Du hast (Ernest Lenoir)

Maëlys n'aimait pas les égouts. Sales, sombres, puants, remplis de microbes et de bestioles répugnantes, c'était l'un des derniers endroits où elle aurait aimé être. Mais pour celui qu'elle aimait, elle était prête à tout. Car, comme à son habitude, Vermine avait encore disparu. Il était à peine revenu de prison et avait réintégré l'Institut, Maëlys avait été aux anges ce jour-là. Elle avait pu lui annoncer qu'elle était enceinte, et ils avaient pris la décision de ne pas garder le bébé. Maëlys était prête à bien des sacrifices pour son aimé. Elle était allée se faire avorter dans la semaine qui avait suivi, Vermine l'avait accompagnée et elle avait pu compter sur son soutien. Après ça, la vie avait repris son cours normal. L'institut, Ernest, les cours, Ernest, les amis, Ernest, de bonnes nouvelles de Léo, Ernest...
Et puis un jour, Ernest avait disparu. Maëlys ne s'était pas inquiétée tout de suite, elle savait son amant volatile, et s'était dit qu'il avait eu quelque chose à faire en urgence. Elle l'avait attendu, mais il n'était pas rentré. Elle aurait voulu demander de l'aide. Mais Vermine étant recherché, mieux valait ne pas prévenir la police, et Xavier n'avait pas d'effectifs à mettre à la recherche de l'enfant-rat, que tout le monde soupçonnait d'avoir fugué. Ni une ni deux, la fille-chatte avait enfilé son sac à dos et était partie seule à la recherche de celui qu'elle aimait.
Aujourd'hui, elle en était à son quatrième jour de recherche. Elle était bien organisée. Quelques jours auparavant, elle avait reçu sa commande d'une boutique de chaussures spécialisées dans les modèles personnalisés : une paire de doc-Martens spécialement adaptées à ses pattes digitigrades, ce qui n'était pas du luxe pour traverser les égouts. Dans son sac, elle avait de la nourriture, une trousse de secours, et d'autres ressources qui pouvaient lui être utiles dans ses recherches. Elle s'était même procuré une arme à feu dans le Bronx. Elle se doutait bien que la disparition d'Ernest n'était pas une fugue, il avait encore été kidnappé. Cette fois, elle serait là, elle serait prête à affronter les ravisseurs.
ça faisait déjà près d'une heure que Neko errait dans les égouts de New York, fouillant une à une toutes les planques de Vermine qu'elle connaissait dans le coin, et même les coins qu'elle ne connaissait pas.

Maëlys venait de fouiller encore une ancienne cachette de l'enfant-rat (facilement reconnaissable aux livres de fiction et aux cadavres de bouteilles entassés), quand elle entendit comme un sifflement. Elle n'y fait d'abord pas attention, pensant que c'était l'écho d'une chasse d'eau venant d'au loin. Son ouïe était largement supérieure à celle d'un être humain, alors il lui arrivait souvent d'entendre des bruits parasites, surtout en ville. Mais alors qu'elle avançait, le bruit se rapprochait, et il devenait de plus en plus flagrant que c'était bien un sifflement joyeux. Partant de là, il n'y eut qu'un pas à faire pour que la fille-chatte reconnaisse ce sifflement. C'était celui d'Ernest ! Ce sifflement qui avait toujours résonné de façon mélodieuse dans sa tête, comme étant annonciateur de choses positives. La première chose que pensa Maëlys fut : *C'est Vermine !*. La deuxième fut : *Il est ici !*. Et il ne lui en fallut pas plus pour se mettre à courir en direction du sifflotement. Les semelles de ses chaussures martelèrent le sol mouillé, elle glissa plusieurs fois et ne dût qu'à son agilité féline de ne pas s'étaler de tout son long.
Tout en courant, elle réfléchit encore et se dit : *S'il sifflote de façon aussi joyeuse, c'est qu'il doit aller bien.*, puis : *Alors il n'a pas été enlevé. Je me suis fait du souci pour rien. Tout va bien !*. Elle ralentit un peu, et arriva bientôt devant l'être aimé.

-Ernest !

Il avait l'air bien portant. Pas de blessures apparentes, pas de signes d'amaigrissement ou de maladie, il était même aussi propre que lorsqu'ils s'étaient retrouvés à l'Institut. Par contre, il portait des vêtements verts qu'elle n'avait jamais vus. Sans doute les avait-il achetés. Bah ! De toutes façons, tout ce qui comptait c'était qu'il soit en bonne santé, alors après ça il pouvait bien décider de s'habiller en haricot vert, elle s'en moquait !
Ne pouvant se retenir plus longtemps, elle s'abaissa et prit Vermine dans ses bras pour le serrer contre elle en ronronnant. Maintenant qu'elle l'avait retrouvé en bon état, elle ne regrettait pas d'avoir enfilé son minishort bleu, qui plaisait tant à son amour. Comme ça, sa tenue était assez fonctionnelle pour qu'elle puisse crapahuter dans les égouts, et assez élégante pour qu'en la retrouvant Vermine ne regrette pas sa geôle.

-Tu m'as manqué ! J'ai eu si peur qu'il te soit arrivé quelque chose.

Le sourire de Neko s'effaça un peu plus à chaque phrase de Vermine. Elle le reposa et le regarda d'un air surpris. Elle crut d'abord à une mauvaise blague, mais l'enfant-rat n'avait pas l'air de plaisanter, et elle ne lui connaissait pas un aussi mauvais goût pour les blagues.

-Attends, comment ça ? Tu ne te souviens pas de moi ? Maëlys. Je suis ta...

...Sa petite amie. Non, elle n'arrivait pas à le dire. Il lui semblait que son cœur dégringolait dans sa poitrine. Le seul garçon qu'elle aimait ne se souvenait même pas d'elle, de tout ce qu'ils avaient vécu ensemble. Et ça n'aurait sans doute pas été aussi douloureux s'il n'avait pas dit tout ça sur un ton aussi léger, comme s'il s'en moquait. Une larme coula sur sa joue. Recommencer à zéro, qu'il disait. Mais ce n'était pas possible ! Pas après tout ce qu'il s'était déjà passé depuis leur toute première rencontre... Elle tomba à genoux, juste à la hauteur de l'enfant-rat.

-Ernest...Vermine...mais qu'est-ce qu'il t'ont fait ? Comment ont-ils réussi à te faire oublier tout ce qu'on a fait ensemble ? Ils t'ont drogué, ou quoi ?

Vermine semblait différent, plus calme, plus posé. On aurait dit qu'il avait fumé de la marijuana, sauf que Neko savait que les drogues n'avaient pas effet sur lui. En fait, ce changement-là ne lui déplaisait pas, mais la seule idée que son amour ait oublié tout ce qu'il ressentait pour elle (s'il avait jamais ressenti quelque chose) lui était trop insupportable pour lui permettre de voir le moindre aspect positif à la chose. Elle ressentit même comme une colère égoïste en constatant que si Vermine l'avait oublié, il ne semblait pas s'en porter plus mal (même si c'était logique, puisqu'il ne pouvait pas regretter quelque chose dont il avait tout oublié).

Neko se laissa consoler. Ça faisait du bien de retrouver un peu de tendresse chez Vermine, même si c'était encore trop peu en comparaison de ce qu'il lui avait déjà offert avant sa disparition. Au moins, elle n'aurait pas réellement à repartir de zéro.

-D’après ce qu’on ma dit, mon trouble mémoriel est dû à un malmenage psychique provoqué par un télépathe. Si l’occasion m’est donné de le retrouver, je ne manquerais pas de lui rendre la monnaie de sa pièce. Cependant, cela risque d’être long. J’ignore tout de lui.

C'était donc ça, un télépathe. Évidement, quand quelqu'un se mettait à se comporter bizarrement, il ne fallait pas chercher bien loin pour trouver la cause. Après, ça n'aidait pas beaucoup Neko à savoir qui étaient les responsables. Il y avait tant de personne qui en voulaient à Vermine, pour l'altérium. Personnellement, elle ne voyait pas vraiment pourquoi le poison de l'enfant-rat intéressait tant de gens. Elle-même y avait déjà été exposée, et ça n'avait pas fait grand chose à part la changer en...ben...en poisson-chat...

-Attends un peu que je lui mette la main dessus à celui-là, et c'est moi qui vais lui faire payer. Personne n'a le droit de te faire du mal, tu m'entends ?
-Vous deviez bien me connaitre. Vous êtes ma grande sœur ?

Neko s'arrêta net, regardant Vermine d'un air médusé. Puis soudain elle éclata de rire et serra Ernest dans ses bras. C'était dramatique, mais finalement mieux valait en rire qu'en pleurer.

-Oh, décidément, ils ne t'ont pas changé tant que ça. Non, je suis ta petite amie ! La seule !

Non, décidément ça n'allait pas, il fallait qu'elle lui fasse retrouver la mémoire.

-Je te jure que je tuerais de mes mains le salaud qui t'as fait ça ! Est-ce que tu sais pourquoi il t'as lavé le cerveau ? Pour qui il travaillait ? Est-ce qu'il était avec cette horrible sorcière de Morgane, ou cet empaffé de Phobos ? Ou alors il était de ces connards de la Confrérie ?!

La liste était longue, Neko enrageait de se sentir aussi impuissante face à tous ceux qui voulaient faire du mal à l'amour de sa vie.

Ernest se garda bien de relever la remarque sur la confrérie. Il nota simplement, dans un coin de sa tête, que la demoiselle n’était pas du même bord que lui. Voilà qui était… regrettable. Dans quel camp se trouvait-elle alors ? En avait-elle choisi un ? Suivait-elle les préceptes ridicules de Xavier ? Ou avait-elle au moins eu la bonne idée de rester neutre dans cette histoire ? Vermine devait savoir. Car évidement, ce détail était d’importance.

Et quand était-il de son passé oublié ? Cette personne semblait très bien le connaitre. Pour combler un temps soit peu le trou de l’oubli, il suffisait de poser nombre de questions. Presque trop facile. En même temps, tout ceci pouvait n’être qu’un coup monté. Se jouer de lui, vu son amnésie, était plus qu’aisé s’il ne prenait pas quelques précautions. Et des précautions, justement, il en prenait. Croire sur parole était un luxe qui ne lui était plus permis. Il devait tout vérifier ou alors, plus simple, tout ignorer.

Selon les dires de la féline, celle-ci était sa petite amie. Etrange. A en juger par son apparence, elle avait bien 5 ou 6 ans de plus que lui. Si dans l’absolu ce n’était pas grand-chose, le faussé de l’adolescence creusait cet écart jusqu’à le faire ressembler à un gouffre. Et puis, qu’entendait-elle par petite amie ? Une relation infantile, un jeu ? Ou quelque chose de plus profond ? De l’amour ? Intérieurement, l’enfant-rat sourit. Aucune hypothèse ne collait. Si ce n’était qu’un jeu, il était dans son juste rôle de préadolescent mais elle, du coup, faisait preuve d’une navrante immaturité. Si c’était plus que ça, il était décidément très précoce et elle, à la limite de la pédophilie. Alors, était-il face à une gamine, face à une vicieuse, face à une menteuse, face à son amour oublié ?

-Ma petite amie ? reprit-il, laissant volontairement transparaitre sa perplexité.

Pour la seconde fois, il s’était dégagé. Il prit suffisamment de distance pour ne plus être à porté de bras. Mais il continuait de se montrer très aimable. Son calme était olympien.

-Vous me surprenez. Vous êtes si grande par rapport à moi. J’ai du mal à concevoir ce que vous affirmé. Toutefois, vos paroles m’aide à mesurer à quel point mon amnésie est conséquente. J’ignore même qui j’ai été et si je suis le même. Dites-vous, pour l’anecdote, qu’on a dut me réapprendre mon âge sinon j’aurais été incapable de le déterminer avec précision. Au moins, je n’ai pas oublié mon prénom, c’est déjà ça.

Il se mit à rire, un rire léger. Il était vraiment amusé.

-Concernant l’aide que vous me proposé, je prends notes. Je n’ai hélas pas grand-chose de plus à vous apprendre sur ma mésaventure. Et je ne tiens pas particulièrement à m’étendre sur le sujet. Parlez-moi plutôt de vous.

[i]Il s’intéressait à la mutante et, curieusement, uniquement à elle, pas à ce qu’elle savait de lui. Encore une fois, il n’avait pas la preuve qu’on lui racontait la vérité. Ensuite, il n’était même pas curieux d’aborder le domaine.

Neko se retint à grand peine de hurler son désespoir. Elle avait bien compris que Vermine ne la croyait pas. Pensait-il qu'elle pouvait essayer de le duper pour lui faire du mal ? Cette pensée lui était insupportable. Il était là, il riait gaiement, mais chaque mot qu'il prononçait était un coup de poignard dans le cœur de la fille-chatte.

-Concernant l’aide que vous me proposé, je prends notes. Je n’ai hélas pas grand-chose de plus à vous apprendre sur ma mésaventure. Et je ne tiens pas particulièrement à m’étendre sur le sujet. Parlez-moi plutôt de vous.

Neko soupira. Au moins, il lui laissait une chance de s'expliquer. Il avait toujours fait plus mature que son âge (c'était d'ailleurs pour ça qu'il s'était amouraché d'une fille 5 ans plus vieille que lui), mais là il était encore plus adulte, quelque part c'était effrayant.

-Bien. Je vais te dire tout ce que je sais, et si tu as des questions j'y répondrais honnêtement. Mais par pitié, arrête de me vouvoyer ! Venant de toi, ça me fait vraiment de la peine.

C'est vrai, quoi. Se faire vouvoyer comme une inconnue par un garçon qu'on aimait, ça faisait mal au cœur.

-Je m'appelle Maëlys Duval, j'ai 20 ans, je suis française, je suis venue aux États-Unis pour faire des études en Cinéma Audiovisuel. On s'est rencontrés sur la terrasse de la pizzeria "Chez Mario". à ce moment-là, tu avais une montre holographique qui te faisait apparaître sous les traits d'un humain de six ans. Tu m'as abordée, on a discuté, et tu en as profité pour avaler la moitié de ma pizza. Bien sûr, je t'ai capté tout de suite à ton odeur. On a continué à se voir après, tu m'as même déjà mordue...par accident. Au début, je pensais qu'on resterait juste amis, j'étais un peu rebutée par ton jeune âge. Mais tu as insisté, et on a fini par se mettre ensemble. Je t'ai offert mon corps plusieurs fois. C'est toi qui m'a appris à me foutre complètement du regard que les gens "bien pensants" pouvaient porter sur nous. On est sortis ensemble, tu as rencontré mon frère par pur hasard alors que je le croyais mort, tu m'as sauvée d'un studio de snuff-movie. Tu t'es fait capturer plusieurs fois par des gens malintentionnés depuis que je te connais, et à chaque fois j'étais là pour te consoler et t'aider à te remettre. Si tu savais tout ce que tu as oublié, tu comprendrais à quel point ça me fait de la peine.

Elle essayait de lui en dire autant que possible, espérant l'aider à retrouver la mémoire. Parallèlement, elle évitait d'aborder les sujets douloureux qui risqueraient de le braquer. Elle fit donc l'impasse sur le bébé, et d'autres sujets qui avaient tendance à énerver Vermine.

-Si tu veux des détails, des anecdotes faciles à vérifier qui pourront te prouver que je dis vrai, j'en ai plein mon sac, tu n'as qu'à demander. Tout ce que je veux, c'est que tout redevienne comme avant.

Enfin...pas tout quand même. Par son amnésie, Vermine semblait avoir pu surmonter certains de ses vieux démons et ça le rendait visiblement plus serein. L'idéal serait de trouver un compromis entre les choses dont il devait se souvenir et celles qu'il valait mieux qu'il oublie.

Ernest, désormais nonchalant, écouta le récit de Neko comme s’il avait s’agit d’une histoire quelconque, certes intéressante, mais sans dimension particulière. Il s’était adossé à l’un des murs humides de la galerie. Il marqua un léger sourire à l’évocation du smuff mouvie. Il essayait de s’imaginer la scène. Quand il s’exprima, cependant, il préféra rebondir sur un autre élément.

-Très intéressant, commença-t-il, toujours avec calme. Et peut-être même, qui sait, instructif. Mon existence passée n’a pas l’air d’avoir été rose tous les jours. Je trouve peut-être en tes mots la raison de mon œil crevé, des 47 cicatrices qui ornent mon corps et de l’état lamentable du bout de ma queue.

Disant cela, il attrapa d’une main sa queue et se mit à jouer avec. Concernant ces cicatrices, oui, il était allé jusqu’à les compter et il était à peu près certain d’en avoir oublié aucune, malgré son pelage qui les camouflaient bien. Il finit par se redresser et continua.

-Je veux bien entendre tes anecdotes faciles à vérifier, mais en marchant. J’ai une balade à terminer . Tu me suis ?

Il n’attendit pas la réponse et commença à s’avancer dans la galerie. Sa diplomatique amabilité ne cachait pas le fait qu’il ne se souvenait de rien et qu’il considérait la demoiselle comme une parfaite inconnue. Il ne se sentait pas spécialement obligé de faire des efforts particulier, pas pour l’instant tout du moins. En son esprit, il ne pouvait s’empêcher d’échafauder des choses. Cérès pourvoyait à l’alcool, pas au sexe. Il y avait certainement là une façon de se rattraper. Bien sûr, il ne faut surtout pas confondre sexe et amour.

HRP : désolé, un peu court. Mais la situation s’y prête puisqu’on discute.^^

Neko suivit Ernest, un peu rassurée. Il se mettait enfin à la tutoyer, elle y voyait là une chance de le rapprocher d'elle. On aurait juste pu rêver mieux comme endroit pour une promenade, mais qu'importe ! La balle était dans son camp, et on pouvait lui faire confiance pour saisir l'opportunité.

"Tu veux des anecdotes ? Et bien je vais t'en donner, moi ! Déjà, en ce qui concerne notre première rencontre, tu peux aller voir chez Mario, ils se souviennent sans doute encore de nous, vu qu'on est partis sans payer. Après on est allés se baigner dans le lac de Central Park...et on l'a fait encore plusieurs fois par la suite. Une fois, tu m'as mordue par accident, et ça m'a temporairement transformée en poisson-chat. Sur le coup tu t'es bien marré, et donc, retour à Central Park. Et après ça, c'est dans la même soirée que j'ai découvert que je transformais les gens en chats quand je les mordais. En rentrant chez moi, on s'est enfilé une bouteille de saké avant de...passer aux choses sérieuses. Et puis il y a la fois où on a fêté ton anniversaire. On a fait un paintball (et je t'ai mis une branlée), je t'ai donné un bain, parce qu'à l'époque tu étais vraiment crade. Après, on est sortis en ville, on a remporté la deuxième place d'un concours de karaoké en chantant sur du Camelia Jordana. Sis, si ! Je te jure !"

Les souvenirs heureux s'entrechoquaient dans sa tête, il y avait tellement de choses à raconter, difficile de tout synthétiser.

"Un truc marrant, c'est que mon frère a disparu en Afghanistan il y a quelques années, mais bizarrement il a refait surface ici, à New York. Et alors tu as fait sa connaissance peu après qu'on se soit mis ensemble, mais sans savoir que c'était mon frère. Vous avez fait quelques magouilles ensemble, d'ailleurs j'ai cru comprendre que c'était là que tu avais perdu ton œil. Rhôlàlà...il nous a fait une scène quand il est tombé sur nous par hasard dans un resto, en train de nous embrasser."

Elle savait qu'il y avait toujours eu un peu de tension entre Léo et Ernest, mais elle préférait tout de même inclure son frère dans le récit ou bien l'histoire n'aurait pas été complète.

"Et puis je me suis fait kidnapper par des connards qui voulaient m'utiliser dans un snuff movie, Death Mask production. J'ai bien cru que j'allais y passer, le type avait déjà commencé à m'entailler alors que les autres se branlaient derrière leur caméra. Et puis vous êtes arrivés, toi et Léo, armés jusqu'aux dents, et vous avez massacré tout le monde. C'était épique."

L'incident DMP avait été un vrai tournant, après ça Maëlys était obligée de mûrir, ou elle en serait morte.

"Après, j'ai eu une période de grand vide. Et c'est pendant cette période que tu as été arrêté par le BAM. Je ne connais pas tous les tenants de l'affaire, mais à ce qu'il paraît tu as été piégé par une vieille salope du nom de Morgane. Celle-là, si jamais je la coince... Enfin, normalement tu en avais pris pour perpette, mais tu as réussi à t'évader. En apprenant ça, j'ai réussi à te retrouver à Central Park, encore. J'ai plaidé ta cause auprès du professeur Xavier, et il a accepté de te reprendre à l'Institut. Parce que oui, tu étais à l'institut, avant même que je n'y arrive, c'est même toi qui m'as convaincue d'y aller. Quand on s'est retrouvés, on était tellement heureux et on s'était tellement manqués qu'on a un peu...perdu les pédales. Bon, en fait, pour tout dire, on a fait l'amour perchés sur le lustre géant du hall d'entrée, le jour de l'inspection des services de l'enfance. Franchement, tu conviendras que ce genre de truc ça ne s'invente pas."

Effectivement, Ernest s’était remis à tutoyer Neko. Mais il ne l’avait fait que parce qu’elle le lui avait demandé. La diplomatie, toujours la diplomatie… Tout en marchant, il écouta le récit de la demoiselle. Cependant, il n’y porta pas une entière attention. Il se sentait comme obligé d’aborder la chose avec détachement. Curieuse réaction qu’il ne manqua pas de constater. Se sentait-il plus impliqué, au fond, qu’il ne voulait le laisser croire ? Il se jurait que non pourtant. Pas une seule fois l’ombre d’un souvenir lui revint. Pire encore, il peinait à se reconnaitre dans les mots de la mutantes. Avait-il donc tant changé que ça ? Fouiller son passé, combler le vide de l’oubli, cela ne l’intéressait pas et c’était sans doute là qu’il fallait chercher la cause de son détachement qu’il tenait à conserver. Mais il s’interrogeait sur celui qu’il était à présent. Il observait la demoiselle, il essayait d’imaginer que c’était bien sa petite amie. Il n’y arrivait pas. Elle semblait sympa, son physique n’était pas déplaisant, la perspective de se retrouver dans son lit ne le dérangeait pas, bien au contraire, mais de là à l’aimer… Non quoi ! Elle n’était certainement pas banale, mais des filles peu banales il y en avait tout de même plusieurs centaines rien qu’à New York. En plus, il avait Cérès et niveau sentimental, ça lui suffisait amplement.

-En voilà une belle histoire, fit-il avec son calme immuable. Ton récit n’a pas l’air absurde.

Il avait autant de mal à s’imaginer à l’Institut que d’aimer Neko mais il passa se détail sous silence. Inutile de crier sur tous les toit à quel point il était fidèle à la Confrérie.

-Je vérifierais tout ça. Mais avant cela, puisque tu es sensé m’avoir mis une branlé au Paintball, on va peut-être procéder à la revanche. Qu’en dis-tu ?

Disant cela, l’enfant-rat sortit de l’intérieur de son veston deux pistolets. Inutile de préciser qu’ils n’avaient rien de reproductions. Il tendit une arme à la mutante. Il souriait. Qu’avait-il donc derrière la tête ?

Ernest n'avait pas l'air de croire à ce que venait de lui raconter Neko, cette constatation la chagrina. Visiblement, ça allait être très long et fastidieux. Il était vrai que toutes ces anecdotes n'étaient pas ce qui se faisait de plus crédible. Pourtant, aussi déjanté que ce soit, c'était la stricte vérité.

-Je vérifierais tout ça. Mais avant cela, puisque tu es sensé m’avoir mis une branlé au Paintball, on va peut-être procéder à la revanche. Qu’en dis-tu ?
-Ah, ça je ne dis pas non ! On va au... ?

Neko pensait que Vermine lui proposait d'aller au terrain où ils avaient disputé ladite partie de paintball. Mais, loin de se mettre en marche, l'enfant-rat sortit deux flingues de sa veste et en tendit un à Maëlys. La fille-chatte le prit, intriguée. D'abord elle pensa qu'il voulait faire la partie de paintball ici même, et se dit que le terrain n'était peut-être pas très bien choisi. Et puis en regardant l'arme de plus près, et à la lumière de ce que lui avait appris son militaire de frangin, elle vit que c'était un vrai, un Glock 17C chambré en 9mm.

-Mais...

Elle retira le chargeur, s'attendant à trouver des balles de peinture, ou à blanc, mais la vue des ogives chemisées métal, son cœur rata un battement.

-Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse avec ça ?

-Quoi ?!

Neko n'en revenait pas. Vermine lui proposait vraiment de se tirer dessus à balles réelles, au risque de s'entretuer. Non, il ne pouvait pas être sérieux ! Le Vermine qu'elle connaissait, bien qu'inconscient, n'aurait jamais proposé un tel jeu, et encore moins considéré ça comme un jeu. Maëlys savait très bien se servir d'une arme, elle en avait d'ailleurs pris une avec la sérieuse intention d'en découdre avec les ravisseurs de son amour, mais jamais elle ne pourrait envisage de tirer sur Ernest.

-Non ! Ça ne va pas ! Je refuse ! Il y a tout un paquet de personnes à qui je rêverais de faire avaler leur bulletin de naissance, mais je ne pourrais jamais te tirer dessus. Non mais tu ne vois pas qu'on pourrait se tuer ?!

Elle l'engueulait comme un gosse qui aurait joué avec un briquet. L'idée que Vermine soit amnésique au point d'être prêt à la blesser ou être blessé par elle la mettait hors d'elle. Après tout, depuis qu'ils se connaissaient elle n'avait cessé de prendre sur elle pour éviter que Vermine se fâche, mais maintenant c'était à elle de péter un câble. Elle avait bien une idée de ceux à qui elle aimerait destiner les balles de ce pistolet, mais en tout cas vermine n'en faisait pas partie. Furieuse, elle éjecta le chargeur du Glock et le lança aussi loin qu'elle le pouvait.

-Je refuse de jouer à ton jeu stupide ! Joues-y seul si tu y tiens, et tues-moi. Je préfère mourir plutôt que risquer de devoir vivre sans toi !

Ernest, en voyant faire Neko, éclata de rire. Point de méchanceté, ni de sarcasme, juste de l’amusement. Elle semblait vraiment amoureuse de lui. C’en était presque embarrassant. En revanche, les mots de la chatte sonnaient aux oreilles de l’enfant-rat comme de mauvaises répliques tirées d’un roman à l’eau de rose. Elle devait exagérer. Ou alors, l’amour, la colère, la rendait un peu bête. C’était regrettable… Alors qu’il riait, Vermine ne visait plus rien avec son pistolet. Enfin au début car, sans prévenir, son canon pointa de nouveau la demoiselle. Soudainement, Ernest cessa de rire.

-Dommage, dit-il.

A ce mot succéda la détonation du pistolet. Neko sentit la balle siffler, frôler son crâne… elle perdit même quelques poils. Le jeune mutant n’avait pas raté sa cible. Il était trop doué pour que ce soit concevable. Il avait donc fait exactement ce qu’il désirait. La raison de cet acte, en revanche, était obscure. Intimidation ? Jeu ? Le savait-il lui-même ?

-On aurait put bien s’amuser.

L’air de rien, il rangea son pistolet. Puis, profitant de l’événement, il reprit d’un geste vif, l’arme qu’il avait donné à la chatte. Il rangea cette seconde arme et, se détournant de son oubliée amoure, il commença à marcher dans la direction qu’avait prise Neko pour lancer les balles.

-On se reverra… peut-être… conclut le garçon, visiblement décidé à mettre un terme à cette rencontre.

Neko poussa un petit cri quand la balle lui égratigna le crâne. Elle faillit tomber à genoux, mais tâcha de conserver son équilibre malgré ses jambes flageolantes. Son cœur battait à tout rompre. Elle se sentait sur le point de défaillir, mais conserva sa dignité. Au moins n'avait-elle pas fait sur elle.

-On aurait put bien s’amuser.

Neko pleurait. Comment Vermine pouvait-il être aussi horrible ? Qu'avait-on bien pu lui faire pour le changer à ce point ? Elle sentit un petit filet de sang chaud couler entre ses poils. Surtout, ne pas s'écrouler, ne pas sangloter, rester digne. Elle se refusait à se montrer faible devant le nouveau Vermine, le faux Vermine, celui qui avait les traits de son amour, mais rien d'autre.

-On se reverra… peut-être… dit-il ensuite, en tournant les talons

Quoi ? Il n'allait pas partir comme ça ! Et pour aller où ?

-Attends ! Où tu vas ? Tu as un endroit où dormir ? Non, attends, tu ne peux pas repartir comme ça. Viens avec moi, j'essaierais de te rendre la mémoire.

Elle se sentait le cœur au bord des lèvres, plus blessée par le comportement de Vermine que par le coup de feu. Elle fit quelque pas pour suivre l'enfant-rat.

-Laisse-moi t'aider.

-M’aider ? Mais je vais très bien, merci ! répliqua Ernest, toujours avec cette douceur qui en devenait presque désagréable.

Il donnait l’impression que tout ce que lui disait Neko lui glissait dessus sans l’atteindre. Et, quelque part, ce n’était pas faut. L’égoïsme de Vermine dans toute sa splendeur ! Il continuait de marcher, sans se retourner vers la demoiselle qui suivait.

-Et oui, je sais où dormir, inutile de t’en inquiéter.

Après avoir franchi quelques dizaines de mètres, l’enfant-rat s’immobilisa et se mit à fouiller le décor de son regard. Il était visiblement à la recherche des munitions lancées par la féline. Cependant, il ne trouva rien. Les balles avaient à coup sûr été emporté par le flot des eaux souillées qui longeaient l’étroite rive de béton. Vermine ne parut pas spécialement ennuyé. Toutefois, il finit par se retourner vers la chatte et lui lança :

-Pour une petite amie, faut avouer que tu n’es pas très drôle. Mais je veux bien te laisser une autre chance. Demain soir, vers les 22 heures, je pense trainer dans le coin. Si tu me connais si bien que ça, tu dois savoir ce que j’apprécie. Tu auras la soirée pour me le prouver. Si tu y arrives, il se peut que je devienne plus… réceptif. C’est à prendre ou à laisser.

Ernest fit mine de repartir, mais ajouta avant de le faire :

-Demain, si tu décides de tenter ta chance, viens seule. Je ne tolérais aucune autre présence. Cette affaire ne regarde que nous, après tout. Et à présent, je m’en vais. Ne cherche pas à me suivre. Je ne l’apprécierais pas du tout. En revoir.

Et il se remit à marcher, sans se presser. Plus rien n’allait le retenir cette fois. Prudent, Vermine allait emprunter un trajet sinueux dans les tréfonds des égouts. Ses sens de rat et son étrange connaissance de ce lieu lui permettaient de savoir sans mal si Neko cherchait à lui désobéir. Une fois certain d’être seul, le jeune mutant reprit la direction de la Confrérie. Il se demandait encore s’il allait parler de cette histoire à Cérès…

HRP : je te laisse conclure le sujet. Et si le cœur t’en dis, tu peux en ouvrir un autre.

-M’aider ? Mais je vais très bien, merci !
-Non, tu ne vas pas bien ! On t'as kidnappé, lavé le cerveau, et tu ne te souviens même pas de moi ! Comment veux-tu que je ne m'inquiètes pas ?

Malgré tous ses efforts, elle vit bien que ses paroles coulaient sur Vermine comme de l'eau sur une carte plastifiée, et ça la désola.

-Pour une petite amie, faut avouer que tu n’es pas très drôle. Mais je veux bien te laisser une autre chance. Demain soir, vers les 22 heures, je pense trainer dans le coin. Si tu me connais si bien que ça, tu dois savoir ce que j’apprécie. Tu auras la soirée pour me le prouver. Si tu y arrives, il se peut que je devienne plus… réceptif. C’est à prendre ou à laisser.

Neko s'efforça de ne pas relever la mesquinerie de ces paroles. Voilà qu'il lui faisait des offres ! Mais comment avait-il pu devenir aussi monstrueux ?

-Demain, si tu décides de tenter ta chance, viens seule. Je ne tolérais aucune autre présence. Cette affaire ne regarde que nous, après tout. Et à présent, je m’en vais. Ne cherche pas à me suivre. Je ne l’apprécierais pas du tout. En revoir.

Et il partit, sans se retourner, sans même s'inquiéter pour la santé de Neko après ce qu'il venait de lui faire. La fille-chatte resta sur place sans rien dire. Quand Vermine fut assez loin, elle tomba à genoux et rendit son déjeuner. Sa peine et son désespoir se muèrent en une terrible envie de tuer, de tuer tous ceux qui lui avaient fait du mal et qui l'avaient privé de son amour.