Un verre pour le type à poil! [PV ERNEST]

Un bon cigare et un bel alcool ambré. Rien de tel pour satisfaire un homme. Comme à mon habitude j’avais erré dans le repère de la confrérie avant de me résigner. Je n’aurai pas de mission aujourd’hui, il allait donc falloir trouver autre chose pour m’occuper. Et c’était tout trouvé ! Revêtant mes vêtements de civil, c’est-à-dire un pantalon noir, des chaussures noires et une chemise noire, je sortis du QG et traversai la forêt pour rejoindre ma petite Jeep que j’avais fait réparer (à mes frais bien sûr, la confrérie ne fait pas trop dans ce genre de subventions). Une fois la petite tuture démarrée, je pris la direction du bar de James. Ca faisait un moment que je n’y avais pas été. Depuis l’incident avec la jolie blondinette en fait.

C’est donc au volant de mon « bolide » flambant neuf que j’arrivai en face du dit bar. Les dégâts avaient étés réparés et rien ne pouvait dire que j’avais emplafonné quelques types en ces lieux. Peut-être avaient-ils tous survécus. Peut-être pas. À vrai dire, je n’en avais vraiment rien à foutre. Ils pouvaient crever ces misérables humains. D’ailleurs, si la tête de fer ne m’avait pas retenu, je leur aurais fait avaler leur bulletin de naissance avec certitude.

Quoi qu’il en soit pour ces abrutis, j’entrai maintenant dans le bar et pris ma place habituelle au bout du comptoir. De là, je pouvais observer l’entrée ainsi que la salle de billard, qui était occupée par deux loubars et une monstrueuse créature qui se voulait être de la gente féminine (mais on pouvait en douter). Une position stratégique pour un homme qui pourrait être recherché. James, le patron du Bar’à’basse, m’accueilli comme d’habitude avec une bonne bouteille de bourbon. À force, ce vieux camarade connaissait mes goûts et ne me demandait même plus avant de me servir !

- Mr Miller. J’hésite entre te serrer dans mes bras et te virer d’ici à coups de pied au cul. T’rends compte de le merde que vous avez foutu l’autre fois ? Heureusement que les types qu’en sont sortis et qu’ils étaient trop amochés pour se souvenir de quelque chose de concret ! Sinon j’aurai pu fermer boutique !

- Ferme la donc et serre moi un verre. Si la teigne n’avait pas été là tu les aurais butés toi-même ces types.

- Pas faux..

Passant la main sur les bandages autour de ses mains, il resta un instant silencieux, pensant à cette fameuse soirée où il avait utilisé ses dons. Puis, il me servi une bonne rasade et posa une petite guillotine sur le comptoir.

- Trop aimable.

- N’est-ce pas ?

Je commençai donc à me préparer un de mes bons cigares et le portai à ma bouche après l’avoir palpé et senti. Qu’est-ce que je disais ? Rien de mieux qu’un bon alcool ainsi qu’un bon cigare…
Qui aurait pu imaginer que je n’allais pas être le seule confrériste à me pointer ici ?

Rah comme c’était bon de se retrouver dans cet endroit avec mes deux péchés mignons. L’alcool me brulait délicieusement les entrailles et accompagnait merveilleusement ce petit punch-punch. En dehors de ça, l’ambiance était au calme. Les balourds jouaient au billard tandis que la chose faisait la mascotte. Si l’on tendait l’oreille, on pouvait entendre de vieux morceaux de rock et en levant la tête on pouvait voir une petite télévision qui diffusait des flashs d’info, mais sans son. La seul chose qui vint troubler ce calme fut un mouvement au niveau de l’entrée. Un client ?

Eh bien oui, un client, et pas n’importe lequel ! Un petit homme poilu. Mais pas poilu du genre des loubars avec leur grosse barbe. Le genre de poilus qui ressemble à un d’environ un mètre de haut et portant un jeans. Je souriais en voyant cet étrange énergumène entrer assez simplement et s’approcher du comptoir. James, lui, n’en croyait pas ses yeux.
-Oh putain, Sainte Marie mère de Dieu.
Certes il avait vu plus d’un mutant dans sa vie, mais les rats de cette taille ça ne court pas les rues. Il resta un instant estomaqué devant l’arrivant, puis se ressaisit et posa les deux bouteilles d’alcool sur le marbre du comptoir. C’était bien la première fois qu’un rat lui commandait de l’alcool. Et surtout dans cette quantité. Il voyait déjà la boule de poils étendue ivre morte dans le fond de la salle et soupira. Puis il sortit un verre et le posa à côté des bouteilles.

- Gaffe c’est pas une boisson d’fillette.

Pour ma part, j’étais plutôt amusé par la situation. De plus, il me semblait avoir déjà aperçu cette tête quelque part. On ne croise pas tous les jours ce genre de mutants et j’étais quasi certain de l’avoir déjà croisé dans le QG de la confrérie lors d’une de mes nombreuses heures d’errance en quête d’activité. Après avoir encaissé, le patron revint vers moi et parla tout bas.

- Bordel t’as vu ça Gabriel ? Un rat qui boit de la Vodka.

- T’en fait pas j’pense l’avoir déjà vu, il est de notre bord. Dis-je d’une voix très calme.

- T’es sérieux, c’type est dans la Confr..

Sans s’en rendre compte, il avait élevé la voix et il s’arrêta pour observer la réaction de l’homme-animal. Il avait du mal à voir l’intérêt d’avoir un rat dans le groupe de Magneto, n’étant pas lui-même un confrériste mais simplement un barman détestant l’humanité. Il hêla donc le rat :

- Hey dis voir l’rongeur, t’viens d’où ?

Pendant qu’il posait la question, j’avais éloigné le cigare de ma bouche, ne cachant donc plus mon visage derrière la fumée. Au fur et à mesure de mon observation, j’étais de plus en plus sûr de ne pas me tromper. J’esquissai donc un mouvement de tête pour le saluer. Si c'était bien le fameux garçon rat qui vivait à la confrérie, celui dont la rumeur disait qu'il n'avait d'yeux que pour deux choses (Cérès et l'alcool), alors la soirée promettait d'être des plus intéressantes.

-Bonsoir collègue.

Deux mots qui répondaient simplement à mon salut et à la question du barman. Il était ainsi évident que je ne m'étais pas trompé, et James fut quelque peu rassuré. Pour ma part, j'étais assez fier d'avoir eu raison, et d'avoir été reconnu par ce confrériste sur lequel je ne savais pas grand chose. Nous ne nous étions croisés que quelques fois sans nous adresser la parole, et je n'ai eu que peu de renseignements sur ce vagabond. Je me souvenais néanmoins de son pseudonyme: Vermine. Quant à l'information que j'avais eu concernant l'alcool elle fut vérifiée quand il avala d'un trait son verre de vodka.

Refroidi par cette réponse, James s'était mis à laver des verres crasseux et semblait ne plus vouloir l'ouvrir. A la bonne heure. Il m'était sympathique, mais sa curiosité et ses peurs étaient parfois assez envahissantes. Le rat, lui, quitta le comptoir pour trouver une table au fond de la salle. Il laissa son verre, peut être par oubli ou parce que ses petites mains étaient déjà assez chargées avec les bouteilles. En tout cas, le silence revint très vite habiter le petit bar. Pour ma part, je devais avouer être un peu curieux, et je décidai donc, après avoir collé mon cigare entre mes lèvres, de le rejoindre avec ma bouteille, mon verre et le sien. J'approchai donc de sa table et lui présentait son récipient.

- T'as oublié ça. Mais vu qu'tu bois comme un barbare, j'doute que t'en ais besoin.

Je posai ma bouteille sur la table voisine, et restai debout à côté de lui. Non pas pour l'impressionner, ce qui aurait pu être possible vu la difference de taille, mais pour ne pas m'imposer à sa table. Si je haïssais les humains, je respectais tout de même mes confrères mutants et je savais combien la tranquillité était une chose précieuse.

- T'as pas l'air d'être là pour une dégustation j'me trompe? En tout cas si tu veux un conseil, j'suis sûr que tu peux trouver mieux que cette vodka.

J'avais dit ça sur le ton de la plaisanterie, mais j'étais sérieux. La vodka c'était bien pour se déchirer, mais il y avait plus efficace. Maintenant, il fallait encore qu'il écoute ce qu'avait à dire un vieux mercenaire.. Et va prédire ce que va faire un rat.

-Merci, fit simplement Ernest lorsque l’autre Confrériste lui rapporta son verre.

Cette personne avait raison, il n’en avait pas besoin de ce verre. L’enfant-rat se contentait d’être poli. Sa voix, invariablement calme et douce, au ton juvénile qui contrastait en ce lieu d’adultes, laissait toutefois transparaitre une indéniable distance. Quelque chose, en lui, faisait froid dans le dos. Son regard, notamment, pouvait déranger. Il posa ce dernier un bref instant sur son collègue avant de revenir à son couple de bouteille. Il ne l’invita pas à s’assoir. Il ne l’en défendit pas non plus. Il optait pour l’ignorance. Déjà, il s’apprêtait à boire de nouveau. Mais il s’interrompit. La dernière réplique de l’autre confrériste avait capté son attention.

-C’est vrai ? Mieux que la vodka ?

Sa voix, son ton, rien n’avait changé. Pourtant, cette froide distance paraissait déjà s’être amincie. Il avait tourné sa face bestiale vers son collègue et le fixa.

-Je me ferais une joie de découvrir de nouvelles saveurs. Plus c’est fort, mieux j’aime ! Je t’en pris, fais-moi profiter de ton expérience.

Il agrémenta le tout par un sourire.

-Et n’hésites pas à prendre place à mes côtés. Boire à deux, c’est mieux !

Curieux comme tout d’un coup Vermine était devenu accueillant. Evidement, on pouvait deviner que c’était par intérêt mais bon, venant de sa part, c’était toujours ça. Cela montrait aussi à quel point l’alcool était pour lui une faiblesse.

Alors que je lui tendais son verre, l'homme rat ne prononça qu'un léger "merci", et n'esquissa pas un geste vers moi. Il se contentait d'afficher un air totalement neutre, les yeux fixés sur ses bouteilles, comme s'il était au dessus de ça. Cependant, il ne resta pas insensible à mon petit conseil. Déjà, il tournait la tête vers moi.

-C’est vrai ? Mieux que la vodka ? Je me ferais une joie de découvrir de nouvelles saveurs. Plus c’est fort, mieux j’aime ! Je t’en pris, fais-moi profiter de ton expérience.

Si le ton sembla rester le même, le "sourire" qu'il affichait montrait qu'il était des plus intéressés. Il se mit même en tête de me laisser m'assoir à sa table:

-Et n’hésites pas à prendre place à mes côtés. Boire à deux, c’est mieux !

J'affichais alors un petit sourire amusé. L'alcool était donc plus qu'un simple hobby pour ce petit rat. C'était une véritable histoire d'amour! Je pris ma bouteille et la plaçai de côté sur sa table avant de m'installer en face de lui. Puis j'appelai James:

- Hey patron, sors nous un de tes calvas maison.

Interloqué, James se rendit dans une pièce à l'arrière puis revint avec une bouteille poussiéreuse. Il nous l'amena avec deux verres propres et commença son speech, fier de son alcool.

- C'est une très bonne bouteille, une de mes plus belles créations! 15 ans d'âge et distillé deux fois pour un titrage atteignant les 70°. C'est ..

- Ça ira comme ça, c'est tout ce qui nous intéresse.

James afficha une mine outrée puis s'en alla en ronchonnant. Gaspiller ainsi une de ses précieuses bouteilles. Pour ma part, j'étais certain que ça allait éveiller la curiosité de Vermine qui tenait entre ses pattes des bouteilles de vodka atteignant 40° maximum. Je poussai mon verre de bourbon de côté, me servis une lichette de calvados puis tendis la bouteille au rongeur.

- C'est pas encore le maximum qu'on puisse trouver dans ce buibui, mais ça devrait déjà être pas mal.

En ne montant pas au maximum de suite, je le mettais d'une certaine manière au défi. Après tout, j'avais rarement vu un type de moins d'un mètre supporter une bouteille aussi forte. Et cela me permettrai d'en avoir encore un peu sous le pied au cas où le rat venait à me surprendre. De mon côté, j'allais savourer ça! Mon bourbon habituel n'était pas beaucoup plus fort que sa vodka, mais j’appréciai aussi de temps à autre un bon petit remontant. J'écrasais donc la fin de mon cigare dans un cendrier puis levais mon verre avant de boire doucement.

- Santé.

-Santé ! répondit Vermine avec son éternel calme.

Sur ce, il vida son verre d’un trait comme il l’avait fait avec la vodka. Peu habitué à un alcool si fort, il sentit ce dernier lui chatouiller le gosier. Ce fut insuffisant pour le faire grimacer mais tout de même assez pour le faire sourire de satisfaction. Diable ! Son collègue n’avait pas menti ! Et d’après lui, il y avait encore plus fort ! Un certain enthousiasme commença à naitre chez l’enfant-rat. En entrant ici, il attendait peu de la soirée, ou en tout cas rien d’incroyable. Mais à présent, de jouissives perspectives se dessinaient en son esprit.

-Pas mal, pas mal du tout ! commenta-t-il en reposant son verre sur la table. Un autre s’il te plait.

Il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, d’autant plus qu’il avait deviné l’ombre d’un défi dans les propos de son nouvel ami. Il allait lui montrer à quel point il était rebuse. Et s’il allait trop loin, tant pis. Ou plutôt, tant mieux ! Avec la vodka, le mieux qu’il était arrivé à faire, le mieux dont il se souvenait, c’était d’un état joyeux où marcher droit était délicat. Il voulait plus, beaucoup plus. Il n’osait espérer au coma itilique, mais si au moins il pouvait s’en approcher. L’envie de parler, tout d’un coup, lui vint.

-Au fait, c’est quoi ton nom ? Gabriel, c’est ça ? J’ai cru entendre ça tout à l’heure.

-Pas mal, pas mal du tout ! Un autre s’il te plait.

Ainsi donc Vermine appréciait ce Calvados? Tant mieux! Pou ma part, je le sirotai délicieusement à un rythme moins soutenu. Après tout, cet alcool méritait qu'au moins une personne l’apprécie à sa juste valeur (et ainsi James ne se suiciderait pas immédiatement). N’empêche que j'ai déjà vu des bon gros mercenaires plier après seulement deux verres de cet alcool puissant! Jusqu'où irait donc le rat? Car ce petit bout de mammifère ne grimaça même pas et se contentait d'en redemander.

- Sers toi comme ça te chante, on va pas en manquer. J'sais pas en quoi t'es fait, mais t'as une sacrée descente!

En disant cela, je poussai vers lui la bouteille, afin qu'il décide de lui même s'il passerai par l'étape "verre" avant de boire. Il n'était pas dans mes intentions de le ralentir, et je me foutais éperdument de ce que pouvais penser le barman. Je portai à nouveau mon verre à mes lèvres lorsque mon compagnon de table prit la parole, apparemment enclin à la conversation.

-Au fait, c’est quoi ton nom ? Gabriel, c’est ça ? J’ai cru entendre ça tout à l’heure.

- Tu as bien entendu. Je me nomme Gabriel Miller. Mais on me connait plus à la confrérie sous le nom de Shooter. Quant à toi.. Je t'avoue ne pas savoir grand chose sur toi.

Je préférai garder pour moi le fait que j'avais été curieux à son sujet et que je savais deux trois trucs. Il n'avait pas besoin de savoir ça.

Ernest eut un petit rire léger lorsque Gabriel lui fit un compliment au sujet de sa tolérance face à l’alcool. Tout en continuant de l’écouter, il se servit un second vers de Calvados. S’il ne se mit pas à boire directement au goulot, ce fut par politesse. En effet, cette bouteille ne lui était pas spécifiquement attitrée. Et il pouvait aisément comprendre que boire derrière un rat pouvait dégouter. D’une façon générale, le jeune mutant avait un comportement très étrange, presque paradoxale. Sa voix, son ton, certaine de ses manières pouvaient fort bien appartenir à un enfant de cœur. Mais on savait pertinemment qu’il était plus proche d’un fou ou, en tout cas, qu’il était un criminel digne de ce nom.

-Vois-tu, Gabriel, moi-même je ne sais pas grand-chose de moi, répondit Vermine en réponse à la dernière réplique de son collègue. Je suis un hyper-mnésique amnésique. Quelle ironie, n’est-ce pas ? Et ce que je sais, je n’ai pas le droit de le dire. Tu connais les consignes. Mais, toutefois, je suis sûr qu’on se connaitra mieux en fin de soirée.

Il eut un nouveau rire. Sur ce, il but son verre cul sec. Il le reposa avec plus de fermeté sur la table, créant ainsi un petit « toc » mat. Il reprit.

-Dis, Gabriel, et si on jouait ? J’aime jouer, c’est amusant. Vois-tu, j’ai pas mal de trucs sympas dans mes poches. Je suis sûr que ça peut t’intéresser. Si, au terme de cette soirée, grâce à toi, tes conseils, tes alcools, je me retrouve dans un état tel que je perds les pédales, tout ce que j’ai sur moi est à toi. Absolument tout.

Il se resservit un troisième verre. Ses gestes étaient toujours parfaitement assurés. On ne voyait pas en lui l’ombre de l’ivresse. Il eut un sourire animal.

-En revanche, si je suis encore un peu lucide à la fin de la soirée, ou si tu roules sous la table prématurément… c’est moi qui te dépouille. Alors, tu relèves le défi ?

Nouveau sourire. C’était donc au tour d’Ernest de défier. Et, une chose était sûr, il ne plaisantait pas.

Pour la première fois depuis cette rencontre, mon voisin de table lâcha un petit rire lorsque je le complimentai. Y avait-il une raison particulière ? J’en appris un peu plus lorsqu’il prit la parole :

-Vois-tu, Gabriel, moi-même je ne sais pas grand-chose de moi. Je suis un hyper-mnésique amnésique. Quelle ironie, n’est-ce pas ? Et ce que je sais, je n’ai pas le droit de le dire. Tu connais les consignes. Mais, toutefois, je suis sûr qu’on se connaitra mieux en fin de soirée.

Mes lèvres se fendirent en un nouveau sourire amusé, contrastant avec mon visage dur et ma cicatrice qui me donnaient un air féroce. Ce qu’il venait de dire était en effet plus qu’ironique, même si, ne le connaissant pas assez, je ne dû pas comprendre toutes les subtilités de sa plaisanterie. Cela dit, je n’étais plus sur de le connaitre mieux en fin de soirée. La beuverie s’annonçait et Vermine ne semblait pas vouloir dévoiler quoi que ce soit sur lui.

Il vida le verre qu’il avait rempli pendant qu’il parlait puis se resservit en parlant, preuve qu’il avait encore toutes ses facultés malgré le puissant liquide. Et cette fois, j’eu du mal à ne pas laisser disparaitre mon sourire.

-Dis, Gabriel, et si on jouait ? J’aime jouer, c’est amusant. Vois-tu, j’ai pas mal de trucs sympas dans mes poches. Je suis sûr que ça peut t’intéresser. Si, au terme de cette soirée, grâce à toi, tes conseils, tes alcools, je me retrouve dans un état tel que je perds les pédales, tout ce que j’ai sur moi est à toi. Absolument tout.

Mais comme je m’y attendais, ce n’était pas sans risque pour ma personne :

-En revanche, si je suis encore un peu lucide à la fin de la soirée, ou si tu roules sous la table prématurément… c’est moi qui te dépouille. Alors, tu relèves le défi ?

Petit topo de ce que j’avais sur moi : Deux tubes de billes de plomb, mes vêtements, mon portefeuille contenant 200$, une boite contenant encore quatre cigares cubains (valant environ 300$ chacun) et les clefs de ma Jeep flambant neuve. Certes, les pertes ne seraient pas irremplaçables, mais elles seraient douloureuses sur le coup. Pour moi, tout était question matérielle, car je ne me sentais pas blessé dans ma fierté simplement parce que je ne gagnai pas un jeu. Je savais reconnaitre la force de mes adversaires et je n’étais pas ce qu’on pouvait appeler un mauvais perdant, à condition bien sûr que j’ai accepté les règles avant. J’avais à disposition un arsenal complet d’alcool pour gagner, et si je perdais, James pourrait me dépanner en fringues. Dommage que ce ne fut pas un bar quelconque, il m’aurait simplement suffit de braquer la caisse pour récupérer une partie de mes biens. Quoi qu’il en soit, après cet instant de réflexion, je hochai simplement la tête, l'air à nouveau amusé.

- Et bien soit, j’accepte le défi. Il m’aurait cependant plu de connaitre le nom de celui que je vais dépouiller.

Je vidai alors mon propre verre, comme pour sceller ce pacte, et le laissai tomber bruyamment sur la table. Je me servis alors un autre verre, preuve que je n’allais pas me retenir plus que d’habitude et pris à nouveau la parole :

- Nous passerons à autre chose dès que la bouteille sera vide. Crois-moi tu ne seras pas déçu.

Quel était donc l’inventaire des possessions de l’enfant-rat ? Et bien, nous laisserons cette question en suspend. Peut-être Gabriel le découvrira-t-il, s’il triomphait. De toutes façons, Vermine, en cet instant, n’avait que faire de ce qu’il pouvait perdre, ou gagner d’ailleurs. Cet enjeu, cette menace, n’était là que pour pimenter l’ambiance. Une sorte d’accessoire très utile afin que puisse naitre le jeu. Il ne faut pas comprendre par là que le jeune mutant allait renoncer à son gain s’il était en situation de le réclamer. Bien au contraire, il exécuterait sa promesse au pied de la lettre. Et il attendait de même de la part de son compagnon. C’était la règle.

-Excellent, excellent Gabriel ! fit le semi-rongeur avec une joie diffuse.

Sa neutralité apparente vacillait à peine alors, qu’intérieurement, il jubilait. Cette soirée allait être géniale. Elle l’était déjà en fait. Le garçon vida son verre. Un de vodka et trois de calvados… belle introduction. Et ce n’était que le début. Il se resservit. La bouteille, déjà, était pratiquement vide.

-Je t’apprécie déjà. Cette envie de gagner… j’aime ! Quand au nom de celui qui te dépouillera, c’est Ernest. Enchanté de t’avoir rencontré en ce lieu, en cette occasion.

Notez au passage l’inversion de perspective suggérée par le rat. Lui-aussi annonçait sa victoire. Et il se félicitait d’être incapable de la planifier, ou plutôt, de ne aps vouloir le faire. Ce soir, il mettait son esprit annalistique de côté, ce soir, il s’éclatait.

-Trinquons à cet heureux événement ! suggéra-t-il en levant son verre. Et après, Et après… heu… on se trouvera un sujet de discussion digne d’intérêt !

Etrangement, aucune idée sur ce dernier point ne lui était venue à l’esprit, ou plutôt, aucune idée précise. Eétait-ce là un premier signe d’ivresse ? Non, impossible ! Vermine se refusait à croire que quelques misérables verres puissent l’attendre, lui qui vidait des bouteilles. Cependant, il avait un peu bousculé ses habitudes…

Il était difficile de deviner ce que pouvait penser un rat. déjà que déchiffrer les émotions des êtres humains en général n'était pas mon fort, je devais avouer que ce demi rongeur était pour moi un vrai mystère. Cependant, j'espérais distinguer un petit engouement lorsqu'il me répondit:

-Excellent, excellent Gabriel !

Après ces mots, il se resservit un autre verre. Diantre, mais où mettait-il tout ça? Il allait déjà falloir passer à autre chose car je ne tenais pas à voir mon ami mourir de soif. Tandis que je commençais à réfléchir à la suite des opérations, Vermine reprit la parole:

-Je t’apprécie déjà. Cette envie de gagner… j’aime ! Quand au nom de celui qui te dépouillera, c’est Ernest. Enchanté de t’avoir rencontré en ce lieu, en cette occasion.

Retenant un petit rire, je soufflai doucement du nez, amusé. Ernest, puisqu'il se nommait ainsi, ne s'avouait pas vaincu du tout, et n'avais pas l'air du genre à faire le fourbe. Il annonçait la couleur de la suite des évènement comme je l'avais fait quelques instants auparavant. Je lui répondis rapidement, me sentant étrangement à l'aise avec ce collègue aux allures bestiales.

- Et bien, Ernest, sache que je suis ravis de même. Cette soirée me convient tout à fait!

-Trinquons à cet heureux événement ! Répondit le rat en levant son verre. Et après, Et après… heu… on se trouvera un sujet de discussion digne d’intérêt !

Une hésitation? Vermine sentirait-il enfin les effets de l'alcool? Faisans le compte rapidement, j'en vins à la conclusion que ça n'allait pas être de la tarte, mais que c’était tout à fait possible. Je voyais principalement deux bouteilles qui pourraient le faire craquer. Mais avant d’appeler ce bon vieux James, je remplissais mon verre, qui était à moitié plein, pour vider la bouteille et le levait pour trinquer avec mon compagnon de table.

- Ne t’en fait pas Ernest, la soirée ne fait que commencer. Et puis, l’ouverture d’une nouvelle bouteille éveillera sans doute notre sens de la conversation !

D’un geste de la main, j’appelai mon ami barman, qui allait bientôt comprendre que la dégustation n’était pas prêt de s’arrêter. En effet, à peine arrivait-il que je lui demandai une bouteille de Stroh. Sans un mot, il retourna derrière le comptoir pour nous l’apporter, et la tendre vers mon invité :

- C’est un alcool européen. D’Autriche plus particulièrement. Il atteint facilement les 80° si je ne m’abuse. Cela vous conviendra-t-il ?

Souriant, je regardai Ernest et lui laissai le plaisir de s’emparer de ce petit trésor.

Ernest, après avoir trinqué, but cul sec ce quatrième verre de Calvados. Peu après, se présenta à la table le barman, apportant une nouvelle bouteille à la demande de son compagnon. Une bouteille de Stroh ? Vermine l’observa. En son regard se mêlait curiosité et émerveillement. Il ne connaissait pas cette boisson. Avant cette soirée ô combien prometteuse, avant cette rencontre avec l’illustre Gabriel, l’enfant-rat avait presque la prétention de se croire expert en alcool. A présent, il mesurait mieux l’étendu de son ignorance en la matière. Après tout, quoi de plus logique ? Il n’avait que 13 ans et ne buvait que depuis… depuis… ho, il ne savait plus. La faute certainement à son amnésie récente. En tout cas, la logique voulait que ce soit à peine une ou deux années. Ou trois… diable, même la logique se faisait confuse ce soir. En attendant, chassant cette question sans intérêt de son esprit, un peu moins vif il fallait l’avouer, le jeune mutant prit la bouteille des mains du barman.

-Un alcool européen ! Mais ma parole, on voyage dans ce bar ! commenta-t-il. C’est parfait l’ami, vous pouvez disposer, ajouta-t-il à l’intention du tenancier.

L’apparente neutralité de Vermine tendait à s’amincir. Il y avait d’avantage d’expression dans ses mots et même dans ses gestes. Il ne fallait pas chercher bien loin la raison de ce phénomène. Mais sa dextérité n’était toujours pas mise en défaut. Le bougre prouvait à chaque instant son inhumaine endurance.

-Goutons ce nectar ! s’exclama-t-il en faisant sauter le bouchon d’un habille coup de griffe.

Sur ce, emporté par son enthousiasme, il but une gorgée au goulot, puis s’interrompit brusquement, réalisant son geste.

-Mes excuses, ce n’est pas très convenable, dit-il à Gabriel.

Rectifiant sa conduite, il remplit à nouveau son verre et déposa la bouteille sur la table. S’emparant du verre, il reprit, joyeux.

-Je sais de quoi nous pouvons discuter ! Vous aviez raison, la nouvelle bouteille m’a éclaircie les idées. Parlons des femmes !

Et il vida son verre toujours avec cette rapidité stupéfiante. Son gosier le chatouillait plus que d’accoutumé. C’était délectable. Il se resservit.

-Tu comprendras aisément mon manque de succès auprès des représentantes du sexe faible. Trop jeune, trop moche. Enfin, suis-je si laid que ça ? Comment t’en sors-tu, toi que le gêne X n’a pas défiguré ?

Je vous avouerai que le spectacle du petit rat buvant un quatrième verre de calvados me remplit à la fois de satisfaction et de frissons. Si j'étais certain de le faire tomber, je me demandais à présent si j'allais pouvoir suivre. Car tandis que j'achevais mon propre verre, je sentais l'alcool monter lentement, désinhibant mon habituelle réserve. Je savais que ce jeu était vicieux car plus je le faisais boire, et plus je m'en mettais derrière la cravate, ce qui n'était pas le but à la base. Ce petit défi représentai plus qu'un jeu, il s'agissait d'un combat entre la nature mutante de ce petit gars et ma trentaine d'années d’expérience ainsi que mon poids non négligeable. Car ce qui était le plus impressionnant, c'était que Vermine était tout petit et que la logique voudrait qu'il tombe après un verre. Mais, après tout, il devait être comme les rats d'égouts et s'habituer à tout.

-Un alcool européen ! Mais ma parole, on voyage dans ce bar ! C’est parfait l’ami, vous pouvez disposer !

Les paroles d’Ernest me tirèrent de mes pensées. Je levai donc la tête pour observer un James complètement déconfit. Ses réserves des meilleurs alcools étaient en train de fondre comme neige au soleil et il ne pouvait rien me refuser. D’ailleurs, je savais pertinemment que je ne pourrais pas tout payer ce soir, mais qu’il attendrait les recettes d’un nouveau contrat pour me donner l’addition. Quoi qu’il en soit, mon ami se retourna sans un mot et marcha comme un zombie vers son comptoir pour ne pas avoir à regarder ce qu’il aurait qualifié d’horrible spectacle.

-Goutons ce nectar !

En un instant, le bouchon était dévissé et Vermine happa le liquide directement au goulot. Je pensais qu’il allait enfin craquer mais non, après une gorgée il se ravisa et posa la bouteille, se servant un verre en s’excusant.

-Mes excuses, ce n’est pas très convenable

Et moi de protester en riant:

-Allons ! Ce n’est rien ! Ne va pas croire que cela me gêne de boire après un rat surtout quand celui-ci est un collègue ! Crois-moi, après 20 années d’armée, de mercenariat et de confrérie, plus rien ne peut heurter ma sensibilité.

Oui, j’étais très franc. Je ne faisais aucun chichi sur le fait que je pourrais le vexer en parlant de sa mutation et des gênes qu’elle pourrait occasionner. Je me calmai alors en portant mon verre à ma bouche, sirotant l’alcool qui réchauffa brutalement l’intégralité de mes tripes. Ernest lui, sembla avoir trouvé un sujet de discussion au fond de son verre puisqu’il s’exclama :

-Je sais de quoi nous pouvons discuter ! Vous aviez raison, la nouvelle bouteille m’a éclaircie les idées. Parlons des femmes ! Tu comprendras aisément mon manque de succès auprès des représentantes du sexe faible. Trop jeune, trop moche. Enfin, suis-je si laid que ça ? Comment t’en sors-tu, toi que le gêne X n’a pas défiguré ?

Entre deux paroles, il vida un nouveau verre cul sec. Moi, je l’écoutai en buvant lentement, et, finissant mon verre, je pris enfin la parole.

- Ha les femmes.. Avec elle faut avoir deux choses, du physique et de l’argent. J’sais pas ce que tu veux dire par trop jeune ? J’connais pas ton âge. Puis t’es pas moche. T’es un beau rat on va dire ! Et les femmes et les rongeurs c’est pas souvent une grande histoire d’amour. Quoi que j’ai en connue une qui avait des phantasmes bizarre et qui se complaisait seule au milieu de souris. Bref, d’mon côté c’est jamais très long, des coups d’un soir. Les attaches c’est pas pour moi. Par contre détrompe-toi, le gène X m’a défiguré aussi.

Je levai ma main droite à mon menton, et passait un doigt sur l’épaisse cicatrice qui barrait mes lèvres et descendait jusque sous mon menton.

- Chaque fois que j’me regarde dans le miroir, j’ai un petit rappel de ce que les humains pensent de nous autres, mutants. M’enfin les cicatrices, ça donne un côté viril.

Eh oui, l’alcool nous fait faire de drôle de choses, et là, il avait même réussi à me faire plaisanter. M’enfin, même si je terminais sur une petite dose d’humour douteux, j’avais abordé un sujet qui m’irrita un peu et, pour faire passer ça, j’empoignai la bouteille de Stroh pour me servir. Faisant cela, je repris la parole :

- Puis j’suis p’t’être pas objectif avec toi vu qu’t’es un mec, mais j’ai vu des putins d’hybride canons !
L’autre fois j’ai coincé une hybride mouton, elle était drôlement chaude ! T’en as déjà serré des nanas ?

Ernest écoutait son collègue et, les secondes s’écoulant, il devenait évident que son expressivité allait croissante. La neutralité de son visage s’effaça complètement, laissant place à des mimiques parfois comiques, parfois un peu effrayantes. L’évocation des humains, notamment, lui afficha une aversion glaçante. Vermine semblait de ce fait être totalement dans l’état d’esprit de la Confrérie. Il montrait aussi un côté plus vrai de sa personne : il pouvait se montrer effroyable. On pouvait aussi en déduire que l’alcool, sur lui, était potentiellement un facteur d’agressivité. Mais ses grimasses, aussi illustratives qu’elles puissent être, ne durèrent pas. Beaucoup de choses, dans les paroles de Gabriel, amusèrent l’enfant-rat. Ce qu’il aurait accueillit au départ, lorsqu’il était sobre, avec une apparente indifférence, le fit à présent glousser. Ainsi, il était un beau rat ? Et les cicatrices rendaient viril ? Voilà qui flattait son égo et qui le mit, du même coup, dans une radieuse disposition. Un large sourire apparut sur sa face bestiale.

-Moi aussi j’ai des cicatrices ! Plains partout ! s’empressa-t-il de dire, sitôt qu’il en eu l’occasion.

Il allait poursuivre, il allait montrer, mais il fut interrompu dans sa course par une sensation pressante. Il déposa son verre, qu’il tenait depuis un moment dans sa main et qu’il avait, depuis, rempli puis vidé.

-Heu… deux secondes. Faut que j’aille pisser.

Effectivement, sa vessie le mettait en garde que, sous peu, il aurait bien des difficultés à se retenir. Alors il bondit au bas de sa chaise. Et là, Ernest découvrit brutalement que son agilité avait significativement diminuée. Son équilibre devint précaire. En un mouvement de réflexe, pour éviter de tomber, il s’appuya contre un pied de la table. Ce geste ne l’aida pas vraiment. Il retrouva sans trop de peine son équilibre. Sans plus de manière, il se dirigea vers le comptoir. Il marchait encore droit. Il ne montrait plus de difficulté particulière à se mouvoir. Or, intérieurement, il se sentait comme plus grand, plus éloigné du sol. Une maladresse risquait d’être sanctionnée par une chute. Combien de verre avait-il but ? Pas tant que ça. C’était indéniable, les alcools plus forts l’éprouvaient plus vite. Quoi de plus logique en même temps ? La question intéressante, surtout, c’était de savoir où se situait sa limite. Combien de verre encore pourrait-il tenir ? Gabriel n’avait pas l’air sur le point de craquer. La stratégie voulait que l’enfant-rat commence sur le champ à s’économiser et trouver un moyen de faire boir l’humain. Mais la stratégie, Vermine l’envoya volontairement voguer loin de son esprit. Il demanda au barman où était les WC et s’y rendit. Il y resta trois grosses minutes avant de revenir dans la grande salle. De retour sur sa chaise, il s’exclama :

-Voilà, une bonne chose de faite ! Tu m’avais demandé quoi déjà ? Mon âge, c’est ça ? 13 ans. 13, ça porte bonheur.

Il se mit à rire tout en se resservant un verre.

-Ha, et oui, j’ai serré une fille. Enfin, si serré veut bien dire ce que je pense.

Nouveau rire. Il but son verre cul sec.

-C’était une hybride chatte plutôt pas mal physiquement mais très conne dans sa tête. Faut vraiment que tu me présente cette femme qui fantasmes sur les souris. Ouais, ouais, ça sera cool !

Il se resservit un verre.

-Tu crois que tu pourrais m’arranger une petite rencontre avec elle ?

Il y avait comme un début d’emballement dans le comportement d’Ernest. Alors que sur la table était présent l’alcool de loin le plus fort qu’il n’ait jamais gouté, il se mettait à boire plus vite. Il aimait tant la sensation de chaleur qui commençait à noyer son corps. Il voulait plus. Il voulait aller toujours plus loin.

Les détails. On ne s’attarde jamais assez sur les détails. Pour moi, c’est une chose primordiale. Je ne conçois pas la possibilité de pouvoir faire ce que je fais sans être attentif à tout mon environnement. Attraper sans se faire attraper est mon train de vie, et ce ne serait pas possible sans un minimum d’attention. Là, cette déformation professionnelle qui m’obligeait à observer assidument mes interlocuteurs me satisfaisait énormément. En effet, Vermine s’excusa, une envie tout à fait naturelle l’ayant prise. Lorsqu’il descendit de sa chaise, je remarquai une légère perte d’équilibre. S’il avait été une cible, c’est à cet instant que j’aurai porté le coup de grâce. Mais là, je me contentai de sourire. Ainsi donc le rongeur n’était pas insensible à mes élixirs, et j’étais sur la bonne voie. Cependant, au lieux de m’emballer, je pris en compte deux détails qui me refroidirent. Un, j’étais dans le même état que lui en ayant bu beaucoup moins. Je savais que l’alcool faisait petit à petit son effet, et que si je me levais, je verrais aussi le sol tanguer. Deux, son manque d’équilibre ne dura qu’un instant et le reste du chemin se fit sans encombre, preuve qu’il en faudrait encore pour pouvoir penser le mettre au tapis.

Tandis qu’il se lessivait le lézard, je sortis un cigare de sa boite pour le préparer avec une certaine habitude. Ayant laissé la guillotine de James sur le bar, j’attrapai mon propre instrument et l’utilisai d’un geste expert. Alors que Vermine arrivait, je terminais de goûter le délicieux trésor éteint, et je l’allumai après avoir craqué une allumette.

J’eu du mal à cacher ma surprise quand il m’avoua son âge. Mes yeux s’arrondirent et j’avalai malencontreusement une bouffée de fumée, retenant une quinte de toux.

- 13 ans ? J’me disais que t’avais une descente vachement bonne pour un type de ton poids et de ta taille, mais là tu viens de me foutre un coup de pied au cul !

Sur ce, il m’avoua pour son hybride chatte. 13 ans, face de rongeur, et il arrive à se faire une demoiselle qui devrait n’avoir qu’une envie : le bouffer. Je devais tirer mon chapeau.

- Ben mon vieux ! J’dois m’incliner là ! Si j’arrive retrouver cette femme, j’te mets en contact avec elle. Elle faisait partie des Pawn, une alliance de mercenaires, donc elle est un peu brute de décoffrage mais tu devrais t’en sortir ! Ton hybride, là, tu l'as trouvée comment?

Sur ce, je portais le verre de Stroh à mes lèvres et laissait descendre une longue gorgée du liquide. Ce truc-là arrachait, c’était certain. Combien en faudrait-il encore pour qu’Ernest tombe ?

Les répliques de Gabriel firent naitre en l’esprit de plus en plus imbibé d’Ernest une fierté immodérée. Cette dernière le poussa à sourire béatement et à se redresser sur sa chaise, tel un coq au sommet de son tas de fumier. Le résultat fut, avouons-le, un peu ridicule. Et puisqu’on le ventait sur son aptitude à boire, une vive envie de boire encore plus s’empara de lui. Il y céda sur l’instant. Je ne peux même pas dire qu’il voulait y céder. Non, cet acte n’était pas réfléchi et c’était le tout premier de la soirée. Avant, l’enfant-rat s’efforçait de mettre son cerveau de côté. A présent, il y était forcé. Il n’était plus maitre de lui-même, mais il ne s’en rendait pas compte. Il perdait certainement son propre défi, défi qu’il avait oublié. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il se sentait bien, terriblement bien. Son corps baignait dans une tiédeur délicieuse. L’alcool lui brûlait la gorge et l’estomac. Son esprit embrumé lui donnait l’impression de planer. Même dans cet état, il aurait put se ressaisir. Mais pour cela, il aurait dû cesser immédiatement de boire. Or, voilà qu’il en vidait un autre, cul sec de surcroit.

Le verre de trop… Son esprit craquait. Le corps ne pouvait que suivre sous peu.

-Mon hybride ? fit-il en reposant son verre avec une vigueur excessive sur la table. Ben… j’en sais rien.. c’est ça le pire.

Il gloussa. Son ivresse commençait à transparaitre dans sa voix. Une fois les résistances du mutant enfoncées, elle allait totalement s’effondrer en un rien de temps. L’Altérium ne le protégeait plus. Il avait fait déjà bien assez.

-Elle m’a retrouvé alors que je faisais une p’tite balade dans les égouts et elle m’a dis qu’elle était ma petite copine. Sauf que je l’avais jamais vu avant. Enfin, ça c’est un coup de mon amnésie. En tout cas, on s’est bien amusé tous les deux.

Il gloussa de nouveau en se remémorant la retrouvaille avec Neko. Dans le même temps, il se resservit un verre de Stroh. Ses gestes devenaient maladroits. Il renversa un bon quart de l’alcool sur la table sans en faire cas.

-Le problème… c’est… c’est… qu’elle est bête… j’veux une vraie… femme, quoi ! Un truc qui ait d’la… gueule !

Même sa diction devenait décousue. Et on sentait que ses courtes poses en plain milieu de phrases lui étaient nécessaires pour ne pas perdre le fil de sa pensée. L’alcool l’assommait. Son gène X s’inclinait face à la logique. Ernest perdait ses sensations. Il avait l’impression de se trouver dans un rêve. Sa vision trouble ne s’attachait plus que sur Gabriel. Le bar, à côté, n’existait plus. Et il vida encore son verre, pas cul sec cette fois, il ne pouvait plus. Sa main tremblait. Lorsqu’il reposa son verre, il le lâcha. Il roula sur la table, renversé.

-Heu… heu… j’en étais où ?

Il ne savait plus de quoi il parlait. Par contre, il repéra le cigare de son compagnon. Son regard vague se focalisa dessus. Il pointa un index vacillant sur l’objet de sa nouvelle convoitise.

-Ça a l’air… c’ool ! Dis, j’peux… j’peux essayer ? baragouina-t-il.

Le comprendre devenait un peu difficile tant sa voix devenait pâteuse. Sans attendre de réponse, il grimpa sur la table… ou tout du moins, il essaya. Se mouvoir était devenu pour lui un exploit. Il manqua de peu de tomber de sa chaise et de s’étaler au sol. Si cela s’était produit, il aurait été incapable de se relever. Au lieu de cela, avec de la persévérance, et beaucoup de chance, il arriva à se hisser sur la table. S’il avait été en mesure de marcher à la façon d’un bipède, il l’aurait fait. Il dut néanmoins se rabattre sur une méthode plus animale, à quatre pattes, qui lui convenait tout aussi bien compte tenu de sa morphologie. Ainsi, tant bien que mal, il s’avança vers Gabriel, bousculant sur son passage les bouteilles de vodka toujours présentes.

-Donne, donne ! fit-il, une fois à proximité du Confrériste, et en tendant la main pour lui attraper son cigare.

Peu à peu après son retour, Vermine commença à montrer des signes sérieux d’ébriété. Il se redressait comme un général marchant devant son armée et souriait d’une manière assez étrange. Une personne saine d’esprit aurait compris qu’il était temps de se limiter en alcool pour ne pas finir dépouillé. Mais mon ami fit tout le contraire et descendit un autre verre, cul sec. Je devinais là une erreur qui pourrait lui être fatale. Bientôt, il se mit à glousser, à parler de manière saccadée puis à renverser la moitié de l’alcool en voulant se servir. Il était cuit ! James lui, s’étrangla en voyant le précieux liquide et hésita à enlever ses bandages pour liquider (vive le jeu de mots !) le vilain buveur.

D’un coup son regard se leva vers moi et me fixa intensément. Oulah, j’le sentais pas trop là ! Puis il expliqua d’une manière très directe ce qu’il voulait avant de tenter de grimper sur la table pour me voler mon précieux cigare. On aurait dit qu’il rampait sur le meuble, renversant verres et bouteilles. Pour ma part, je sourais maintenant férocement. J’avais gagné ! Du moins, pas encore tout à fait..
Je me levai donc, ôtant le cigare de ma bouche le temps de vérifier si j’avais toujours un équilibre à peu près bon, puis je le remis en bouche avant d’attraper Vermine par le col. D’un mouvement de rotation ample, Vermine passa de « rat couché SUR la table » à « rat couché SOUS la table ». Enfin, pas totalement en dessous hein, me fallait quand même pouvoir l’avoir sous la main notre bon rat ! Ne faisant pas attention à la douleur qu’aurait pu provoquer une telle chute, j’enlevais mon cigare de ma bouche avant de lui mettre dans le bec.

- Fume, fume de tout ton saoul. Mais n’avale pas trop de bouffées où tu vas finir par nous rendre l’alcool. Et James s’ra pas trop content.

-NON IL NE SERA PAS CONTENT ! OTE LUI CA D’LA BOUCHE IL VA TOUT ME SALOPER !

-La ferme. C’est un grand garçon.

Après quoi, je me penchais sur lui, lui tenant le torse d’une main et je lui vidai totalement les poches. Tout y passa, poches avant, arrières et je lui offris même une petite fouille au corps pour récupérer d’éventuels objets cachés ! Vous pourriez penser que je devais me sentir coupable, mais pas du tout ! Les règles étaient claires et je ne doutais pas qu’il aurait fait de même. Quelles surprises allais-je donc trouver ?

Absolument pas. Non, je ne voulais absolument pas savoir ce qu'il y avait dans ce mouchoir usagé! Mon compagnon de soirée n'était définitivement pas une mine d'or. C'est à peine si je pouvais rassembler assez de petites pièces pour nous payer un verre! Ha le bougre, avait-il tout dépensé pour payer sa vodka? Tandis que mes mains inspectaient ses vêtements, le rongeur faisait mumuse avec le cigare. Si on m'avait dit qu'un jour qu'un rat allait dévorer un de mes punch-punch pendant que je le fouillai, j'aurai ris sans y croire! Mais il fallait se rendre à l'évidence, j'en étais à ce point là.

- Dire que j'ai parié ma Jeep pour ça!

Dis je en riant. Puis je continuai ma chasse au trésor. Le premier arriva rapidement, il s'agissait d'un pistolet de petit calibre et ce qui lui servait de munitions. J'empoignai l'arme et l'observait un instant. Un petit jouet pour quelqu'un possédant mes dons, mais je décidai de le garder en guise de trophée. Je le coinçai donc dans ma ceinture avant de reprendre la fouille. C'est alors que je dénichais ce qui, pour moi, valait bien cette prise de risque.

- Belle lame.

Entre mes doigts, l'arme s'était ouverte pour que je puisse découvrir le tranchant. Ce bois sombre et cette lame en argent travaillée, c'était un petit bijou que je ne manquerai d'utiliser de temps à autre. J’approchai mon doigt du tranchant pour en tester le fil et me coupait légèrement le pouce. Satisfait, je repliai l'arme et la glissai dans ma poche où elle rejoignit les petites pièces. J'en profitai justement pour en récupérer une que je glissai dans une des poches d'Ernest. Celui-ci venait de récupérer le cigare après l'avoir fait tomber et le machouillait comme un vulgaire nonoss.

- Tu savais que lorsqu'on cède un couteau à une personne, celui qui reçoit doit donner une pièce à l'autre? Y parait que c'est une tradition pour empêcher la lame de couper les liens. M'enfin t'captes surement rien de c'que je te dis.

Je l'empoignai alors par le col et le redressai, tentant de le faire tenir debout, même si les pattes du rongeur ressemblaient plus à de la guimauve qu'à autre chose.

- Allez relève toi avant que je n'décide de t'ôter ton caleçon aussi!

Comme l’avait fort justement supposé Gabriel, établir une communication digne de ce nom avec Ernest allait s’avérer très difficile. Certes, l’enfant-rat était toujours en mesure de remarquer qu’on lui parlait, preuve qu’il n’avait pas perdu absolument tous contacts avec la réalité. Il avait tourné la tête en direction de son collègue, il l’avait vaguement regardé tout en continuant de mâchonner son cigare. Cependant, il n’eut pas d’autre réaction, mis à part un clignement d’œil parfaitement inexpressif. Les informations captées par ses oreilles, lorsqu’elles s’étaient présentées au cerveau afin d’être interprétées, avaient trouvé porte close. Pour parfaire cet exemple imagé, on n’a plus qu’à rajouter une pancarte « fermé pour cause d’ivresse » sur la dite porte.

Vermine était à présent debout ou, plus précisément, maintenu debout. Son festin de cigare prit une soudaine ampleur. Il en avala un morceau entier. C’en suivi une déglutition laborieuse et bruyante. Cette dernière se prolongeant, on vit Ernest commencer à s’étrangler. Le morceau ne passait pas, ou il était de trop. La réaction s’emballa très vite et elle s’acheva par l’inévitable : le jeune mutant vomit copieusement sur le sol, devant lui. Tout sortit en une seule fois avec un début stupéfiant. Une odeur de bile et d’alcool se répandit rapidement. Au milieu de l’immonde flaque, qui léchait les orteils du rat dit en passant, flottait le morceau de cigare. L’auteur de cette œuvre d’art admira cette dernière avant de commenter de sa voix pâteuse.

-Ha… ça fait du bien…

Puis, tout en humant l’air parfumé, il ajouta :

-Soif… j’ai soif !

Subitement, il tourna la tête vers Gabriel et l’attrapa, d’une main vacillante, par le bas de la veste.

-Donnes-moi à boire ! gronda-t-il, presque menaçant. J’ai soif !

Son collègue ayant terminé ses fouilles, les fantasmes de créature féminine idéale avaient quitté l’enfant-rat, laissant place à une agressivité naissante. Cependant, une question s’imposait. Gabriel avait-il vraiment trouvé tous les objets du rongeur ? Il constata subitement que non, il en manquait au moins deux. L’œil droit d’Ernest, du fait de ce qui s’était passé, avait légèrement pivoté, montrant explicitement qu’il s’agissait en réalité d’un œil de verre. Ensuite, deux des dents de l’enfant-rat avaient des reflets métalliques, elles étaient fausses.

Alors que je soulevai le rat, il se passa quelque chose d'étrange. Avait-il terminé de bouffer le cigare? Venait-il de tomber sur un morceau encore brulant? Que nenni! Ernest se mit simplement à régurgiter sous mes yeux ébahis! Bile et alcool s'écrasèrent dans un "bouargsplatch" peu appétissant. Pourtant, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, je ne bougeais pas d'un poil, comme s'il était normal de soutenir un rat qui rend!

- Quand j'te disais qu'il fallait pas avaler la fumée. ça comptait aussi pour le reste! On est bien rendu maintenant!

On pouvait noter l'énorme manque de sérieux dans mes paroles. De plus, je me mis à rire, d'une manière assez étrange. C'était comme si j'étais quelqu'un qui n'avais pas ri depuis longtemps et qui ne savait plus comment faire. C'était moche, c'était bruyant, mais on comprenait que ça venait du cœur! Pour me calmer, je vidais d'un trait mon verre de bourbon, seul récipient qui avait survécu à l'assaut du rongeur fou. Mais là, c'est mon cerveau qui commença à se mettre en veille. Je n'étais plus moi-même, c'était certain. Tandis qu'Ernest voulait boire, moi je lui répondis.

- Deux minutes, faut cacher ton oeuvre sinon James va crier!

On aurait dit deux enfants qui avaient fait une bêtise. Et pourtant, seul l'un des deux pouvaient se vanter d'en être vraiment un. Ou du moins, un enfant-rat. Cependant, si ma façon de parler devenait trop innocente, mes idées, elles, n'avaient rien de sage. D'un coups, j'arrachais le haut de Vermine, puis le dépossédait de son pantalon et, allez savoir pourquoi, de son caleçon. Après tout, tout m'appartenait non? Je lançais alors tout sur la galette de mon nouvel ami et pris la parole:

- Râle pas j'ai gagné.. JAMES!!! UNE SERVIETTE ET UN VERRE POUR LE TYPE A POIL! UN VERRE PLEIN!!!

Le barman, qui avait voulu éviter de suivre la scène n'avait entendu que: un bruit de chahut, un vomissement, un eclat de rire flippant, et ce que je venais de crier. Il alla donc chercher une grande serviette et un verre totalement remplis de Scotch, boisson qu'il s'était à la base prévu pour lui afin d'oublier le désastre qui grandissait dans son petit troquet. Mais pendant qu'il opérait, moi je me trouvais face à Vermine et je ne pus m'empêcher de voir quelque chose qui m'avait échappé, surement à cause de l'alcool. Son oeil droit partait maintenant en vrille, comme s'il n'était pas à sa place.. Comme s'il s'agissait.. D'un oeil de verre! C'était un objet non? Sur Vermine non? Donc il était à moi!!! Je lui attrapait la gueule de la main gauche et plongea sans attendre mes doigt de la main droite vers le sujet de ma convoitise! La petite bille de verre glissa une fois entre mes doigts puis je l'attrapai fermement avant de la retirer dans un bruit de succion assez peu ragoutant. James arriva à ce moment là, me voyant moi, un oeil à la main, au dessus d'un Ernest borgne et nu! Il manqua de faire tomber le verre et dût le poser sur la table.

- DOUX JESUS! MAIS VOUS ETES FOUS!

Le spectacle du rat complètement ne dût pas lui plaire car il nous lança la serviette avant de partir, complètement sous le choc et furieux. Moi, j'attrapai la serviette et le verre d'une même main pour les tendre vers Ernest et dire à propos du vomi, comme si de rien n'était:

- T'as vu, il a rien remarqué!

Mais qu’allait-il bien pouvoir advenir de cette fière équipe si même Gabriel perdait la tête ?! Cette question, Ernest ne se la posa évidement pas. Tout nu, dépouillé même de son œil de verre, il s’était mis à somnoler, assis parterre, adossé à un pied de la table. Enfin, somnoler, ce n’était pas vraiment le bon terme. Il rêvait, il fantasmait. Son collègue l’avait dévêtu sans ménagement. Son état calamiteux lui avait quand même permis de comprendre ce qui lui arrivait. Cependant, il s’imaginait dans un lieu chic en compagnie de cette pulpeuse créature féminine déjà évoquée précédemment. Inutile de préciser que Vermine n’avait opposé aucune résistance. De toute façon, même s’il en avait été autrement, le résultat aurait été le même.

-Continue ! fit-il entre deux gloussements de contentement.

Son excitation croissante fut vite suffisante pour engendrer une certaine raideur au niveau de son entre-jambe. Evidement, n’était plus couvert que de sa fourrure, difficile de cacher cette réaction physiologique bien connue. Un coquin de passage se serait certainement amusé à mesurer. Heureusement, personne ne le fit, car le résultat aurait été peu glorieux. Enfin passons. Si l’enfant-rat avait encore put compter sur quelques ressources physiques, son excitation l’aurait à coup sur poussé à… tenter sa chance avec celui qu’il prenait pour une belle demoiselle à forte poitrine. Fort heureusement, il était incapable de se mouvoir, que ce soit sur deux pattes, sur quatre ou en rampant. Il était comme vidé.

Gabriel finit par lui dire quelque chose tout en lui tendant un verre et une serviette. Le verre, il sut instinctivement quoi en faire. La serviette, par contre, il ne voyait pas. Se couvrir, peut-être ? Quelle idée ridicule ! Déjà que sobre, il n’avait aucune pudeur. Ivre mort, cela n’allait pas s’arranger. Bref. Ernest prit le verre. Il découvrit, en cette occasion, qu’il tenait toujours le cigare mutilé.

-C’est quoi, ça ? dit-il en observant l’objet.

Il ne le reconnaissait même pas et il ne chercha pas à en savoir plus. Il le jeta plus loin et prit pour de bon le verre. Ceci fait, il le vida cul sec, comme à son habitude. Puis, s’essuyant la gueule d’un revers de manche… enfin de fourrure, il s’exprima avec une clarté stupéfiante. On aurait presque dit qu’il n’avait jamais bu.

-On est trop fort Gab’ !

L’instant d’après, le verre tombait parterre et se brisa. Vermine vacilla et s’effondra sur lui-même. Son cerveau noyé d’alcool avait visiblement dit « stop ». Ernest venait de sombrer dans un profond sommeil.

*CLING ~ BLAM*

La scène n'avait duré que quelques secondes. Des secondes bien trop rapides pour mon esprit embrumé. Tout ce que je pouvais constater, c'était le verre écrasé au sol et le rat allongé au même endroit. Je me penchai alors sur son corps inanimé et posai ma main sur son épaule.

- Hey Ernest! T'es mort?

d'après le petit ronflement qui s'ensuivit, je pouvais affirmer que non. Je me redressai alors et regardai autours de nous l'étendue des dégâts. Trois fois rien. Je sortis alors tout l'argent que j'avais sur moi et le posai sur un morceau de table qui avait été épargné par l'alcool. Après quoi, j'empoignai le rat et, en un coup de rein, je le montai sur mon épaule comme un vulgaire sac de patate. Je me tournai alors vers la sortie et jugeai la distance avant de m'élancer. Il fallait arriver jusqu'au bout sans tomber, et avec ce que j'avais bu, ça n'allait pas être si simple! Bref, tant bien que mal j'arrivai jusqu'à la porte. Là, je me tournai pour saluer mon vieil ami. Sa seule réponse fut l'apparition d'un majeur bien levé! Okay okay! Retenant un nouveau rire je poussai le battant et me retrouvait à l'air libre. La fraîcheur m'envahit instantanément m'aidant à ne pas perdre pied. Il fallait maintenant rentrer, et en un seul morceau!

D'une main, j'attrapai mes clefs et tentai d'ouvrir la portière de la vieille jeep qui me servait de véhicule. Certes je venais de la faire réparer, mais elle était vraiment pas de la première jeunesse! Quoi qu'il en soit, je posai Vermine sur le capot pour pouvoir utiliser mes deux mains, puis je l'installai sur le siège passager. Si quelqu'un passait par là à ce moment là, on aurait pu croire que j'étais en train de kidnapper un gros rat qui atteignait presque le mètre. Vision tout à fait étrange me direz vous. Me voilà maintenant au volant de l'auto. Encore fallait-il démarrer! Là, je laissai faire l'habitude et tout se passait à peu près correctement. Je roulai à allure raisonnable, mais dû à plusieurs reprise faire un écart pour rester du bon coté de la route.
Ainsi se déroula la route jusqu'à notre repaire: la Confrérie.