Nouit, belle nouit... (Vermine)

"Bonsoir ! lançai-je au serveur sur un ton mélodieux. Je voudrais une table en terrasse, s'il vous plaît."

L'homme me regarda bizarrement, peut-être à cause de mon accent français. Mais il ne rechigna pas et me conduit à une table en terrasse, donnant sur la rue piétonne. Elle était charmante, cette table, avec sa nappe à carreaux et sa grosse bougie enfoncée dans le goulot d'une bouteille de chianti. On me mit le couvert et je commandai une grosse pizza avec plein de fromage. Le serveur prit la commande et s'en alla. Il était 22h24, le soleil commençait à décroître, l'air s'emplissait déjà de l'odeur des nuits d'Eté. Ce soir, je rassemblait mes économies pour m'offrir un vrai dîner au restaurant. Bien sûr, avec ce que me coûtait déjà mon loyer, je n'avais pas de quoi me payer le grand restaurant français que je convoitais tant (que voulez-vous, j'ai le mal du pays), mais c'était toujours sympa une bonne pizza au feu de bois. En plus, le nom de la pizzeria m'avait décidé : Chez Mario. En bonne geek que j'étais, je n'avais su resister. J'avais mis ma belle robe noire qui m'arrivait au peu au dessus du genou et des bracelets argentés aux poignets et aux chevilles. Je regrettais de ne pas pouvoir mettre d'escarpins assortis, mais au moins ça m'épargnait une dépense. Ma colocataire, elle, se ruinait en chaussures. Les passants défilaient, des gens occupés, des travailleurs revenant du boulot, des couples allant faire un dîner romantique. Beaucoup me regardaient avec une expression difficile à interprêter. Un jeune homme se cogna même à un poteau pour ne pas avoir réussi à détourner son regard de moi. Je gloussai, il s'en alla en jurant.
Enfin, le serveur revint avec ma pizza, qu'il me servit cérémonieusement. Je m'en léchai les babines. ça allait être bon !

Dans la ruelle déserte embrasée par les lueurs du soleil couchant, un bruit de raclement s’éleva, celui d’une plaque d’égout qu’on déplaçait. Peu après, la ruelle n’était plus déserte, un garçon s’y trouvait. Faisant un nouvel effort, il remit en place la lourde plaque métallique, puis il se redressa et jeta un énième regard à son apparence. A sa modeste taille, on lui aurait donné six ans. Les cheveux roux, un visage plain de malice, il avait cet aspect mignon que seuls les enfants arrivent à avoir. Des bottines cirée, un pantalon de velours, un veston brun sur une chemise blanche, le costume de ce petit être suggérait une certaine aisance familiale. Un gosse de riche mais seul et sortant des égouts. Tout ceci n’était qu’illusion. Au poignet du garçon : une montre d’un bleu électrique. C’était elle qui permettait ce prodige que de cacher aux yeux du monde la réelle apparence de Vermine. Ce dernier avait toujours peine à le croire. Le cadeau d’Evelyn était vraiment fantastique. Bien sûr, l’hologramme ne pouvait pas tout faire. Le mutant avait dut s’entrainer à se tenir droit sans fléchir les jambes ni courber le dos, une posture bien peu naturelle pour son corps animal. Il avait également dut se laver, épreuve désagréable mais indispensable pour modérer l’odeur qu’il dégageait. Un fin odorat pouvait encore percevoir l’écœurant « parfum » du rat. On n’effaçait pas la saleté accumulée pendant des jours en une petite demi-heure à se frictionner. L’aspect olfactif était donc vraisemblablement le seul à pouvoir démasquer le mutant.

Sans trop s’inquiéter, Ernest releva la tête. Ce soir, il serait élégant ; ce soir, il redeviendrait un peu celui qu’il avait été avant l’éveil du gène X ; ce soir, il pourrait se mailer aux autres sans fuir ni faire fuir. Quel paradoxe ! Lui qui ne cessait de détester sa vie d’avant, un simple livre dont l’univers tournait autour des gentlemans anglais avait eu raison de sas réticences. L’imaginaire, chez lui, avait toujours eu un grand pouvoir. Le gamin, les mains dans les poches, disparut au coin de la ruelle. Il débutait sa promenade. Il n’avait rien prévu, il voulait juste marcher, laisser vaquer ses pensées, oublier un peu son existence à l’écart de la société et se croire humain. Le hasard conduisit ses pas dans une rue piétonne passant devant un restaurant. La douce odeur de fromage vint lui chatouiller les narines. Son estomac gargouilla et lui rappela qu’il avait faim. Il stoppa sa marche et balaya la terrasse du restaurant. Allait-il prendre place et commander quelque chose ? Il chercha dans ses poches, il n’avait pas d’argent. Dommage, c’aurait été plaisant. Il allait repartir quand quelque chose attira son attention : une cliente assise seule à une table s’apprêtait à déguster une pizza. Plus que la pizza, ce fut la personne qui attisa sa curiosité. Celle-ci, une belle demoiselle, arborait les attributs du félin. Une mutante qui n’avait pas peur du regard des autres. Le garçon se surprit à la jalouser. Peut importait qu’il soit lui-même en partie responsable du rejet des autres à son égard. Lui devait se déguiser, pas elle… Et puis, elle avait une pizza, pas lui… Ernest hésita un instant, puis s’avança. Un air coquin s’affichait sur son visage.

-Bonsoir belle demoiselle, fit-il aimablement à la mutante. Votre pizza est bien grande. Puis-je prendre place et vous aider à la terminer ?

Ce n’était assurément pas là les paroles d’un bambin de six ans. Vermine, volontairement, désirait créer la surprise. Il attendit, immobile, digne dans sa droiture, la réponse de l’hybride.

Alors que j'allais mordre à pleines dents dans ma première part de pizza, une petite voix vint m'interrompre.

"Bonsoir belle demoiselle, fit-il aimablement à la mutante. Votre pizza est bien grande. Puis-je prendre place et vous aider à la terminer ?"

Je regardai celui qui avait dit ça. Cétait un gamin roux d'environ 6 ans, bien habillé, vachement mignon. Il avait l'air plus intelligent et plus poli qu'un gamin standard de cet âge. Personnellement, je me savais suffisament morfale pour finir à moi toute seule cette pizza du diamètre d'une roue de voiture, mais le gosse m'attendrissait tellement que j'acceptai. Au pire, si j'avais encore faim, j'avais bien assez d'argent pour me permettre de commander une deuxième pizza.

"Je t'en prie. Hé ! Garçon ! Un deuxième couvert s'il vous plaît ! Allez, viens t'asseoir. Mais mange pas tout, quand même."

Le serveur amena une autre chaise, ainsi qu'une assiette et des couverts. Je sentais une drôle d'odeur sur ce gamin, une odeur animale. Assez subtile, dissimulée sous celle du savon, mais bien là. Une de ces odeurs qui écoeurent les humains, mais dont je savais saisir la subtilité. Et, curieuse comme toujours, je mourais d'envie d'en savoir plus.

"Qui es-tu ? Comment tu t'appelles ?"

Ravi que la féline décide de l’inviter, Ernest ne se fit pas prier pour s’assoir sitôt une seconde chaise installée à son attention. Sa petite taille faisait que seuls sa tête et ses bras émergeaient du dessus de la table. Face à lui : la demoiselle. Entre eux deux : la pizza qui avait l’air succulente. Il dévora celle-ci du regard avant de se servir une part en prenant bien garde de ne pas faire preuve de précipitation. Il avait choisit de jouer le bien élevé, il fallait rester dans ce rôle. L’hybride chatte ne tarda pas à l’interroger. C’était prévisible. Quoi de plus normal après sa façon de l’aborder ? Vermine eut tout de même le temps d’avaler une première bouchée. Puis il prit la parole.

-Je me nome Timothy Enderson, mentit-il de sa voix joyeuse. Mes parents sont en voyages d’affaires. Ma préceptrice, quand à elle, est avec son petit ami. J’ai donc décidé de profiter de la liberté qui s’offrait à moi.

Dieu qu’elle est bonne cette pizza ! pensa-t-il en mordant à nouveau dans sa part. Il se donna un petit temps de dégustation, puis reprit. On aurait dit qu’il racontait une histoire tant il employait le ton de la narration.

-J’avais projeté de me rendre au parc afin d’y mener l’une de ces promenades que j’affectionne tant. Seulement, voilà que je vous aperçois, vous devant cette pizza, vous à l’allure si insolite.

Le garçon marqua une brève pose, en profita pour manger encore un peu, et continua son récit. Plus il parlait et plus il était évidaient qu’il ne pouvait pas être un enfant de six ans.

-Savez-vous que la moitié des clients vous observent et qu’il en va de même pour les passants ? Je lis la curiosité en leurs yeux, mais aussi la méfiance, la peur, l’hostilité. Ho et puis, au diable les autres ! Je parle, je parle, et j’en oublie l’essentiel ! Comment s’appelle cette belle féline qui m’offre en sa compagnie de partager son repars ?

Vermine conclut en engloutissant le reste de la part. Il ne fut pas long à en prendre une seconde. La tirade qu’il avait achevée était le résultat de son esprit vif et de son goût pour la littérature. Inutile de préciser qu’il s’amusait beaucoup à parler ainsi lui qui, d’habitude, était si vulgaire.

Il parlait bien pour ungamin de son âge, ça semblait irréel. Ses parents étaient sûrement des gens de la haute. Je n'aimais pas beaucoup les richards, mais ce Timothy m'avait l'air sympathique. En tout cas, ça faisait du bien de voir quelqu'un d'aussi poli dans ce pays de dingues.

"Je m'appelle Maëlys. Maëlys Duval. Je fais mes études à la fac du coin. Bah, les gens, on dirait qu'ils n'ont jamais vu une française de leur vie. D'après ce qu'on m'a dit, les américains détestent tout ce qui vient de l'hexagone."

Il y avait toujours cette histoire d'odeur qui me préoccupait. Une de mes oreilles se dressa, l'autre restant à sa hauteur standard.

"Et toi, est-ce que tu es comme les autres. Je veix dire...est-ce que...tu es...vraiment...totalement...humain ? Désolée d'aborder la question comme ça, mais je suis curieuse, c'est dans ma nature, faut me pardonner. De toutes façons, dans ce cas je serais plutôt mal placée pour te critiquer."

-La curiosité est un vilain défaut chère Maëlys, répondit le prétendu Timothy.

Il agrémenta cette malicieuse remarque par un sourire tout aussi coquin que son visage juvénile. Sur ce, il finit de dévorer sa seconde part de pizza. Ce n’était pas souvent qu’il avait l’occasion de manger quelque chose d’aussi bon alors il en profitait. Malgré ses efforts, on sentait son avidité. Troisième part en main, il reprit.

-Je suis allé en France. J’y affectionne la gastronomie ainsi que la variété des paysages. C’est un beau pays. Je suis d’autant plus heureux de vous avoir rencontrer.

Ho, ce que c’était amusant de jouer ce rôle ! Pour un peu, Ernest se serait crut sur scène lors d’une pièce théâtrale. Il se demandait vraiment quelle impression il donnait. Quand la féline découvrirait son véritable caractère, ou tout du moins celui qu’il s’imposait habituellement, le contraste serait violent. Le jeune mutant, en fin de compte, vivait par la comédie. Rares étaient les moments où il était réellement lui-même.

-Dites-moi, belle amie, votre agilité est-elle à l’égal de ce que suggère votre apparence ? Légendaire est la vivacité des félins ! Avez-vous neuf vies ? Chassez-vous les souris plus vite que votre ombre ?

Vermine avait déjà presque terminé sa troisième part. A ce rythme, il allait s’accaparer les trois quarts de la pizza. Etait-ce une course qui s’engageait ? Parallèlement, le petit être faisait preuve lui aussi d’une grande curiosité. Il avait bien prit garde à ne pas dévoiler sa nature même si celle-ci pouvait être supposée. L’odeur où se mêlait rongeur et égout planait toujours. Cherchait-il à se jouer du chat, lui, le rat ? Il y avait un peu de ça… Ne serait-ce point là une belle revanche envers l’ordre naturel ?

En entendant Timothy éluder ma question, je sentis que je marquais un point. Mais je décidai de n'en rien laisser paraître et de me prêter à son jeu.

"Oui, j'suis rapide, agile, mais j'ai jamais essayé de me coller un fligue sur la tempe neuf fois de suite pour voir si j'avais neuf vies."

N'empêche qu'il seblait presque aussi morfale que moi, il progressait dangereusement vers MA moitié de la pizza. Je fus tentée de ramener d'un seul coup l'assiette à moi.

"Doucement, laisse-m'en un peu."

Je remarquai la montre à son poignet. Une montre en plastique d'un bleu électrique, une montre d'enfant. Pour un gosse, ça paraîssait normal, mais ça contrastait un peu avec son look et avec l'idée que je me faisais de ses parents (du genre "Si à 10 ans on n'a pas de Rollex c'est qu'on a raté sa vie !").

"Elle est chouette, ta montre ? C'est quelle marque ? Elle esrt solide au moins ? Pasque moi je dis toujours qu'il vaut mieux avoir une montre de sport qui résiste tout plutôt qu'une montre de bijouterie qui dure pas 2 mois."

à cet exemple, la mienne était étanche, garantie antichocs et son verre avait subi un traitement anti-rayures. Il faut dire que quand on vit à 100 à l'heure, il vaut mieux avoir du matériel qui tienne la distance, aussi chaotique que soit la route.

-Ho, ça ?

Ses mensonges, Vermine les inventait sur le moment. Il ne lui fallut qu’une petite seconde pour en échafauder un nouveau. Afin de masquer son bref temps de réflexion, il jeta un coup d’œil distrait à l’objet assurant son déguisement. Il était bien contient que ce dernier était une fausse note dans son apparence.

-C’est un cadeau de ma mamy, celle du côté paternel. J’ignore si elle est solide, je prends garde à ne pas la cogner. Je l’apprécie beaucoup, mais pas mes parents. Ils préfèreraient que je mette la montre plus élégante que j’ai eu à l’occasion de mon baptême. Tout fois, je suis assez grand pour porter ce que je désire.

Voilà une explication qui devrait contenter la curiosité de son interlocutrice. Néanmoins, la marque, il n’en avait pas fait mention. Les seuls noms qui lui étaient venus à l’esprit étaient bien trop prestigieux pour convenir à l’objet en question. Celui-ci était de toute façon marqué d’aucun logo ni symbole commerciaux. Il fallait juste espérer que « miss ronron » cesse de porter son attention sur la montre. Pour s’en assuré, Ernest reprit sans tarder.

-J’ai parfois l’impression de vivre dans une prison dorée. Mes parents, trop soucieux de ma sécurité, m’interdisent tout ce qui pourrait à mes yeux être divertissant. En cette soirée, j’ai l’occasion de m’évader, même si ce n’est que pour un temps.

A travers le mensonge de ce « Timothy », l’enfant-rat laissait transparaitre une réalité qui avait été la sienne. Il en fut lui-même surprit. Improvisant sur l’instant, il ne choisissait pas vraiment ce qu’il disait, il se laissait guider par son imaginaire. Etait-ce ennuyeux qu’il y ait du vrai dans ses propos ? Il jugea que non. Au pire, il pouvait par la suite nier en bloque. Prenant sa quatrième part de pizza, qui était aussi sa dernière s’il respectait l’équité, il continua sur sa lancée.

-Accepteriez-vous de m’accompagner pendant cet instant de liberté ? Nous pourrions bavarder, se balader, jouer… entrer en compétition, pensa-t-il aussi. Je serais enchanté de faire plus ample connaissance avec vous dont l’apparence ne cesse de m’étonner. Mes parents n’ont pas une bonne opinion des mutants. Raison de plus pour rester en votre agréable compagnie.

Si je continu à la flatter, elle va croire que je la courtise, songea le garçon qui, même s’il n’avait aucun espoir sur ce plan là du fait de sa jeunesse, essayait quand même d’employer le charme par la parole. A 12 ans, le sexe opposé commence à prendre beaucoup d’impotence.

Je me mis à glousser comme une lycéenne américaine à moitié idiote qui voit passer le beau gosse de la promotion. S'il n'avait pas été aussi jeune, j'aurais juré qu'il me faisait du charme. D'ailleurs, quel âge avait-il au fait ? En tout cas il était pas banal, ce p'tit gars.

"T'as quel âge, au fait ? Tu as un langage plus évolué que la majorité des crétins de 20 ans que je croise tous les jours à la fac. Avant de venir à New-York je ne connaissais pas la différence entre l'anglais UK et l'anglais US. Maintenant je sais : les amériains ont l'habitude de rajouter "fuck" dans chacune de leur phrase."

Peut-être était-ce parce qu'il venait de la haute. En tout cas il ne faisait pas trop snob, malgré son langage pompeux.

"Et toi ? t'en penses quoi des mutants ?"

L'enfant éludait mes questions, ça devenait suspect. Déjà qu'un gamin de 6 ans en costard qui se baladait seul en ville et qui parlait comme un adulte c'était pas banal... Mais là, j'avais vraiment l'impression qu'il jouait la comédie. Et puis il y avait cette odeur... J'enfournai mon avant-dernière part de pizza, et me léchai les babines. Puis je posai ma main sur celle de l'enfant.

"écoute Tim, t'as l'air sympa, mais j'ai l'impression qu'avec toi il y a comme...wheué ! C'est quoi ça ?!"

En touchant le dos de sa main, j'avais rencontré une surface velue. Non pas que j'étais contre les poils, mais ça surprenait venant de lui. Surtout que lorsque je retirai mes doigts, je vis une main d'enfant lisse et glabre. Intriguée, je touchai encore du doigt. Je sentis à nouveau les poils.

"Mais c'est quoi ce quetu ?"

Je m'approchai un peu de Tim par dessus la table pour renifler son odeur. Oui, il y avait toujours cette légère odeur animale.

"Ooooooh ! Toi, t'es un mutant ou je m'y connais pas !"

J'avais dit ça avec un sourire qui s'élargissait de seconde en seconde. Je devais avoir la tête du chat de Chelsire quand j'ai bondi sur mes pattes pour toucher le reste du corps de "Tim". Un corps minuscule et un peu grassouillet, des poils partout, un museau de rongeur...

Et zut ! Quel idiot avait-il été de laissant la demoiselle le toucher ! En même temps, retirer la main n’aurait fait qu’attiser encore d’avantage les soupçons de la féline. C’était une voie sans issue. Sans doute m’y suis-je mal prit, pensa le garçon prit au dépourvu. Que faire à présent qu’il était démasqué ? Le sourire de son interlocutrice l’inquiétait un peu. Il ne put s’empêcher de se dire que dans l’ordre normal des choses il était la proie et elle le prédateur. Bien sûr, Maëlys avait l’air très sympathique. Il avait du mal à l’imaginer en fauve sanguinaire. Toute fois, peut-être se sentirait-elle trompée ? Dans le doute, un retrait stratégique s’imposait, ne serait-ce que pour conclure sa prestation.

-Hé ! Mais elle me tripote ! cria Ernest, sitôt ses moyens retrouvés.

Ce fut amplement suffisant pour que l’attention de toute la clientèle installée sur la terrasse se focalise sur la mutante. Inutile de préciser qu’elle était en train de passer pour une perverse amatrice d’enfants. Les apparences jouaient contre elle. J’y suis peut-être allé un peu fort, pensa brièvement le rat, mais c’était trop tard pour revenir en arrière. D’un geste vif, il subtilisa la dernière part de pizza, puis il se dégagea lestement du félin. Sa chaise et lui-même partirent à la renverse. Il se réceptionna par une pirouette. Sa façon de se mouvoir n’avait plus grand-chose à voir avec celle d’un respectable fils de bourge. On sentait l’acrobate.

-Merci belle aime pour cet agréable repas, dit-il tout bas et avec un sourire malicieux.

Sur ce, il prit la fuite en empruntant la rue piétonne.

HRP : si tu le veux, tu peux dire où la fuite conduit.

L'enfant retira sa main en criant. Cela suffit à attirer l'attention des gens autour. Mon Dieu ! Ils devaient me prendre pour une pédophile !

"Tout va bien ! Il déconne ! C'est pas vrai !" leur assurai-je.

Mais lorsque je me retournai vers l'enfant poilu, j'eus la mauvaise surprise de voir qu'il avait disparu...et ma dernière part de pizza avec lui. J'eus juste le temps de voir une jambe disparaître au coin de la rue piétonne.

"Hé ! Ma pizza !"

Sans perdre une seconde, je me levai, attrappai mon sac et courus à sa poursuite, sans faire attention aux protestations du serveur. Non mais il croyait quoi, ce gosse ? Qu'il pouvait débarquer de nulle-part, taper l'incruste et me taxer ma pizza sans avoir de comptes à rendre ? Ah non ! ça va pas la tête ?! Je courrais après le voleur et, comme j'avais de plus grandes jambes, j'ai vite fait de le rattrapper. Bon, ok, j'avoue, je ne l'aurais pas coincé aussi vite s'il n'était pas tombé sur une impasse. Là, je m'approchai de lui, le coinçant contre le mur.

"Tu permets ?"

Sans attendre sa réponse, je lui arrachai des mains la part de pizza et l'enfournai d'un coup.

"Et voilà ! Confisquée ! Nanananèreuh !" lançai-je, la bouche pleine.

Il avait l'air craintif. Les poils, le museau de rongeur, l'odeur animale. Cétait un mutant, mais pas n'importe quel genre. Un hybride, sans doute, probablement un rat ou une souris, dissimulée sous une sorte d'illusion d'optique.

"Bah ! T'en fais pas ! Je mange pas de souris, la pizza c'est meilleur !"

Hé merde ! Maudit soit les impasses ! Vermine se sentit bête quand il fut bloqué. Quel glorieux voleur il faisait ! Ne même pas arriver à fuir correctement. Lamentable… Cette décevante prestation, il la devait à sa précipitation. La ville, il la connaissait mieux en dessous qu’en surface. Tant pis, cette erreur ne devrait pas lui coûter plus qu’une part de pizza à en juger par l’attitude toujours relativement aimable de la féline.

-Un chat qui ne mange pas de souris ? Est-ce là un désir de transgression des coutumes de mère nature ? répondit Ernest qui parvint à garder un ton assuré.

Il se devait de rester digne. Hors de question de montrer une once de peur. Bon, d’accord, au fond de lui, il n’était pas très rassuré, mais mademoiselle Duval ne semblait vraiment pas être une mauvaise personne.

-De toute façon, je suis un rat, reprit-il.

Il se décala d’un pas sur le côté, jeta un coup d’œil aux alentours et constata que pour l’instant ils étaient seuls dans la ruelle. Alors, il porta sa main à sa montre pour y presser un bouton. Il le laissa appuyé pendant trois secondes. Au terme de chacune d’elles, la montre émit un petit bip. Le dernier de ces bips fut un peu plus long. Alors l’image holographique du jeune garçon se brouilla avant de disparaitre. Maëlys put ainsi voir la réelle apparence d’Ernest Lenoir. L’hybride rongeur reprit sa posture voutée bien plus adaptée à son physique bestial. Ici dans la pénombre de la ruelle, son pelage gris sombre paraissait presque noir. Quand à son regard sanglant et rusé, il lui donnait un air un peu inquiétant. A son poignet gauche, la montre bleue électrique était toujours là, mais il n’y avait plus trace des élégants vêtements. Comme à son habitude, le jeune mutant était entièrement dévêtu. De toute façon à quoi bon porter quelque chose ce soir alors que je vais m’habiller d’illusion, s’était-il dit. Le rat était aussi laid que « Timothy » était mignon. Quel terrible contraste ! L’air de rien, Vermine croisa les bras et reprit. Seule sa voix était restée inchangée.

-Merci belle amie d’avoir accepté de me tenir compagnie. Il disait cela comme s’il avait prévu d’attirer la féline. Que diriez-vous d’une balade dans un parc ? Au clair de lune, ce serait si romantique ! A moins que vous ne préfériez que je vous fasse visiter les égouts ! Charmant endroit, vous pouvez me croire.

Il resta digne, se tenant droit. Il se mit alors à tripoter sa montre, qui émit une série de bips. Je m'écartai un peu, intriguée. Il faut dire qu'avec tous les films que j'avais vus, j'avais appris qu'une montre pouvait dissimuler n'importe-quoi, laser, scie circulaire, lance-fléchettes...ou, pire, elle pouvait donner l'heure. Soudain, il y eut comme un bug graphique. L'image du garçon se brouilla avant de disparaître totalement. à la place de Tim se tenait maintenant un rat d'un mètre-dix.

"Merci belle amie d’avoir accepté de me tenir compagnie. Que diriez-vous d’une balade dans un parc ? Au clair de lune, ce serait si romantique ! A moins que vous ne préfériez que je vous fasse visiter les égouts ! Charmant endroit, vous pouvez me croire."

Je restai muette, les yeux exorbités, la bouche grande ouverte. Et puis je me jetai sur lui et le serrai dans mes bras, le soulevant de terre.

"Ouaaaaah ! T'es trop kawaï ! On dirait une vraie peluche ! C'est tout douuuuuux !!!"

Après l'avoir serré à lui faire jaillir les yeux des orbites, je finis par le reposer par terre, plus ou moins vivant.

"Bah ouais, tiens. Center Park est pas loin. On pourrait aller y faire un tour si tu veux, histoire de digérer. Finalement, j'aurais au moins gagné un repas gratuit...même si à mon avis je ferais mieux d'éviter de remettre les pattes chez Mario."

"Ah oui, désolée ! N'empêche, j'étais sûre que ton histoire c'était du pipeau, ça sentait le pipeau. Remarque, c'est ptêt pas plus mal."

Je le suivis vers le parc. Finalement je me marrais bien. En plus, j'avais pas mal de questions qui s'entrechoquaient dans ma tête.

"Et alors t'as quel âge en vrai ? C'est quoi ton vrai nom ?"

Les passants autour de nous nous regardaient bizarrement. Ils n'avaient jamais vu une fille qui se promenait avec un rat ?

"Dis, y'a un truc que j'aimerais te demander...si ça te dérange pas. C'est ta montre qui t'as donné l'apparence de...enfin...qui a caché que... ? Et elle vient d'où ?"

HRP : attention quand même à ne pas faire des posts trop court. N’hésites pas à décrire, broder ou à bousculer le scénario.

-Tu sais, les oreilles c’est comme le c**, ça se lave ! J’m’appelle Vermine, je viens de t’le dire.

Adieu les belles paroles distinguées, bonjour la vulgarité si coutumière chez l’enfant rat. Sans doute la demoiselle allait-elle regretter ce changeant mais Ernest était ainsi, le supporter demandait un minimum de self-control.

-En tout cas, c’est mon vrai pseudonyme. Mon prénom, ça te regarde pas. Et mon âge…

Instant d’hésitation. Au même moment, un passant s’était retourné sur le trottoir d’en face en apercevant l’insolite duo. C’était un jeune homme binoclard visiblement un peu timide. Le semi-rongeur, qui était en proie à un nouveau dilemme, en profita pour s’adresser à lui de son ton rien moins qu’antipathique.

-Qu’est-ce que tu regardes toi ? Files avant que j’te bouffe !

Il n’en fallut pas plus pour que l’individu disparaisse sous le ricanement du garnement. C’était un peu méchant de sa part mais il ne faisait que blaguer. Hélas, ce n’était pas forcément évident de le deviner d’autant plus qu’il savait mentir avec un indéniable talant. Il porta ensuite son attention sur deux voitures qui passèrent en trombe. Leurs phares illuminèrent les hybrides. Depuis quelques minutes, ces derniers avaient quitté la rue piétonne et s’étaient engagés dans une avenue heureusement peu fréquentée en cette heure tardive. Toute fois, Vermine se demanda tout de même s’il était bien prudent qu’il reste ainsi à découvert. Il avait déjà eu quelques soucis. Puis son esprit revint à cette fameuse question sur son âge. Pouvait-il mentir ? S’il affirmait avoir au moins 16 ans, il pourrait courtiser la féline. Hélas pour lui, ce mensonge n’avait aucune chance de berner sa « compagne ». Sa voix et l’aspect de son corps allait le trahir. Tant pis… Il fallait dire que c’était la première fois qu’il rencontrait une hybride et qu’il s’imaginait que si jamais il arrivait à avoir un jour une petite copine, ce ne pouvait être qu’une mutante de ce genre. Et puis, inutile de le nier, il trouvait Maëlys très mignonne.

-Ouais, donc j’ai 12 ans, reprit-il. Et oui, c’est ma montre qui fabrique l’hologramme. C’est une amie qui me l’a donnée. Et non, tu peux pas l’essayer. Il anticipait. Y’a tout un schmilblick à faire pour l’adapter à quelqu’un d’autre. J’ai pas envi d’me casser les couilles.

Central Park n’était plus très loin. Ernest réfléchissait déjà aux activités rigolotes qu’il pourrait proposer. La promenade au clair de lune n’aurait eu d’intérêt que s’il essayait de séduire la demoiselle or c’était à présent impossible. Au mieux, elle le trouvait « craquant » mais comme un gosse, aucun intérêt. Alors il fallait trouver autre chose…

Je fis la moue. Sous le verni de l'hologramme, Vermine semblait en fait assez grossier. ça me refroidissait un peu. Oh, je l'aurais bien envoyer ballader s'il n'était pas aussi mignon.

*De toutes façons tu te fais des idées, ma vieille. 12 ans, il a à peine l'âge d'être mon petit frère.*

"Je voulais juste savoir qui te l'a fabriquée. Je pensais..."

Et je pensais quoi au juste ? Que j'aimerais bien avoir un gadget qui me donnerait forme humaine pour sortir dans la rue ? Non ! ça allait à l'encontre du mode de vie que je m'étais créé : vivre sans me cacher, voire en affichant ouvrtement ma mutanité. Jusque-là, c'était ce que j'avais fait. Mais il me devenait de plus en plus difficile de supporter le regard des autres, quoi que j'en dise. J'avais déjà découvert que les américains pouvaient se montrer plus lourds que les français là-dessus.

"J'avais l'air à mon aise, tout à l'heure, à la terrasse de la pizzeria, non ? Ben en fait je ne l'étais pas. Chaque fois que je vois les gens, les gens normaux, je les envie. Eux ils ne sont pas dévisagés par chaque foutue personne qu'ils croisent, on ne leur jette pas des cailloux. Personne n'a l'air de comprendre que moi aussi je ressens des émotions, que je ne demande qu'à aimer et être aimée..."

Je me sentis soudain tirée en arrière. Me retournant, je vis une gamine de 6 ans qui tirait sur ma queue.

"Dégage, morveuse !"

La gamine me lâcha et alla se réfugier en pleurant dans les jupes de sa mère, qui me toisa d'un regard agressif.

"Je ne sais vraiment pas si je voudrais avoir un jour des enfants. C'est vrai qu'ils sont chiants. Et puis, à quoi ressembleront-ils ? C'est sûr, j'aime bien être comme ça, mais j'aimerais bien un break de temps en temps, pouvoir faire mes courses comme une fille normale sans que tous les gosses viennent me tirer la queue, que leur mère me frappe à coups de parapluie quand je les engueule et sans passer une heure à la caisse parce que la caissière est allergique aux poils de chat. Tu as de la chance d'avoir cette montre."

Nous arrivâmes enfin au parc, par chance il ne semblait pas y avoir beaucoup de monde...en tout cas il n'était pas l'heure où les gens promennent leur abruti de clébard qui n'est pas capable de faire la différence entre moi et un chat.

"Et tu vis où ?"

"En fait, je crois que je joue un rôle, dans ma vie. Plus j'y réfléchis, plus je me rends compte que ce n'est pas de moi cette moquerie d'autrui et cette impertinence face aux gens qui me détestent pour ce que je suis. ça vient de mon frère. Lui n'a jamais eu peur de montrer à tout le monde qui il était vraiment, et m'a toujours incité à en faire autant, mais finalement je ne me suis mise à l'imiter qu'après sa mort. En même temps, il était plus fort que moi, lui pouvait se défendre et supporter le poids des brimades. Au début je croyais pouvoir en faire autant, mais je crois que je commence à craquer."

C'était vrai. Léo m'avait laissée avec des armes pour me défendre mentalement contre les agressions des autres, mais pas les notices pour les utiliser. Il était décidément parti bien trop tôt.

"Les X-men ? ça me rappelle quelque chose. Ah oui ! J'ai rencontré un type qui m'en a parlé, et ça avait l'air bien. Un certain Logan, je ne sais pas si tu le connais."

Je continuai à marcher, lentement, de ma démarche féline qui aurait fait tomber bien des mecs s'ils n'avaient pas aussi peur des mutants. Le crissement des graviers sous mes pattes avait quelque chose d'apaisant. D'une certaine façon ça me prouvait que j'existais bien, que je n'étais pas qu'un fantôme que les gens préfèrent ignorer en attendant qu'il passe son chemin.

"Dis… heu… tu, tu me trouve vraiment mignon ? Tu serais bien la seule. Le rat, c’est pas franchement le truc classe. Au moins, un chat, c’est super élégant."

Je ris. Je sentis aussi mes joues s'empourprer un peu, mais grâce à ma fourrure ça ne se vit pas.

"Y'a pas que l'apparence brute de pomme, ce que j'aime bien aussi, c'est ton air de gamin. Je suis encore une gamine dans ma tête et je crois que je ne peux bien m'entendre qu'avec des gens qui ont aussi su rester jeune...oui qui le sont vraiment."

Comme nous approchions d'une pièce d'eau, je ramassai un caillou et le lançai aussi loin que possible. il décrivit un grand arc avant de crever la surface liquide avec un petit "PLOUF".

Imitant la féline, Vermine saisit un caillou et essaya de le lancer plus loin encore. L’effort qu’il fournit pour parvenir à ses fins fut tel qu’il lui arracha un grognement. Ha, l’envie de gagner, elle poussait à tant de choses ! Le caillou alla loin en effet, saut que sa mauvaise trajectoire le fit choir hors de l’eau.

-Ha… ha… j’l’ai fais exprès, déclara le rat, un peu embêté. C’est bien que t’apprécies les jeunes. On va bien s’entendre alors.

Il observa un instant Maëlys. Sa gracieuse silhouette se découpait sur le paysage nocturne du parc. Et elle était française, avait-elle dit… Tant de romantisme attaché à ce pays. Le garçon, une nouvelle fois, se maudit d’être aussi jeune. Les idées qui lui trottaient dans la tête avaient de quoi être embarrassantes. Et s’il continuait à les avoir, elle le deviendrait plus encore si bien qu’il serait contraint de se dissimuler derrière son hologramme. Quelle idée aussi de se balader à poil ? Il se jura que c’était la dernière fois.

J’suis vraiment trop con, se dit-il en s’efforçant de vite trouver une activité distrayante.

-Hum… ça te dit un petit concours de natation ? proposa-t-il « innocemment ».

Intérieurement, il s’insulta de tous les noms. Il commença à danser d’un pied sur l’autre sous l’effet d’une gêne croissante tout en évitant à présent de regarder la demoiselle. Son imagination, toujours très active, était aussi facile à arrêter qu’un train lancé à plaine allure et dont les freins avaient rendu l’âme.

-Ça nous rafraichira, ajouta-t-il.

Notons qu’en cette nuit, la température était très loin d’être caniculaire. Il faisait tout juste bon. Un vent frais faisait chanter les feuilles des arbres et chassait la modeste chaleur du jour passé. Oui, décidément, cette proposition de baignade était totalement ridicule. Il fallait vite trouver autre chose de moins suspect car évidement, derrière cette activité, ce n’était pas la compétition que le garçon cherchait. Toute fois, il ne put s’empêcher d’attendre la réponse. Peut-être qu’un miracle arriverait ; peut-être que la joli féline ne verrait pas clair dans son jeu d’adolescent précoce. L’espoir fait vivre…

Je réfléchis. Le soleil couchant jetait des reflets oranges sur la surface clapottante de l'eau. C'était tentant. Il ne faisait pas une chaleur étouffante, pour une nuit d'été, mais il ne faisait pas non plus trop froid pour que je n'aie pas envie d'un petit rafaîchissement.

"Bonne idée."

Je m'avançai jusqu'au bord de l'eau et trempai le bout de mes pattes. Puis j'entrai dans le lac. Ce faisant, je me retournai face à Vermine pour lui tirer la langue dans le plus pur style "gamine qui s'assume et qui s'en fout".

"Et ouais ! C'est pas vrai que les chats aiment pas l'eau ! J'espère juste qu'on va pas se faire engueuler."

Je m'avançai, l'eau m'arriva aux genoux, puis à la taille. Des bulles d'air gonflèrent ma robe avant de s'achapper par mon décolleté. Je plongeai alors et nageai un peu.

"Mmmmh ! Elle est bonne ! Allez, viens vite."

Je fis un peu de crawl, puis plongeai sous l'eau une fois que je fus à un endroit suffisament profond. Je tendis le bras pour toucher le fond vaseux, puis remontai. C'est vrai qu'en me voyant on ne le croirait pas, mais j'adorais nager. Je me laissai flotter et regardai Vermine faire.

Le soudain enthousiasme du garçon suite à l’inattendue réponse de la féline fut bref. En effet, la femme-chatte n’havait pas hésité à aller dans l’eau mais elle y était allée habillée. Zut alors, c’était raté. Au moins, Vermine pouvait se féliciter que ses intentions n’aient pas encore été découvertes. Quelle ironie. Des deux hybrides c’était le plus jeune le moins naïf, le plus adulte dans le mauvais sens du terme. Il fallait dire que l’univers de l’enfance, il n’y avait guère goûté. Alors qu’il était encore humain, il s’était très tôt retrouvé avec de lourdes responsabilités, à savoir être digne du nom qu’il portait. Etre le fils d’un père aussi richissime que strict avait de quoi pousser à une maturité rapide. Bien sûr, l’enfant gardait toujours un pied dans l’imaginaire, dans le rêve, ses rôles en découlaient ; mais sa nouvelle vie solitaire et son besoin de transgression l’avaient incité à s’intéresser à des choses de grandes personnes. En premier lieu, il avait développé un goût certain pour l’alcool. Ensuite, il lui était arrivé de livre et visionner des œuvres héroïque, vois pornographique. Comment ne pas être influencé, comment ne pas avoir envie de tester ? A force de vouloir s’éloigner du droit chemin, Ernest y arrivait. Heureusement, son arrivée prochaine à l’Institut l’empêcherait sans doute de sombrer dans la décadence.

-Il faudra bien qu’elle se sèche, marmonna-t-il en enlevant sa montre.

Celle-ci n’était pas conçue pour aller sous l’eau. Il la cacha donc dans un buisson avant de se jeter dans le lac. Il le fit en prenant de l’élan et en baudissant aussi loin que possible. Son atterrissage peu harmonieux éclaboussa Maëlys. C’était bien là l’objectif. Une fois submergé, le rat se mit à nager. Profitant de l’impulsion de son arrivée, il s’amusa à passer entre les jambes de la chatte pour se retrouver derrière elle. Là, il sortit la tête de l’eau et dit :

-Coucou belle demoiselle !

Son ton était redevenu celui de « Timothy l’élégant ». Il commença à s’éloigner et poursuivit ce qui devenait une prose poétique.

-Vous et ce lac… savez-vous que l’ardente lueur du crépuscule naissant enflamme votre soyeux pelage ? Savez-vous que votre élégance féline fait honneur à ce parc ? Le soleil vous salut de mille reflet d’or. Et vous, divine sirène, dansez dans cette mer de feu ! Tremble Joconde car j’ai là sous mes yeux celle qui te détrônera ! C’est au Louvre mademoiselle Duval qu’on vous admirera si d’aventure un peintre venait à immortaliser votre merveilleuse image.

Oui, Vermine en faisait trop mais peu importait. Il se laissait aller en nageant paisiblement à son rythme. De là où il était, il voyait l’eau s’embraser sous les dernière lueurs du jour et, au milieu de se spectacle, se trouvait la silhouette sublimée de la féline. C’était bien assez pour exciter son imaginaire.

Vermine plongea. Il m'éclaboussa, le salaud ! Puis il nagea, je sentis sa fourrure passer entre mes jambes.

"Coucou belle demoiselle ! Vous et ce lac… savez-vous que l’ardente lueur du crépuscule naissant enflamme votre soyeux pelage ? Savez-vous que votre élégance féline fait honneur à ce parc ? Le soleil vous salut de mille reflet d’or. Et vous, divine sirène, dansez dans cette mer de feu ! Tremble Joconde car j’ai là sous mes yeux celle qui te détrônera ! C’est au Louvre mademoiselle Duval qu’on vous admirera si d’aventure un peintre venait à immortaliser votre merveilleuse image."

Je rougis de plus belle sous mes poils. J'enfonçai brutalement la tête sous l'eau pour que l'enfant-rat ne me voie pas glousser comme une idiote. Cette fois-ci plus de doute : il me draguait. C'était mignon. J'aimais bien le romantisme, nous sommes très vieille France dans la famille, mais j'avais un peu peur que ça vire "Les feux de l'amour". Enfin, c'était déjà ça qu'il ne s'appellait pas Jason. Et puis même s'il n'avait pas vraiment l'air d'un prince charmant, je n'étais n'avais moi-même rien d'une princesse. Tout de même, la Joconde ! Comment lui dire qu'une fois j'avais été abordé par un publicitaire qui m'avait proposé d'utiliser ma photo pour une marque de bouffe pour chat. Bien sûr, j'avais acueilli sa proposition avec une beigne bien sentie.
Je remontai à la surface en reprenant bruyament mon souffle. Je fis comme si je n'avais pas entendu les avances de vermine. peut-être croirait-il que j'avais eu de l'eau dans les oreilles et que je n'avais pas entendu qu'il me parlait.

"Bon. On sort ? J'en ai un peu marre."

Je sortis de l'eau, dégoulinante comme une serpillère. Je m'ébrouai, puis essorai ma queue en la tordant entre mes mains. Par contre, pour la robe ça allait être plus compliqué. j'avais beau être couverte de fourrure, je détestais le contact des vêtements mouillés. J'eus soudain une idée, et l'ombre d'un sourire de sphinx se dessina sur mon visage.

"Viens. Il y a une laverie pas loin d'ici. Je pourrais sécher ma robe. Euh...ouais...tu devrais quand même mettre quelque chose quand tu sors."

Et je l'entraînai hors du parc, direction la laverie, en tentant d'ignorer les curieux.