute, les yeux rivés vers le sol, l’air d’user de toute sa concentration afin d’arriver à réussir l’exercice.

- Do… li… an… Doli… an… Doli… Doli!

Relevant aussitôt les yeux vers lui, elle afficha un sourire emplit de fierté, semblant toute heureuse et satisfaite de connaître son nom et de savoir le prononcer, même si, sans s’en rendre compte, elle n’y était pas tout à fait. C’est seulement alors qu’elle remarqua le doigt de « Doli » pointé vers elle, adoptant de nouveau un air interrogateur, ne se doutant en rien qu’il attendait qu’elle se présente puisqu’elle ignorait encore avoir été appelée autrement que par son matricule avant son arrivée au laboratoire, s’étant déjà présentée sous ce pseudonyme au poste de police en dévoilant le tatouage encré dans sa nuque.

Elle regarda le doigt en inclinant de nouveau la tête sur le côté, songeant qu’il souhaitait peut-être simplement qu’elle mette enfin les vêtements qu’il lui avait offert. Le mot pudeur ayant été rayé du vocabulaire de la mutante depuis son adoption du mode de vie de cobaye, elle commença à retirer la jaquette sans penser à se couvrir du regard de Dorian, habituée qu’elle était au regard de ses gardiens lorsqu’ils l’emmenaient sous la douche. Elle se vêtit ensuite des vêtements de l’agent, enfilant la chemise et le short qui étaient tous deux considérablement trop grand pour elle, ce qui pouvait néanmoins lui donner un air de fragilité attendrissant. Elle reporta ensuite son regard vers son ange gardien, lui souriant sans remarquer si ce qu’elle venait de faire lui avait provoqué en lui de la gêne ou pas (ne sachant d’ailleurs pas si cette possibilité était envisageable).

Le four sonna alors, annonçant que la température de cuisson était atteinte, MiaKym sursautant une nouvelle fois à l’entente de la sonnerie en se retournant d’un bon vers là d’où elle provenait, s’avançant craintivement vers le fourneau jusqu’à arriver juste devant celui-ci, s’asseyant et restant planté là en tentant de voir ce qui se trouvait à l’intérieur. Ne percevant rien, elle tourna de nouveau la tête vers Dorian.

- Doli! Doli! « Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii! »…?

Elle avait tenté d’imiter la sonnerie du four, intriguée par le son qu’il venait de produire sans être cette fois réellement effrayée, toujours réconfortée par l’étreinte que l’agent lui avait faite quelques minutes plus tôt.

L’étreinte avait fait son effet, Miakym s’était détendue. Comment percevait-elle Dorian ? Il venait à peine de la sauver, et pourtant ils avaient déjà l’air complices, comme s’il était devenu ce qu’elle avait de plus précieux sur terre. L’homme en était pourtant quelque peu mal à l’aise, ils ne passeraient pas éternellement leur temps ensemble. Et s’il était sédentaire pour le moment, il pourrait avoir à voyager de nouveau à tout moment. La vie d’agent secret ne permettait pas de créer ou d’entretenir des liens, sauf éventuellement avec ses collègues. Mais il ne pouvait non plus se résoudre à l’abandonner, elle comptait sur lui et semblait être le fruit d’une expérience inconnue. Le fait qu’elle ait ainsi l’air d’un enfant à qui il fallait tout apprendre, ainsi que le tatouage qu’elle portait sur la nuque, intriguaient l’amateur de pizza. Il devait en savoir plus.
Les réactions de l’asiatique furent toutes plus étranges les unes que les autres. Plus l’agent l’observait, plus il sentait que ce dans quoi elle était impliquée était louche. L’état dans lequel elle était aujourd’hui… Peu importe le temps que ça lui prendrait, il la vengerait en temps voulu. Et le responsable aurait très mal.

La mutante prit le verre que lui tendait Dorian et commença à laper légèrement son contenu après l’avoir reniflé, à la manière d’un petit chat. C’était à la fois amusant et attendrissant à voir. Puis, lorsque l’humain lui demanda si elle avait vraiment besoin de tout casser de la sorte, elle baissa honteusement la tête, prenant conscience que son geste était mal. Elle attrapa ensuite de nouveau les vêtements que son ange gardien tentait désespérément de lui faire mettre tout en demeurant silencieuse alors qu’il se présentait. Après un bref moment de silence, elle répéta son prénom. D’abord lentement, puis un peu plus rapidement, lui donnant un surnom qu’elle croyait être prénom.

- Doli ? C’est plutôt mignon. Va pour Doli !

Alors qu’il la pointait du doigt dans le but d’apprendre son prénom, Miakym fixa cet index toujours à la manière d’un chat. Décidément, elle avait tout à apprendre. Tout, y compris, la pudeur. Elle ôta sa jaquette avec désinvolture, comme si se changer devant un homme était pour elle aussi naturel et banal que cligner des yeux. Ne s’attendant certainement pas à tant de naturel, l’agent se bloqua vite les yeux. Elle était attirante, certes, mais innocente et beaucoup plus jeune. Et par ailleurs, Dorian n’était pas le genre d’homme à profiter de la faiblesse d’une femme.

- Heu… La prochaine fois, change-toi dans la salle de bain ! Tu me diras quand tu auras fini, d’accord ?

N’obtenant pas de réponse, il se risqua à un regard après un court instant, et aperçut ainsi son hôte vêtue de ses vêtements beaucoup trop grands pour elle. C’était tout aussi attendrissant que ses réactions habituelles. Finalement, elle lui sourit, puis sursauta à l’entente de la sonnerie du four. Par automatisme, Dorian mit la table tandis que l’adolescente se dirigeait vers la source du bruit. L’homme entendit la voix de la jeune nippone s’élever depuis la cuisine tout en imitant la sonnerie. Elle semblait s’émerveiller de tout, c’était agréable à voir. Autant d’insouciance qu’un enfant, mais adoptant les réactions d’un chaton. A y repenser, c’était la première fois que l’agent entendait la voix de sa nouvelle colocataire. Elle était douce et tout aussi adorable que ses réactions. Avant qu’elle ne perde la mémoire, elle devait faire tourner bien des têtes.

- N’aie pas peur, Akiko ! Ce n’est que le four qui m’annonce que la pizza est prête. Enfin, elle doit l’être du moins…

Se rendant à son tour dans la cuisine, il retrouva l’asiatique assise devant le four comme attendant le début d’un spectacle. Tout en souriant, il sortit la pizza, qui était prête, et invita Miakym à le suivre dans le salon, puis il posa le plat sur un dessous de plat qu’il avait sorti en mettant la table.

- Tu permets que je t’appelle Akiko ? J’ai toujours trouvé ce prénom adorable, et comme tu n’en as pas actuellement, il ne faut pas éveiller les soupçons. Je sais c’est que c’est mal venant d’un défenseur de l’ordre, mais j’ai des contacts qui te fourniront des faux papiers le temps que l’on retrouve ta véritable identité. D’ordinaire, nous considérons ça comme légal puisque notre métier est plutôt spécial et nous incombe de recourir à de tels procédés, mais si j’explique ton cas à mes collègues, ils comprendront. La plupart d’entre eux ont une dette envers moi, de toute façon.

En parfait gentleman, l’agent secret recula la chaise destinée à Miakym et l’invita, d’un geste de la main, à s’asseoir, tout en lui souriant chaleureusement.

- Des tonnes de questions me traversent l’esprit, mais je ne pourrai pas te les poser ce soir je crois… Viens manger, et nous pourrons ensuite aller dormir. Tu dois être épuisée, aussi…

Surprise et captivée par la sonnerie du four, MiaKym était demeuré devant celui-ci après avoir fait une imitation quelque peu imparfaite du son qu’il avait produit, annonçant que la cuisson du plat était maintenant terminée. Son regard curieux s’était reporté sur l’appareil alors que Dorian la rejoignait à la cuisine, l’asiatique se levant et reculant de quelques pas pour permettre à son protecteur d’en retirer le plat. Elle aperçut alors la dite pizza qu’il avait préparé, regardant le met avec insistance avant d’humer l’odeur qui s’en dégageait, l’adolescente semblant on ne peut plus intriguée par ce curieux objet qu’il avait entre les mains.

Comme à son habitude, elle inclina faiblement la tête sur le côté comme si cela allait lui permettre de distinguer plus clairement la chose, ou encore de mieux la comprendre, et la mutante ne releva les yeux vers lui qu’au moment où l’agent secret s’adressa de nouveau à elle, demandant si le prénom « Akiko » lui convenait. « Fillette de l’automne », c’était certes un joli prénom, d’autant plus que sa signification japonaise s’accordait à la situation puisqu’elle pouvait paraître telle une enfant et que c’était actuellement l’automne. Peut-être l’avait-il choisit volontairement en fonction de ces deux éléments, ou peut-être était-ce simplement pour la sonorité agréable qu’il possédait, mais si une chose était certaine, c’est que MiaKym n’était guère en mesure de répondre à sa question puisqu’elle n’en avait comprit le sens, comme du reste de ce qu’il avait dit, d’ailleurs. Elle s’était contentée de le fixer avec curiosité, toujours intriguée par ce que pouvait bien être ce « machin odorant qu’il venait de sortir de l’appareil duquel s’était échappé un bruit aussi strident que curieux » ; décidément, que de nouveautés! Il lui semblait que rien de ce qu’elle avait connu auparavant n’existait en cet endroit, comme si à l’extérieur des murs de sa prison s’étendait un autre monde, en tout points différents à celui dans lequel elle avait vécu jusqu’à maintenant. Plus de cellules, de prises de sang et d’interminables analyses, tout ceci avait été remplacé par nombre d’éléments qu’elle commençait tout juste à découvrir.

Elle alla le rejoindre à la salle à manger, se penchant au dessus de l’épaule de Dorian pour observer de plus près la pizza qu’il venait de poser sur un sous-plat, reculant à nouveau lorsqu’elle le vit tirer une chaise en lui faisant signe d’y prendre place, affichant un sourire encourageant qu’elle lui rendit naïvement. Son regard passa à plusieurs reprises de Dorian au banc avant que la jeune cobaye ne s’y assoie finalement, ramenant la tête vers l’arrière lorsque l’agent reprit la parole pour le regarder tout en l’écoutant, en revenant au plat une fois qu’il se fut avancé pour prendre place à son tour.

L’adolescente dévisagea alors quelques instants le met qui se trouvait devant elle, s’avançant légèrement pour le renifler de plus près en reculant dès l’instant d’après, semblant ignorer ce dont il s’agissait. À l’odeur elle devinait que cela devait sans doute être comestible, mais ce qu’elle avait sous les yeux ne ressemblait en rien à ce qu’elle avait été habituée à manger au centre, aussi lui était-il difficile d’en être totalement persuadée. Elle prit finalement la pointe du bout des doigts, s’hasardant à en goûter la partie qui semblait être la moins garnie, mordant dans la croute et découvrant au même moment une texture toute nouvelle pour les aliments, une sensation croquante et pâteuse à la fois. S’arrêtant, les yeux ronds, elle éloigna la pointe de sa bouche, refermant lentement sa mâchoire sur le morceau qu’elle avait dans la bouche en secouant hâtivement la tête de gauche à droite au moment où elle entendit de nouveau le son produit lorsque l’on croque dans quelque chose de croustillant, paraissant encore plus surprise que ceci se soit reproduit.

- Mmh… ?

Mordant de nouveau dans la pointe près de là où elle avait prit sa première bouchée, elle recommença à mâcher, s’arrêtant chaque fois que l’étrange bruit parvenait à ses oreilles. Elle s’arrêta enfin pour détacher son regard de la pizza et le relever vers Dorian, ne pouvant réprimer l’air curieux et intrigué qu’elle semblait prendre l’habitude d’afficher.

- Crounch… ?

« Crounch », quel drôle de son. Enfin, en tout cas, ce « crounch » avant bon goût, c’était considérablement mieux que la bouillie qui lui servait de nourriture depuis quelques années déjà au centre.

Elle se leva alors de table sans avoir terminé sa part, recommençant son exploration des lieux de manière plus approfondie cette fois, s’avançant lentement dans l’appartement en détaillant tout ce qui lui tombait sous les yeux, n’osant cependant toucher à rien. Elle s’aventura ainsi dans ce nouvel environnement pendant quelques minutes, envoyant de temps à autres un regard à « Doli » en gratifiant parfois celui-ci d’un mince sourire, jusqu’à ce qu’elle arrive devant une large fenêtre donnant vue sur un quartier de la ville. Contemplant d’abord celle-ci de haut en bas, elle leva lentement la main pour aller l’appuyer faiblement contre la vitre, se remémorant la paroi qui fermait sa cellule, là-bas. Elle en était bien loin, maintenant, mais cette liberté saurait-elle durer ou ne serait-elle qu’éphémère?

Elle porta son regard vers les marques laissées par les vaccins et les prises de sang sur son avant-bras, semblant adopter un air absent et songeur pendant quelques instants, jusqu’à ce que son attention ne soit subitement renvoyée vers la porte à l’entente des trois coups qui venaient d’être portés à celle-ci. Surprise et inquiétée à l’idée qu’il pouvait s’agir de ceux qui avait précédemment tenté de la récupérer, elle se rendit rapidement aux côtés de Dorian, se postant à quelques centimètres à peine devant lui en agrippant faiblement son T-shirt de ses deux mains, renvoyant son regard dans le sien en hochant hâtivement la tête de gauche à droite, comme cherchant à lui faire comprendre qu’il ne devait pas ouvrir…

Eh bien, décidément, elle ne connaissait rien ! Dorian lui avait servi une part de pizza et, toujours prise d’une sorte de transe féline, elle renifla le mets à la manière d’un chat. L’agent secret la considéra du regard pendant qu’elle s’adonnait à la découverte du monde moderne. D’où venait-elle ? Pourquoi ne prenait-elle presque pas la parole ? Pourquoi ne faisait-elle pas de phrases, même dans une autre langue ? Les expériences dont elle semblait avoir été victime avaient-elles affecté son esprit ? Etait-elle réellement incapable de communiquer ? De nombreuses autres questions lui passaient par la tête, mais il jugea préférable de ne plus y penser pour le moment, chaque chose viendrait en son temps.
La jeune cobaye s’empara de la pointe de pizza du bout des doigts et croqua finalement un morceau de la croûte, s’arrêtant aussitôt dans son élan. Apparemment, cette sensation croustillante lui était inconnue. Et elle recommença, plusieurs fois, comme si elle s’était attendue à ce que seul un morceau de la pâte soit croquant. Elle releva finalement la tête vers le bourreau des pizzas et lui lança un « crounch ? » tout à fait innocent, qui le fit systématiquement sourire.

Mais MiaKym commit le plus grand des sacrilèges, pour Dorian : elle se leva sans terminer sa part de pizza ! Elle n’avait goûté que la croûte, et voilà qu’elle avait laissé le reste, intact et encore fumant, dans son assiette, visiblement plus intéressée par l’appartement que par son repas. Elle visita les lieux, observant chaque centimètre de son nouvel environnement, et jetant de temps à autre un regard vers le maître des arts martiaux.
Dorian, quant à lui, hésitait. Elle avait posé la pointe de la pizza… Cela voulait-il dire qu’elle n’en voulait plus ? Alors qu’il venait de terminer le quart qu’il s’était coupé, il tendit lentement la main vers l’assiette de son invitée, tel un félin approchant de son gibier. Son regard ne quittait pas l’asiatique, et lorsque celle-ci se retourna pour lui adresser un sourire, sa main revint à sa position d’origine, comme un élastique qu’on aurait tendu avant de le relâcher soudainement. Il répéta son manège à deux reprises, en proie à un grand dilemme. Mais à chaque fois, le regard de la mutante l’interrompait dans son acte diabolique. Finalement, il se coupa une autre part et laissa là la tentatrice au parfum si envoûtant.

Tout en mangeant, l’agent McLean continua d’observer la jeune nippone. Elle était devant la fenêtre et ne bougeait plus, levant faiblement la main, semblant pensive. Il observa alors ses moindres faits et gestes. La vue sur le quartier avait peut-être ramené des souvenirs enfouis en surface. Il en arrêta même de manger pour étudier son comportement. Et finalement, sa main se posa sur la vitre. Une main pleine de matière grasse après avoir tenu la part de pizza. L’homme se leva aussitôt.

- Holà, arrête Akiko ! Tu ne dois pas faire ça, c’est salissant, une vitre !

Se passant une main sur la nuque, il soupira et reprit d’un ton plus calme :

- Bon, c’est pas bien grave, je vais nettoyer ça…

Allant chercher de quoi nettoyer dans un placard, il put voir en revenant dans le salon que l’asiatique était songeuse en fixant son bras. Elle semblait avoir échappé à l’enfer, comme quelqu’un qui se réveille d’un cauchemar très désagréable. Décidément, il se devait de l’aider.
Quelqu’un frappa à la porte. Alors que Dorian allait ouvrir, MiaKym vint se poster devant lui et agrippa son T-shirt, hochant vigoureusement la tête pour lui faire comprendre de ne pas ouvrir. Il ne lui fit comme réponse qu’un sourire serein.

- Ne t’en fais pas, tu es en sécurité ici. Tant que je serai là, il ne t’arrivera rien. Reste ici, je vais aller ouvrir.

Approchant de la porte d’entrée, il se prépara à agir au cas où ce serait effectivement l’un des agresseurs qu’il avait corrigés dans la ruelle un moment plus tôt, mais il se détendit bien vite en voyant Ethan de l’autre côté.

- Saluuuuuuuuuuut Dorichou !
- Ne m’appelle pas Dorichou…
- Tu préfères Dorianounet ?
- Arrête ça, t’es ridicule.
- Et toi t’es jaloux ! Tu me fais entrer ? Je t’ai apporté ton cadeau de Noël, une pizza !
- Oh, c’est pas Noël, mais j’accepte. Entre !

S’écartant pour laisser entrer son collègue, Dorian referma ensuite la porte et invita Ethan à entrer dans le salon. Il ne remarqua pas tout de suite la présence de l’asiatique, regardant d’abord la pizza avec un sourire. Puis il perdit ce sourire pour en retrouver un autre, plus large.

- Eeeeeh, mais on dirait que je tombe mal ! Voyez-vous ça, l’agent McLean a décidé de fricoter, ce soir ?
- Comme d’hab’, tu tires des conclusions hâtives.
- Ne mens pas à ton vieux collègue, je flaire ces choses-là !
- Au fait, t’étais pas à un rendez-vous ?
- Hein ? Ah, si, je voulais y aller, mais finalement je me suis souvenu que c’était demain. Bon, alors, t’arrêtes de changer de sujet ? Elle est là ? Elle est dans ton lit ? Elle est dénudée, c’est ça ?
- Tu veux pas arrêter de parler juste un instant ? Tu me donnes mal à la tête.
- J’entre et j’aperçois une deuxième assiette avec une part de pizza déjà entamée. Je constate en entrant dans le salon que ton répondeur est en miettes, et je vois traîner sur le sol une… jaquette d’hôpital ?

Ethan s’interrompit, fronçant les sourcils un instant. Puis il sourit de nouveau en se tournant vers Dorian.

- Oooooh, je vois ! Monsieur joue au docteur avec mademoiselle ! Tu veux que je repasse plus tard ?

Un bruit attira soudain l’attention des deux hommes, et c’est alors qu’Ethan aperçut MiaKym. Ça y est, la bête était réveillée.

- Oooooh mais c’est qu’elle est canon, ta nouvelle compagne ! Mais un peu jeune, non ? Bah, t’en fais pas, je te dénoncerai pas, et ça se comprend quand on la voit… Mais elle porte tes vêtements, non ? Donc je vous dérangeais, j’avais raison !
- Tu n’y es pas… C’est une fille que j’ai sauvé par hasard tout à l’heure dans une ruelle. Elle avait l’air sortie de nulle part et elle ne portait qu’une jaquette d’hôpital…
- J’aime bien les jaquettes d’hôpital, si une fille ne porte que ça c’est plutôt sexy !

Dorian asséna un puissant coup de poing à son collègue qui se releva presque aussitôt.

- Bon, j’avoue, je l’avais pas volée, celle-là ! Continue.
- Je suis allé au commissariat, mais ils ne trouvent rien sur elle. La seule chose qu’on sache, c’est qu’elle a un tatouage dans le coup, « A-02 ». Je pensais justement te demander un coup de main.
- Tu peux compter sur moi, je m’en chargerai. Mais au fait, je manque à tous mes devoirs…
- Ne lui fais pas peur, hein ? Attends, je vais plutôt faire les présentations…

Dorian s’approcha de MiaKym en lui adressant un sourire apaisant. Il ne voulait pas qu’elle ait peur, mais il se doutait bien qu’elle ne devait pas être très rassurée.

- N’aie pas peur, c’est un ami. Ethan, je te présente Akiko, je l’ai appelée ainsi parce qu’il fallait bien lui trouver un nom… Akiko, voici Ethan, un ami de longue date et un collègue étrange mais sur qui on peut compter. Venez, on va faire les présentations autour d’une pizza.

Allant chercher la boîte qu’Ethan avait ramenée, Dorian s’installa sur le centre d’un canapé, suivi de son collègue qui se jeta dessus sans quitter l’asiatique du regard. Après avoir ouvert la boîte, l’amateur de pizzas invita MiaKym à s’asseoir à ses côtés.